dimanche 31 décembre 2017
LA MILLE ET UNIEME NUIT
© Soleil Productions 2017- Le Roux & Froissard |
Telle Pénélope, Shéhérazade – de nuit en nuit - conte une
histoire sans fin afin de pouvoir survivre au jour naissant, car si les
mots venaient à lui manquer, le sultan Shahriar la ferait passer de vie à
trépas !
Remplies de phantasmes parfumés d’Orient, Les mille et une
Nuits constituent un recueil d’histoires dont peu embrassent la
totalité mais qu’aucun ne peut ignorer ! De l’Inde au Moyen Orient, au
fil des siècles, au gré des nuits, les contes se sont ajoutés les uns
aux autres et d’Aladin à Ali Baba, ils ont enchanté plus d’une veillée.
À
l’évidence Étienne Le Roux n’a pas résisté à l’envie d’apporter sa
pierre à ce grand édifice et à s’inscrire ainsi dans la tradition des
conteurs, de ceux qui font briller de plaisir et rougir de fatigue les
yeux des plus jeunes. Cet album est de ceux que l’on voudrait lire à
voix haute pour en partager la profondeur mais aussi montrer pour en
faire découvrir les planches aux couleurs de sable finement travaillées
ou bien encore le dessin tout en douceur et en simplicité. Le fond du
propos est une leçon de vie et la forme de savoir-faire.
La mille et
unième nuit se raconte autant qu’il peut être lu et sa magie
permettra aux petits d’entrer dans le monde des grands et à leurs ainés
de retomber, pour quelques instants, en enfance.
AMOROSTASIA
© Futuropolis 2017 - Bonin |
La pandémie d’amorostasie continue de s’étendre et ce malgré les mesures
prophylactiques mises en œuvre par les autorités. L’amour est un mal
contre lequel il faut désormais s’immuniser…
À l’évidence le dénouement
proposé par Cyril Bonin n’aurait pas pâti de plus de densité et de
complexité… plutôt que de sombrer dans les bons sentiments et le happy
end général aussi inexpliqué que soudain : le romantisme a ses canons
dont il est difficile de s’extraire. Alors soit, ceci permet de
stigmatiser les travers d'une époque et de dénoncer la bipolarité d’une
société capable d’aduler le soir ce qu’elle vouait aux gémonies le matin
même, mais l’ensemble manque singulièrement de passion. L’amour
n’est-il que retenue et bienséance à l’image d’un crayonné tout en
douceur et en élégance ?
Suite et fin d’Amorostasia dont l’évanescence
du trait ne peut faire oublier un final qui marque le pas sur le
crescendo initié par les deux albums précédents.
CORTO MALTESE
© Casterman 2017 - Díaz Canalès & Pellejero |
Les héros ne meurent jamais vraiment, car il en subsiste toujours
quelque chose en nous !
Nouvelle aventure du plus célèbre des marins du
9ème Art qui fidèle à lui-même - du moins à l’idée qu’il en reste -
promène son dilettantisme sur les traces de Livingstone. Alors que dire
de cette histoire qui a le goût d’un Corto Maltese sans toutefois en
avoir la saveur…. Juan Díaz Canalès respecte le cahier des charges et
s’évertue à faire croiser le chemin du Maltais à tout ce que l’Europe de
ce début de XXème siècle se connaissait de célébrités africaines sans
cependant donner une véritable consistance à son scénario. Aussi ne
reste-t-il de cet album qu’une succession de scènes qui s’accumulent
sans réellement constituer un récit au long cours : la lettre est là,
mais sans l’esprit. La remarque vaut pour le travail de Rubén Pellejero
auquel il ne peut rien être reproché si ce n’est l’absence de cette
étincelle qui fait la différence entre le maître et l’élève… quand ce
dernier est bridé par l’obligation de respecter les canons d’un genre.
Équatoria montre des limites, déjà entrevues avec Sous le soleil de
minuit. Ne serait-il donc pas plus sage de cesser de marcher sur les
traces d’Hugo Pratt et de laisser à Corto le soin de choisir une autre
voie plutôt que de s’évertuer à lui faire réemprunter des chemins que
nous connaissons tous par cœur.
mercredi 20 décembre 2017
SARA LONE
3. Snyper lady
© Sandawe 2017 - Arnoux & Morancho |
1962 ! La crise de Cuba est une immense partie de poker entre
l’Est et l’Ouest où nombre des cartes sont truquées…
Troisième opus des
aventures de l’ex-danseuse du Blue Parrot reconvertie dans la pêche à la
crevette et accessoirement petite main de la CIA. La jolie rousse a
terminé ses classes, soldé ses déboires avec la mafia locale et relancé
ses affaires. Le temps est donc venu pour elle de montrer l’étendue de
ses talents, mais la cause est-elle juste ?
Pour se convaincre de
l’évolution de Sara Lone, il suffit de comparer les couvertures de Pinky
princess et Sniper lady. La gamine en rupture de ban est devenue une
femme qui, à défaut de savoir où elle va, entend désormais le faire
selon ses règles. Jouant hier sur le registre du thriller, Erik Arnoux
développe aujourd’hui un récit d'espionnage qui s’inscrit dans
l’histoire contemporaine en laissant son égérie jouer une partition où
le M14 remplace les violons. Place donc à la realpolitik et à ses
coulisses où il devient difficile – pour le plus grand plaisir du
lecteur - de séparer la réalité de la fiction. Sur un format réduit à la
pagination dense et aux dialogues fournis, le dessin réaliste et précis
de David Morancho ancre le récit dans une Amérique des Sixties plus
vraie que nature.
Reste maintenant à dénouer le nœud d’une intrigue qui a
rendez-vous avec l’Histoire…. à Dallas !
mardi 19 décembre 2017
KATANGA
2. Diplomatie
© Dargaud 2017 - Nury & Vallée |
Le soleil se couche sur l’ex-Congo-belge qui, plus que
jamais, attise les convoitises, notamment lorsque qu’elles se pèsent en
carat !
Diplomatie est une jolie leçon de machiavélisme et de bande
dessinée où la fiction flirte avec une vision héritée de la
Françafrique…
Puisant sans retenue dans l’histoire mouvementée de la
décolonisation, les deux auteurs en livrent une version au réalisme
hallucinant. En dessinant des salauds plus vrais que nature aux
physionomies typées à la limite du caricatural, Sylvain Vallée est passé
maître dans l’art de stigmatiser les turpitudes des états d’âme de ses
personnages. Son travail sur ce deuxième volet de la trilogie est
simplement parfait d’équilibre et d’intensité à l’instar de ses décors
plombés par la moiteur ambiante, où le bruit des moustiques serait
presque perceptible. Pour sa part Fabien Nury fait la part belle à ce
que l’Humanité a de pire, un vrai panier où les crabes sont remplacés
par des alligators. Dès le prologue, il captive littéralement
l’attention de ses lecteurs pour ne les laisser que cinquante-deux
planches plus tard, en état de manque. Impossible de souffler, les
événements s’enchainent sans rien occulter de leur violence ou de leur
perversité. Du grand art sans aucune indulgence pour le genre humain.
Le
duo Nury-Vallée avait atteint des sommets avec Il était une fois en
France, il en conquiert de nouveaux avec Katanga.
samedi 16 décembre 2017
LADY MECHANIKA
4. La Dama de la muerte
© Glénat 2017 - Chen, & Benitez |
She’s back ! Celle qui devrait d’ici peu remplacer Super Jaimie dans le
cœur des amoureux de bio-mécanique est de retour !
Joe Benitez, bien
évidemment, mais également et encore Martin Montiel, M.M. Chen, Mike
Garcia ou Michael Heisler, sans oublier Peter Steigerwald et Beth Sotelo
: ils sont venus, ils sont tous là pour ces deux nouvelles graphiques
de la divine égérie du steampunk. En cette fin d’année, la Dama de la
muerte retiendra plus particulièrement l’attention. Parue judicieusement
à l'approche de Novembre, cet arc narratif fait écho à notre Toussaint
nationale, les mariachis en plus, et trouve une étrange résonance en
cette veille de Noël avec le Coco de Walt Disney. Quoiqu’il en soit, ce
dernier opus est du meilleur cru et justifie la tournée promotionnelle
et hexagonale de son créateur.
Sur le fond, les deux histoires
voient le petit univers de la belle lady prothésée s’enrichir d’un
nouveau coéquipier dans Les garçons perdus de West Abbey et, plus
généralement, d’une profondeur psychologique qui relève des Complexes
plutôt que de la logique binaire. Coloré, dense et luxuriant, foisonnant
de détails, le dessin de Benitez et Montiel devient plus expressif et
leur découpage donnera des migraines ophtalmiques aux plus fragiles
tandis que le lettrage de Michael Heisler fera la joie des opticiens.
Mélangeant légendes aztèques et tradition mexicaine tout en les
saupoudrant de fantastique et de hors-la-loi sanguinaires, ce volet ne
renie pas ses vieilles recettes, mais dégage un petit quelque chose qui
l’inscrit dans la réalité du moment et laisse à croire que Joe Benitez y
a mis du sien plus que de coutume.
Égale à elle-même Lady Mechanika
propose un quatrième opus de ses aventures qui ravira les converti(e)s à
sa cause et pourrait rallier quelques septiques qui découvriront dans La Dama de la muerte une expressivité des regards rare dans un Comic.
jeudi 14 décembre 2017
SOUTERRAINS
© Casterman 2017 - Baudy |
Le Nord, ses corons, ses mines, ses mineurs exploités, ses sociétés exploiteuses et au fond un monde que tous ignorent…
Ce qui aurait pu être un énième album sur la condition ouvrière, ses luttes et ses désillusions prend sous la plume et le trait de Romain Baudy une dimension singulière. Il est effectivement question de rapport des classes mais pas que et Souterrains sait subtilement basculer vers le fantastique et de la science-fiction, dans un monde de nains et de géants dont le royaume se trouve menacé. Alors, même si l’action tarde à vraiment s’installer, ce qui suit est pour le moins intéressant…
Sur une mise en couleurs qui privilégie les bleus-gris et
les teintes érugineuses, Romain Baudy signe un second album plein de
promesses.
lundi 11 décembre 2017
LES VIEUX FOURNEAUX
© Dargaud 2017- Lupano & Cauuet |
La parthénogenèse thélytoque en milieu zadiste, il faut s’appeler
Wilfrid Lupano pour en faire le pitch du quatrième volet des Vieux
fourneaux et non pas une thèse doctorale !
Attendu avec intérêt ou
impatience selon les cas, ce nouvel album cultive les raisons de son
succès. Des personnages à la limite de la caricature mais (terriblement)
attachants, des préoccupations d’actualité traitées avec légèreté mais
pas par-dessus la jambe, des bons mots et une peinture des petits
travers humains qui jardine avec révérence les plates-bandes d’un
illustre prédécesseur constituent les principaux ingrédients de ce
cocktail siroté avec plaisir tant qu’il ne file pas la gueule de bois.
Les vieux fourneaux cuisine une recette qui a fait ses preuves : celle
d’offrir plusieurs niveaux de lecture… multipliant ainsi les publics. De
fait, chacun a le choix de se marrer doucement sur le comique de
situation que Paul Cauuet travaille joliment… ou de s’interroger
gentiment sur les effets de l’agriculture bio sur la libido des jeunes
marionnettistes ou bien encore les motivations des médecins roumains à
venir repeupler les déserts médicaux ! L’art subtil du créateur du Loup
en slip est d’amener nombre de ses sujets avec une bonne dose de
dérision, mais les choses sont dites et à chacun d’en faire le meilleur
usage.
Surjouant parfois, la fine équipe de septuagénaires demeure égale à elle-même : facétieuse et cabotine à souhait.
samedi 2 décembre 2017
PETITES MORTS...
...et autres fragments de Chaos
© Glénat 2017 - Liberatore |
Tanino Liberatore cultive le goût de soufre ! En
six chapitres, Petites morts revient sur plus de quarante années de transgression : des
premiers travaux inachevés de 1974 à un inédit de 2013 scénarisé par
Jean David Morvan.
Au cours de cette promenade, le dessinateur transalpin
se confie progressivement, par bribes, sur ses diverses expériences
graphiques. De sa difficulté à faire de la « vraie » bande-dessinée, à
sa passion pour l’illustration en passant par son souci du « bon »
cadrage ou ses expérimentations pour renouveler le plaisir de dessiner,
il démontre qu’il existe une vie en dehors de Ranxerox. Au fil des
planches, il est aussi question de ses publications dans Il Male, l’Écho
des Savanes, ou Hustler, de ses rencontres avec Pratt ou de son
admiration pour Moebius, de l’importance du cinéma dans son travail ou
le la musique, qu’elle soit de Zappa ou de Miles Davis. Loin de la
biographie ou de l’intégrale, l’auteur a procédé à une sélection de
morceaux choisis pour illustrer ses collaborations au bonheur varié,
expliquer ses sources d’inspiration puisées dans l’air du temps. Il est
aussi question de de son rapport au sexe et à la violence, parfois
difficile à cerner, mais qui nourrit un dessin, dérangeant parfois, mais
d’un réalisme et d’une puissance rares.
Alors ces fragments de chaos ne
feront pas de tout à chacun un exégète de l’irrévérencieux maestro, mais
ils permettront de mieux le décrypter. Et, qui sait, d’apprécier un
artiste hors pair qui ne laisse pas indifférent.
mardi 28 novembre 2017
L'ÎLE AUX REMORDS
© Bamboo Édition 2017 - Quella-Guyo & /Morice |
De retour au pays après vingt-cinq ans d’absence et de silence, ce n’est
que fortuitement que Jean revient à la ferme paternelle, isolée du
monde par une brusque montée des eaux pour quelque jours . Ce huis clos
imprévu obligera des deux hommes à renouer le fil, décousu, de leur
passé...
Les histoires de Didier Quellat-Guyot ont la douce nostalgie
d’une époque révolue, celle des îles lointaines, ou pas, avec en toile
de fond, la guerre qui broie les hommes, mais qui les révèle aussi .
Cette fois, il est question de filiation et de son corollaire, la
paternité, de famille à recomposer, de recherche de soi à force d’avoir
fui les autres, de remords mais aussi d’espoir. De ce subtil amalgame
des sentiments ressort un récit, parfois un peu décousu, mais qui - de
bagne en bagne - s’attache aux rapports d’un fils - forgé par la
Pénitentiaire – avec un père pragmatique et un brin libertaire. Pour
mettre tout ceci en lumière, Sébastien Morice fait encore œuvre d’un
dessin numérique tout en douceur aux tons effacés mais toujours
empreints d’une belle intensité.
À réserver à ceux qui aiment flâner sur
le cours d’une vie, L’île aux remords permet de se faire une (petite)
idée du temps pas forcément bénie des Colonies.
LA FORÊT MILLENAIRE
© Rue de Sèvres 2017 - Taniguchi |
Wataru entend des voix, des murmures qui viennent de la forêt,
de cette forêt surgie des entrailles de la Terre, peuplée d’animaux
étranges …
La Forêt Millénaire est une œuvre à peine ébauchée qui
restera à jamais inachevée.
Parcourir les premières pages d’un album qui
devait être pour Jirô Taniguchi une forme d’aboutissement, une synthèse
de ce qu’il voulait transmettre à travers son dessin, est un moment de
lecture particulier. Accompagnant la dernière réalisation du mangaka
d’un cahier graphique et des commentaires éclairés de son ami et
éditeur, Motoyuki Oda, Rue de Sèvres permet ainsi de comprendre la
démarche d'un homme dont l’art avait conquis le Vieux continent et qui
utilisait sa notoriété auprès des siens pour faire bouger la
codification d’un genre qui ne laisse que peu de latitude au changement.
Ainsi, tour à tour, le maître inspirait ceux qui l’entouraient et
ouvrait certaines voies à ceux qui voulaient le suivre.
Désormais, les
feuilles de La Forêt Millénaire bruissent du souvenir d’un auteur dont
l’humanisme et la simplicité du talent transcendent ces dernières
planches.
SOLEIL FROID
© Delcourt 2017 - Pécau & Damien |
Les oiseaux ne se cachent plus pour mourir, entraînant avec eux
l’Humanité vers sa fin.
Piochant dans l’actualité la plus récente,
Jean-Pierre Pécau livre une version de la fin du monde qui ne fait pas
forcément dans les grands sentiments ou la facilité. Sur ce thème déjà
(très) visité, il est difficile d’innover et Soleil froid privilégie la
variation. Ainsi, le scénariste de Jour J opte pour un héros, moins
manichéen qu’à l’accoutumée, accompagné d’un robot de portage (hybride
de mule et d’Intelligence Artificielle), véritable protagoniste à part
entière. Parallèlement, le récit est judicieusement parsemé de
flashbacks et de révélations qui permettent tout à la fois de maintenir
le suspense et de créer un univers cohérent aux personnages dotés d’un
minimum de personnalité. Sur ce scénario solide, Damien calque son
dessin semi-réaliste aux encrages appuyés et sait donner à ses décors la
bonne dimension.
Soleil froid est de ces albums qui incrémentent un
genre en cultivant ses thématiques principales tout y apportant une
petite pointe d’originalité.
LES PASSAGERS DU VENT
1/4 : Le Sang des cerises
© Delcourt 2017 - Bourgeon |
La Commune, Ferry, Gambetta, Louise Michel… Surgis d’un no man’s land
historique coincé entre le Second Empire et la Première Guerre mondiale,
ces noms évoquent peut-être quelques vagues souvenirs.
Au travers Le
Sang des cerises, troisième et dernier cycle des Passagers du Vent,
François Bourgeon ressuscite une époque oubliée et fait le lien avec La
Petite Fille Bois-Caïman grâce à Zabo qui s’appelle désormais Clara.
Dans un Paris qui vient à peine d’amnistier ses Communards et qui
accompagne Vallès au Père-Lachaise, ce nouvel album est l’occasion d’un
voyage sur lequel plane l’ombre de Hugo.
Pré-publiées sous forme de
quatre journaux au papier épais et au tirage trimestriel, ces premières
planches sont là pour rappeler que l’histoire n’est pas encore terminée
et que le dessinateur breton (d’adoption) excelle toujours dans le noir
& blanc même s’il est injuste que les personnages n’aient pas fait
l’objet du même traitement graphique que les décors, superbes de
nuances.
Avec une vision personnelle des faits, mais la volonté de
retranscrire au plus juste et dans ses plus petits détails cette période
socialement tourmentée, Le Sang des cerises, permet à François Bourgeon
de montrer, une fois encore, ses (grands) talents de conteur !
lundi 20 novembre 2017
40 ELEPHANTS
Florrie, doigts de fée
© Bamboo Édition 2017 : Toussaint & /Augustin |
Que ce soit à l’usine, aux champs ou dans les rues, la Première Guerre
mondiale a obligé les femmes à remplacer leurs pères, frères, maris ou
fils partis au front. Mais une fois le conflit terminé, il est parfois
difficile de retourner à sa routine d’antan…
Les histoires du Milieu
sont légions, celles de gangs féminins beaucoup plus rares. Virginie
Augustin et Kid Toussaint essayent tant que faire se peut de remédier à
la chose avec 40 éléphants, version british et féminisée des 40 voleurs !
Prenant pour cadre le Londres de l’Entre Deux-Guerres, les deux auteurs imaginent les péripéties d’une mafia de quartier (Elephant Castle) composée uniquement de femmes qui après avoir investi les bas-fonds désertés par leurs hommes doivent désormais lutter pour survivre contre la police et leurs anciens seigneurs et maîtres. Ce sont ici les arcanes de leur communauté et les petits trafics auxquels elles s’adonnent qui sont contés à travers quelques-unes des figures emblématiques de cette coterie pour le moins inaccoutumée.
Comme à son habitude, Virginie
Augustin recherche toujours de nouvelles voies. Sur un registre
résolument plus réaliste que ses productions antérieures, la voici qui
refait ses gammes informatiques en retravaillant son encrage et ses
noirs sur une galerie de portraits dignes d’un digest de fiches
anthropométriques de Scotland-Yard. Le résultat en est vivant à souhait
et sait établir une réelle empathie (ou antipathie) envers la kyrielle
de protagonistes auxquels elle doit donner vie.
Sur un sujet pour le
moins atypique - mais néanmoins véridique - et un traitement qui joue
sur les relations humaines plus que sur les cligffhangers, Virginie
Augustin et Kid Toussaint installent une série vivifiante qui mêle
habilement étude de mœurs et thriller, sans tomber dans le
misérabilisme. Reste maintenant à savoir s’ils réussiront le hold-up
éditorial de 2018 avec Maggie Passe-Murailles ?
EN ATTENDANT BOJANGLES
© Steinkis 2017 - Chabbert & Maurel |
S’aimer, s’enivrer de musique comme de cocktails n’a qu’un temps. Face à tant d’insolence, le destin fera de cette fête perpétuelle, une lente descente aux enfers…
Adapter le roman d’Olivier Bourdeaut n’est pas sans risque ! Ce faisant, Ingrid Chabbert et Carole Maurel s’obligent à explorer des voies nouvelles afin de s’émanciper de l’œuvre originelle. À lire la préface de la main même du romancier, l’exercice semble réussi !
À l’évidence, En attendant Bojangles ne peut laisser indifférent(e) ! Romance sublimée ou insupportable insouciance ? Chacun appréciera cet album à l’aune de ses propres convictions ! Quoi qu’il en soit, le parti pris par les deux jeunes auteures ne manque ni d’élégance ni de force. Fantasque, inquiet ou dramatique à l’instar de l’humeur changeante de son héroïne, le scénario d’Ingrid Chabbert traduit joliment toute la vulnérabilité du personnage ainsi que la fragilité d’un bonheur de plus en plus illusoire face au drame qui couve. Sur les mêmes registres, le trait tout en simplicité de Carole Maurel dépeint la palette des sentiments qui assaillent les différents protagonistes, faisant de ses planches le miroir des états d’âmes de tout ce petit monde.
Toutefois, la désinvolture de Georges et l’inconstance dont fait preuve Antoinette, à moins que ce ne soit Hortense ou Madeleine, pourraient exaspérer et ne faire retenir de ce récit que l’égoïsme d’un couple dont la frivolité ne tient qu’à quelques facilités financières ! Ce serait passer à côté d’une belle et triste histoire d’amour…
dimanche 19 novembre 2017
L'AIR DE RIEN
© Dargaud 2017 - Picault |
En une centaine de strips et quelques illustrations, Aude Picault
malmène gentiment ses semblables.
Parus précédemment dans le supplément
week-end de Libération, les voici aujourd’hui réunis en une intégrale
chez Dargaud.
S’il faut reconnaître à la jeune auteure une jolie
propension à croquer le trentenaire avec compassion, mais sans se
départir d’une bonne dose d’(auto)dérision, il faut également convenir
que cette succession d’histoires courtes, en rang par deux entrecoupées
de dessins pleines pages, induit une relative lassitude. Aussi, pour
pleinement apprécier L’air de rien , mieux vaut le délaisser
momentanément afin y revenir à l’occasion, par petites touches
successives ! Ainsi, de planche en planche, les plus anciens
apprécieront dans ces saynètes existentielles au Rotring l’influence de
Claire Bretécher, voire de Sempé, tandis que d’autres retrouveront là
les prémices d’Idéal standard.
Tendre sans oublier d’être caustique,
L’air de rien décortique les travers de la génération Y avec l’intention
d’en sourire plus que d’en rire.
LE ROY DES RIBAUDS
LIVRE III
© Akileos 2017- Brugeas & Toulhoat |
Les ors du royaume partagent avec les
bas-fonds la même propension à l’intrigue et, de fausses alliances en
vraies trahisons, chacun cherche sa part de lumière et de pouvoir. Mais
pour cela, le sang devra couler à flots dans les ruelles de Paris !
Fin
de cycle avec ce Livre III qui clôture un premier pan de la vie de
Triste Sire. Découpé en neufs chapitres, ce troisième volet prend soin
d’occire avec une efficacité redoutable tous ceux qui ne seraient
d’aucune utilité ultérieurement et, parallèlement, de faire monter en
puissance un duo à la force et au machiavélisme riches de promesses.
D’une aisance graphique qui allie les décors somptueux aux angles de vue
favorisant le mouvement, Ronan Toulhoat sait tout à la fois mettre
l’action au cœur du récit ou s’arrêter sur les physionomies pour mieux
cerner les personnalités. Sur l’autre versant de cette histoire, Vincent
Brugeas maîtrise une dramaturgie qui va crescendo pour aboutir à un
final aussi sanguinaire que muet. Ainsi, au fil de planches parfaitement
composées et de séquences structurées à l’unisson, le duo confirme sa
capacité à réaliser la synthèse de différents univers narratifs et
visuels pour poser les fondements d’une série au style affirmé.
Toutefois,
il faudra attendre 2020 pour connaitre - éventuellement - la suite des
turpitudes du Roy des Ribauds, puisqu’il semblerait que les deux auteurs
aient trouvé chez Dargaud - ainsi qu’en Sicile - une nouvelle terre
d’élection. Après les venelles sombres de Paris et le règne de Philippe
Auguste, place au soleil de Méditerranée et à la lignée des Hauteville.
vendredi 17 novembre 2017
SHI
2. Le Roi démon
© Dargaud 2017 - Zidrou & Homs |
L'Angleterre
a beau être gouvernée par une reine, en cet fin de siècle, il est
difficile pour une femme de se choisir une vie en dehors des options
offertes par le mariage ou les bordels…
Il est des confréries
criminelles comme de la noblesse que le temps auréole d’un prestige
certain, et s’il est pris soin de leur adjoindre une pointe de
surnaturel et quelques considérations dans l’air du temps, il y a là
matière à de belles histoires. Avec SHI, Zidrou tente l’aventure du
thriller fantastique et oscille entre le Londres victorien et la City
d’aujourd’hui afin de trouver une explication à une vague d’attentats
prenant pour cible un fabricant d’armes. Le roi démon jette
définitivement Kita et Jay sur le chemin de la révolte contre
l’establishment britannique. Mais en rester là serait par trop simple et
des manœuvres de basse politique ou de sulfureux scandales sont autant
de fils avec lesquels le scénariste belge tisse une histoire où la
nature humaine n’est pas à son honneur. Ce faisant, il permet à Homs de
développer un graphisme puissant et expressif qui - au travers de
vignettes et de séquences à la dynamique parfaitement agencée - installe
une dramaturgie où la mise en couleurs joue les rôles-titres.
Rebouclant son épilogue avec le prologue de Au commencement était la
colère, ce deuxième album clôt superbement la partie liminaire d'un
cycle prévu en quatre tomes. Ainsi, après le « Pourquoi », il devrait
être maintenant question du « Comment ».
LOLONOA
© Beaupré 2017 - Lesaint |
Lolonoa ou François l’Olonnais ! Aujourd’hui, ce nom n’évoque plus
rien pour personne, mais il fût un temps où les Indes occidentales
tremblaient à la simple évocation de ce sombre individu qui aimait voir
les têtes tomber sous le fil de son sabre, surtout si elles étaient
espagnoles.
En cette fin d’octobre 2017, les éditions de
Beaupré ressuscitent le célèbre boucanier originaire des Sables-d’Olonne
au travers de trois volumes.
Les pirates enflamment
toujours autant les imaginations et demeurent le symbole de liberté
absolue, les chantres d’une vie libertaire sans attache et sans
contrainte où l'existence n’avait de valeur que dans l’instant présent
puisque le suivant était souvent celui du trépas. À la manœuvre de ce
nouveau récit de haute mer, Fanny Lesaint, dont le seul fait de
navigation connu à ce jour est d'avoir essayé d'adopter un skipper !
Mais avec une lettre de course signée de la main même de Mathieu
Lauffray, elle semble devoir mériter son brevet de capitaine.
Des
histoires de flibuste, il en est des centaines, mais celles à même de
faire rêver sont plus rares et celle-ci est l’une d’entre elles !
Curieusement, cet album se lit comme un livre. Doté d’une qualité
d'écriture qui est généralement l’apanage des romans, Lolonoa s’y
raconte sans fard, au travers d’un narratif d’une étrange lucidité au
recul presque psychanalytique. Les textes sont si agréablement tournés,
que d’aucuns viendraient à se croire devenus les confidents du diable de
marin. Les dialogues - pour leur part - ramènent l’ensemble dans
l’univers de la bande-dessinée où le trait - comme les encrages appuyés -
de la dessinatrice savoyarde font merveille. L’histoire puissante,
s’ancre dans le Grande pour entraîner le lecteur vers les rivages
sauvages et sans pitié de l’île de la Tortue ou de Maracaïbo.
S’essayant
à comprendre (sans l’excuser) un homme, esclave sur le tôt et
bourreau sur le tard, ce premier volet de Lolonoa est un vent frais qui
gonfle les voiles d’une aventure dont il tarde de connaître la suite.
mercredi 15 novembre 2017
ANGEL WINGS
4. Paradis birds
© Paquet 2017 - Yann & Hugault |
Convoyer d’île en île une actrice qui se défonce aux amphétamines et se
faire descendre une fois sur deux n’est pas forcement ce pourquoi Angela
s’est engagée dans l’OSS…
Désormais, elle survole un Pacifique où la
guerre cherche sa fin. La question n’est plus de savoir quand le Japon
cèdera, mais après combien de centaines de milliers de morts. Pour ce
faire, Yann imagine une échappatoire qui amène l’ex-WASP aux commandes
de son Grumman J2F-5 loin des eaux turquoises des lagons.
Après un
prologue qui constitue à lui seul un morceau d’anthologie, le reste de
l’album connait malheureusement deux ou trois trous d’air qui conduisent
à se poser la question de la finalité du cycle « Pacific ». En effet,
si la jeune pilote servait initialement d’alibi à Romain Hugault pour
assouvir sa passion pour les pin-up et les avions de la Seconde Guerre
mondiale, elle avait su prendre entre les mains expertes de Yann une
autre dimension que le dessinateur du Grand duc transposait en volumes
des plus plaisants. Mais sur ce Paradise birds, la belle américaine
refait du nanny job, est encore cantonnée au rôle de cible récurrente
pour la chasse nipponne et joue les vestales sur les lignes arrières…
rien qui n’ait déjà été vu dans les tomes précédents et qui rendrait
presque anecdotiques les passages - réussis - sur le programme Manhattan
ou la guerre de l’ombre entre les services secrets nippons et
américains. Sur une fiction historique, est-il possible d’envisager que
la brunette prenne les choses en mains et verse dans la série noire
plutôt que dans le catalogue de lingerie ?
Petit virage de dégagement
pour évoquer le graphisme qui - dans les dix premières planches -
atteint des sommets, mais qui, curieusement, se permet quelques petits
décrochages surprenants, ce qui n’ôte en rien à la qualité globale de la
prestation qui demeure de haut vol.
Angel Wings arrive à un point où il
devient difficile de capitaliser uniquement sur la sensualité de son
héroïne et la maestria de Romain Hugault dans l’art du dessin aérien...
L’égérie des WASP mérite mieux !
JAZZ MAYNARD
6. Trois corbeaux
Trompettiste des plus doués et cambrioleur de génie, Jazz promène sa désinvolture et une éthique basée sur l’amitié virile, l’amour des jolies femmes et le plaisir du beau geste… le tout enrobé d’une pointe d’anticonformisme pour les systèmes en place. Sur Les Trois corbeaux, Raule n’épargne rien à Jazz et Teo, les met physiquement dans le rouge et les plonge dans des situations à la limite du crédible. Ainsi, subtilement, l'enfance new-yorkaise de Jazz se dévoile à la simple évocation de son nom au cours d’un passage à tabac musclé et donne à comprendre le pourquoi de certaines inimitiés familiales. De révélations en explications, le fil de l’histoire apparaît progressivement au sein d’une débauche d’adrénaline pour s’acheminer vers un final apaisé. Toutefois, ne s’en tenir qu’au scénario serait injuste pour le travail de Roger. Maîtriser parfaitement l’enchainement des séquences, privilégier l’angle juste ou savoir donner la vitesse adéquate à un mouvement apparaissent ici comme une évidence, mais trahissent un talent graphique peu commun. À cela s’ajoutent un toucher dans l’encrage, une intensité dans les noirs, qui rendent chaque planche reconnaissable entre mille et… la couleur nullement indispensable.
© Dargaud 2017 - Raule & Roger |
Sale temps pour les enfants d'El Raval. À Reykjavik, les coups sont
froids et marquent les corps qu’aucun soleil ne vient réchauffer. Il est
grand temps de songer à rentrer, mais avant, il est un contrat à
honorer, un ami à sauver et un passé à solder.
Trompettiste des plus doués et cambrioleur de génie, Jazz promène sa désinvolture et une éthique basée sur l’amitié virile, l’amour des jolies femmes et le plaisir du beau geste… le tout enrobé d’une pointe d’anticonformisme pour les systèmes en place. Sur Les Trois corbeaux, Raule n’épargne rien à Jazz et Teo, les met physiquement dans le rouge et les plonge dans des situations à la limite du crédible. Ainsi, subtilement, l'enfance new-yorkaise de Jazz se dévoile à la simple évocation de son nom au cours d’un passage à tabac musclé et donne à comprendre le pourquoi de certaines inimitiés familiales. De révélations en explications, le fil de l’histoire apparaît progressivement au sein d’une débauche d’adrénaline pour s’acheminer vers un final apaisé. Toutefois, ne s’en tenir qu’au scénario serait injuste pour le travail de Roger. Maîtriser parfaitement l’enchainement des séquences, privilégier l’angle juste ou savoir donner la vitesse adéquate à un mouvement apparaissent ici comme une évidence, mais trahissent un talent graphique peu commun. À cela s’ajoutent un toucher dans l’encrage, une intensité dans les noirs, qui rendent chaque planche reconnaissable entre mille et… la couleur nullement indispensable.
Fin de la parenthèse islandaise pour deux héros
qui n’aspirent désormais plus qu’à revoir Barcelone, mais cela, c’est
une autre histoire !
mardi 7 novembre 2017
BATMAN
The Dark Prince Charming
- It’s a comic ?
- C’est un album de BD franco-belge ?
- C’est les deux à la fois ! It’s the Marini’s Batman !
© Dargaud 2017- Marini |
Hybride
à plus d’un titre, la dernière parution du dessinateur transalpin
bénéficie d’un traitement rare puisque son lancement se fait
concomitamment des deux côtés de l’Atlantique, chez Dargaud comme chez
DC Entertainment, preuve en est un dossier de presse conjoint en
français et en anglais et une promo avec Jim Lee en personne !
Il
est des propositions qui ne se refusent pas, mais prendre seul la suite
de duos tels ceux constitués par Jeph Loeb et Tim Sale sur Halloween, Frank Miller et David Mazzucchelli sur Année un ou bien Grant Morrison et Dave McKean sur L'Asile d'Arkham, pour ne citer qu’eux, témoigne d’une bonne dose de confiance en soi…
à moins d’éviter - autant que faire se peut - la comparaison et
d’assumer ses différences. C’est à l’évidence le parti pris de DC qui
désire cibler un nouveau lectorat : celui des amateurs(trices)
européen(ne)s de BD quelque peu réfractaires aux attraits des fascicules
made in US.
Bien que bénéficiant d’une carte blanche de
la part de l’éditeur américain, il convient de préciser que si Enrico
Marini n’a pas souhaité révolutionner la licence, il apporte cependant
sa propre sensibilité au travers de quelques arbitrages judicieux et
c’est ce que semble rechercher Jim Lee. En premier lieu, le choix est
fait de travailler sur un casting limité de personnages, mais pas des
moindres puisqu’il s’agit du Joker, d’Harley Quinn et de Catwoman.
Ensuite, il y a le souci de créer une codification graphique qui
s’inscrit dans un cahier des charges strict tout en lui apportant
diverses adaptations à la marge (les costumes, la batmobile…) ; et
surtout, il y a cette atmosphère particulière qui plane sur Gotham grâce
à une mise en couleurs directes qui privilégie les tonalités chaudes.
Sur la partie scénario les choses restent très classiques même si la
dualité/complémentarité du duo Batman/Joker place leurs relations sur un
plan personnel voire intime et permet de développer certaines facettes
qui pourraient apparaître à contre-emploi comme la culpabilité éprouvée
par le Chevalier noire ou un Joker aux allures de dandy beau-gosse.
Alors même si le digne héritier de la lignée Wayne ressemble
furieusement à Marcus Valerius Falco et s’il manque encore un peu de
profondeur à cette dramaturgie urbaine, il faut souligner cette
tentative d’aller au-delà du manichéisme inhérent à quantité de
productions du genre, même s’il y avait matière à pousser l’exercice un
peu plus loin.
Variation européenne sur l’un des héros
emblématiques de la franchise DC, The Dark Prince Charming vaut -
pour l’instant - plus par son graphisme que son récit, mais il faudra
objectivement attendre le second volume prévu au printemps 2018 pour
juger définitivement de l’ensemble. En tout cas DC veut y croire car à
l’instar de Shiori Teshirogi avec
Batman & the Justice League d’autres dessinateurs -
sur divers continents – seraient contactés pour décliner localement
l’une des icônes de l’hégémonie américaine sur le monde… des Comics.
mardi 31 octobre 2017
GIACOMO C.
© Glénat 2017 - Dufaux & Griffo |
Comme tant d’autres, j’ai perdu de vue Monsieur de C. après qu’il eut
réglé - de manière honorable quoique définitive - son différend avec
feu le Marquis de San Vere. Depuis cinq longues années, la rumeur
voulait qu’il erre en Orient… pour le plus grand désarroi des
pensionnaires de Mme Aquali fille. Mais depuis plusieurs jours, la
nouvelle se répand sur la lagune aussi vite que l'eau un jour d’aqua
alta, notre homme serait prochainement de retour de Corfou et MM. Dufaux
et Griffo auraient la primeur de son récit qu’ils monnayeraient
toutefois fort chichement. Bien que jaloux de son crédit auprès d’amies
communes et de ses accointances passées, tant avec ceux qui nous
gouvernent que ceux qui nous dépouillent (quoique les uns se confondent
parfois avec les autres), je ne peux que me réjouir du retour de cette
âme libertaire et libre qui privilégiait l’amitié aux Plombs et les
largesses des jolies femmes aux ors du pouvoir.
J’ai donc
revu dernièrement Giacomo de C. ; en galante compagnie, il va de soi !
Après avoir échangé quelques banalités sur le triste sort du Signor
Guirlando, nous en sommes venus à deviser sur le fond de l’affaire. Nous
pûmes donc échanger sur le sujet tout le reste de la soirée en
profitant de la générosité de notre hôte. Cette agréable discussion fut
pour moi l’occasion de lui signifier mon plaisir à prendre de ses
nouvelles et à lui dire que je reconnaissais dans ce "Retour à Venise"
tout ce qui faisait le sel de ses exploits passés. Trop diront d’aucuns !
Mais il est toujours plaisant de boire d'un même vin tant qu’il est bon
et ce crû, pour ce qui est du scénario, n’est pas des moindres. Si ce
récit recèle bien quelques langueurs, il ne révèle aucune longueur -
exception faite de la façon dont la Signora d’Albrante éveille les sens
de sa fille - et propose même un dénouement qui me laisse à penser que
l’exil a changé durablement notre homme. L’heure avançant, je ne puis
lui cacher cependant mon désappointement devant le relâchement – voire
les imprécisions - dans le traitement graphique de certaines planches ou
cases … gâchant un tant soit peu mon plaisir. Mais en souvenir des
lectures d’hier, je n’en tiendrais grief à quiconque sauf à ce que cela
se reproduise !
J’essayais sur le tard d’en connaître un
peu plus sur la suite qu’il entendait donner à tout cela, mais notre
ami, a contrario des courtisanes vénitiennes, n’aime pas à être
bousculé. Nous décidâmes donc d’en rester là et d’aller goûter aux
délices de quelques dames à peine masquées.
Silvestro de S.
samedi 21 octobre 2017
MARSHAL BASS
2. Meurtres en famille
© Delcourt 2017 - Macan & Kordey |
Un tueur en série victime d’une famille de meurtriers. Les vastes
espaces de l’Ouest ne sont pas forcément le paradis tant espéré...
Darko
Macan n’est pas du genre à enjoliver la réalité. Loin du mythe d’une
Amérique bienpensante et conquérante, le scénariste croate dresse un
portrait du Far-West exempt de fioritures, mais indéniablement plus
réaliste que la majeure partie des productions hollywoodiennes. Son
scénario sent la sueur, exhale la vilenie, transpire la bêtise et
personne ne peut prétendre à une once de virginité. L’alcool, le soleil,
l’or tournent les têtes et poussent aux pires extrémités de pauvres
hères qui tueraient père et mère pour un dollar de plus. La marque de
Darco Macan est de faire en sorte que tout ceci s’inscrive
"naturellement" dans le cours d'un récit où le sordide est de mise, la
lâcheté un art et la violence un moyen de survivre.
Sur
cette trame sans concession, Igor Kordey délaisse cette fois les grands
paysages - à l’exception notable d’une superbe double page qui pourrait
devenir récurrente au fil des albums - pour se concentrer sur ceux qui
les hantent. Sous son trait, ces nouveaux barbares donnent toute sa
dimension à la dramaturgie de Meurtres en famille, et ce n’est pas la
couleur de Desko qui viendra en atténuer la dureté.
Loin des stéréotypes, Marshall Bass apporte une dimension humaine au genre. Un western psychologique en somme…
jeudi 19 octobre 2017
THE DEAD HAND
© Glénat 2017 - Higgins &Mooney |
Dans un coin paumé au milieu de nulle part, des anciennes gloires de
la Guerre froide vivent en huis clos et protègent un secret jusqu’ici
bien gardé…
Premier essai sur un format franco-belge pour Kyle Higgins
et Stephen Mooney.
À la croisée de deux mondes, The dead
hand hésite à choisir véritablement son camp et manque trop souvent de
précision dans l’encrage des physionomies et la dynamique des
personnages : ce qui passe inaperçu en 18 x 28 ne l’est plus forcément
sur une pagination 24 x 32 !
Pour ce qui est du fond du
récit, ce mélange de thriller et de science-fiction se met doucement en
place et laisse présager quelques surprises à venir. Toutefois, ce
premier tome se contente de passer en revue - au travers de quelques
flashbacks et une voix off en narration - les principaux acteurs et
d’installer une atmosphère pesante de faux-semblant.
Les
reliques de la guerre froide se révèle être un volet introductif
efficace, mais qui tarde quelque peu à vraiment monter en puissance. En
espérant que le second saura remédier à cette situation.
HARMONY
© Dupuis 2017- Reynès |
Memento, Indigo, Ago : le premier cycle d’Harmony est désormais
complet. Bref retour sur une série qui a su - en moins de deux ans -
trouver sa place dans le petit monde du fantastique hexagonal.
Après
un premier opus en quasi huis clos centré sur une mystérieuse
adolescente amnésique et dotée d’un étrange pouvoir, Mathieu Reynes
s’est mis à jouer avec les temporalités semant quelque peu le trouble.
Dans ce dernier volet, il prend soin de replacer chaque chose dans la
chronologie des évènements. Toutefois, il sait garder nombre de portes
encore closes tout en introduisant de nouveaux personnages afin
d’explorer de nouvelles voies dans les opus à venir.
Un
scénario qui évite la simplicité de la linéarité et s’avère suffisamment
complexe pour maintenir le lecteur entre deux eaux et un dessin qui
assume sa parenté avec les comics sans renier sa filiation au
franco-belge sont désormais les marques de fabrique de cette série.
Cependant, s’il est une chose qu’il faut retenir d'Ago, elle est à
rechercher dans la progression du trait du créateur d’Harmony. Au fil
des planches, son graphisme qui recherche toujours les effets visuels
dans la cinématique des protagonistes et les prouesses télékinésiques de
son héroïne, glisse vers davantage de réalisme et s’attache de plus en
plus à l’expressivité des personnalités.
Avec un scénario qui se découvre au fil des albums autant qu’il s’imagine, Harmony a encore de belles années devant elle…
mardi 17 octobre 2017
LE PETIT VAGABOND
© Paquet 2017 - Kung |
Du Tibet à Tapei en passant par New-York, le petit vagabond est là pour guider le voyageur égaré, pour aider celui qui se cherche…
Crystal Kung est une dessinatrice en devenir. « Mes dessins sont le miroir de ma vie » dit-elle. Aussi, au gré du vent, des étoiles ou de ses voyages, elle délivre ici sept fables poétiques et graphiques ; sept saynètes muettes, ponctuées simplement d’interrogations et de suspensions ; sept rencontres faites de par le monde.
Si les dialogues sont minimalistes (mais se suffisent à eux-mêmes), la composition est parfaitement pensée. Au fil des planches, la jeune taïwanaise démontre une maturité et une évidence dans le trait qui sont les signes prometteurs d’une future grande.
Album à l’émotion discrète et aux couleur lumineuses, Le Petit Vagabond prête à rêver autant qu’à voyager et constitue l’une des heureuses surprises de cette fin d’année.
vendredi 13 octobre 2017
PETITE MAMAN
© Dargaud 2017 - Mahmoudi |
L’enfance de Brenda n’est pas celle à laquelle tout enfant devrait avoir droit. Humiliée et violentée par son beau-père, délaissée par sa trop jeune mère, elle se construit, seule, dans la souffrance et la culpabilité…
Véritable documentaire qui prend le crayon là où d’autres utilisent un micro et/ou une caméra Petite maman fait œuvre de tact pour aborder un sujet aussi douloureux que délicat. S’il est difficile de filmer ce que l’on subodore, il est plus facile de le dessiner avec toute l’intégrité morale que cela implique, et en cela cet album est un petit bijou d’équilibre et de psychologie. Ceux qui rechercheraient un plaidoyer larmoyant ou racoleur sur des drames qui se jouent à huis clos à un bloc, une rue ou même une porte, en seront pour leur frais. Halim Mahmoudi - en observateur discret - s’abstient de tout jugement à l’emporte-pièce et reconstitue avec compassion et douceur, mais sans occulter la douleur des coups et la violence des mots, la complexe résilience d’une enfant devenue la souffre-douleur expiatoire d’exactions banalisées par le quotidien.
Pleine d’espoir, cette chronique sociale que l’on souhaiterait n’être que de pure fiction interroge surtout sur notre capacité collective à ne pas vouloir voir, à ne pas savoir oser ou à refuser de s’imaginer un inimaginable qui chaque année fait plus de 98.000 jeunes victimes.
dimanche 1 octobre 2017
GUNBLAST GIRLS
1. Dans ta face minable !
Recette du Gunblast Girls cake.
© Le Lombard 2017- Crisse |
Tout d’abord,
choisissez un team de filles un peu badass sur les bords (il faut que la
gent masculine s’y retrouve a minima) et un brin stéréotypées. Montez
l’ensemble au batteur (à grande vitesse) avec un doigt de "dernière
mission comme au bon vieux temps avec un max de pognon à la clef " et
réservez au frais.
Dans un plat réchauffé, mettez une
galerie de branquignoles de première avec le QI d’un poulpe et la force
de frappe d’un porte-avion, puis ajoutez un vrai méchant bien mafieux
affublé de deux belles garces : l’une rousse incendiaire (toujours !) et
l’autre qui se prend pour la belle-mère de Blanche-Neige. Nappez
l’ensemble de vide sidéral additionné de paranormal et d’un brin
d’humour dans les dialogues ainsi que de quelques références graphiques
assumées pour l’onctuosité. Pour le croquant disposez, selon votre
envie, de jolis vaisseaux spatiaux et une poignée d’extra-terrestres.
Servez
le tout à des adolescent(e)s affamé(e)s, vous ferez certainement des
heureux(-euses) à défaut de décrocher vos trois étoiles…
À COUCHER DEHORS
© Bamboo Édition 2017 - Ducoudray & Anlor |
Nicolas reste introuvable et avec lui s’évanouissent les derniers espoirs pour Amédée d’avoir un toit à soi…
Avec
À coucher dehors Aurélien Ducoudray s’en donne à cœur joie dans le bon
mot. Sur un récit cacophonique dont la succession des rebondissements
devient statistiquement problématique, l’auteur de Mort aux vaches !
peine à convaincre. L’histoire est jolie, mais sauf à rester dans le
registre de la comédie, quelque peu forcée, la galerie de portraits
comme les situations deviennent par trop caricaturales pour être
crédibles. Graphiquement, Anlor emprunte la même voie et fait surjouer
ses différents personnages. Toutefois, la composition classique de ses
planches comme de ses décors évite à l’ensemble de glisser vers
l’excessif.
Quoiqu’il en soit À coucher dehors possède le
mérite de vouloir traiter de la connerie en générale et de la
différence en particulier, ce qui - au demeurant - reste une louable et
vaste entreprise.
Ut #3
© Mosquito 2017 - Barbato & Roi |
Énigmatique, Ut s’inscrit dans la lignée de ces séries qui ne
laissent pas indifférent et pourrait - pour peu que le hasard y pourvoie
- devenir culte pour d’aucuns.
Cela a déjà été dit, mais
Histéria entérine définitivement le fait, Corrado Roi fait preuve d’une
maîtrise du noir et blanc qui frôle la perfection. La technicité
chirurgicale de son trait et la charge émotionnelle qui s'en dégage,
entraînent de concert le lecteur vers des horizons aussi déconcertants
qu’inusités. Il serait prétentieux de parler d’Art mais, par certains
aspects, nombre de planches tutoient le concept.
Cependant,
comment ne pas être réducteur ou caricatural avec ce pavé de plus de
six cents pages. Plus que des mots, ce sont des impressions confuses qui
subsistent, ainsi que le vague sentiment d’avoir fortuitement compris
l’essentiel. Ut est un cauchemar où le primal l’emporte sur la raison.
Là réside peut-être sa magie, car si le fil rouge demeure mystérieux, il
faut reconnaître cependant qu’un semblant de récit prend corps dans les
ruelles d’une ville fantomatique ou à l’intérieur d’une maison utérine.
Toutefois, savoir où Paola Barbato souhaite nous conduire relève de la
pure spéculation. Manifestement, Corrado Roi y a mis du sien, mais il
est évident aussi, connaissant l’importance que la scénariste italienne
accorde à la psychologie chaotique de ses personnages dans ses romans,
qu’il faille essayer de rechercher - dans cet univers "lovecraftien" -
quelles allégories.
Triptyque à l’esthétique troublante et à l’ambiguïté singulière, Ut est indéniablement l'une des révélations de l'année.
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