dimanche 31 décembre 2017

Bonne année à tous !






LA MILLE ET UNIEME NUIT

© Soleil Productions 2017-  Le Roux & Froissard
Telle Pénélope, Shéhérazade – de nuit en nuit - conte une histoire sans fin afin de pouvoir survivre au jour naissant, car si les mots venaient à lui manquer, le sultan Shahriar la ferait passer de vie à trépas !

Remplies de phantasmes parfumés d’Orient, Les mille et une Nuits constituent un recueil d’histoires dont peu embrassent la totalité mais qu’aucun ne peut ignorer ! De l’Inde au Moyen Orient, au fil des siècles, au gré des nuits, les contes se sont ajoutés les uns aux autres et d’Aladin à Ali Baba, ils ont enchanté plus d’une veillée.

À l’évidence Étienne Le Roux n’a pas résisté à l’envie d’apporter sa pierre à ce grand édifice et à s’inscrire ainsi dans la tradition des conteurs, de ceux qui font briller de plaisir et rougir de fatigue les yeux des plus jeunes. Cet album est de ceux que l’on voudrait lire à voix haute pour en partager la profondeur mais aussi montrer pour en faire découvrir les planches aux couleurs de sable finement travaillées ou bien encore le dessin tout en douceur et en simplicité. Le fond du propos est une leçon de vie et la forme de savoir-faire.

La mille et unième nuit se raconte autant qu’il peut être lu et sa magie permettra aux petits d’entrer dans le monde des grands et à leurs ainés de retomber, pour quelques instants, en enfance.

AMOROSTASIA


© Futuropolis 2017 - Bonin
La pandémie d’amorostasie continue de s’étendre et ce malgré les mesures prophylactiques mises en œuvre par les autorités. L’amour est un mal contre lequel il faut désormais s’immuniser… 

À l’évidence le dénouement proposé par Cyril Bonin n’aurait pas pâti de plus de densité et de complexité… plutôt que de sombrer dans les bons sentiments et le happy end général aussi inexpliqué que soudain : le romantisme a ses canons dont il est difficile de s’extraire. Alors soit, ceci permet de stigmatiser les travers d'une époque et de dénoncer la bipolarité d’une société capable d’aduler le soir ce qu’elle vouait aux gémonies le matin même, mais l’ensemble manque singulièrement de passion. L’amour n’est-il que retenue et bienséance à l’image d’un crayonné tout en douceur et en élégance ? 

Suite et fin d’Amorostasia dont l’évanescence du trait ne peut faire oublier un final qui marque le pas sur le crescendo initié par les deux albums précédents.

CORTO MALTESE

 
© Casterman 2017 -  Díaz Canalès & Pellejero
Les héros ne meurent jamais vraiment, car il en subsiste toujours quelque chose en nous ! 

Nouvelle aventure du plus célèbre des marins du 9ème Art qui fidèle à lui-même - du moins à l’idée qu’il en reste - promène son dilettantisme sur les traces de Livingstone. Alors que dire de cette histoire qui a le goût d’un Corto Maltese sans toutefois en avoir la saveur…. Juan Díaz Canalès respecte le cahier des charges et s’évertue à faire croiser le chemin du Maltais à tout ce que l’Europe de ce début de XXème siècle se connaissait de célébrités africaines sans cependant donner une véritable consistance à son scénario. Aussi ne reste-t-il de cet album qu’une succession de scènes qui s’accumulent sans réellement constituer un récit au long cours : la lettre est là, mais sans l’esprit. La remarque vaut pour le travail de Rubén Pellejero auquel il ne peut rien être reproché si ce n’est l’absence de cette étincelle qui fait la différence entre le maître et l’élève… quand ce dernier est bridé par l’obligation de respecter les canons d’un genre. 

Équatoria montre des limites, déjà entrevues avec Sous le soleil de minuit. Ne serait-il donc pas plus sage de cesser de marcher sur les traces d’Hugo Pratt et de laisser à Corto le soin de choisir une autre voie plutôt que de s’évertuer à lui faire réemprunter des chemins que nous connaissons tous par cœur.

mercredi 20 décembre 2017

SARA LONE

3. Snyper lady

© Sandawe 2017 - Arnoux & Morancho
1962 ! La crise de Cuba est une immense partie de poker entre l’Est et l’Ouest où nombre des cartes sont truquées…

Troisième opus des aventures de l’ex-danseuse du Blue Parrot reconvertie dans la pêche à la crevette et accessoirement petite main de la CIA. La jolie rousse a terminé ses classes, soldé ses déboires avec la mafia locale et relancé ses affaires. Le temps est donc venu pour elle de montrer l’étendue de ses talents, mais la cause est-elle juste ?

Pour se convaincre de l’évolution de Sara Lone, il suffit de comparer les couvertures de Pinky princess et Sniper lady. La gamine en rupture de ban est devenue une femme qui, à défaut de savoir où elle va, entend désormais le faire selon ses règles. Jouant hier sur le registre du thriller, Erik Arnoux développe aujourd’hui un récit d'espionnage qui s’inscrit dans l’histoire contemporaine en laissant son égérie jouer une partition où le M14 remplace les violons. Place donc à la realpolitik et à ses coulisses où il devient difficile – pour le plus grand plaisir du lecteur - de séparer la réalité de la fiction. Sur un format réduit à la pagination dense et aux dialogues fournis, le dessin réaliste et précis de David Morancho ancre le récit dans une Amérique des Sixties plus vraie que nature.

Reste maintenant à dénouer le nœud d’une intrigue qui a rendez-vous avec l’Histoire…. à Dallas !

mardi 19 décembre 2017

KATANGA

2. Diplomatie

© Dargaud 2017 - Nury & Vallée
Le soleil se couche sur l’ex-Congo-belge qui, plus que jamais, attise les convoitises, notamment lorsque qu’elles se pèsent en carat !

Diplomatie est une jolie leçon de machiavélisme et de bande dessinée où la fiction flirte avec une vision héritée de la Françafrique…

Puisant sans retenue dans l’histoire mouvementée de la décolonisation, les deux auteurs en livrent une version au réalisme hallucinant. En dessinant des salauds plus vrais que nature aux physionomies typées à la limite du caricatural, Sylvain Vallée est passé maître dans l’art de stigmatiser les turpitudes des états d’âme de ses personnages. Son travail sur ce deuxième volet de la trilogie est simplement parfait d’équilibre et d’intensité à l’instar de ses décors plombés par la moiteur ambiante, où le bruit des moustiques serait presque perceptible. Pour sa part Fabien Nury fait la part belle à ce que l’Humanité a de pire, un vrai panier où les crabes sont remplacés par des alligators. Dès le prologue, il captive littéralement l’attention de ses lecteurs pour ne les laisser que cinquante-deux planches plus tard, en état de manque. Impossible de souffler, les événements s’enchainent sans rien occulter de leur violence ou de leur perversité. Du grand art sans aucune indulgence pour le genre humain.

Le duo Nury-Vallée avait atteint des sommets avec Il était une fois en France, il en conquiert de nouveaux avec Katanga.

samedi 16 décembre 2017

LADY MECHANIKA

4. La Dama de la muerte
 
© Glénat 2017 -  Chen, & Benitez
She’s back ! Celle qui devrait d’ici peu remplacer Super Jaimie dans le cœur des amoureux de bio-mécanique est de retour !

Joe Benitez, bien évidemment, mais également et encore Martin Montiel, M.M. Chen, Mike Garcia ou Michael Heisler, sans oublier Peter Steigerwald et Beth Sotelo : ils sont venus, ils sont tous là pour ces deux nouvelles graphiques de la divine égérie du steampunk. En cette fin d’année, la Dama de la muerte retiendra plus particulièrement l’attention. Parue judicieusement à l'approche de Novembre, cet arc narratif fait écho à notre Toussaint nationale, les mariachis en plus, et trouve une étrange résonance en cette veille de Noël avec le Coco de Walt Disney. Quoiqu’il en soit, ce dernier opus est du meilleur cru et justifie la tournée promotionnelle et hexagonale de son créateur. 

Sur le fond, les deux histoires voient le petit univers de la belle lady prothésée s’enrichir d’un nouveau coéquipier dans Les garçons perdus de West Abbey et, plus généralement, d’une profondeur psychologique qui relève des Complexes plutôt que de la logique binaire. Coloré, dense et luxuriant, foisonnant de détails, le dessin de Benitez et Montiel devient plus expressif et leur découpage donnera des migraines ophtalmiques aux plus fragiles tandis que le lettrage de Michael Heisler fera la joie des opticiens. Mélangeant légendes aztèques et tradition mexicaine tout en les saupoudrant de fantastique et de hors-la-loi sanguinaires, ce volet ne renie pas ses vieilles recettes, mais dégage un petit quelque chose qui l’inscrit dans la réalité du moment et laisse à croire que Joe Benitez y a mis du sien plus que de coutume.

Égale à elle-même Lady Mechanika propose un quatrième opus de ses aventures qui ravira les converti(e)s à sa cause et pourrait rallier quelques septiques qui découvriront dans La Dama de la muerte une expressivité des regards rare dans un Comic.

jeudi 14 décembre 2017

SOUTERRAINS

© Casterman 2017 - Baudy
Le Nord, ses corons, ses mines, ses mineurs exploités, ses sociétés exploiteuses et au fond un monde que tous ignorent…

Ce qui aurait pu être un énième album sur la condition ouvrière, ses luttes et ses désillusions prend sous la plume et le trait de Romain Baudy une dimension singulière. Il est effectivement question de rapport des classes mais pas que et Souterrains sait subtilement basculer vers le fantastique et de la science-fiction, dans un monde de nains et de géants dont le royaume se trouve menacé. Alors, même si l’action tarde à vraiment s’installer, ce qui suit est pour le moins intéressant… 

Sur une mise en couleurs qui privilégie les bleus-gris et les teintes érugineuses, Romain Baudy signe un second album plein de promesses.

lundi 11 décembre 2017

LES VIEUX FOURNEAUX

 
© Dargaud 2017-  Lupano & Cauuet
La parthénogenèse thélytoque en milieu zadiste, il faut s’appeler Wilfrid Lupano pour en faire le pitch du quatrième volet des Vieux fourneaux et non pas une thèse doctorale ! 

Attendu avec intérêt ou impatience selon les cas, ce nouvel album cultive les raisons de son succès. Des personnages à la limite de la caricature mais (terriblement) attachants, des préoccupations d’actualité traitées avec légèreté mais pas par-dessus la jambe, des bons mots et une peinture des petits travers humains qui jardine avec révérence les plates-bandes d’un illustre prédécesseur constituent les principaux ingrédients de ce cocktail siroté avec plaisir tant qu’il ne file pas la gueule de bois. 

Les vieux fourneaux cuisine une recette qui a fait ses preuves : celle d’offrir plusieurs niveaux de lecture… multipliant ainsi les publics. De fait, chacun a le choix de se marrer doucement sur le comique de situation que Paul Cauuet travaille joliment… ou de s’interroger gentiment sur les effets de l’agriculture bio sur la libido des jeunes marionnettistes ou bien encore les motivations des médecins roumains à venir repeupler les déserts médicaux ! L’art subtil du créateur du Loup en slip est d’amener nombre de ses sujets avec une bonne dose de dérision, mais les choses sont dites et à chacun d’en faire le meilleur usage.

Surjouant parfois, la fine équipe de septuagénaires demeure égale à elle-même : facétieuse et cabotine à souhait.

samedi 2 décembre 2017

PETITES MORTS...

...et autres fragments de Chaos

© Glénat 2017 - Liberatore
Tanino Liberatore cultive le goût de soufre ! En six chapitres, Petites morts revient sur plus de quarante années de transgression : des premiers travaux inachevés de 1974 à un inédit de 2013 scénarisé par Jean David Morvan.

Au cours de cette promenade, le dessinateur transalpin se confie progressivement, par bribes, sur ses diverses expériences graphiques. De sa difficulté à faire de la « vraie » bande-dessinée, à sa passion pour l’illustration en passant par son souci du « bon » cadrage ou ses expérimentations pour renouveler le plaisir de dessiner, il démontre qu’il existe une vie en dehors de Ranxerox. Au fil des planches, il est aussi question de ses publications dans Il Male, l’Écho des Savanes, ou Hustler, de ses rencontres avec Pratt ou de son admiration pour Moebius, de l’importance du cinéma dans son travail ou le la musique, qu’elle soit de Zappa ou de Miles Davis. Loin de la biographie ou de l’intégrale, l’auteur a procédé à une sélection de morceaux choisis pour illustrer ses collaborations au bonheur varié, expliquer ses sources d’inspiration puisées dans l’air du temps. Il est aussi question de de son rapport au sexe et à la violence, parfois difficile à cerner, mais qui nourrit un dessin, dérangeant parfois, mais d’un réalisme et d’une puissance rares.

Alors ces fragments de chaos ne feront pas de tout à chacun un exégète de l’irrévérencieux maestro, mais ils permettront de mieux le décrypter. Et, qui sait, d’apprécier un artiste hors pair qui ne laisse pas indifférent.

mardi 28 novembre 2017

L'ÎLE AUX REMORDS


© Bamboo Édition 2017 - Quella-Guyo & /Morice
De retour au pays après vingt-cinq ans d’absence et de silence, ce n’est que fortuitement que Jean revient à la ferme paternelle, isolée du monde par une brusque montée des eaux pour quelque jours . Ce huis clos imprévu obligera des deux hommes à renouer le fil, décousu, de leur passé... 

Les histoires de Didier Quellat-Guyot ont la douce nostalgie d’une époque révolue, celle des îles lointaines, ou pas, avec en toile de fond, la guerre qui broie les hommes, mais qui les révèle aussi . Cette fois, il est question de filiation et de son corollaire, la paternité, de famille à recomposer, de recherche de soi à force d’avoir fui les autres, de remords mais aussi d’espoir. De ce subtil amalgame des sentiments ressort un récit, parfois un peu décousu, mais qui - de bagne en bagne - s’attache aux rapports d’un fils - forgé par la Pénitentiaire – avec un père pragmatique et un brin libertaire. Pour mettre tout ceci en lumière, Sébastien Morice fait encore œuvre d’un dessin numérique tout en douceur aux tons effacés mais toujours empreints d’une belle intensité. 

À réserver à ceux qui aiment flâner sur le cours d’une vie, L’île aux remords permet de se faire une (petite) idée du temps pas forcément bénie des Colonies.

LA FORÊT MILLENAIRE

© Rue de Sèvres 2017 - Taniguchi
Wataru entend des voix, des murmures qui viennent de la forêt, de cette forêt surgie des entrailles de la Terre, peuplée d’animaux étranges … 

La Forêt Millénaire est une œuvre à peine ébauchée qui restera à jamais inachevée. 

Parcourir les premières pages d’un album qui devait être pour Jirô Taniguchi une forme d’aboutissement, une synthèse de ce qu’il voulait transmettre à travers son dessin, est un moment de lecture particulier. Accompagnant la dernière réalisation du mangaka d’un cahier graphique et des commentaires éclairés de son ami et éditeur, Motoyuki Oda, Rue de Sèvres permet ainsi de comprendre la démarche d'un homme dont l’art avait conquis le Vieux continent et qui utilisait sa notoriété auprès des siens pour faire bouger la codification d’un genre qui ne laisse que peu de latitude au changement. Ainsi, tour à tour, le maître inspirait ceux qui l’entouraient et ouvrait certaines voies à ceux qui voulaient le suivre. 

Désormais, les feuilles de La Forêt Millénaire bruissent du souvenir d’un auteur dont l’humanisme et la simplicité du talent transcendent ces dernières planches.

SOLEIL FROID

© Delcourt 2017 -  Pécau & Damien
Les oiseaux ne se cachent plus pour mourir, entraînant avec eux l’Humanité vers sa fin. 

Piochant dans l’actualité la plus récente, Jean-Pierre Pécau livre une version de la fin du monde qui ne fait pas forcément dans les grands sentiments ou la facilité. Sur ce thème déjà (très) visité, il est difficile d’innover et Soleil froid privilégie la variation. Ainsi, le scénariste de Jour J opte pour un héros, moins manichéen qu’à l’accoutumée, accompagné d’un robot de portage (hybride de mule et d’Intelligence Artificielle), véritable protagoniste à part entière. Parallèlement, le récit est judicieusement parsemé de flashbacks et de révélations qui permettent tout à la fois de maintenir le suspense et de créer un univers cohérent aux personnages dotés d’un minimum de personnalité. Sur ce scénario solide, Damien calque son dessin semi-réaliste aux encrages appuyés et sait donner à ses décors la bonne dimension. 

Soleil froid est de ces albums qui incrémentent un genre en cultivant ses thématiques principales tout y apportant une petite pointe d’originalité.

LES PASSAGERS DU VENT

1/4 : Le Sang des cerises

© Delcourt 2017 -  Bourgeon
La Commune, Ferry, Gambetta, Louise Michel… Surgis d’un no man’s land historique coincé entre le Second Empire et la Première Guerre mondiale, ces noms évoquent peut-être quelques vagues souvenirs. 

Au travers Le Sang des cerises, troisième et dernier cycle des Passagers du Vent, François Bourgeon ressuscite une époque oubliée et fait le lien avec La Petite Fille Bois-Caïman grâce à Zabo qui s’appelle désormais Clara. Dans un Paris qui vient à peine d’amnistier ses Communards et qui accompagne Vallès au Père-Lachaise, ce nouvel album est l’occasion d’un voyage sur lequel plane l’ombre de Hugo. 

Pré-publiées sous forme de quatre journaux au papier épais et au tirage trimestriel, ces premières planches sont là pour rappeler que l’histoire n’est pas encore terminée et que le dessinateur breton (d’adoption) excelle toujours dans le noir & blanc même s’il est injuste que les personnages n’aient pas fait l’objet du même traitement graphique que les décors, superbes de nuances. 

Avec une vision personnelle des faits, mais la volonté de retranscrire au plus juste et dans ses plus petits détails cette période socialement tourmentée, Le Sang des cerises, permet à François Bourgeon de montrer, une fois encore, ses (grands) talents de conteur !

lundi 20 novembre 2017

40 ELEPHANTS

Florrie, doigts de fée
 
© Bamboo Édition 2017 : Toussaint & /Augustin
Que ce soit à l’usine, aux champs ou dans les rues, la Première Guerre mondiale a obligé les femmes à remplacer leurs pères, frères, maris ou fils partis au front. Mais une fois le conflit terminé, il est parfois difficile de retourner à sa routine d’antan… 

Les histoires du Milieu sont légions, celles de gangs féminins beaucoup plus rares. Virginie Augustin et Kid Toussaint essayent tant que faire se peut de remédier à la chose avec 40 éléphants, version british et féminisée des 40 voleurs !

Prenant pour cadre le Londres de l’Entre Deux-Guerres, les deux auteurs imaginent les péripéties d’une mafia de quartier (Elephant Castle) composée uniquement de femmes qui après avoir investi les bas-fonds désertés par leurs hommes doivent désormais lutter pour survivre contre la police et leurs anciens seigneurs et maîtres. Ce sont ici les arcanes de leur communauté et les petits trafics auxquels elles s’adonnent qui sont contés à travers quelques-unes des figures emblématiques de cette coterie pour le moins inaccoutumée. 

Comme à son habitude, Virginie Augustin recherche toujours de nouvelles voies. Sur un registre résolument plus réaliste que ses productions antérieures, la voici qui refait ses gammes informatiques en retravaillant son encrage et ses noirs sur une galerie de portraits dignes d’un digest de fiches anthropométriques de Scotland-Yard. Le résultat en est vivant à souhait et sait établir une réelle empathie (ou antipathie) envers la kyrielle de protagonistes auxquels elle doit donner vie. 

Sur un sujet pour le moins atypique - mais néanmoins véridique - et un traitement qui joue sur les relations humaines plus que sur les cligffhangers, Virginie Augustin et Kid Toussaint installent une série vivifiante qui mêle habilement étude de mœurs et thriller, sans tomber dans le misérabilisme. Reste maintenant à savoir s’ils réussiront le hold-up éditorial de 2018 avec Maggie Passe-Murailles ?

EN ATTENDANT BOJANGLES

© Steinkis 2017 - Chabbert & Maurel
S’aimer, s’enivrer de musique comme de cocktails n’a qu’un temps. Face à tant d’insolence, le destin fera de cette fête perpétuelle, une lente descente aux enfers… 
Adapter le roman d’Olivier Bourdeaut n’est pas sans risque ! Ce faisant, Ingrid Chabbert et Carole Maurel s’obligent à explorer des voies nouvelles afin de s’émanciper de l’œuvre originelle. À lire la préface de la main même du romancier, l’exercice semble réussi ! 
À l’évidence, En attendant Bojangles ne peut laisser indifférent(e) ! Romance sublimée ou insupportable insouciance ? Chacun appréciera cet album à l’aune de ses propres convictions ! Quoi qu’il en soit, le parti pris par les deux jeunes auteures ne manque ni d’élégance ni de force. Fantasque, inquiet ou dramatique à l’instar de l’humeur changeante de son héroïne, le scénario d’Ingrid Chabbert traduit joliment toute la vulnérabilité du personnage ainsi que la fragilité d’un bonheur de plus en plus illusoire face au drame qui couve. Sur les mêmes registres, le trait tout en simplicité de Carole Maurel dépeint la palette des sentiments qui assaillent les différents protagonistes, faisant de ses planches le miroir des états d’âmes de tout ce petit monde. 
Toutefois, la désinvolture de Georges et l’inconstance dont fait preuve Antoinette, à moins que ce ne soit Hortense ou Madeleine, pourraient exaspérer et ne faire retenir de ce récit que l’égoïsme d’un couple dont la frivolité ne tient qu’à quelques facilités financières ! Ce serait passer à côté d’une belle et triste histoire d’amour…

dimanche 19 novembre 2017

L'AIR DE RIEN

© Dargaud 2017 - Picault
En une centaine de strips et quelques illustrations, Aude Picault malmène gentiment ses semblables. 

Parus précédemment dans le supplément week-end de Libération, les voici aujourd’hui réunis en une intégrale chez Dargaud. 

S’il faut reconnaître à la jeune auteure une jolie propension à croquer le trentenaire avec compassion, mais sans se départir d’une bonne dose d’(auto)dérision, il faut également convenir que cette succession d’histoires courtes, en rang par deux entrecoupées de dessins pleines pages, induit une relative lassitude. Aussi, pour pleinement apprécier L’air de rien , mieux vaut le délaisser momentanément afin y revenir à l’occasion, par petites touches successives ! Ainsi, de planche en planche, les plus anciens apprécieront dans ces saynètes existentielles au Rotring l’influence de Claire Bretécher, voire de Sempé, tandis que d’autres retrouveront là les prémices d’Idéal standard. 

Tendre sans oublier d’être caustique, L’air de rien décortique les travers de la génération Y avec l’intention d’en sourire plus que d’en rire.

LE ROY DES RIBAUDS

LIVRE III

© Akileos 2017-  Brugeas & Toulhoat
Les ors du royaume partagent avec les bas-fonds la même propension à l’intrigue et, de fausses alliances en vraies trahisons, chacun cherche sa part de lumière et de pouvoir. Mais pour cela, le sang devra couler à flots dans les ruelles de Paris ! 

Fin de cycle avec ce Livre III qui clôture un premier pan de la vie de Triste Sire. Découpé en neufs chapitres, ce troisième volet prend soin d’occire avec une efficacité redoutable tous ceux qui ne seraient d’aucune utilité ultérieurement et, parallèlement, de faire monter en puissance un duo à la force et au machiavélisme riches de promesses. D’une aisance graphique qui allie les décors somptueux aux angles de vue favorisant le mouvement, Ronan Toulhoat sait tout à la fois mettre l’action au cœur du récit ou s’arrêter sur les physionomies pour mieux cerner les personnalités. Sur l’autre versant de cette histoire, Vincent Brugeas maîtrise une dramaturgie qui va crescendo pour aboutir à un final aussi sanguinaire que muet. Ainsi, au fil de planches parfaitement composées et de séquences structurées à l’unisson, le duo confirme sa capacité à réaliser la synthèse de différents univers narratifs et visuels pour poser les fondements d’une série au style affirmé. 

Toutefois, il faudra attendre 2020 pour connaitre - éventuellement - la suite des turpitudes du Roy des Ribauds, puisqu’il semblerait que les deux auteurs aient trouvé chez Dargaud - ainsi qu’en Sicile - une nouvelle terre d’élection. Après les venelles sombres de Paris et le règne de Philippe Auguste, place au soleil de Méditerranée et à la lignée des Hauteville.

vendredi 17 novembre 2017

SHI

2. Le Roi démon 

© Dargaud 2017 - Zidrou & Homs
L'Angleterre a beau être gouvernée par une reine, en cet fin de siècle, il est difficile pour une femme de se choisir une vie en dehors des options offertes par le mariage ou les bordels… 

Il est des confréries criminelles comme de la noblesse que le temps auréole d’un prestige certain, et s’il est pris soin de leur adjoindre une pointe de surnaturel et quelques considérations dans l’air du temps, il y a là matière à de belles histoires. Avec SHI, Zidrou tente l’aventure du thriller fantastique et oscille entre le Londres victorien et la City d’aujourd’hui afin de trouver une explication à une vague d’attentats prenant pour cible un fabricant d’armes. Le roi démon jette définitivement Kita et Jay sur le chemin de la révolte contre l’establishment britannique. Mais en rester là serait par trop simple et des manœuvres de basse politique ou de sulfureux scandales sont autant de fils avec lesquels le scénariste belge tisse une histoire où la nature humaine n’est pas à son honneur. Ce faisant, il permet à Homs de développer un graphisme puissant et expressif qui - au travers de vignettes et de séquences à la dynamique parfaitement agencée - installe une dramaturgie où la mise en couleurs joue les rôles-titres. 

Rebouclant son épilogue avec le prologue de Au commencement était la colère, ce deuxième album clôt superbement la partie liminaire d'un cycle prévu en quatre tomes. Ainsi, après le « Pourquoi », il devrait être maintenant question du « Comment ».

LOLONOA

 
© Beaupré 2017 - Lesaint
Lolonoa ou François l’Olonnais ! Aujourd’hui, ce nom n’évoque plus rien pour personne, mais il fût un temps où les Indes occidentales tremblaient à la simple évocation de ce sombre individu qui aimait voir les têtes tomber sous le fil de son sabre, surtout si elles étaient espagnoles. 

En cette fin d’octobre 2017, les éditions de Beaupré ressuscitent le célèbre boucanier originaire des Sables-d’Olonne au travers de trois volumes. 

Les pirates enflamment toujours autant les imaginations et demeurent le symbole de liberté absolue, les chantres d’une vie libertaire sans attache et sans contrainte où l'existence n’avait de valeur que dans l’instant présent puisque le suivant était souvent celui du trépas. À la manœuvre de ce nouveau récit de haute mer, Fanny Lesaint, dont le seul fait de navigation connu à ce jour est d'avoir essayé d'adopter un skipper ! Mais avec une lettre de course signée de la main même de Mathieu Lauffray, elle semble devoir mériter son brevet de capitaine. 

Des histoires de flibuste, il en est des centaines, mais celles à même de faire rêver sont plus rares et celle-ci est l’une d’entre elles ! Curieusement, cet album se lit comme un livre. Doté d’une qualité d'écriture qui est généralement l’apanage des romans, Lolonoa s’y raconte sans fard, au travers d’un narratif d’une étrange lucidité au recul presque psychanalytique. Les textes sont si agréablement tournés, que d’aucuns viendraient à se croire devenus les confidents du diable de marin. Les dialogues - pour leur part - ramènent l’ensemble dans l’univers de la bande-dessinée où le trait - comme les encrages appuyés - de la dessinatrice savoyarde font merveille. L’histoire puissante, s’ancre dans le Grande pour entraîner le lecteur vers les rivages sauvages et sans pitié de l’île de la Tortue ou de Maracaïbo. 

S’essayant à comprendre (sans l’excuser) un homme, esclave sur le tôt et bourreau sur le tard, ce premier volet de Lolonoa est un vent frais qui gonfle les voiles d’une aventure dont il tarde de connaître la suite.

mercredi 15 novembre 2017

ANGEL WINGS

4. Paradis birds

© Paquet 2017 - Yann & Hugault
Convoyer d’île en île une actrice qui se défonce aux amphétamines et se faire descendre une fois sur deux n’est pas forcement ce pourquoi Angela s’est engagée dans l’OSS… 

Désormais, elle survole un Pacifique où la guerre cherche sa fin. La question n’est plus de savoir quand le Japon cèdera, mais après combien de centaines de milliers de morts. Pour ce faire, Yann imagine une échappatoire qui amène l’ex-WASP aux commandes de son Grumman J2F-5 loin des eaux turquoises des lagons. 

Après un prologue qui constitue à lui seul un morceau d’anthologie, le reste de l’album connait malheureusement deux ou trois trous d’air qui conduisent à se poser la question de la finalité du cycle « Pacific ». En effet, si la jeune pilote servait initialement d’alibi à Romain Hugault pour assouvir sa passion pour les pin-up et les avions de la Seconde Guerre mondiale, elle avait su prendre entre les mains expertes de Yann une autre dimension que le dessinateur du Grand duc transposait en volumes des plus plaisants. Mais sur ce Paradise birds, la belle américaine refait du nanny job, est encore cantonnée au rôle de cible récurrente pour la chasse nipponne et joue les vestales sur les lignes arrières… rien qui n’ait déjà été vu dans les tomes précédents et qui rendrait presque anecdotiques les passages - réussis - sur le programme Manhattan ou la guerre de l’ombre entre les services secrets nippons et américains. Sur une fiction historique, est-il possible d’envisager que la brunette prenne les choses en mains et verse dans la série noire plutôt que dans le catalogue de lingerie ? 

Petit virage de dégagement pour évoquer le graphisme qui - dans les dix premières planches - atteint des sommets, mais qui, curieusement, se permet quelques petits décrochages surprenants, ce qui n’ôte en rien à la qualité globale de la prestation qui demeure de haut vol. 

Angel Wings arrive à un point où il devient difficile de capitaliser uniquement sur la sensualité de son héroïne et la maestria de Romain Hugault dans l’art du dessin aérien... L’égérie des WASP mérite mieux !

JAZZ MAYNARD

6. Trois corbeaux
 
© Dargaud 2017 - Raule & Roger
Sale temps pour les enfants d'El Raval. À Reykjavik, les coups sont froids et marquent les corps qu’aucun soleil ne vient réchauffer. Il est grand temps de songer à rentrer, mais avant, il est un contrat à honorer, un ami à sauver et un passé à solder.

Trompettiste des plus doués et cambrioleur de génie, Jazz promène sa désinvolture et une éthique basée sur l’amitié virile, l’amour des jolies femmes et le plaisir du beau geste… le tout enrobé d’une pointe d’anticonformisme pour les systèmes en place. Sur Les Trois corbeaux, Raule n’épargne rien à Jazz et Teo, les met physiquement dans le rouge et les plonge dans des situations à la limite du crédible. Ainsi, subtilement, l'enfance new-yorkaise de Jazz se dévoile à la simple évocation de son nom au cours d’un passage à tabac musclé et donne à comprendre le pourquoi de certaines inimitiés familiales. De révélations en explications, le fil de l’histoire apparaît progressivement au sein d’une débauche d’adrénaline pour s’acheminer vers un final apaisé. Toutefois, ne s’en tenir qu’au scénario serait injuste pour le travail de Roger. Maîtriser parfaitement l’enchainement des séquences, privilégier l’angle juste ou savoir donner la vitesse adéquate à un mouvement apparaissent ici comme une évidence, mais trahissent un talent graphique peu commun. À cela s’ajoutent un toucher dans l’encrage, une intensité dans les noirs, qui rendent chaque planche reconnaissable entre mille et… la couleur nullement indispensable. 

Fin de la parenthèse islandaise pour deux héros qui n’aspirent désormais plus qu’à revoir Barcelone, mais cela, c’est une autre histoire !

mardi 7 novembre 2017

BATMAN

The Dark Prince Charming

- It’s a comic ? 
- C’est un album de BD franco-belge ? 
- C’est les deux à la fois ! It’s the Marini’s Batman ! 

© Dargaud 2017-  Marini
Hybride à plus d’un titre, la dernière parution du dessinateur transalpin bénéficie d’un traitement rare puisque son lancement se fait concomitamment des deux côtés de l’Atlantique, chez Dargaud comme chez DC Entertainment, preuve en est un dossier de presse conjoint en français et en anglais et une promo avec Jim Lee en personne ! 

Il est des propositions qui ne se refusent pas, mais prendre seul la suite de duos tels ceux constitués par Jeph Loeb et Tim Sale sur Halloween, Frank Miller et David Mazzucchelli sur Année un ou bien Grant Morrison et Dave McKean sur L'Asile d'Arkham, pour ne citer qu’eux, témoigne d’une bonne dose de confiance en soi… à moins d’éviter - autant que faire se peut - la comparaison et d’assumer ses différences. C’est à l’évidence le parti pris de DC qui désire cibler un nouveau lectorat : celui des amateurs(trices) européen(ne)s de BD quelque peu réfractaires aux attraits des fascicules made in US. 

Bien que bénéficiant d’une carte blanche de la part de l’éditeur américain, il convient de préciser que si Enrico Marini n’a pas souhaité révolutionner la licence, il apporte cependant sa propre sensibilité au travers de quelques arbitrages judicieux et c’est ce que semble rechercher Jim Lee. En premier lieu, le choix est fait de travailler sur un casting limité de personnages, mais pas des moindres puisqu’il s’agit du Joker, d’Harley Quinn et de Catwoman. Ensuite, il y a le souci de créer une codification graphique qui s’inscrit dans un cahier des charges strict tout en lui apportant diverses adaptations à la marge (les costumes, la batmobile…) ; et surtout, il y a cette atmosphère particulière qui plane sur Gotham grâce à une mise en couleurs directes qui privilégie les tonalités chaudes. Sur la partie scénario les choses restent très classiques même si la dualité/complémentarité du duo Batman/Joker place leurs relations sur un plan personnel voire intime et permet de développer certaines facettes qui pourraient apparaître à contre-emploi comme la culpabilité éprouvée par le Chevalier noire ou un Joker aux allures de dandy beau-gosse. Alors même si le digne héritier de la lignée Wayne ressemble furieusement à Marcus Valerius Falco et s’il manque encore un peu de profondeur à cette dramaturgie urbaine, il faut souligner cette tentative d’aller au-delà du manichéisme inhérent à quantité de productions du genre, même s’il y avait matière à pousser l’exercice un peu plus loin. 

Variation européenne sur l’un des héros emblématiques de la franchise DC, The Dark Prince Charming vaut - pour l’instant - plus par son graphisme que son récit, mais il faudra objectivement attendre le second volume prévu au printemps 2018 pour juger définitivement de l’ensemble. En tout cas DC veut y croire car à l’instar de Shiori Teshirogi avec Batman & the Justice League d’autres dessinateurs - sur divers continents – seraient contactés pour décliner localement l’une des icônes de l’hégémonie américaine sur le monde… des Comics.

mardi 31 octobre 2017

GIACOMO C.


© Glénat 2017 - Dufaux & Griffo
Comme tant d’autres, j’ai perdu de vue Monsieur de C. après qu’il eut réglé - de manière honorable quoique définitive - son différend avec feu le Marquis de San Vere. Depuis cinq longues années, la rumeur voulait qu’il erre en Orient… pour le plus grand désarroi des pensionnaires de Mme Aquali fille. Mais depuis plusieurs jours, la nouvelle se répand sur la lagune aussi vite que l'eau un jour d’aqua alta, notre homme serait prochainement de retour de Corfou et MM. Dufaux et Griffo auraient la primeur de son récit qu’ils monnayeraient toutefois fort chichement. Bien que jaloux de son crédit auprès d’amies communes et de ses accointances passées, tant avec ceux qui nous gouvernent que ceux qui nous dépouillent (quoique les uns se confondent parfois avec les autres), je ne peux que me réjouir du retour de cette âme libertaire et libre qui privilégiait l’amitié aux Plombs et les largesses des jolies femmes aux ors du pouvoir. 

J’ai donc revu dernièrement Giacomo de C. ; en galante compagnie, il va de soi ! Après avoir échangé quelques banalités sur le triste sort du Signor Guirlando, nous en sommes venus à deviser sur le fond de l’affaire. Nous pûmes donc échanger sur le sujet tout le reste de la soirée en profitant de la générosité de notre hôte. Cette agréable discussion fut pour moi l’occasion de lui signifier mon plaisir à prendre de ses nouvelles et à lui dire que je reconnaissais dans ce "Retour à Venise" tout ce qui faisait le sel de ses exploits passés. Trop diront d’aucuns ! Mais il est toujours plaisant de boire d'un même vin tant qu’il est bon et ce crû, pour ce qui est du scénario, n’est pas des moindres. Si ce récit recèle bien quelques langueurs, il ne révèle aucune longueur - exception faite de la façon dont la Signora d’Albrante éveille les sens de sa fille - et propose même un dénouement qui me laisse à penser que l’exil a changé durablement notre homme. L’heure avançant, je ne puis lui cacher cependant mon désappointement devant le relâchement – voire les imprécisions - dans le traitement graphique de certaines planches ou cases … gâchant un tant soit peu mon plaisir. Mais en souvenir des lectures d’hier, je n’en tiendrais grief à quiconque sauf à ce que cela se reproduise ! 

J’essayais sur le tard d’en connaître un peu plus sur la suite qu’il entendait donner à tout cela, mais notre ami, a contrario des courtisanes vénitiennes, n’aime pas à être bousculé. Nous décidâmes donc d’en rester là et d’aller goûter aux délices de quelques dames à peine masquées.
  
Silvestro de S.

samedi 21 octobre 2017

MARSHAL BASS

2. Meurtres en famille

© Delcourt 2017 - Macan & Kordey
Un tueur en série victime d’une famille de meurtriers. Les vastes espaces de l’Ouest ne sont pas forcément le paradis tant espéré... 

Darko Macan n’est pas du genre à enjoliver la réalité. Loin du mythe d’une Amérique bienpensante et conquérante, le scénariste croate dresse un portrait du Far-West exempt de fioritures, mais indéniablement plus réaliste que la majeure partie des productions hollywoodiennes. Son scénario sent la sueur, exhale la vilenie, transpire la bêtise et personne ne peut prétendre à une once de virginité. L’alcool, le soleil, l’or tournent les têtes et poussent aux pires extrémités de pauvres hères qui tueraient père et mère pour un dollar de plus. La marque de Darco Macan est de faire en sorte que tout ceci s’inscrive "naturellement" dans le cours d'un récit où le sordide est de mise, la lâcheté un art et la violence un moyen de survivre. 

Sur cette trame sans concession, Igor Kordey délaisse cette fois les grands paysages - à l’exception notable d’une superbe double page qui pourrait devenir récurrente au fil des albums - pour se concentrer sur ceux qui les hantent. Sous son trait, ces nouveaux barbares donnent toute sa dimension à la dramaturgie de Meurtres en famille, et ce n’est pas la couleur de Desko qui viendra en atténuer la dureté. 

Loin des stéréotypes, Marshall Bass apporte une dimension humaine au genre. Un western psychologique en somme…

jeudi 19 octobre 2017

THE DEAD HAND


© Glénat 2017 - Higgins &Mooney
Dans un coin paumé au milieu de nulle part, des anciennes gloires de la Guerre froide vivent en huis clos et protègent un secret jusqu’ici bien gardé… 

Premier essai sur un format franco-belge pour Kyle Higgins et Stephen Mooney. 

À la croisée de deux mondes, The dead hand hésite à choisir véritablement son camp et manque trop souvent de précision dans l’encrage des physionomies et la dynamique des personnages : ce qui passe inaperçu en 18 x 28 ne l’est plus forcément sur une pagination 24 x 32 ! 

Pour ce qui est du fond du récit, ce mélange de thriller et de science-fiction se met doucement en place et laisse présager quelques surprises à venir. Toutefois, ce premier tome se contente de passer en revue - au travers de quelques flashbacks et une voix off en narration - les principaux acteurs et d’installer une atmosphère pesante de faux-semblant. 

Les reliques de la guerre froide se révèle être un volet introductif efficace, mais qui tarde quelque peu à vraiment monter en puissance. En espérant que le second saura remédier à cette situation.

HARMONY


© Dupuis 2017-  Reynès
Memento, Indigo, Ago : le premier cycle d’Harmony est désormais complet. Bref retour sur une série qui a su - en moins de deux ans - trouver sa place dans le petit monde du fantastique hexagonal. 

Après un premier opus en quasi huis clos centré sur une mystérieuse adolescente amnésique et dotée d’un étrange pouvoir, Mathieu Reynes s’est mis à jouer avec les temporalités semant quelque peu le trouble. Dans ce dernier volet, il prend soin de replacer chaque chose dans la chronologie des évènements. Toutefois, il sait garder nombre de portes encore closes tout en introduisant de nouveaux personnages afin d’explorer de nouvelles voies dans les opus à venir. 

Un scénario qui évite la simplicité de la linéarité et s’avère suffisamment complexe pour maintenir le lecteur entre deux eaux et un dessin qui assume sa parenté avec les comics sans renier sa filiation au franco-belge sont désormais les marques de fabrique de cette série. Cependant, s’il est une chose qu’il faut retenir d'Ago, elle est à rechercher dans la progression du trait du créateur d’Harmony. Au fil des planches, son graphisme qui recherche toujours les effets visuels dans la cinématique des protagonistes et les prouesses télékinésiques de son héroïne, glisse vers davantage de réalisme et s’attache de plus en plus à l’expressivité des personnalités. 

Avec un scénario qui se découvre au fil des albums autant qu’il s’imagine, Harmony a encore de belles années devant elle…

mardi 17 octobre 2017

LE PETIT VAGABOND

© Paquet 2017 -  Kung
Du Tibet à Tapei en passant par New-York, le petit vagabond est là pour guider le voyageur égaré, pour aider celui qui se cherche…

Crystal Kung est une dessinatrice en devenir. « Mes dessins sont le miroir de ma vie » dit-elle. Aussi, au gré du vent, des étoiles ou de ses voyages, elle délivre ici sept fables poétiques et graphiques ; sept saynètes muettes, ponctuées simplement d’interrogations et de suspensions ; sept rencontres faites de par le monde. 

Si les dialogues sont minimalistes (mais se suffisent à eux-mêmes), la composition est parfaitement pensée. Au fil des planches, la jeune taïwanaise démontre une maturité et une évidence dans le trait qui sont les signes prometteurs d’une future grande. 

Album à l’émotion discrète et aux couleur lumineuses, Le Petit Vagabond prête à rêver autant qu’à voyager et constitue l’une des heureuses surprises de cette fin d’année.

vendredi 13 octobre 2017

PETITE MAMAN

© Dargaud 2017 - Mahmoudi
L’enfance de Brenda n’est pas celle à laquelle tout enfant devrait avoir droit. Humiliée et violentée par son beau-père, délaissée par sa trop jeune mère, elle se construit, seule, dans la souffrance et la culpabilité…

Véritable documentaire qui prend le crayon là où d’autres utilisent un micro et/ou une caméra Petite maman fait œuvre de tact pour aborder un sujet aussi douloureux que délicat. S’il est difficile de filmer ce que l’on subodore, il est plus facile de le dessiner avec toute l’intégrité morale que cela implique, et en cela cet album est un petit bijou d’équilibre et de psychologie. Ceux qui rechercheraient un plaidoyer larmoyant ou racoleur sur des drames qui se jouent à huis clos à un bloc, une rue ou même une porte, en seront pour leur frais. Halim Mahmoudi - en observateur discret - s’abstient de tout jugement à l’emporte-pièce et reconstitue avec compassion et douceur, mais sans occulter la douleur des coups et la violence des mots, la complexe résilience d’une enfant devenue la souffre-douleur expiatoire d’exactions banalisées par le quotidien.

Pleine d’espoir, cette chronique sociale que l’on souhaiterait n’être que de pure fiction interroge surtout sur notre capacité collective à ne pas vouloir voir, à ne pas savoir oser ou à refuser de s’imaginer un inimaginable qui chaque année fait plus de 98.000 jeunes victimes.

dimanche 1 octobre 2017

GUNBLAST GIRLS

1. Dans ta face minable !

Recette du Gunblast Girls cake. 

© Le Lombard 2017-  Crisse
Tout d’abord, choisissez un team de filles un peu badass sur les bords (il faut que la gent masculine s’y retrouve a minima) et un brin stéréotypées. Montez l’ensemble au batteur (à grande vitesse) avec un doigt de "dernière mission comme au bon vieux temps avec un max de pognon à la clef " et réservez au frais. 

Dans un plat réchauffé, mettez une galerie de branquignoles de première avec le QI d’un poulpe et la force de frappe d’un porte-avion, puis ajoutez un vrai méchant bien mafieux affublé de deux belles garces : l’une rousse incendiaire (toujours !) et l’autre qui se prend pour la belle-mère de Blanche-Neige. Nappez l’ensemble de vide sidéral additionné de paranormal et d’un brin d’humour dans les dialogues ainsi que de quelques références graphiques assumées pour l’onctuosité. Pour le croquant disposez, selon votre envie, de jolis vaisseaux spatiaux et une poignée d’extra-terrestres. 

Servez le tout à des adolescent(e)s affamé(e)s, vous ferez certainement des heureux(-euses) à défaut de décrocher vos trois étoiles…

À COUCHER DEHORS


© Bamboo Édition 2017 - Ducoudray & Anlor
Nicolas reste introuvable et avec lui s’évanouissent les derniers espoirs pour Amédée d’avoir un toit à soi… 

Avec À coucher dehors Aurélien Ducoudray s’en donne à cœur joie dans le bon mot. Sur un récit cacophonique dont la succession des rebondissements devient statistiquement problématique, l’auteur de Mort aux vaches ! peine à convaincre. L’histoire est jolie, mais sauf à rester dans le registre de la comédie, quelque peu forcée, la galerie de portraits comme les situations deviennent par trop caricaturales pour être crédibles. Graphiquement, Anlor emprunte la même voie et fait surjouer ses différents personnages. Toutefois, la composition classique de ses planches comme de ses décors évite à l’ensemble de glisser vers l’excessif. 

Quoiqu’il en soit À coucher dehors possède le mérite de vouloir traiter de la connerie en générale et de la différence en particulier, ce qui - au demeurant - reste une louable et vaste entreprise.

Ut #3


© Mosquito 2017 - Barbato & Roi
Énigmatique, Ut s’inscrit dans la lignée de ces séries qui ne laissent pas indifférent et pourrait - pour peu que le hasard y pourvoie - devenir culte pour d’aucuns. 

Cela a déjà été dit, mais Histéria entérine définitivement le fait, Corrado Roi fait preuve d’une maîtrise du noir et blanc qui frôle la perfection. La technicité chirurgicale de son trait et la charge émotionnelle qui s'en dégage, entraînent de concert le lecteur vers des horizons aussi déconcertants qu’inusités. Il serait prétentieux de parler d’Art mais, par certains aspects, nombre de planches tutoient le concept. 

Cependant, comment ne pas être réducteur ou caricatural avec ce pavé de plus de six cents pages. Plus que des mots, ce sont des impressions confuses qui subsistent, ainsi que le vague sentiment d’avoir fortuitement compris l’essentiel. Ut est un cauchemar où le primal l’emporte sur la raison. Là réside peut-être sa magie, car si le fil rouge demeure mystérieux, il faut reconnaître cependant qu’un semblant de récit prend corps dans les ruelles d’une ville fantomatique ou à l’intérieur d’une maison utérine. Toutefois, savoir où Paola Barbato souhaite nous conduire relève de la pure spéculation. Manifestement, Corrado Roi y a mis du sien, mais il est évident aussi, connaissant l’importance que la scénariste italienne accorde à la psychologie chaotique de ses personnages dans ses romans, qu’il faille essayer de rechercher - dans cet univers "lovecraftien" - quelles allégories.

Triptyque à l’esthétique troublante et à l’ambiguïté singulière, Ut est indéniablement l'une des révélations de l'année.