samedi 23 février 2013

Sur les Hauts de Whaligoë

Chronique sur l'opus 1 de Whaligoë : Whaligoë

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© Casterman 2013 - Augustin & Yann
Whaligoë est l’un de ces endroits où le voyageur ne s’arrête que par nécessité, et il en est ainsi pour Lord Douglas Dogson, écrivain déchu et sa maîtresse, Spéranza. Fuyant Londres et le scandale, les deux amants descendent à l’auberge du Black Bull. Mais qu’elle ne sera pas leur surprise d’apprendre que l’une des dernières coqueluches des salons littéraires londoniens vit retirée sur ces terres d’infortune où seuls la bière et les combats de coq colorent la grisaille ambiante.

Whaligoë s’inspire du charme et de la nostalgique des œuvres des Romantiques anglais. Et lorsqu’une jeune femme ectoplasmique pleure sur une tombe ou se promène sur la lande battue par la mer et les vents, les fantômes des sœurs Brontë ne sont pas loin. L’Écosse est une terre de contrastes et c’est sur ceux-ci que Yann bâtit son récit. Il en est ainsi de cette brute alcoolique de Branwell et d’Émily, sa sœur à l’esprit vif et au verbe alerte, de Londres dont la mondanité indicible écrase ce petit village des Highlands ou bien encore de ce pays de tourbes et de pluies d’où Ellis Bell écrit ses plus belles pages. De la Grouse des bruyères à la rousse Émily, de la phraséologie ampoulée d’un auteur bien peu inspiré aux joutes de belliqueux gallinacés, il semblerait que Yann s’amuse avec les plumes !

De la plume au dessin, il n’y a qu’un trait, celui de Virginie Augustin. Fin et stylisé, frôlant parfois et fort anachroniquement la caricature, il sait inscrire la psychologie des personnages au travers de leur physionomie et trouver une réelle complicité avec le scénario. Il en est de même pour la mise en couleur de Fabien Alquier qui jouant sur les registres du spectral et du théâtral, confère à cet album une romanesque celtitude.

Cet opus d’ouverture a planté le décor, plaisamment joué sur les mots et semé insidieusement les prémices d’un drame… qui, à présent, ne demande qu’à prendre corps.

vendredi 22 février 2013

Ainsi, soit-il !

Chronique sur l'opus 2 de Dogma : Le vrai sang

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© Soleil Productions 2013
Bonetti & Betbeder
Après le miracle de la fête du saint Sang de Bruges, les pontifes du Vatican se lancent dans une collecte forcée autant qu’effrénée des divines reliques afin de trouver la seule qui, comme la parole de Dieu, guérira le monde. Encore faut-il pouvoir trier le bon grain de l’ivraie parmi la multitude d’objets de dévotion qui, durant deux millénaires, se sont multipliés plus sûrement que les petits pains, et c’est à Grace qu’échoit cette lourde tâche, du moins si l’Éternel lui en laisse le temps !
Avec la collection Secrets du Vatican - et dans une moindre mesure Soleil ésotérique - les éditions Soleil se sont faites une spécialité des quêtes mystiques qui, dans la lignée du Da Vinci Code, tentent de faire passer la Curie romaine pour de dangereux manipulateurs d’une Vérité qui est toujours ailleurs !

Dans ce registre, Dogma est une réussite comme Prométhée l'est dans le sien. Le parallèle n’est pas fortuit tant ces albums présentent des similitudes que ce soit dans le graphisme ou la mise en (s)cène : mêmes dessins hyperréalistes portés sur les fonts baptismaux de l’infographie, pitchs pré-apocalyptiques similaires et découpages comparables. Beaucoup d’analogies donc si ce n’est que Jésus remplace les extra-terrestres et les stigmates, les sinkholes.
 
Pour peu d’être un apôtre du genre, ce deuxième volet s’avère terriblement efface et il est indéniable que Stéphane Betbeder développe un récit parfaitement huilé qui rend grâce à l’action comme à l’adoration. Entre un épiscopat high-tech, une stigmatisée en proie aux tentations de la chair et un prêtre aux allures d’Indiana Jones, le scénario rajeunit sérieusement l’imagerie pieuse et pourrait donner des rougeurs à certaines grenouilles de bénitiers, sans parler des adeptes de la théorie du complot qui seront aux anges.
 
Elia Bonetti, quant à lui, relève le défi d’un trait aussi à l’aise sur les panoramiques et les perspectives abyssales que dans les ambiances intimistes, et ce, avec un réalisme diabolique. Les gardiens du temple lui reprocheront vraisemblablement un recours trop appuyé aux miracles de l’informatique mais ceux qui tels saint Thomas ne croient que ce qu’ils voient, en auront pour leur argent.
 
Au final, Le vrai sang illustre de belle manière la fascination du profane pour les mystères du Sacré, et une telle performance mérite bien quelques louanges !

jeudi 21 février 2013

Flux et (re)Flux pour Aglaëe Aglaé

Chronique sur l'opus 2 des Enquêtes insolites des Maîtres de l'étrange : La Vengeance du grand singe blanc

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© Vents d'Ouest 2013 - Li-An
Alors qu’Aglaëe Aglaé pensait ne plus revoir l’hypnotique docteur Flux, voici que Léon, le gorille blanc de ce dernier, sème la terreur dans la capitale et met l’inspecteur Gallimard sur les dents. De conjectures en hypothèses, les Maîtres de l’étrange sont désormais convaincus que l’énigmatique don Armando est au centre d’une bien curieuse affaire et que le grand singe y joue un rôle déterminant. Il ne leur reste plus qu’à trouver une invitation à la soirée qu’organise le banquier mexicain et pour laquelle le Tout-Paris est pris de frénésie. Mais pourquoi un tel engouement ?

Adèle Blanc-Sec a fait des émules ! Faut-il y voir un effet de mode ou un pur hasard éditorial mais voilà qu’à très peu d’intervalle, Aglaëe Aglaé et Flora Vernet - Aspic, détectives de l’étrange - se croisent dans les bacs des officines.

Exit les ptérodactyles, les savants fous et place à une jeune femme de bonne famille, dotée d’un solide caractère et d’un physique à l’avenant. Cependant, si cette suffragette en herbe souhaite donner quelques reliefs à une vie par trop monotone, ses aventures demeurent fort convenables et n'ont pas l'excentricité de celles de son aînée, et ce ne sont pas les vieux garçons qui lui servent de chaperons qui risquent de la dévergonder. Jouant plus sur la déduction et les logiques de l’esprit que sur les muscles et les effets de poings, Li-An réalise un album à l’ambiance nostalgique où les Apaches de Paname possèdent des allures de Pieds Nickelés. Bref, l’ensemble se complait dans le bienséant et le classique jusque dans sa mise en pages ou en couleurs… et c’est ce qui en fait tout le charme.

Son enquête terminée, la blonde détective s’en retourne à la maison, bien gentiment, mais quelque chose laisse à penser qu’une nouvelle confrontation avec le beau docteur Flux ne serait pas que pure spéculation.

dimanche 17 février 2013

Ce matin un lapin... (air connu)

Chronique sur l'opus 1 de Bunny : 1 - Bunny

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Mio est une adolescente qui n’a que des exigences. Toutefois, il lui faut parfois remiser son ego surtout lorsqu’il est question de financer son oisiveté. Son père, ne sachant comment lui inculquer la valeur des choses, décide de faire appel à sa cupidité. En échange d’une prime considérable, la jeune fille s’engage à passer quelque temps dans un camp expérimental ! La voici donc sur une île, véritable prison à ciel ouvert. Pour en partir, il suffit de capitaliser 50.000 destas, la monnaie locale. Mais, pour se procurer une telle somme, il n’existe que quatre moyens : l’usine, le casino, les duels ou le crime. Dès lors, Mio va progressivement découvrir que rien n’est gratuit en ce bas monde et que tout à un prix… à commencer par sa propre vie !

Bunny possède des faux airs de chimère. D’un côté, il y a un scénario qui s’articule autour de sujets complexes telle la construction identitaire, les valeurs morales ou le sens de la vie ; de l’autre, il y a la manière de les traiter, un tant soit peu superficielle car par trop naïve pour ceux dont l’adolescence rebelle n’est désormais plus qu’un souvenir. Quoiqu’il puisse en être, ce conte moderne pour adoluscents n'est pas sans caractère. Cependant, la galerie composite de personnages qui oscillent entre perversité et ingénuité illusoire, n’aurait-elle pas gagné en intensité avec un graphisme plus sombre, voire plus dur ?

Pour leur première œuvre commune, Juliette Fournier et Jean Gaël Deschard possèdent le mérite d’aborder des thématiques classiques… d’une façon qui ne l’est pas. Les parents qui liront ces planches pourront - peut-être - trouver certaines similitudes avec des situations présentes ou passées !

Cibopathiquement vôtre !

Chronique sur l'opus 5 de Tony Chu : Première ligue

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© Delcourt 2013 - Guillory & Layman
Tony Chu est de retour ! Manière de parler puisqu’à peine viré du RAS et affecté à la circulation, le voilà kidnappé par un obsédé de la vie sexuelle des champions de base-ball qui force le cibopathe à déguster quelques lambeaux cadavériques pour en extraire les détails croustillants de leur libido. Pendant ce temps, John Colby se tape Peñya la directrice de l’USDA et Mason Savoy fait l’éducation cibopathique d’Olive…. Vous suivez ?

Nouvel opus des aventures du détective cannibale. Et là, le duo Layman/Guillory refait fort… très fort même ! Après un Flambé qui marquait le pas, Première ligue revient avec la puissance et le délire des premiers jours. Le scénario est dense et si les histoires parallèles s’entremêlent dans tous les sens, finalement, tout ce petit monde fini par retrouver sa place. Mention d’honneur également à Rob Guillory qui, visuellement, fait exploser ses planches car au-delà du travail millimétré de John Layman, il y a le vertige que procure un dessin déjanté et parfaitement pensé. Superbe !

Récemment de passage en France, les deux auteurs américains paraissaient surpris par l’enthousiasme que leur héros suscitait auprès du public hexagonal, il faut dire que ce cinquième album à de quoi motiver les plus récalcitrants pour peu d’aimer les comics et l’absurde.


Histoire secrète - Plus que trois !

Chronique sur l'opus 29 de Histoire secrète : Opération bojinka

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© Delcourt 2013 - Kordey & Pécau
Histoire secrète devrait s’achever en novembre 2013 avec le 32ème album et mettre ainsi un terme à une série que d’aucuns considéraient comme sans fin !

Beaucoup de choses ont été et seront dites à propos de cette saga tant sur la capacité du scénario à surfer sur l’Histoire tout en jonglant avec des considérations qui raviront les théoriciens du complot que sur le stakhanoviste d’Igor Kordey, capable d’abattre des albums comme d’autres des planches !

Ce nouvel opus est identique aux précédents, tant dans ses qualités que par ses défauts. Toutefois, il n’est plus temps de disserter sur l’intérêt ou non de cette série, mais d’en apprécier les derniers albums… car la fin est proche.

lundi 11 février 2013

Tony Chu : Dédicace's Tours

A l’occasion de la sortie du 5ème volet des aventures cibopathiques de Tony Chu, John Layman et Rob Guillory se sont arrêtés quelques heures chez Bédélire.

Après leur escale parisienne au 15ème salon Paris-Manga, les deux auteurs américains ont fait une petite escapade par Tours, juste histoire de profiter de la douceur tourangelle et d’une petite séance de dédicaces des plus conviviales. Ce rendez-vous rare a permis à de nombreux aficionados d'échanger quelques mots (en franglais !) et de prendre quelques photos !

A noter que Tony Chu pourrait faire prochainement l’objet d’une adaptation en dessin animé et non plus en série TV comme imaginée un temps… à suivre !



dimanche 3 février 2013

Chimères ou gargouilles ?

Chronique sur l'opus 3 de Masqué : Chimères et gargouilles

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© Delcourt 2013 - Créty & Lehman
Les Anomalies sont plus que jamais présentes à Paris-Métropole, sans que personne ne sache vraiment comment ni pourquoi. Doté lui aussi d’un pouvoir particulier depuis son contact avec le Plasme, le préfet Beauregard décide de rompre ses alliances afin de frapper un grand coup au soir de Noël.

Curieusement et malgré un rythme de réalisation à la hussarde, Masqué tarde à entrer dans le vif du sujet et, si Chimères et Gargouilles n’est pas dénué de qualités, surtout graphiques, il convient d’admettre qu’il ne fait pas pour autant progresser une situation qui demeure assez confuse. Ainsi, le recours à des considérations psycho-géographiques ou quantiques, tout comme l’utilisation - par trop récurrente - d’allusions à l’actualité n’améliorent en rien la lisibilité d’un scénario qui peine à prendre sens.

Vouloir traiter de super-héros, chasse gardée des comics, tout en respectant le classicisme du format franco-belge est une gageure qui suscite certaines vocations puisque récemment Des dieux et des hommes ou bien encore Dakota ont tenté l’expérience. Avec leurs deux premières parutions communes, Serge Lehman et Stéphane Créty avaient réussi cette hybridation, notamment en déstructurant, à bon escient, leur composition sur les séquences d’action pour revenir à une architecture plus classique dans les passages narratifs. Cependant, ce troisième opus change la donne. Doit-on y voir une évolution du graphisme du dessinateur ardennais ou la spécificité du travail d’encrage de Tiphaine Vaudable qui remplace Julien Hugonnard-Bert ? Peut-être les deux. Quoiqu’il en soit le trait est désormais plus marqué, plus noir… plus pesant, ce qui modifie considérablement l’approche visuelle des mouvements et des perspectives de nombreuses planches.



Après Anomalies et Le jour du Fuseur, ce nouvel album marque le pas. En espérant que Le préfet spécial qui paraîtra en avril prochain, conclura en beauté cette tétralogie.

Un petit vers d'Aquila

Chronique sur l'opus 1 de Silas Corey : Le réseau Aquila (1/2)

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© Glénat 2013 - Alary & Nury
Paris, mai 1917. Dandy sardonique, Silas Corey joue les agents doubles, voire triples. Entre un Clémenceau revanchard, un Deuxième bureau sur des charbons ardents et une vieille marchande d’armes machiavélique, l’ex militaire louvoie avec aisance en ces eaux troubles. Toutefois, derrière ce cynisme de façade, se cache un homme meurtri par les combats et une femme. A l’évidence, ses activités de journaliste et détective en dilettante ne sont qu’une diversion pour oublier. Mais quoi ?

A peine Il était une fois en France terminée, Fabien Nury revient dans l’actualité avec un diptyque d’espionnage. Si le décor de fond est toujours la guerre, il s’agit ici de La Der des Ders et le registre est totalement différent tant dans le ton que dans l’approche graphique.

Dans l’ambiguïté d’une Belle époque naissante où les affres d’un conflit s’oublient par une débauche de fête, Silas jouit sans vergogne de sa situation tout en méprisant ouvertement ceux dont il profite. Mêlant la fiction à une part de réalité, le scénario est solide. Les effets sont maîtrisés à l’instar du rythme, et la psychologie des personnages, bien que stéréotypée comme leur physionomie, est parfaitement mise en place. Les méchants paraissent inquiétants, les bons ne font pas inévitablement preuve d’altruisme... En fait, les choses ne sont pas forcément des plus simples dans cette guerre de l’ombre où les pigeons ressemblent à des corbeaux.

Cette nouvelle série profite du trait semi réaliste, un rien caricatural et sarcastique, de Pierre Alary. Le père de SinBad joue avec précision du physique de ses protagonistes et donne à son héros des airs de Lupin qui lui siéent à ravir.

L’ouverture de Réseau Aquila est alerte et enlevée sans pour autant être superficielle. Un véritable album de divertissement, intelligemment construit et joliment dessiné.