samedi 29 septembre 2018

VIRAVOLTA

1. L'Orchidée noire

© Glénat 2018 - Delalande &Lambert
Pietro Viravolta, alias« Orchidée noire », quitte la République vénitienne pour se mettre au service des Secrets de Louis XV. À peine débarqué à Versailles avec femme et valet, voici qu’il reçoit du roi lui-même sa première mission… 

Né de la plume du romancier Arnaud Delalande en 2006 chez Grasset, voici que l’ex-bras armé du Conseil des Dix fait son entrée dans le monde de la Bande-dessinée. 

Après une rapide explication des raisons de sa présence en France, le bretteur italien est immédiatement plongé dans le grand bain de la petite histoire, celle qui se trame dans les officines cachées et les bouges parisiens. Mêlant personnages réels et pure fiction historique, ce premier opus oscille - au travers d’une profusion de phylactères – entre actions et considérations métaphysiques à défaut d’être existentielles. Personnalité sans faille, fine lame, esprit brillant, physique avantageux rien n’est vraiment épargné à Pietro Viravolta qui, dès lors, ne peut que se forger un destin hors normes densément mis en valeur par le dessin réaliste et les décors fouillés d’Eric Lambert. 

Après le Nicolas Floch de Dobbs & Chaiko le XVIIIème siècle semble être à l’honneur en cette rentrée 2018 !

IMPERIUM

© Glénat 2018 - Bollée & Penet
Le général Sulla a vaincu ! En stratège avisé et en homme pressé, il sait ne pas humilier son adversaire, aussi lui laisse-t-il son royaume tout en exigeant la restitution à Rome de certaines provinces, de nombre de navires et d’espèces sonnantes et trébuchantes. Mithridate VI ne peut que s’exécuter et devra - en marge du traité de paix - également livrer son médecin, celui-là même qui l’immunisa contre tous les poisons. 

L’Histoire est l’Eldorado des scénaristes car elle peut être recomposée à l’infini, au gré des envies et des passions. 

Pour la postérité, Sulla a reconquis les contrées d’Asie mineure promises aux descendants de Romus et Romulus que le roi du Pont avait annexées. Vainqueur, il impose ses conditions à Dardanos en -85 av. J.-C et, après avoir remis de l’ordre sur les terres conquises, il s’en retourne à Rome où une nouvelle Guerre civile l’attend. À nouveau triomphant, il se fera nommer dictateur puis consul avant de subitement se désintéresser des affaires de la cité et mourir en -78 av. J.-C. Homme cultivé, sensible au bruit et à la gloire des armes, il aimait le pouvoir et le côtoya à de nombreuses reprises. Cependant, contrairement à César, les historiens ne lui reconnaissent aucune appétence personnelle, mais une vision politique, celle de restaurer une République aristocratique, chose à laquelle il œuvra - de manière ferme et parfois violente - sans toutefois y réussir. 

Avec Impérium, Laurent-Frédéric Bollée revient sur la légende de Mithridate pour en imaginer une variation romaine au service d’un propos philosophique. 

Le pouvoir ! Que peut-on préférer au pouvoir? Comment prendre l’ascendant sur tous afin d’être craint au point d’annihiler toute velléité de nuire ? Plaçant sa réflexion dans un cadre antique, le scénariste d'Espace vital convie Socrate, une bergère à la beauté divine, un bras vengeur... Il invente une parenthèse dans la vie du généralissime et suppute sur ce qui le fit revenir en Italie alors qu’il aurait (peut-être) pu rester en Grèce… si les Dieux en avaient décidé autrement. Spéculation basée sur des fragments historiques glanés ici et là, Imperium s’inscrit cependant parfaitement dans le fil de l’Histoire dont il ne perturbe pas le cours, laissant le soin au lecteur d’avoir assez de curiosité pour séparer le bon grain de l’ivraie. Sur ce scénario aux dialogues nombreux et prépondérants, Régis Penet livre un travail dans son style si particulier. Avec un trait des plus réalistes, empreint d’une théâtrale rigidité, il donne à ses personnages et donc à cette dramaturgie encore plus de vraisemblance. Précis sur les décors comme dans l’organisation des planches, le graphisme d’un classicisme presque hellénique confère vie à un récit puissant et des plus introspectifs. 

Parfaitement mis en image, Imperium pose les prémices d’une réflexion sur la quête du pouvoir et ce qu’il en coûte. À lire et… à méditer !

KRAKEN

© Soleil Productions 2018 - Pagani & Cannuciari
Serge, ancienne gloire de la télévision, dilue dans l’alcool le souvenir d’un fils disparu en mer. Un jour, il trouve sur son pas de porte Damien, seul survivant d’un naufrage qui a vu périr en mer son père et tant d’autres. Entre cet enfant persuadé qu’un monstre marin est la raison de la perte des siens et l’ancien présentateur s’engage une curieuse relation où l’un pourrait sauver l’autre… 

Kraken nous vient d’Italie où il a reçu le prix du meilleur album italien au Romics 2018. 

Emiliano Pagani et Bruno Cannucciari livrent ici un roman graphique à la psyché tourmentée. Il est ainsi question de culpabilité, celle d’un père responsable de la disparition de son fils ; de persécution, celle d’un enfant dont le tort est d’avoir survécu à une sortie en mer d’où la fine fleur locale n’est pas revenue ; d’obscurantisme, celui d’un village qui se cherche une victime expiatoire à la malédiction qui l’assaille ; de traditions, celles qui vous obligent à rester alors que vous rêvez de partir. Et puis, il y a le Kraken qui hante les eaux troubles des consciences présentes à défaut des abysses environnantes. 

Sur cette métaphore maritime, Bruno Cannucciari développe une galerie de portraits qui portent leur âme à même la peau. Parfois à la limite de la caricature, le trait n’en demeure pas moins juste lorsqu’il s’agit de saisir toute la détresse d’un port de pêche moribond qui s’abîme dans le gris brumeux de journées sans espoir où les verts marins des nuits qui le submergent. 

Au sein de cette communauté qui rejette au large ce et ceux qui lui sont étrangers, les monstres ne sont pas forcément ceux que l’on croit…

lundi 10 septembre 2018

LES ENQUÊTES DE NICOLAS LE FLOCH

1. L’énigme des blancs-Manteaux

© Hachette 2018 - Dobbs & Chaiko
Nicolas Le Floch c’est d’abord, sous la plume de Jean-François Parot (décédé récemment), un héraut de la maréchaussée parisienne du XVIIIe siècle et accessoirement une figure de proue du roman policier historique. Puis, ce fut une série télévisée autour de Jérôme Robart et Mathias Mlekuz pour les rôles titres. Voici désormais que la destinée du commissaire de police au Châtelet passe par les mains de Dobbs et Chaiko chez Hachette. 

Esthétique dans le dessin, prolixe dans les dialogues, cet album d’ouverture s’inspire de ses ainés, mais sait aussi s’en démarquer. Plaisant à lire, agréable à feuilleter , l’intrigue bien que classique sait ménager ses effets et mettre en avant les acteurs des albums à venir. Réaliste dans la vision parvenue jusqu’à nous du règne de Louis XV, le trait de Chaiko sait donner un visage et une personnalité à un personnage qui pour l’instant manque encore d’épaisseur, mais pas de charisme. 

Quoi qu’il en soit L'énigme des Blancs-Manteaux présage d’une bonne naissance pour peu qu’il soit laissé au fils naturel du marquis de Ranreuil le temps de faire ses preuves.

lundi 3 septembre 2018

MOI, CE QUE J'AIME, C'EST LES MONSTRES

1. Livre premier
 
© Monsieur Toussaint Louverture 2018 - Ferris
Il suffit parfois d’un rien pour qu’une vie bascule. Une anodine piqûre de moustique qui évolue en méningo-encéphalite et, au seuil de la quarantaine, vous voilà paralysée pour le restant de vos jours… Mais, une petite fille qui croit en des temps meilleurs peut vous insuffler l’envie de ne pas capituler. Alors, ce sont les séances de rééducation, le Chicago Art Institute, puis un crayon scotché à une main rétive qu’il faut dompter, mais qui à force d’efforts deviendra une virtuose. 

Emil Ferris est un monstre, un monstre de précision du trait et de profusion des sentiments, une auteure surgie de nulle part (enfin presque) et déjà portée aux firmaments par ses pairs. 

Lire Moi, ce que j’aime, c’est les monstres ne doit rien au hasard et demande un minimum de disponibilité afin de se perdre dans ses quatre cents pages ! Karen Reyes se voit en loup-garou car elle sent bien qu’elle est différente. Karen est de Chicago, d’Uptown plus précisément et en 1968, ce n’est pas forcément le meilleur endroit pour grandir dans l’insouciance ! Karen sait toutefois s’en accommoder et se créer un monde parallèle pour lui permettre de supporter les travers du quotidien. Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est son journal secret, là où le fil de son histoire intime s’inscrit au jour le jour, au gré des événement qui surviennent dans son quartier. Karen est une adolescente, mais Emil Ferris est une femme qui a ses combats ; elle profite ainsi de l’occasion pour en parler et faire de Karen son bras dessiné. Ainsi les sujets d’indignation se succèdent et s'entremêlent les uns aux autres avec comme dénominateur commun le droit aux minorités d’exister et pas seulement de subsister. Mais ce qui subjugue avant tout dans ce graphic novel, c’est le dessin… au stylo et tout aux traits et en fines hachures ! Tour à tour enfantine, naïve, réaliste et sur-réaliste… Emil Ferris fait preuve d’une technicité incroyable et d’une culture artistique indéniable qui lui permettent d’explorer un registre graphique des plus surprenants où la minutie côtoie l’émotion. Alliant une puissance visuelle rare à une qualité d’écriture qui ne peut être le fait d’un simple concours de circonstances, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres constitue une œuvre à part, hors normes, à l’écart de ce qu’il est communément possible de lire en matière de BD. Les récompenses qui pleuvent sur Ferris, outre Atlantique, viennent corroborer cette appréciation. À l’évidence, Les éditions Monsieur Toussaint Louverture, dont le travail est à souligner ici, sont en passe de réussir un joli coup éditorial. 

Véritable OLNI (objet littéraire non identifiable), Moi, ce que j’aime, c’est les monstres consacre peut-être trop rapidement (quoi qu’à cinquante-six ans cela soit très relatif) une auteure qui devra, dans les années à venir, pouvoir exister en dehors d’un tel chef-d’œuvre.

MARSHAL BASS

3. Son nom est personne
 

© Delcourt 2018 Macan & Kordey
Bass est un marshal intègre, mais certainement pas un bon mari et encore moins un bon père. Quoiqu’il essaye ! Mais l’Ouest ne lui pardonne rien. 

Nouvel opus du western atypique produit par le tandem Macan & Kordey. 

Le moins qu’il puisse être dit, c’est que cette série ne fait pas dans le convenu et le héroïquement correct. Exit le shériff hollywoodien sans peur et sans reproche, droit dans ses boots et serein dans son holster. Bass en bave, comme quelqu’un d’ordinaire qui tente de faire au mieux avec toute sa force et ses faiblesses. Autour de lui, Darko Macam sait tisser ses fils narratifs afin de donner une image moins sacralisée du Far-West. Son nom est personne est l’occasion d’un album plus introspectif puisque familial qui permet de découvrir un père à qui rien n’est épargné et qui essaye de se dépêtrer avec la progéniture qu’il a engendrée dans les lits où il est passé ! Alors les aficionados du propre et beau seront certainement désarçonnés, les amateurs d’authenticité peut-être moins. 

Au dessin, Igor Kordey - sans oublier Nikola Vitkovic pour la couleur - réalise un travail qui sait donner à cette dramaturgie domestique ses petitesses et sa grandeur. Les paysages sont rendus avec une sobriété qui convient aux grands espaces américains et sa galerie de portraits, saisissante de réalisme, confère à chaque personnage une réelle épaisseur dans des registres qui souvent ne les grandissent pas.
 
Loin des clichés et sans concession vis-à-vis de la nature humaine, Marshal Bass consacre une vision sans fioriture de l’Ouest américain à l’image des productions de Tabernas où la Brute et le Truand accompagnaient si bien un Bon des plus ambigus !