dimanche 26 février 2017

ECUMES

© Steinkis 2017 : Chabbert & Maurel
Depuis qu’elles l’attendaient cet enfant qui de leur couple allait faire une famille. Mais ce qui, pour la grande majorité, est un indicible enchantement sera pour elles une douleur de laquelle, il faudra s’extraire. 

Écumes d’Ingrid Chabbert et Carole Maurel est de ces albums qui vous interpellent sur ce bonheur qui s’offre à vous et se refuse à d’autres. 

Avec une pudeur et une justesse rares Ingrid Chabbert revient sur un drame apparemment personnel et sur le chemin de sa reconstruction. L’histoire est émouvante dans sa sincérité et belle dans l’amour qu’elle porte, celui de deux femmes qui cherchent à se relever sans s’abandonner au déni ou à la tristesse, mais sans vouloir oublier non plus. Avec un graphisme d’une évidente finesse et d’une précision dans l’émotion Carole Maurel signe des planches d’une expressivité folle. Le plus troublant est la complicité entre le verbe et le trait, ce que l’un ne peut transcrire, l’autre le dessine. 

Nullement dans le démonstratif, Écumes submerge le lecteur par sa retenue, l’intensité d’un regard, le réconfort d’un geste et la puissance de sa mise en couleurs. Un album touchant, superbe de sentiments.

HEART BEAT

© Ankama Éditions 2017 : Llovet
Humiliée, délaissée, Eva traverse son adolescence avec l’envie d’en finir jusqu’à cet instant fatidique où elle décide de goûter aux lèvres ensanglantées de Donatien… 

María Llovet livre un récit inquiétant, à la violence sourde et à la sexualité exacerbée. Derrière la voix off d’un récitatif empreint d’une introspection faussement romantique, la jeune auteure espagnole dépeint un univers scolaire dont les états d’âmes glacent les os. Cependant, à la relecture, ce manga n’est pas si éloigné des contes d’antan, à la différence près que toute la charge psychanalytique traditionnellement sous-jacente est ici traitée sans fard. 

Heart beat s’épanche sur le spleen et les pulsions d’un quintet de lycéens pervertis au-delà de l’imaginable. Servies par des cadrages travaillés et une mise en couleur particulièrement adaptée, les planches - tout en horizontalité – mettent en exergue une esthétique qui transpire un mal-être amoral. 

Cheminement initiatique d’une jeune fille qui se cherche, Heart beat fera le bonheur des adolescent(e)s et de leurs psychiatres.

mardi 14 février 2017

WRAITHBORN


© Glénat 2017 : Chen & Benitez
Que faire lorsque vous êtes une lycéenne craintive et, qu’inopinément, vous vous trouvez dépositaire d’un pouvoir capable de protéger le monde contre des démons prêts à l’envahir ? Cette question peu courante, Mélanie est obligée de se la poser et Wraithborn est son histoire !

Les spécialistes noteront malicieusement que les frasques fantastiques de la timide héroïne datent quelque peu, puisqu’il y a plus d’une dizaine d’années que l’issue#1 est parue chez DC Comics. Cinq livrets plus tard et un petit problème de droits à récupérer, Joe Benitez reprend l’affaire en main, en profite au passage pour dépoussiérer l’ensemble, le réorganiser, ajouter quelques planches, compiler le tout et sortir Wraithborn : Redux (Wraithborn : Renaissance de ce côté-ci de l’Atlantique). Toutefois, que personne ne soit abusé : pour l’instant, pas de suite en stock, ni même prévue. À cet effet, la politique éditoriale de Glénat Comics apparaît pour le moins singulière. Donc à ce jour, Renaissance fait figure d’intégrale !

Ceci étant dit, qu’en est-il de l’album lui-même ? Coté scénario, Marcia Chen et Joe Benitez reprennent des thèmes pour le moins usités et en livrent une variation qui vaut essentiellement par son dessin. Bien que n’ayant pas toute la richesse d’un Lady Mechanika, les amateurs du genre seront satisfaits. Il faut dire que le contraire serait affligeant lorsque l’on sait que le maestro s’est adjoint les services de deux assistants aux encrages, six encreurs dits « additionnels » et trois assistants aux crayonnés… sans parler de la mise en couleurs, elle aussi collégiale. À l’évidence, Joe Benitez délègue beaucoup…

Colorée, dynamique en diable, remplie de jolies créatures et de filles démoniaques (à moins que ce ne soit l’inverse ?) cette petite gourmandise de « fantasy urbaine » constitue une bonne introduction à l’univers graphique de Benitez. Elle aura au moins le mérite de tenir les aficionados en haleine jusqu’à la sortie du prochain Lady Mechanika annoncé pour mars 2017.

METROPOLIS

Tome 4

© Delcourt 2017 : Lehman, & De Caneva
Dernier volet de l’enquête de Gabriel Faune, inspecteur détaché par le Directoire pour faire toute la lumière sur l’attentat de la tour de la Réconciliation et les trois corps découverts dans ses fondations. 

Le premier album de Metropolis avait suscité l’intérêt grâce au graphisme impressionnant de Stéphane de Caneva et au scénario très construit de Serge Lehman. 

Thriller uchronique ou conte urbain, il est difficile de définir exactement cette série. Étrange mégalopole dans laquelle le lecteur reconnaît nombre de figures historiques, mais où il se perd dans les circonvolutions d’un récit empreint d'un indicible sentiment de déjà-vu. Au fil des planches, Gabriel Faune acquiert la conviction que sa folie n'est en fait que le pressentiment de l'existence d'une autre réalité dont il ne parvient toutefois pas à trouver le chemin... Et puis soudain tout dérape. Alors que l’histoire aurait pu s’arrêter là et laisser chacun face à ses spéculations, Serge Lehman opte pour un dénouement des plus discutables d’un point de vue narratif et, par contagion, graphique. 

Curieuse manière de conclure une série qui jusque là frôlait le sans-faute malgré la complexité de son propos et la psychologie tourmentée de ses protagonistes. Restent les encrages de Stéphane de Caneva qui sur 100 milliards d’immortels confirme tout le potentiel que Metropolis a révélé.

mercredi 8 février 2017

UN JOUR SANS JESUS

 
© Vents d'Ouest 2017 : Juncker & Pacheco
Marie-Madeleine est en émoi : le corps du Christ a disparu ! La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et tous s’interrogent : qui a fait le coup ? Quoi qu’il en soit, il faut trouver un coupable au plus vite, car il n'en faut pas davantage pour mettre la Palestine à feu et à sang.

Si le religieux est un thème à haut risque, doit-on pour autant s’interdire de parler d’apôtres et de marchands du Temple ? À l’évidence Nicolas Juncker n’a pas d’état d’âme et grand bien nous fasse !

Privilégiant la dérision à tous les niveaux, l’auteur de La vierge et la putain a décidé de s’attarder sur les raisons qui font qu’un tombeau vide peut perturber certains esprits. Le fait que ce soit celui d’un prophète n’est peut-être pas étranger au capharnaüm que cette disparition déclenche. Entre disciples dubitatifs et un brin demeurés, Zélotes zélés, Romains psychotiques et commerçants en recherche d’un nouveau business plan, tout est sujet à quiproquo et à équivoque. 

S’il y a à la fois du Astier et du Monty Python dans l’humour, mais également du Goscinny dans l’esprit, se pose cependant la question de savoir si - sur six albums - Nicolas Juncker et Chico Pacheco sauront maintenir la densité burlesque à ses sommets. Toutefois, avec une parution des plus resserrées, puisque le dernier volet paraîtra en juin… 2017, personne n’aura à attendre longtemps ! 

Dernière chose, Un jour sans Jésus est à déconseiller aux béni-oui-oui souffrant déjà d’un claquage des zygomatiques. Pour les autres, a priori, aucune contradiction !

samedi 4 février 2017

KAMARADES


© Rue de Sèvres 2017 : Abtey & Goust
L’Histoire est surtout celle de ceux qui l’écrivent. Derrière LA vérité officielle, il est toujours possible de rêver que les choses ne se sont pas tout à fait passées ainsi…

Avec La fin des Romanov et Tuez-les tous, Benoît Abtey et Jean-Baptiste Dusséaux imaginent une autre destinée aux Romanov. Avec Terre promise, ils achèvent ce récit romantique et tragique à l’image de l’âme slave. Hors des ornières de l’Histoire, ce dernier volet du triptyque est l’occasion de grandes envolées dont la sobriété tient pour autant à leur brièveté que dans la manière de les traiter graphiquement. Structuré en séquences d’une à quatre planches, rarement plus, cet ultime album permet de refermer toutes les portes et, dans une mise en abyme, de clôturer cette fiction romanesque à travers une Europe en proie aux soubresauts de la révolution russe.

Kamarades possède la saveur surannée de ces romances dont la grandeur des sentiments finit par triompher des drames les plus sourds. Sur ce registre, le dessin épuré et la mise en lumière de Mayalen Goust sont d’une belle efficacité. Préférant suggérer plutôt que montrer, la simplicité et la fluidité de son trait soulignent sans fioriture inutile l’expressivité d’un visage, la puissance d’une situation, l’ambiance propre aux lieux...

« Tout est permis, même l’invraisemblable, pourvu qu’il soit crédible… » est-il dit quelque part. Il est vrai que lorsque cela est fait avec la manière, il serait mal venu de bouder son plaisir.

SHI

1. Au commencement était la colère
 
© Dargaud 2017 - Zidrou & Homs
Londres, de nos jours : une mine anti-personnel explose dans le jardin d’un fabricant d’armes. 
Londres, exposition universelle de 1851 : Jennifer Winterfield rencontre Kitamakura. A priori, aucun dénominateur commun entre ces deux événements ; pourtant, il existe bel et bien et tient en trois lettres : SHI ! 

S’adonnant sans retenue à l’éclectisme des genres, Zidrou se lance, avec la complicité de Homs, dans la fiction d’aventure et, n’en déplaise à ses détracteurs, c’est encore un succès ! 

Préférant le crédible au véridique, le scénariste belge entraîne cette fois le lecteur dans l’Angleterre victorienne. À une époque où les femmes se voient réduites à jouer les utilités, Au commencement était la colère fait de leur vengeance le fil rouge des quatre albums de ce cycle initial. Dans ce premier volume, en jouant sur les contrastes, Zidrou met - psychologiquement et contextuellement - ses personnages en place. Un Royaume-Uni corseté dans une pudicité de façade, une gent féminine qui l’est tout autant au propre comme au figuré, des gentlemen tout aussi pervers que machiavéliques, l’injustice élevée au rang de vertu cardinale… le portrait qui est fait de la société anglaise n’est pas à son honneur et seules Jennifer Winterfield et son amie japonaise amènent, pour l’instant, une touche de fraîcheur et de spontanéité à ce lugubre tableau. Pour ce qui relève du domaine graphique, Homs s’exprime pleinement, comme si les lieux ou les protagonistes avaient été créés uniquement pour qu’il puisse les dessiner. Son trait relate à merveille la psyché des individus - même les plus extrêmes - et dépeint un Londres tel que chacun se plait à l’imaginer. 

Avec ses ambiances travaillées, sa couleur juste, un rythme et une intensité savamment pensés au travers d’une mise en page et un scénario des plus structurés, Au commencement était la colère se révèle, au fil des planches, comme une indubitable réussite.