lundi 31 mars 2014

A cup of tea for miss Yumiko

Un thé pour Yumiko

© Gallimard 2014 - Obata
"Même si je vis là-bas, mes racines sont ici. Je m’appelle Yumiko et je reviens sur la terre de mes ancêtres. Heureuse en Angleterre, mais nostalgique des cerisiers en fleurs, j’hésite encore à choisir ! 

Mon retour suite au décès de mon père me montre à quel point l’éloignement apporte cette distanciation que les années à vivre loin des siens renforcent. Je le savais à des milliers de kilomètres, mais vivant. Aujourd’hui, il n’est plus et c’est seulement lorsque je me suis penchée sur son cercueil, pour lui annoncer que je me mariais, que sa disparition est devenue une douloureuse réalité. 

Insidieusement, cette épreuve me renvoie à mon passé, à mon présent… à ce que j’étais, ce que j’aurais pu être et à ce que je suis finalement devenue. Plus d’ici, sans être vraiment d’ailleurs, qui suis-je maintenant ? En partant, je voulais faire comme ma mère et fuir le futur que me préparait la tradition. Cela fait près de dix ans que j'ai quitté les miens et, aujourd'hui, je me sens presque comme une étrangère dans le pays qui m’a vue grandir ! 

Sous le pinceau de Fulio Obata, mon histoire trouve une résonance particulière. Tous les deux, nous avons échangé notre archipel pour une île. Curieusement, nous sommes également graphistes et - pour l’instant – notre vie est en Europe. Nous nous retrouvons sur ce récit doux-amer, mélancolique, et dans ces aquarelles où les vides esthétisent l’espace. 

Ceux qui partent prennent le risque de ne plus revenir et d’être oubliés. Certains en font même un album, alliant l’émotion si chère au théâtre Nô et les nuances qui portent le rituel du thé."

lundi 24 mars 2014

L'esprit de la Seine

Le Horla
 
© Rue de Sèvres 2014 - Sorel
En cette belle journée de mai, la Seine coule, nonchalante, dans la douceur du jour. Au gré des boucles, le défilé des bateaux qui tracent leur route vers Paris ou le grand large est un spectacle des plus divertissants. Pourtant, les événements qui se succéderont au cours des semaines suivantes dans ce paisible coin de campagne normande entraîneront un homme vers la folie. 

Après Les Derniers jours de Stefan Zweig, Guillaume Sorel s’attache ici à l’adaptation d’un texte de Guy de Maupassant : Le Horla. S’il en garde la chronologie et l’essence, l’album apporte certaines différences notables comme l’introduction de félins qui font écho aux interrogations du narrateur, ou encore l’impasse sur l’issue finale que ce dernier se réserve. Mais ceci est de peu d’importance et introduit quelques variations qui font la spécificité de ce one-shot. 

La nouvelle emblématique de Maupassant était une réflexion sur l’irrationnel à une époque où le positivisme et la technologie étaient en passe de triompher de tous les obscurantismes. Aujourd’hui, la force du récit est passablement émoussée et les affres que connait son héros – qui n’est pas s’en évoquer les turpitudes de la déraison qui assaillirent le romancier lui-même, dans ses dernières années – n’angoissent guère et prêteraient même à faire sourire les hagiographes de Carrie. Cependant, et bien qu'empreintes d’un classicisme qui butine du côté des Impressionnistes en général et de Toulouse-Lautrec en particulier, les planches délicates et lumineuses de Guillaume Sorel - comme son adaptation des dialogues - retranscrivent superbement les tourments causés par cette présence fantomatique... sans toutefois atteindre l’intensité dramatique de l’œuvre originelle. 

Les inconditionnels de l’auteur cherbourgeois trouveront là une nouvelle raison de l’apprécier ; ceux qui le découvrent goûteront avec délice son trait et sa maîtrise des couleurs. Tous (re)revisiteront - par phylactères interposés - l’un des précurseurs de la littérature fantastique.

lundi 10 mars 2014

Que le spectral commence !

Whaligoë : Tome 2

Quelque part entre Whaligoë et Paris :

© Casterman 2014 - Yann & Augustin
- Chère Muse intemporelle ! Est-ce la dextre hasardeuse d’un cupidon facétieux ou la senestre désinvolte d’un diableteau aux velléités de démiurge, quoiqu’il en soit, ne trouvez-vous pas que ce séjour en ces contrées plus que septentrionales aura redonné consistance à notre idylle moribonde et - incidemment - rendu compte de la sibylline existence d’Ellis Bell ?
- Douglas, je dois reconnaître que la futilité et la désinvolture que vous élevez au rang de l’Art, ont permis de faire la lumière sur un épiphénomène littéraire qui n’intriguait que votre petite personne !
- Je sens poindre l’amertume dans vos propos, ma belle amie. Il est vrai que pour faire jaillir la vérité des fonds tourbeux des Highlands, j’ai dû bousculer certaines convenances. En agissant de la sorte, je ne forçais point ma nature et trouvait là prétexte à menus plaisirs. Ceci étant, je crois me souvenir que vous même n’avez pas été insensible à certains arguments des plus… rustiques !
- Mon ami, vos insinuations licencieuses sont indignes d’un gentleman, et j’ai bien peur que les us des lieux n’aient déteint sur vous ! Je tenais également à vous dire que vos digressions oratoires bien que parfois inspirées prenaient trop de place dans un récit où, certes, le verbe est l’essence, mais pas au point de venir porter ombrage au trait!
- Je vous l’accorde Speranza, mais aurais-je l’outrecuidance de vous faire remarquer que c’est à Yann que vous devez une telle profusion qui, reconnaissez-le, est porteuse de sens !
- Ne rejetez sur autrui votre propension naturelle aux phrases ampoulées, je vous prie ! Personnellement, je garderai dans les limbes de ma mémoire ces landes sauvages où hommes et bêtes ne se distinguent guère en ces nuits de brouillards ainsi que les belles planches de mademoiselle Augustin qui ne sont pas sans rappeler quelques [i]Sortilèges[i].
- Et moi une vestale aussi inspirée que fantomatique, venue hanter les sépultures encore fraiches des défunts de la veille.
- Au risque de conclure peut-être hâtivement, ne serions-nous pas de concert pour reconnaître toute la qualité de ce diptyque ?
- Indubitablement, très chère, indubitablement !
- …

vendredi 7 mars 2014

C'est un joli jour pour mourir !

 
© Delcourt 2014 - Zidrou & Kispredilov
Zidrou est un auteur qui s’adonne à la diversité des genres avec une réussite qui ne doit rien au hasard ! Pour cette nouvelle production, il délaisse Venise ou les Moeurs pour un récit d’anticipation. 

Rosko ne fait pas dans le social mais bien le sociétal… et le thriller efficace. En quatre séquences et à peine vingt planches, le cadre est posé et les protagonistes introduits, le tout sans circonvolutions inutiles. D’un côté, un ange noir qui, sous des dehors d’enfant de cœur, cache une perversité qui se voudrait mariale, de l’autre un ancien taulard qui cherche lui aussi à s’exorciser des démons d’un passé sanglant. Sérial killer vicieux contre policier désabusé, la confrontation n’est pas originale, mais elle prend dans cette ville régie par les médias et l’ultralibéralisme, un relief particulier et dégage une indicible impression de malaise ! Comme si, les excès qui apparaissent en filigrane n’étaient pas aussi virtuels qu’ils le paraissent…Toute société a les criminels qu'elle se crée ! 

Pour l’accompagner, le scénariste belge a – encore - fait appel à un jeune dessinateur, Alexeï Kispredilov. Peu connu du grand public, mais pas des lecteurs de Fluide Glacial, celui qui dit apprécier Reiser, Kamimura ou Blutch fait preuve d’un graphisme percutant. Le trait est sans fioriture, à la limite du crayonné, les cadrages sont simples mais évocateurs et la mise en couleur minimaliste est parfaitement appropriée. 

Per Svenson doit mourir aujourd’hui augure d’une trilogie sans concession, reste à attendre patiemment Les enfants de Marie pour confirmer l’impression.

jeudi 6 mars 2014

Ne vous déplaise... (air connu bis)

La Javanaise : 2. La destructrice

© Glénat 2014 - Cyrus & Annabel
Revenue à Jakarta pour donner un sens à sa vie, Jeanne Louise Mac Leod ne s’attendait pas à connaître pareil destin. Tout juste débarquée sur l’île, la voilà devenue le jouet d’une damnation qui échappe à ceux qui s’en voulurent les maîtres !

La fille de Mata Hari avait offert une ouverture quelque peu confuse où il était difficile de faire le lien entre la célèbre espionne et la série de meurtres décimant la petite colonie batave de Bunduang. La destructrice apporte les réponses attendues et donne, rétrospectivement, toute sa cohérence au premier album et par là même au scénario de François Debois et Cyrus. Entre raison et malédiction, Non, alias Jeanne, continue son voyage à travers son passé familial et Java, à la poursuite des secrets du livre de Centhini et des démons de chacun.

Sur un récit plus dur qu’il ne le laisse transparaître, Annabel – tout comme Roberto Burgazzoli Cabrera - sert une partition au graphisme soigné, mais par trop sage. La jungle aurait presque des allures d’Éden et les physionomies peinent à exprimer leurs profondes turpitudes. L’anathème et les mystères qui le nimbent, restent, à ce stade, des plus virtuels et survolent les planches plus qu’ils ne les imprègnent. 
 
Cependant, n’en déplaise, cette Javanaise, nous l’apprécions !

Expérience au point...mort !

Expérience mort : La barque de Râ

En 2019, Katlyn Fork consacre son immense fortune et monopolise tous les savoir-faire de l’empire industriel qu’elle contrôle pour ramener son fils à la vie… Mais au préalable, elle devra - avec une équipe triée sur le volet - aller explorer les frontières de la mort. Le projet Râ est lancé !

Denis Bajram, Valérie Mangin, Jean-Michel Ponzio ! L’affiche est de prime abord des plus attrayantes et donne à penser que certaines séries du 9e Art bénéficient de plus de facilités que d’autres…

© Ankama Éditions 2014 - Bajram & Ponzio
L’exploration de la thanatosphère fait appel autant à la technologie qu’à la théologie et, sur ce point, les compétences du duo Bajram-Mangin ne sont plus à démontrer, tout comme leur talent d’écriture. Classiquement, leur récit commence par s’attacher - au gré des rencontres avec les différents protagonistes - à la constitution du futur équipage : une scientifique spécialiste des particules subatomiques, un ex-pilote de la Nasa, un ecclésiastique prix Nobel de physique, un ingénieur de renom et une barbouze… Reste la richissime commanditaire et le commando est au complet. Ensuite vient la présentation du pourquoi. Jusqu’ici, rien à dire, si ce n’est que l’ensemble est rapidement amené. C’est une fois que le mystérieux engin imaginé pour l’occasion initie sa remontée du cours du Léthé pour son voyage vers l’au-delà que les choses se compliquent singulièrement. Les explications qu’utilisent les coscénaristes ne sont pas à la hauteur de l’imagination dont ils font preuve sur Universal War, Abymes ou Trois Christs. Dès lors, La barque de Râ perd de sa superbe, notamment par le manque de consistance et d’à propos des dialogues et par des considérations mystico-scientifiques difficiles à suivre. Cette succession de situations - par trop synchronisées sur les séquences des expériences de mort imminente - prendra certainement tout son sens ultérieurement, mais pour l’instant, elle rappelle étrangement l’odyssée des Thanatonautes de Werber & Corbeyran, la technicité en sus.

Sur ce premier tome, la prestation de Jean-Michel Ponzio interroge également. Certes, le style est là. Toutefois le manque de précision de nombreuses vignettes laisse dubitatif...

Si au début, le pitch et les premières planches laissaient à espérer beaucoup, la suite peine à susciter le même intérêt. À espérer que le prochain opus du diptyque saura ressusciter quelques illusions.