lundi 23 novembre 2015

C'est avec des vieux que l'on fait du noeuf...

LES VIEUX FOURNEAUX : 3. Celui qui part

© Dargaud 2015 - Lupano & Cauuet
Quel rapport entre une vieille chouette et une douzaine d’œufs. A priori aucun, sauf peut-être pour Mimile, Antoine et Pierrot ! Comme quoi, même soixante ans après, le passé peut – tel un boomerang - vous revenir en pleine gueule et, alors, les vieux coqs se mettent à jouer les poules mouillées… 

Cette troisième fournée des pérégrinations tragico-comiques de ces septuagénaires - bien décidé à mordre la vie (du moins ce qu’il en reste) à plein dentier – possède la saveur d’une Fleurimeuline du Papé® tiède avec beurre salé et confiture ! 

Après avoir suivi les états d’âme d’Antoine jusqu’en Toscane dans Ceux qui restent puis découvert les jeunes années de Pierrot, voici que Wilfrid Lupano s’intéresse à la jeunesse de Mimile, alias la Biouche… ou la Bûche sans l’accent du bush ! 

Se jouant des histoires personnelles, le scénariste d'Azimut cultive la sienne gentiment et - sans en avoir l’air d’y toucher - aborde des sujets plutôt sérieux tels les délocalisations, l’urbanisation, l’engagement social, les abeilles ou l’occupation… et avec d’humour, assène certaines vérités notamment sur les babies devenus papy-boomers. Ainsi, Celui qui part égratigne-t-il le trio infernal et rappelle que les souvenirs sont généralement glorieux... où alors soigneusement enfouis. Parallèlement, en s’inscrivant dans un registre qui tient autant des Pieds Nickelés que des Tontons flingueurs, le trait empathique et un rien caricatural de Paul Cauuet rend immédiatement sympathique ces nouvelles icônes des maisons de retraite… preuve en est les 270.000 exemplaires déjà vendus ! 

Les Vieux fourneaux - nouvel idéal type en matière de bande-dessinée intergénérationnelle - fait du neuf avec des vieux ! Du grand art, à l’évidence !

On s'attache parfois si vite !

SUNSTONE : 1. Tome 1

© Panini Comics 2015 - Sejic
Lisa est une jeune femme qui s’attache facilement et cherche l’âme sœur à travers les réseaux sociaux. Par mails interposés, elle fait la connaissance d’Ally, pas vraiment maîtresse - elle aussi - de sa vie amoureuse… 

Une couverture tout en « rouge et noir », suffisamment explicite dans sa retenue pour attirer l’œil et se laisser tenter. Dieu que la chair est faible ! 

Sunstone est de ces albums qui n’ont failli ne jamais exister ! En 2011, Stjepan Sejic connaît un passage à vide, de ceux qui vous font douter de vous et de vos capacités. Alors pour passer le temps et penser à autre chose, le voilà qui jette sur la toile quelques vieux fantasmes BDSM ! De fil en (talon) aiguille, ce qui n’était qu’un exercice thérapeutique prend - sur DeviantArt - une toute autre ampleur puisqu’Image comics publiera - Outre-Atlantique - pour les étrennes l’opus n°4 ! Pour l’instant, Panini comics sort – dans la langue de Molière - le premier volet des amours de ce duo saphique adepte des délices dominant/dominé !

Rappelant, pour les plus anciens, les délicieuses Liz et Beth, chères à Jean Sidobre, les aventures de Lisa et Ally permettent une incursion dans un univers qui suscite une incompréhension curieuse puisqu’il faut se faire mal pour se faire du bien. Pour l’occasion, Stjepan Sejic adopte un trait qui emprunte aux codes visuels du manga et, à l’évidence, maîtrise parfaitement Photoshop tant par l’harmonie des formes que par les effets quasi charnels de sa mise en lumière… Cependant, ne vous méprenez pas : si certaines scènes sont plus que dénudées, ce n’est jamais avec vulgarité. Privilégiant l’approche sentimentale d’une rencontre sans pour autant en oublier sa dimension horizontale, l’auteur croate explore les alcôves d’une sensualité qui passe par certaines voies peu connues où les entraves déchaînent le plaisir. Mais aucun voyeurisme malsain, plutôt une empathie bienveillante pour ces deux jeunes femmes et une volonté de raconter une véritable histoire d’amour, délicieusement verbeuse, toujours teintée d’humour et d’une touche d'autodérision. 

Sunstone constitue une belle entrée en matière pour ceux désireux de découvrir les joies d’une première étreinte corsetée et entravée !

mardi 17 novembre 2015

La boucle... est bouclée !

INFINITE LOOP : 2.  La lutte

© Glénat 2015 - Colinet & Charretier
Dans cette société du futur, l’Amour est une déviance et le voyage dans le temps la routine. Alors, lorsque Teddy tombe amoureuse d’une charmante créature venue d'une autre époque, sa vie se complique singulièrement. D’autant plus que la jeune femme est une spécialiste de l’éradication des Anomalies temporelles, ce qu’est sa nouvelle compagne ! Les autorités ayant décidé de réagir, Lady Bug est faite prisonnière dans un centre de stockage secret. Pour la sauver, Teddy est prête à tout, même à briser la sacro-sainte trame spatio-temporelle…

Il y a quelques mois, Elsa Charretier et Pierrick Colinet sortaient le premier opus d’Infinite Loop. L’album avait surpris et conquis autant par son graphisme que par son script qui n’hésitait pas à aborder une problématique pour le moins peu traitée, tant dans les comics que dans la Science-Fiction. La question était de savoir si les deux jeunes auteurs sauraient reproduire la subtile alchimie qui prévalait sur L’éveil ?

Visuellement, Elsa Charretier parvient à donner une matérialité au temps avec lequel joue son héroïne. Décomposition pixélisée des cases, rampe sur laquelle surfe Teddy, portes temporelles et clones … toute une panoplie de métaphores graphiques permet d’appréhender l’écoulement chaotique des secondes. Si le traitement peut de prime abord surprendre, il apparaît - au fil des planches - d’une relative évidence et les codes utilisés par la jeune dessinatrice lui permettent de ne pas égarer le lecteur dans un récit pas forcément des plus linéaires, d’autant plus que Pierrick Colinet superpose, à l’envi, considérations éthiques et scénaristiques. 

Les tenants du bien-pensant qui n’ont pour légitimité que celle du nombre trouveront dans cet album - pour peu qu’ils le lisent - matière à s’offusquer. Ceux pour qui la singularité de la différence ne pose pas de question existentielle se demanderont, peut-être, s’il était-il nécessaire d’en faire autant, au risque d’en faire trop !

dimanche 15 novembre 2015

Let the AI die !

CARMEN Mc CALLUM : 15. Centaure

© Delcourt 2015 - Duval & Emem
Décidément l’égérie hispano-irlandaise de Fred Duval n’arrête pas de nous surprendre. Évoluant dans un monde qui – par certains aspects - devient de moins en moins improbable, elle se porte cette fois-ci à la rescousse d’une IA qui veut mourir !!! 

Le duo Duval/Emem maitrise parfaitement son univers et livre un album sur lequel il n’y a rien à dire… ou presque. Et là est le danger : celui de voir la belle brune s’endormir dans un petit train-train (à la Carmen !)… 

L’équilibre est ténu, mais pour l'instant il tient ! Alors pourquoi bouder son plaisir ?

vendredi 13 novembre 2015

Pajan blues...


© Delcourt 2015 - Hub
La route vers le monastère des Lunes d’Ambre est longue. Noshin peut encore, à loisir, égrainer ses souvenirs…

Il est souvent difficile de saisir le moment opportun pour terminer une série, de prendre conscience que tout a été dit et que continuer reviendrait à inévitablement se répéter. L’Eau, la Terre, l’Air puis le Feu et maintenant le Vide. La dernière page se tourne. Okko va pouvoir goûter à la quiétude de journées sans duel, loin du crissement de l'acier de son katana et des cris d'agonie de ses adversaires.

Alors que dire à l’aune d’un final attendu autant que redouté ? Beaucoup trop de choses en vérité ! Depuis 2005, les amateurs de ce road-movie aux senteurs d’Extrême-Orient ont pu apprécier le talent de Hub comme dessinateur et ses différents albums ont permis de découvrir un scénariste qui savait où il voulait aller. Point d’orgue de cette saga, ce diptyque de clôture - subtil mélange de raffinement et de violence - laisse apparaitre un samouraï pas forcément des plus chevaleresques et met au jour un jeune homme qui a affiné son art dans l’espoir d’une reconnaissance qui se refusera à jamais à lui. À défaut de famille, le rônin s’est créé un clan et, faute d’exorciser ses propres démons, il chasse désormais ceux des autres. Finalement, Okko San donne à entrevoir une personnalité plus qu’équivoque car, même s’il est des blessures infligées qui ne se referment jamais, elles ne peuvent tout pardonner…

Hub savait que la fuite de son héros se devait de trouver une conclusion à sa mesure. C’est aujourd’hui chose faite ! Reste que l’empire du Pajan perd là l’une de ses plus fameuses lames…

dimanche 8 novembre 2015

Bien seule sur Mars...


© Dupuis 2015 - Leloup
Il est des héroïnes qui vieillissent mieux que d’autres. Malheureusement, il faut convenir que Roger Leloup n’a pas su faire évoluer Yoko Tsuno avec son temps, l’enfermant dans une vision idéalisée qui, pour peu, en deviendrait presque anachronique. 

Lu avec le souvenir d’albums meilleurs et l’indulgence qu’il sied d’avoir envers un auteur qui par le passé a su être un précurseur, ce 27ème opus de la plus française des représentantes de l’empire du Soleil levant marque définitivement le pas. Les physionomies sont de plus en plus approximatives, la mise en page peu adaptée au format et le scénario pas forcément des plus limpides. 

Reste que Yoko Tsuno conserve cette aura pour ceux qui la découvrirent dans les années soixante-dix. Pour les autres, la magie risque de ne pas opérer.

jeudi 5 novembre 2015

Je rêve d'un duel au soleil.... (air connu)

SYKES
 
© Le Lombard 2015 - Dubois & Armand
Dans un Ouest qui n’a rien d’idyllique, Sentence Sykes est une légende vivante, du moins pour l’instant ! 

Décidément, le western revient à la vitesse d’un cheval au galop et les albums du genre fusent comme les balles à O.K. Corral ! Avec Sykes, retour aux fondamentaux : le héros, dur et désabusé, porte sa condition comme une croix, les paysages sont immenses et sauvages et la loi du plus fort est toujours la meilleure… Toutefois, il n’y a aucun mal à voir les vieilles recettes remises au goût du jour, surtout lorsque c’est avec talent : ici, chaque planche exalte, tour-à-tour et au choix, les vêtements imbibés de crasse, le whisky frelaté, le lard et les haricots mal cuits, l’âcreté de la poudre, le sang tiède ou l'odeur du cuir imprégnée de la sueur des chevaux hors d'haleine. Le tout se lit d’une traite, en moins de temps qu’il en aurait fallu à un cavalier du Pony Express pour changer de monture ! Si le scénario de Pierre Dubois est solide, convaincant et habillement travaillé, aux pinceaux, Dimitri Armand n’est pas en reste et livre une partition aux encrages soignés. Il sait aussi, sur les dernières planches un peu moins verbeuses, donner toute l’intensité et la densité attendues. 

Marshall par hasard plus que par passion, Sykes fait figure de dernier des Mohicans. Une fois qu’il aura trouvé son maître, une page de l’Ouest américain se tournera avec lui !

mercredi 4 novembre 2015

WikiLeakus

ASTERIX ET OBELIX : 36. Le papyrus de César

© Les Éditions Albert René : 2015 Ferri & Conrad
Pour ses mémoires, Jules César met au point sa stratégie éditoriale et prend, au passage, quelques libertés avec la vérité historique. Mais c’était sans compter sur un Numide muet qui, à défaut de faire entendre sa voix, décida de la montrer (la voie) ! 

Attendu comme l’agneau un week-end de Pâques, ce trente-sixième album d’Astérix et Obélix aura le mérite - comme le précédent d’ailleurs - de faire beaucoup parler de lui et n’est-ce pas là l’essentiel ? Alors, meilleur ou pire qu’Astérix chez les Pictes

Il faudrait être d’une singulière mauvaise foi pour ne pas reconnaître le travail de Didier Conrad et la réelle qualité de son dessin. Les personnages sont bien en main, les décors en place et particulièrement détaillés et ce jusqu’aux brins d’herbe ! Pour peu qu’il lui soit laissé encore un peu de temps (et qu’il décide de le prendre !), il n’y aura bientôt plus rien à dire sur le sujet. Car là se situe le défi de cette nouvelle équipe qui doit - en deux albums : réaliser ce que leurs augustes prédécesseurs ont mis plusieurs années à bâtir. Par Thénon, laissons aux élèves le temps d’assimiler l’art des maîtres et acceptons – surtout - qu’ils puissent y mettre un peu du leur ! Il en va ainsi d’un scénario qui, s’il ne s’avère pas des plus transcendants, possède cependant le mérite d’assurer le service honorablement. Là encore, acceptons que Jean-Yves Ferri fasse du Ferri et ne lui imposons pas plus que nécessaire de s’astreindre aux figures goscinniennes. 

Alors effectivement, tout n’est pas parfait dans ce Papyrus de César, mais l’important n’est-il pas - comme avec les vieux amis - de pouvoir les retrouver de temps en temps afin de passer un bon moment ? Et ce, même s’ils ne sont plus comme nous souhaiterions qu’ils demeurent !

Mat ou pat ?


© Sarbacane 2015 - Humeau
Deux hommes se défient autour d’un échiquier. Une partie aux allures de métaphore, comme si l’existence de tout un chacun pouvait se résumer à soixante-quatre petites cases noires ou blanches. 

Si Le joueur d’échecs se veut une adaptation libre de la nouvelle de Stefan Zweig, il convient de noter que les libertés prises avec l’œuvre originelle relèvent plus de l’adaptation que de la transgression. La seule entorse au récit prend la forme d’une jeune femme, Emma, fil rouge du récit. Elle confère à l’ensemble une note de légèreté et d’insouciance qui allège singulièrement une histoire quelque peu névrotique dans la mesure où Thomas Humeau arrive à transposer par son dessin ce que Zweig dépeignait avec ses mots : les affres de l’angoisse, l’abîme de la folie, la vacuité de l’apatridie, la torture morale que représente l’existence du nazisme. 

Huis clos échiquéen fort improbable au graphique surréaliste et aux couleurs faussement naïves, Le joueur d'échecs stigmatise l’ambiguïté d’un monde où se confrontent l’exaltation à créer et la froideur méthodique à éliminer.

lundi 2 novembre 2015

Epitre 1 au Techno Pape

META-BARONS : 1. Wilhelm-100, le techno-amiral
 
© Les Humanoïdes Associés 2015 - Frissen & Sécher
L’Incal, La caste des Méta-Barons ; Moebius, Gimenez ! La lignée des condottieres galactiques est fameuse ; autant par ceux qui l’illustrèrent… que celui qui en écrivit l’histoire.

Voici qu’aujourd’hui, Sans-Nom ressurgit du passé pour repartir en conquête. Pour cette résurrection, Jodorowski a cédé la place à Jerry Frissen et Valentin Sécher se frotte à l’un des monstres sacrés de la BD de science-fiction. 

Sans qu’il soit nécessaire d’acquérir l’intégralité de la saga guerrière - cette nouvelle série peut se lire indépendamment des précédentes -, un public néophyte peut désormais s’intéresser à ce héros sans avoir à se ruiner… quoique ! En effet, ce nouveau cycle est prévu en quatre diptyques sur lesquels interviendront autant de dessinateurs différents.

Pour ce premier album, l’action est à l’honneur et les amateurs coutumiers des excès du scénariste argentin trouveront en Jerry Frissen un digne successeur. Bien évidemment, il faut aimer les dialogues truffés de paléo-préfixes ou de techno-affixes ; apprécier l’outrancier et le sanguinaire comme fil rouge d’un récit aussi. Mais cet opus introductif vaut surtout par le dessin hyperréaliste de Valentin Sécher qui, même s’il peine parfois dans la constance des physionomies, assure visuellement le spectacle.

Le Guerrier ultime est de retour. Qui saura mettre un terme définitif à son règne ?

Timber !!!

TREES : 1. En pleine ombre 

© Urban Comics 2015 - Ellis & Howard
Cela fait dix ans qu’ils sont là, arrivés du néant du firmament. Depuis ? Rien ! 

La question du premier contact avec une entité extraterrestre est la base de nombreuses œuvres de science-fiction, mais bien peu d’auteurs ont imaginé qu’à cette occasion... rien ne se passe... du moins dans l’immédiat. Warren Ellis prend ce parti comme Sébastien Latour sur Spyder. Au travers d’un récit chorale, il s’attache à décrire la manière dont chacun entend tirer parti de ces artefacts qui tel le monolithe de 2001 : Odyssée de l’espace semblent ne tenir aucun compte de l’espèce humaine ! Ainsi, si personne ne sait pourquoi ils sont là, chacun essaie, à sa façon, de se les approprier à dessein. L’auteur de Transmetropolitan utilise alors chaque personnage pour développer, sans fioritures, les possibles retombées sociales, économiques, scientifiques et politiques d’une telle rencontre. Pour rendre l'ambiguïté des situations et des personnages, Jason Howard propose un dessin, où le trait - omniprésent jusque dans les ombrages – confère densité et mouvements à des planches à l’efficacité indéniable.

Imaginant une Humanité qui s’habitue à la présence de ces "arbres" sans pour autant en percevoir les dangers, En pleine ombre est de ces comics où le scénario prime autant que le graphisme et qui abordent des sujets denses sans pour autant prendre la tête : un vrai bonheur !