jeudi 30 octobre 2014

Le cimetière des Sentinelles

Les sentinelles : Avril 1915, les Dardanelles

© Delcourt 2014 - Dorison & Breccia
Avril 1915, les troupes alliées s’apprêtent à débarquer sur la plage de Sari Tépé pour une offensive qui devrait balayer l’armée turque et mettre fin à la guerre ! Mais l’Histoire en a décidé autrement.

Si le super-héros est une figure incontournable de la bande dessinée, le mythe n’est plus le monolithe d’antan. Depuis quelques années, entre "le brave malgré lui" et les productions américaines de Marvel & Co, fleurit une nouvelle race de demi-dieux, dont Les sentinelles de Xavier Dorison seraient presque l’archétype. Ce terme est un bien grand mot et doit s’entendre dans son acceptation sociale, puisque ni Féraud, Clermont, et encore moins Djibouti, ne sont des types idéaux, et c'est ce qui fait leur particularité. À l’inverse de nombre de leurs confrères conçus outre-Atlantique, les surhommes français pensent et… doutent. 

Les sentinelles permet d’appréhender le statut de sauveur de l'Humanité d’une manière pour le moins inhabituelle. Ainsi le lieutenant Féraud, précurseur en garance de Robocop, a des états d’âmes, des problèmes avec la hiérarchie, l’alcool et les femmes. Sans parler quelques troubles dépressifs qui feraient le bonheur de plus d’un psychanalyste. Pour couronner le tout, il doit battre en retraite devant un nouvel ennemi et se contenter de gérer la débâcle alliée de janvier 1916. En fait, Féraud a tout de l’anti-super-héro ! 

Cette approche pour le moins déstabilisante pour les amateurs de manichéisme bleu et rouge se trouve renforcée par le trait d’Enrique Breccia. Le dessinateur argentin continue à faire vaciller les certitudes en développant un graphisme anguleux, à la limite du torturé, voire du caricatural. Ses personnages à la fois tendres, pathétiques, burlesques, ou dérisoires remettent l’individu au centre d’une tragédie qui a pour arrière-plan une guerre où les désirs de désertion l’emportent sur les rêves de victoire.

Loin des comics made in USA, Les sentinelles propose une autre façon de voir le super-héros, plus introspective, plus intellectualisée, sans pour autant en oublier le côté spectaculaire, inhérent à la condition de sauveurs de la veuve et de l’orphelin.

lundi 27 octobre 2014

Deux et deux quatre, quatre et quatre huit…

Prévert, inventeur : 1. Tome 1

© Dupuis 2014 - Bourhis & Cailleaux
Constantinople, 1921. Un jeune militaire trompe son ennui dans le raki. Il a vingt et un ans et se prénomme Jacques. Jacques Prévert ! 

Après Piscine Molitor, le duo Cailleaux/Bourhis s'attaque à un autre monstre sacré de Saint Germain des Près. Entre 1920 et 1950, cette trilogie s'attache aux trente premières années de création d’un fossoyeur des idées reçues, de l'inventeur du cadavre exquis.

S'il n'était qu'un mot, qu'une impression à retenir de cet opus introductif, à l'évidence, ce serait, "Liberté". Liberté de ton, liberté de paroles, liberté de ne pas répondre aux convocations de Breton, liberté de choisir ses affinités littéraires, de se lever comme de se coucher tard et, surtout, Liberté de se jouer des conventions. Pour faire écho à cette indépendance, l'album casse la case, s'invente une pagination intuitive, suit un fil narratif vagabond… Tout respire l'insouciance, la légèreté à l'image d'une époque qui voulait peut-être rattraper le temps et oublier. 

Cette biographie, visiblement très documentée, prend le parti de donner à connaître l'homme plus qu'à comprendre le poète. Là est peut-être sa limite, car s'il est intéressant de se pencher sur les us et coutumes de la fantasque troupe du "54, rue du Château", il est difficile - pour qui ne connaît rien aux mouvements qui agitèrent le Landernau littéraire du début du siècle dernier - de saisir la portée du Surréalisme, ou des courants artistiques qui marquèrent ces folles années. Si le scénario resitue habilement Prévert dans l'effervescence de l’intellectualisme parisien des années 20, il le fait sans pour autant en livrer les clefs qui donneraient à appréhender les chemins qui l'amenèrent à transformer de ternes termes en une cascade de turbulentes sonorités ou en un flot d'iconoclastes idées ! 

Ceux qui souffrirent mille et un maux sur les mots d’une liste sans queue ni tête trouveront sûrement ici matière à atténuer les petites rancœurs de zéros pointés ou de retenues passées sur une studieuse page d'écriture. "Deux et deux quatre, quatre et quatre huit…".

dimanche 26 octobre 2014

Faut-il aimer une femme fatale ?

 
© Dupuis 2014 - Headline, Doug & Cabanes
Aimée est une femme fatale, pas de celles qui vous séduisent et vous dépouillent, mais de celles qui vous séduisent et vous tuent. Tout simplement ! 

Max Cabane et Doug Headline adaptent le roman éponyme de Jean-Patrick Manchette paru en 1977 chez Gallimard. À la limite du polar et de l’analyse sociale, l’adaptation faite ici est des plus fidèles puisqu’elle en reprend de nombreux passages sous forme de récitatif. Le trait s’avère parfait pour ce genre d’exercice. Réaliste, il n’hésite pas à se fondre dans une mise en couleur aux teintes passées et à distordre les physionomies pour mettre à jour leur complexifié intérieure. 

Fatale vaut par sa puissance psychologique et l’atmosphère délétère de cette ville pareille à tant d’autres. Ceux qui aiment s’imprégner des situations avant que de passer à l’action trouveront là un album qui les comblera.

À mort Sergueï Alexandrovitch !

Mort au Tsar : 1. Le gouverneur
 
© Dargaud 2014 - Nury & Robin
Il se sait pas où. Il ne sait pas quand. Pourtant, les jours de Sergueï Alexandrovitch, gouverneur de Moscou, sont désormais comptés. 

Fabien Nury et Thierry Robin avaient déjà démontré dans le superbe La mort de Staline leur capacité à extraire de l’Histoire contemporaine une fiction plus vraie que nature. Avec La mort du Tsar, ils rééditent l’expérience, mais au temps de la Grande Russie : celle de Nicolas II. Prenant pour cadre les dernières années du régime tsariste et en se basant sur des faits réels, le duo réécrit sa propre version des faits dans un diptyque qui verra se confronter, successivement, la vision de la victime puis celle de son meurtrier. Si le dessin de Thierry Robin n’est pas des plus réalistes, paradoxalement son trait donne une consistance palpable à ses protagonistes. Il existe une telle adéquation entre la physionomie, la psychologie des prsonanges et leur rôle dans cette dramaturgie, que tout cela en deviendrait presque réel. À cette situation, le scénario de Fabien Nury n’est certainement pas étranger ! Il faut reconnaître que tout est penser, calibrer avec une efficacité et une culture rares qui n’ont pour seule finalité que la crédibilité de l’histoire. 

Fiction aux allures de roman historique. La Mort du Tsar est l’une des réussites de la rentrée…

Mère amère...

Amères Russie : 1. Les amazones de Bassaïev 

© Bamboo 2014 - Ducoudray & Anlor
Imaginez un petit bout de femme, bravant le froid et la guerre, parcourant plus de 1000 kilomètres pour aller chercher son fils dans les geôles tchétchènes. Telle est l’épopée folle d’Amère Russie. 

Ce diptyque est l’occasion pour Aurélien Ducoudray de revenir sur ce conflit oublié où l’expansionnisme soviétique joue la confusion des genres. Mais ici nul héros, seulement une population prise entre deux feux qui soufre et peine quotidiennement pour trouver de quoi se chauffer ou manger. Les amazones de Bassaïev permet de prendre conscience, parfois avec humour, des dégâts et de l’absurdité d’une guerre civile qui renvoie, actualité oblige, à la crise Ukrainienne et à sa cohorte d’interrogations et d’incompréhension. 

Un petit mot enfin sur Anlor et son trait qui bien que manquant quelque peu de gravité dans les passages les plus durs fait preuve d’une jolie maturité et d’une réelle maîtrise de la composition qui apporte beaucoup de densité émotionnelle à l’album. 

Amère Russie confirme deux talents, qui s’en plaindrait.

samedi 25 octobre 2014

Bientôt un grand vide...

Okko : 9. Le Cycle du vide - I 

© Delcourt 2014 - Hub
Il est un temps pour devenir, un temps pour être et un temps pour disparaître. Las de fuir et plus certain de manier le katana avec toujours autant d’assurance, Okko songe à se retirer au monastère des Lunes d’ambre. 

Ce cinquième et dernier cycle d’une errance qui commença par l’eau, puis la terre, l’air et le feu permet de mieux connaître ce rônin découvert en janvier 2005. 

Pour l’occasion Hub, nous gratifie d’un album qui condense tout son savoir faire. Le dessin est superbe de créativité et de précision dans un Japon médiéval - l’action se situe en 1073 - plus vrai que nature. Mais au-delà de l’esthétisme des paysages et des protagonistes, c’est la complexité du scénario qui impressionne. Les soixante-deux planches sont l’occasion de revenir sur le passé du samouraï et de découvrir qui il était et comment il rencontra ceux qui aujourd’hui l’accompagne. Loin de tomber dans la simplicité, Hub sait complexifier la psychologie de ses personnages et donner épaisseur et consistance à son récit ; ainsi, ce neuvième opus se lit d’une traite. 

Peu à peu la boucle se referme, tout sera dit et Okko pourra aller rejoindre les fantômes qu’il a finalement chassés toute sa vie.

vendredi 24 octobre 2014

This is the end, my friend... (air connu)

L'Or et le Sang : Khalil

« - C’est nul, elle finit mal ton histoire !»
« - T’en connais qui finissent bien toi ? Moi pas, et puis tu sais pas tout…. ».

© Glénat 2014 - Nury & Merwan
Il y a un peu plus de cinq ans paraissait L’appel du large, premier volet d’un récit qui allait entraîner un petit truand corse et un aristocrate désabusé dans une aventure hors du commun, de celles qui vous font entrer dans la légende. 

Né il y a une vingtaine d’années au cours d’un voyage au Maroc de Fabien Nury et de Maurin Defrance et puisant son synopsis dans un roman jamais publié de ce dernier, L’or et le sang traite d'une guerre oubliée de tous. Prenant pour décors les montagnes marocaines et l’éphémère République confédérale des tribus du Rif, les coscénaristes offrent à leurs héros un cadre historique où chacun pourra, selon ses aspirations, donner un sens à sa vie.  

Amitié, Aventure, Amour. Telle est la trinité fondatrice de cette série qui donne à croire qu’il est encore possible de trouver d’indéfectibles amis dans l’adversité, de vivre ses envies de conquête ou de se perdre dans les yeux d’une femme. Khalil renoue somptueusement avec le grand frisson, celui qui souffle sur les dunes de Lawrence d'Arabie de David Lean ou, dans une moindre mesure, sur les paysages du Kafiristan de L'homme qui voulut être roi de John Huston, même si Calixte de Prampéand tient plus de Peter O'Toole que de Sean Connery ! Toutefois, les références cinématographiques ne sont pas les seules à venir à l’esprit. En feuilletant ces planches et comme l’évoquait récemment Fabien Nury, Kessel, Monfreid, Conrad… ne sont pas loin ; témoins d’une époque révolue où les rêves pouvaient encore prendre forme en ces terres africaines. 

Écrite, dessinée et colorisée à quatre mains, L’or et le sang est une œuvre collégiale à laquelle Fabien Bedouel et Merwan confèrent une matérialité sur laquelle Alice Bohl et Sandrine Bonini déclinent leur palette de couleurs. Le graphisme, tout en sobriété et surprenant de réalisme, acquiert une expressivité toute particulière au travers des regards de chaque protagoniste. Rien n’est surjoué, tout est juste, tant dans la grandeur des sentiments que dans l’exaltation des combats. 

Comme pour toutes les causes perdues, l’issue demeure inéluctable et les vainqueurs, malgré une magnanimité de façade, n’épargneront pas les vaincus. Ainsi se clôt une belle histoire qui, à l’évidence, pourrait faire un excellent film…

dimanche 19 octobre 2014

Le printemps d’une jeune fille trop tôt décédée...

Alisik : 3. Printemps

© Le Lombard 2014 - Rufledt & Vogt
La lutte entre les bulldozers de Conradi & Conradi et les derniers locataires du petit cimetière est par trop inégale. Il serait plus sage pour eux de regagner au plus tôt l’Au-delà…

À sa manière, Alisik renoue avec les contes de jadis en abordant gentiment des sujets graves et intemporels. Toutefois, il ne s’agit pas là d’une série à laisser entre les mains des tout petits qui se trouveraient un tant soit peu désorientés par la structuration d’un récit pas vraiment fait pour eux. Printemps, comme ses prédécesseurs, s’adresse à un public beaucoup plus âgé qui n’aurait toutefois pas totalement oublié sa naïveté d’antan et qui souhaiterait la faire partager. Sur plusieurs soirées, tout en suivant le fil rouge du Livre des 3 fois 77 règles des morts, Alisik pourrait facilement se décliner - au gré des chapitres - en prenant soin de détailler et de commenter les jolies planches d’Helge Vogt, source d’émerveillement et de nombreux « Dis, pourquoi …? ».

Toutefois les plus grands noteront que si le troisième volet de la tétralogie d’une jeune fille trop tôt décédée permet d’en savoir un peu plus sur son trépas prématuré et son étrange relation avec Ruben, il marque quelque peu le pas. Hubertus Rufledt peine à donner une réelle ampleur à son récit. Curieusement, il se passe beaucoup de choses mais l’ensemble manque de rythme et peut-être de sens !

(Il était) une fois n’est pas coutume, le cycle des saisons s’achèvera avec l’Été et il est bien difficile de savoir ce que les beaux jours apporteront à la douce Alisik…

mercredi 15 octobre 2014

Drôle de Louzeau

La mondaine : Tome 2

© Dargaud 2014 - Zidrou & Lafebre
Un bombardement, un abri, une nuit d’avril quarante-quatre trop douce pour se terrer. Un peu, beaucoup de champagne, et les souvenirs qui reviennent : la Mondaine, les putes, les Allemands…

Clown mélancolique qui traverse la guerre sans vraiment trouver sa place, Aimé Louzeau délaisse ses rêves d’enfant pour essayer d’assumer ses contradictions. Et Dieu sait qu’elles peuvent être nombreuses pour un flic en mille neuf cent quarante-deux, surtout lorsqu’il se laisse aller à certaines facilités. 

La Mondaine aborde nombre de sujets aussi différents que difficiles à traiter, tels que les illusions déçues, le poids de la religion, la folie, la manipulation des perversions de chacun ou bien encore le rôle de la Police durant l’Occupation, mais sans vraiment aller au fond des choses. Volonté délibérée ? Contrainte du format ? Quoi qu’il en soit, une fois la lecture de ce dernier volet terminée, il est délicat de définir la teneur du message, si message il y a ! Sur ce scénario, un rien confus, Jordi Lafebre franchit indéniablement un cap. Son graphisme acquiert ici la maturité nécessaire à ce second album plus triste, plus grave. Toutefois, subsistent les réminiscences d’une indicible candeur qui apparaît un tantinet anachronique par rapport à la période et les thèmes abordés, mais qui, paradoxalement, participe au charme de l’album.

La Mondaine est un diptyque un rien déconcertant. N’en reste pas moins quelques moments savoureux ou poignants où la maîtrise de Zidrou fait son œuvre. Ce qui ne suffit cependant pas à donner une réelle cohérence, un sens, à l’ensemble.

Mer amer...

Nicolas et la mer : 1. Le secret
 
© Cerises & Coquelicots 2014 - Bonaccorso & Di Pietro
Un petit port de pêche que l’on devine italien, des marins qui reviennent de campagne les cales pleines. Tous pourraient savourer la joie du retour, si le Kraken tapis dans les abysses comme dans l’esprit de chacun, n’obligeait les hommes à reprendre la mer…

Avec Nicolas et la mer, paru chez Cerises & Coquelicots, Eleonora Di Pietro (scénario) et Emiliano Bonaccorso (illustration) font leurs armes dans le monde du neuvième art.

Ce premier volet, de ce qui devrait-être un diptyque, s’adresse à un jeune public. Les plus grands auront certainement un regard critique sur un dessin un rien statique et une mise en planche sans fantaisie, mais l’important n’est pas là, puisque ce n’est pas à eux qu’elles s’adressent ! Les plus jeunes se projetteront sans effort en Nicolas (alias Nico), Tommaso ou Annetta, apprécieront sans aucune difficulté un trait semi figuratif et l’aventure que vont vivre ces héros en herbe. Alors inutile de digresser sur une colorisation par trop informatisée (Emiliano est graphiste 3D), sur un récit un rien linéaire, mais qui parlera aux 8-12 ans, ou à propos d’une allégorie à la mer qui n’intéressera que ceux qui cherchent un sens caché à toute chose. 
 
 Le secret constitue une jolie manière d’entrée en BD… et puis, qui n’a jamais rêvé de jouer les passagers clandestins pour défier les éléments et affronter un monstre ?

Héléna et le garçon...

Héléna : tome 1

© Bamboo 2014 -  Jim & Chabane
Peut-on réécrire une histoire d’amour alors qu’elle n’a jamais vraiment existé ? C’est ce que voudrait croire Simon ! 

Jim est un auteur éclectique qui manie avec dextérité le stylo comme le crayon ou la caméra. Il sait donc user à bon escient de ces trois arts pour produire une œuvre parfaitement calibrée qui n’est pas sans présenter une certaine analogie avec celle d’un écrivain français : il y a du Marc Levy en Thierry Terrasson, ou inversement. Les deux auteurs savent raconter de jolies histoires d’amour avec un rien de romantisme et suffisamment d’introspection de la part de leurs héros pour interpeller le lecteur dans son propre vécu. La recette est imparable et plait autant qu’elle peut insupporter. 

Ainsi selon l’humeur, Héléna offre une double lecture. D’un coté, un trentenaire qui n’hésite pas à faire des choix sur lesquels d’autres auraient procrastinés à l’envi ; de l’autre un homme qui n’arrive pas à assumer un amour d’adolescence à sens unique. Cette ambiguïté se retrouve dans sa relation avec Héléna. D’aucuns y verront le caprice d’un nouveau riche qui s'offre ce qu’il n’est pas capable de conquérir, d’autres le pouvoir rédempteur de l’amour apprivoisé. Loser patenté ou éternel amoureux transi ? La question, si question il y a, reste posée. 

Ceci dit, il faut également évoquer le volet graphique de cette incursion niçoise qui présente une étrange parenté avec sa prédécessrice romaine. La raison en est certainement à rechercher dans la mise en couleur de Delphine, qui œuvra sur les pérégrinations italiennes de Raphaël, et la similitude du trait de Lounis Chabane et de Jim. C’est là le reproche qui peut être fait à Héléna , celui d’être trop proche d’Une nuit à Rome et de ne pas avoir coupé le cordon, ne serait-ce que graphiquement. Il n’en demeure pas moins que l’album se lit et s’apprécie sans problème, notamment pour ceux qui ignoreraient tout des déboires sentimentaux de Marie ! 

Jim capitalise sur les états d’âmes de ses contemporains. Mais à trop cultiver le thème, même en de nombreuses variations, n’existe-t-il pas un risque de se répéter et de finir par tourner en rond ?

dimanche 12 octobre 2014

La dernière de Croisade ?

Croisade : 8.Le dernier souffle

© Le Lombard 2014 - Dufaux & Xavier
Les sables du Simon Dja se sont perdus à jamais dans l’immensité du désert, mais Hiérus Halem sera encore et toujours le théâtre des affrontements entre le Croissant et la Croix. Laissant derrière lui les clameurs de combats qui ne sont plus les siens, Gauthier de Flandres poursuit désormais un autre chemin…

La chronique d'un album conclusif est souvent un exercice délicat car il invite immanquablement à revenir sur ses prédécesseurs au risque de se répéter. Alors plutôt qu’un bilan, s’il n’y avait qu’une chose à retenir de cette série, qu’elle pourrait-elle être ?

À l’évidence, celle d’une vraie rencontre entre un scénariste prolifique et un dessinateur talentueux. Avec Croisade, Orient et Occident, magie et religion, haine et amour, raison et déraison, beauté et laideur, vice et vertu s’entrelacent en de nombrables arabesques, s’affrontent en de multiples variations. Au pays des Mille et une nuits où les choses ne sont souvent qu’illusions, l’imagination débordante de Jean Dufaux trouve (enfin) des étendues et une matière à sa mesure. Parallèlement, en homme avisé, il sait qu’il lui faut trouver pour son scénario des compagnons capables de lui donner consistance et crédibilité. Avec Philippe Xavier et Jean-Jacques Chagnaud s’établit rapidement une véritable synergie, pour ne pas dire osmose, et ces derniers transcrivent avec finesse et nuances les émotions à travers un dessin superbe autant qu’irréprochable et une mise en couleurs à l’unisson. Ainsi au-delà de la matérialité du trait et de l’esthétique des lieux comme des personnages, la multiplicité et la duplicité des sentiments transparaissent, donnant au cours de ces sept dernières années, profondeur et densité à nombre de planches.

Le dernier souffle, met un terme au cycle Nomade et clôt Croisade. En espérant qu’après Tango et Hiver 1709, les djinns sauront rappeler à Philippe Xavier (ainsi qu’à Jean Dufaux) que Gauthier de Flandres cherche toujours un sens à sa vie…

jeudi 2 octobre 2014

Vous avez demandé Metropolis... ne quittez pas !

Metropolis : Tome 2

L'attentat du Réconciliation et la macabre découverte faite dans ses sous-sols rappellent aux autorités locales que l’avenir de Metropolis n’est pas aussi radieux qu’elles le souhaiteraient. Afin de couper court à tout débordement, l'inspecteur Lohmann et Gabriel Fauve, le citoyen n°1 de la ville, sont chargés de résoudre promptement et en toute discrétion ces deux affaires. Des tréfonds des ruelles, une rumeur monte et présage d’un futur tourmenté. 

Au début de l’année, le premier volet de cette tétralogie avait marqué les esprits, tant par l’inventivité de son scénario que par la qualité de son graphisme. Qu’en est-il de ce second opus ? 

© Delcourt 2014 - Lehman & De Caneva
Le choc de la couverture passé, le lecteur (re)trouve un univers graphique déjà familier. Les codes sont désormais en place et la palette de couleurs de Dimitris Martinos continue d'instaurer une ambiance à la fois pesante et un rien surannée - nous sommes en 1935 -, mais aussi de donner corps à la menace sourde qui pèse sur la cité. Seule note de couleur dans cet univers oppressant : Louise, souvent de rouge vêtue. 

Après avoir tracé le cadre historique et posé les bases de la double intrigue policière dans le premier album, Serge Lehman développe son récit sur un registre plus intimiste où l’enquête et les hommes prennent le pas sur la mégalopole et son architecture. Si l’uchronie implique de reprendre certaines figures connues, celles-ci connaissent d’autres destins. Ainsi, un certain Hitler est peintre et le dénommé Einstein devient le père de la conquête spatiale européenne. Serge Lehman réécrit l’Histoire, mais il s’en inspire fortement et reste imprégné par ce qui marqua le début de XXe siècle, notamment l’Art nouveau. À l’image de ce dernier, qui su aborder tous les genres artistiques, son scénario fait appel à de nombreuses disciplines. Il en est ainsi de la peinture, avec de superbes planches de Stéphane De Caneva inspirées de quelques-unes des plus célèbres œuvres de Gustav Klimt, telles Le baiser ou la sublime Danaé, du cinéma, avec Athéna, réplique de l’androïde de Maria immortalisé par Fritz Lang, ou de la bande dessinée avec une pleine page dont la filiation à Objectif lune est évidente. 

Bénéficiant d’une réflexion uchronique aboutie et s’appuyant sur un trait et une colorisation maîtrisant parfaitement les formes et leurs rendus, Metropolis pourrait - en seulement quatre volumes - devenir une référence en la matière.