vendredi 29 juin 2012

Elle est libre Max... (air connu)

Billet sur l'opus 2 de Curiosity shop : Au dessus de la mêlée

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© Glénat 2012 - Martin & Valero
1915, dans une Europe en guerre et un royaume d’Espagne qui hésite à choisir son camp, Maxima Prado quitte Madrid pour Tolède. Là bas l’attend un trésor que l’impétueuse jeune femme et sa vieille amie Luna, contrebandière à ses heures, entendent bien découvrir les premières. Une telle aventure n’est pas sans comporter sa part de risques et le chemin de la jeune Madrilène croisera la route d’individus pas forcément des plus attentionnés à son égard. Mais pour Max, ce périple sera surtout l’occasion de s’adonner - sans encore l’admettre - au jeu subtil des hésitations amoureuses avec Valsapena, qui s’avère être bien plus qu’un adversaire à défier !

Fidèle à un contexte historique, toujours très prégnant, Teresa Valero s’attache dans ce deuxième album à retrouver l’un des joyaux du temple du roi Salomon. Un tel sujet permet à la scénariste espagnole de développer plusieurs histoires en parallèle, comme les jeux amoureux de Max et Valsaredo, la lutte entre Le Sodalitium Pianum et la Loge des Douze Apôtres de Jaën ou bien encore celle de l’Espagne vis-à-vis de la Triplice ou de l’Entente cordiale. Une telle densité de propos n'est pas sans risques et pourrait désorienter en rendant la lecture fastidieuse. Si cette dernière nécessite parfois quelque attention, le fil de l'histoire est cependant parfaitement maîtrisé et structuré pour ne pas perdre le lecteur. Les effets narratifs, déjà largement utilisés dans 1914 - Le réveil, trouvent encore ici toute leur pertinence ; il en est ainsi de la juxtaposition sur une même page - voire une même case - de scènes à la temporalité différente en jouant sur les couleurs, de l'agencement côte-à-côte de scènes concomitamment ou bien encore la succession de trois scènes différentes sur une même planche. Tous ces artifices, fruits de la collaboration des deux auteures aux studios Walt Disney, sont pour beaucoup dans la fluidité que dégage 1915 : au-dessus de la mêlée. De même, le dessin de Montse Martin – tout en douceur malgré la gravité des sujets abordés – reste marqué par son passage dans le monde de l’animation et n’est pas sans rappeler certaines productions japonaises.

Un scénario riche et dense qui mériterait peut-être un traitement graphique plus dur, moins lisse et parfait afin de mettre en évidence toute son intensité dramatique et sortir l’album de son monde adulescent.

The girl from Panama

Billet sur l'opus de 2 de Chimère(s) 1887 : Dentelles écarlates

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© Glénat 2012 - Vincent & Melanÿn
La Perle pourpre est ce qu’il est convenu d’appeler pudiquement une maison luxueuse, où la vie s’écoule sans soucis, avec son cortège de bassesses, de mesquineries, de sordide et, parfois, d’espoir. Du haut de ses treize ans, Chimère, nouvelle égérie des lieux, regarde défiler dans son lit tout ce que Paris compte d’important. Mais un bordel, même de luxe, demeure un endroit où ces dames perdent leurs illusions aussi vite que leur vertu. Entre rivalité, assassinat et scandale, le destin de l'adolescente va de nouveau basculer.

Alors que La Perle Pourpre plantait le contexte historique et politique dans lequel s’inscrit le destin de Chimère, Dentelles écarlates s’attache à détailler le quotidien de cette maison de plaisir. Ainsi, derrière les fioritures de la luxure se cachent les humiliations d’une mère maquerelle qui dirige sans état d’âme ses pensionnaires pour la plus grande satisfaction de ces Messieurs. Si le parallèle avec la série diffusée sur une chaîne cryptée bien connue est inévitable, il n’en demeure pas moins que l’univers créé par Christophe Pelinq (alias Arleston) et Mélanie Turpyn (alias Melanÿn) prend ici sa propre dimension et impose cette série pour elle-même. Volontairement centré sur le microcosme que constitue le lupanar parisien, ce deuxième opus s’attarde plus particulièrement sur la personnalité et le passé trouble de Gisèle. Ces parenthèses dans le récit permettent de mieux appréhender cette époque, véritable charnière historique, où l’industrialisation ouvrit des perspectives jusqu’alors insoupçonnées marquant à jamais notre société, et où l’Impressionnisme naissant fit éclater les carcans de l'art pompier et créa - à travers les vibrations de la lumière - une autre vision des paysages. Toutefois, si les scénaristes s’attachent à mieux faire connaître certaines pensionnaires, ils n’en oublient pas pour autant le fond politico-financier de leur récit et savent lui donner une tournure pour le moins radicale. Les jeux de pouvoirs et les enjeux mercantiles qui gravitent autour du canal de Panama ne laissent aucune place au sentimentalisme et la pauvre Salomé le paiera au prix fort. Sans détour, ni circonvolution et surtout sans aucun misérabilisme, mais avec une lucidité froide et cynique, le duo dépeint un univers pernicieux dans lequel la juvénile Chimère apparaîtrait pour le peu anachronique. Pour sa part, Vincent sait trouver le juste équilibre pour exprimer à la fois l’immoralité latente qui plane sur cette maison et l’espoir qui peut – miraculeusement – y subsister. Le trait toujours aussi fin est plus anguleux, voire acerbe, et sait mettre en exergue les expressions en allant parfois - peut-être trop - jusqu’à la limite de la caricature. La psychologie des personnages transparait sous les visages et n’épargne personne, pas même la gent féminine !

Au-delà de tout moralisme ou voyeurisme Chimère(s) 1887 met de la couleur dans un monde clos et si le trait est indubitablement moins précis, Dentelles écarlates n’en est - peut-être - que plus réaliste.

samedi 16 juin 2012

Pourtant que la montagne est belle... (air connu)

Billet sur L'invention du vide

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À Chamonix, les sommets sont conquis les uns après les autres. Pourtant, en cet été 1881, la silhouette élancée du Grépon résiste encore et toujours aux assauts. Mais la crainte qu’inspire l’aiguille de granite sera-t-elle plus forte que la convoitise qu’elle suscite et pourra-t-elle encore, le temps d’un été, demeurer inviolée ?
 
© Dargaud 2012 - Debon
Au siècle des Lumières, les habitants des vallées considéraient la montagne comme un monde de chaos glacé, hostile et inutile. Si Jean-Jacques Rousseau initia une autre manière de regarder les sommets, ce sont les Anglais qui, au XIXème siècle, inventèrent les Alpes – comme, dans une moindre mesure, la Côte d’Azur - et leurs donnèrent une dimension esthétique et sportive. C’est l’histoire de l’un d’eux, Albert Frederick Mummery, que Nicolas Debon raconte dans L'invention du vide. Alors que jusqu’ici les ascensions s’organisaient comme des expéditions coloniales, ce natif de Douvres, accompagné seulement de deux guides et avec un équipement des plus légers pour l’époque, initia en cet été 1881, une nouvelle manière de conquérir l’Inutile.

Par-delà l’exploit sportif, le scénario s’attache à l’intellectualisation des courses de Mummery et à la progression de ses cordées engagées, en toute humilité, parmi les séracs, les névés et les couloirs pour le plaisir… d’être le premier. À travers une mise en page se jouant des plans serrés, Nicolas Debon s’attarde avec simplicité et sobriété sur les duels dont le massif du Mont-Blanc fût le théâtre et sait, quand il le faut, transcender le gaufrier traditionnel pour des plans largement ouverts sur les cimes et le ciel.

Un très bel album sur la fascination qu’exercent les sommets. Reinhold Messner a dit "La montagne n'est ni juste, ni injuste. Elle est dangereuse ", mais, Dieu, qu’elle peut être belle !

samedi 9 juin 2012

Rififi à Paname

Billet sur l'opus 8 de Jour J : Paris brûle encore

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© Delcourt 2012 - Damien & Pécau
Après avoir débarqué avec le corps expéditionnaire américain sur les plages normandes, Oliver Nooman - photographe au Boston Globe - regagne Paris pour un important rendez-vous d’affaire au pied de la basilique du Sacré Cœur. La situation serait banale si elle ne se déroulait en 1976, dans un Paname réduit en ruines par huit ans de combats ! Dès lors, rejoindre Montmartre relève de la mission impossible.

Beaucoup se sont posés la question de savoir ce qu’il serait advenu de Mai 68 si… Pour leur part, Jean-Pierre Pécau, Fred Duval et Fred Blanchard ont déjà donné une première suite au fameux printemps à travers L’imagination au pouvoir. Avec Paris brûle encore, ils récidivent, mais dans un registre plus radical puisqu’ils livrent l’Hexagone à une guerre civile que beaucoup redoutèrent et que l’Histoire su éviter.

Alors que la Seconde Guerre mondiale avait épargné Paris de la destruction, le trio de scénaristes ne lui évite pas les affres d’une guérilla urbaine qui interpelle. En effet, les décors dont émergent les vestiges de la Tour Eiffel et de l’Arc de Triomphe renvoient à ces images que la télévision diffusait au début des années quatre-vingt à propos de Beyrouth ou sur la Yougoslavie dix ans plus tard. Si Mai 68 a des airs de 1789 et si le voyage éclair à Baden-Baden de De Gaulle prend des allures de fuite à Varennes, la digression historique des trois scénaristes est écrite de telle manière qu’elle apparaît plausible à défaut d’être crédible. Toutefois, dans ce scénario apocalyptique - qui n’est pas sans réveiller certaines réminiscences cinématographiques du même genre - la fin de l’album, très happy-end, apparaît pour le moins anachronique !

Dans le même registre, le graphisme de Damien (Arcanes Majeur, Une brève histoire de l’avenir), malgré toutes ses qualités, ne possède pas cette radicalité du trait qui aurait encore exacerbé la noirceur du scénario. Cependant, ne boudons pas la qualité du travail réalisé. Ainsi en est-il des séquences combats où la quasi absence d’onomatopées passe inaperçue, démontrant que le dessin se suffit amplement à lui-même.

Huitième opus d’une série qui pourrait être sans fin, Paris brûle encore s’attarde intelligemment sur ce qu’aurait pu devenir le printemps de 1968 si…

mercredi 6 juin 2012

Aïcha, Aïcha ne t'en va pas... (air connu)

Billet sur l'opus 1 de Azimut : Les Aventuriers du temps perdu

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© Vents d'Ouest 2012 - Andréae & Lupano
Au royaume de Ponduche, la mer fugue quand bon lui semble, les libellules mémorantèles figent votre reflet dans l’eau et il n’existe pas de plus grande frayeur que celle de croiser la route de l’Arracheur de Temps ! Curieux pays de douces folies où les secondes valent leur pesant de crônes et au sein duquel une princesse venue de fort loin fait tourner les têtes aussi facilement que les boussoles perdent le Nord.

Les créateurs d’Aïcha et du comte de la Pérue sont visiblement de ceux qui savent prendre le temps d’imaginer leur univers, tout onirique qu’il soit. À la manière de La Licorne d’Anthony Jean et Mathieu Gabella, Azimut apparaît d’une inventivité rare, mûrement pensée, réfléchie, rêvée et il est évident que, sur les terres de son altesse Irénée le Magnanime, rien n’est le fruit du hasard. Sur quarante-six planches, en bouffées délirantes mais scrupuleusement agencées, Wilfrid Lupano entraîne l’imagination vers des contrées où la fantaisie ne semble plus avoir de bornes. Toutefois, une telle richesse n’est rien si elle ne rencontre un dessinateur qui ne puisse en concrétiser les moindres détails, rendre compte de la plus petite inspiration. La finesse et la précision du trait, l’excentricité comme l’expressivité des personnages ou bien encore la maîtrise des couleurs - tout en douceur et luminosité - savent donner consistance aux rêveries de Lupano et entraîner encore bien au-delà. La prouesse de Jean-Baptiste Andreae est non seulement de servir un scénario de grande qualité, mais surtout de donner vie - et réalité - à ce petit monde délirant.

Ce microcosme, un rien loufoque, qui n’est pas sans rappeler celui de Lewis Carroll, est une véritable véritable friandise et, aussi loin que mènent les songes, il n’est rien qui ne puisse trouver un sens dans ce petit royaume. Un vrai moment de poésie et de dépaysement, ce qui ces derniers temps devient chose rare. Superbe.


dimanche 3 juin 2012

Lente descente ...

Billet sur l'opus 2 de L'assassin qu'elle mérite : La fin de l'innocence

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Vienne 1900, Victor poursuit sa lente descente aux Enfers. Refusant la pauvreté, après avoir connu le luxe et son florilège de facilités, le jeune homme s’enivre de la simplicité à transgresser les règles. Mais pour le Milieu viennois, il n’est rien qu’une petite frappe, à qui il convient de rappeler certaines règles.

© Vents d'Ouest 2012 - Corboz & Lupano
Voici un album qui offre une déclinaison pour le moins originale du mythe de Frankenstein. Subtilement, par petites touches, Wilfrid Lupano décortique la lente transformation d’un fils exemplaire, machiavéliquement façonné par un dandy désabusé qui entend faire de sa déchéance une œuvre d’art. Si, dans un premier temps, il est envisageable de considérer Victor comme le jouet d’un destin qu’il ne peut maîtriser - faute d’en avoir conscience - les choses deviennent rapidement plus complexes lorsqu’il apparaît évident que le jeune viennois préfère céder à la facilité et à la violence envers ceux qui, à ses yeux, contrarient ses aspirations. Victime dépassée ou criminel qui s’ignorait, le scénario s’attache à décrire cette dualité dont l’issue apparaît inéluctable à moins que, dans un dernier sursaut de conscience, l’apprenti délinquant ne s’extrait de cette spirale infernale.Mais la déliquescence morale, fût-elle d’un adolescent, n’est pas l’unique sujet de cet album, qui aborde dans une Vienne en pleine effervescence, nombres de thématiques fortes comme : l’antisémitisme, le proxénétisme ou bien encore le cynisme des riches envers la résignation des pauvres. Autant d’occasions qui concourent à amplifier - à défaut de justifier – la conduite de Victor. En cela, le scénario murit par Lupano engendre un univers de composition parfaitement crédible que Yannick Corboz sait, fort justement, traduire en images à travers un trait réaliste et une mise en couleur légèrement surannée.

Vienne, capitale d’un empire où le faste le plus somptueux côtoie la misère la plus sordide risque bien d’avoir l’assassin qu’elle mérite !


samedi 2 juin 2012

Big Brother is watching you..

Billet sur l'opus 1 d'Au royaume des aveugles : Les invisibles

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© Le Lombard 2012 - Salsedo & Jouvray
Londres en 2060 ne laisse que peu d'espace à l'intimité. Entre les réseaux sociaux, les webcams et les fichiers de données, il est difficile de pouvoir échapper au flicage informatique. Toutefois, quelques individus ne veulent pas de ce monde où les émules de Big Brother règnent en maître.

Sur un thème déjà fort utilisé, il peut être difficile d'innover et quand l'action peine à prendre sa pleine mesure à cause d'un scénario sans surprise, la lecture devient vite laborieuse. Les invisibles n'arrive visiblement pas à démarrer et reste, malgré quelques circonvolutions, dans le superficiel et le convenu. Graphiquement, les 54 planches pèchent par un dessin qui au-delà de ses qualités propres, induit  une certaine impression d'inconstance et d'imprécision.

Un album qui semble globalement passer à côté de son sujet, à moins que ce ne soit moi qui soit passé à côté de lui !

vendredi 1 juin 2012

Never ending story

Billet sur l'opus 26  de L'Histoire secrète : L'Amiral du diable

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© Delcourt 2012 - Kordey & Pécau
Le 15 février 1990, le sommet de Carthagène marque un tournant dans la lutte antidrogue. L'administration Bush déclare la guerre aux narcotrafiquants et par là même à Reka. Au même moment, mais de l’autre côté de l’Atlantique et en pleine guerre serbo-croate, Erlin est en partance pour Dubrovnik, sur les traces des cartes perdues de Piri Ibn Haji Mehmed qui, en 1548, traça les plans d’un monde qui s’étendait vers l'au-delà !

Never ending story ou success story, l’Histoire secrète de Jean-Pierre Pécau ne laisse pas indifférent. Si parfois, certains albums marquent un léger essoufflement, la série fait preuve d’une étonnante longévité qui tient certainement à sa propension à donner une autre lecture de l’Histoire sans pour autant la modifier ni en être une retranscription fidèle. Ainsi, en est-il de la célèbre carte de Piri Reis découverte à Topkapi, qui est ici l’objet de spéculations sur l’existence de mondes parallèles.

L’Amiral du diable résume à lui seul les qualités et défauts de la série et pose toujours la question de sa finitude !