lundi 16 mai 2016

Nothing new... Doc !

BUNNY : Intégrale

© EP Éditions 2016 - Fournier & Deschard
Il est des vies qui valent d’être vécues et d’autres qui n’ont aucune valeur, si ce n’est celle du poids d’une dette… C’est ce que Mio - alias Bunny - va apprendre. 

Il aura fallu attendre près de trois ans pour lire la suite de Bunny, depuis le 14 février 2013 pour être précis ! Alors, pour raviver les mémoires défaillantes, Emmanuel Proust Éditions sort directement l’intégrale. Donc pas de perte de temps à aller fouiller dans sa bibliothèque pour se souvenir du pitch. Tout est là ! 

Juliette Fournier a bâti son scénario sur un concept sociétal pour le moins inédit et a cherché à y faire évoluer ses personnages, stigmatisant au passage nombre de nos comportements. L’intention est louable, mais le résultat décevant car pour bien faire, il aurait peut-être fallu pousser les choses un peu plus loin : quelques principes ne peuvent rendre compte de la complexité d’une société, fusse-t-elle réduite à sa plus simple expression. 

In fine le développent demeure superficiel et ce microcosme carcéral peine réellement à prendre des allures d’enfer, même dans ce deuxième opus où plus de profondeur pouvait être attendue. Ce constat est accentué par le graphisme de Jean-Gaël Deschard. Avec un trait proche du manga, il ne parvient pas à mettre à jour la psyché de protagonistes, somme toute très manichéens, et qui manquent cruellement d’expressivité et d’épaisseur. Alors, il est vrai que le public visé est plus celui des adolescents que des étudiants en sociologie, mais il y avait une matière qu’il est dommage de ne pas avoir fait fructifier. 

Loin d’être inintéressant dans l’intention, Bunny se termine comme une gentille petite histoire sur l’effort et les valeurs morales.

samedi 14 mai 2016

20 secondes ? Pas plus !


LARGO WINCH : 20. 20 secondes

© Dupuis 2015 - Van Hamme & Francq
20 secondes ! 

Ce post ne prendra guère plus à lire !

Entre vaudeville et lieu commun, ce vingtième album fait dans le facile. Il est plus que temps pour l’héritier de l’empire Winch de prendre un peu de recul et de se poser certaines questions, qui à défaut d’être existentielles, devraient lui faire prendre conscience qu’à partir d’un certain point, mieux vaut arrêter !

Un achat d’habitude, un peu comme la bouteille annuelle de Beaujolais !

mercredi 11 mai 2016

J'suis Morgane de toi... (air connu)

© Delcourt 2016 -  Fert

« Sœur ou demi-sœur d’Arthur… selon les temps, fée d’Avalon ou sorcière du Val sans Retour… au gré de l’humeur de mes hagiographes, ou bien encore récipiendaire d’une grande lignée de magiciennes, je suis le bien puis le mal, je suis fille de Tintagel, je suis Morgane ! 

Après Geoffroy de Monmouth, Chrétien de Troyes… et tant d’autres, voici que Stéphane Fert et Simon Kansara se penchent, eux aussi, sur cette destinée ô combien singulière que fût la mienne ! 

Allez savoir pourquoi le commun des mortels ne retient de moi que ma part d’ombre. Faut-il voir là l’œuvre de quelques moines dévots qui, pour la postérité et sauver la Bretagne de ses antiques croyances, manipulèrent l’histoire ? Le jour corneille, la nuit colombe, je suis celle qui a haï autant qu’elle a aimé. Celle qui tue, mais qui aussi sait soigner. Ce Morgane-ci est à mon image, tout en ambiguïté ; je me retrouve dans cet album, résumé parfois elliptique d’une vie qui pourrait remplir bien des volumes. Face sombre d’un roi auréolé de lumière, élève servile - pour mieux me révolter - d’un maître qui jamais ne me posséda, ni même ne me dompta, je suis l’archétype de la femme libre, fière d’elle-même … et donc forcément dangereuse. 

Mais au-delà de ce que je suis, ou de ce que je représente, il y a là une forme qui concourt à transcender ma personne. Le dessin de Stéphane Fert n’est pas des plus banals, et il en déroutera certainement plus d’un. Symbolique, voire naïf, il sait finalement devenir étrangement figuratif notamment dans cette planche finale où j’apparais en… Eva Green. Je renais par ce trait, par cette simplification minimaliste des formes, par cette couleur anachronique qui - aux travers de belles fulgurances - est un hommage à Gustav Klint, à Mary Blair ou à Eyvind Earle. 

Avec une étonnante modernité et pertinence graphique, à l’instar du Milady d’Agnès Maupré, Morgane me rend justice. Enfin, oserais-je dire ! »

C'était la dernière séance... (air connu)

PORNHOLLYWOOD : 2. Crépuscule

© Glénat 2016 - Simsolo & Hé
« Pour vivre heureux, vivons cachés », dit l’adage. Dans l’Amérique des années trente, il prend une résonance toute particulière, surtout si vous êtes un cinéaste juif et une prostituée noire …

Crépuscules clôt le diptyque de Noël Simsolo et Domique Hé. Reprenant les recettes qui prévalaient dans le premier opus, l’album introduit la politique dans un cocktail déjà particulièrement relevé, où le 7e Art n’est plus qu’un décor, voire un prétexte. 

Curieusement, Pornhollywood n’arrive pas vraiment à s’imposer, que ce soit par son graphisme ou son scénario. Pourtant, les ingrédients de base sont là, mais il manque à l’ensemble quelque chose qui puisse emballer le tout. Ce n’est pas faute d’essayer, mais en quarante-six planches, cette mise en abyme se disperse à force de vouloir tout explorer. Noël Simsolo a voulu condenser dans son récit tous les archétypes de l’époque : les déchus du star-system, les fastes et bassesses du sexe, l’obsession de l’argent et de son corolaire, le pouvoir, la corruption et son cortège de violence, la drogue et son enfer, le racisme au quotidien d’une Amérique bien-pensante. Alors certes, le lecteur ne s’ennuie pas, mais il se perd dans cette histoire qui tourne au digest. Graphiquement, Dominique Hé joue sur un registre presque minimaliste au regard du foisonnement dont fait preuve le scénario. Avec ses réminiscences de ligne claire, son dessin colle à l’imagerie traditionnelle de l’Entre-deux-guerres outre-Atlantique, sans toutefois lui donner la flamboyance du Cinémascope ou du Technicolor. 

Finalement, Pornhollywood ne relèverait-il pas plus de la série B que de la série noire ?

mardi 10 mai 2016

Dodo, l'enfant do... (air connu)

L'ADOPTION : 1. Qinaya

© Bamboo Édition 2016 -  Zidrou & Monin
À quoi sert un Noël quand il n’y a pas d’enfant pour le fêter ? C’est la question que se posent Alain et Lynette. Pour combler ce vide qui ronge leur couple, ils partent au Pérou où un tremblement de terre a fait des milliers d’orphelins. Parmi eux : Qinaya, quatre ans… 

Nouvel album pour le tandem Monin & Zidrou (Merci) qui se retrouve pour une autre tranche de vie. Les tenants de l’adrénaline et de la surenchère devront passer leur chemin, car encore une fois Benoit Drousie fait ce qu’il sait peut-être faire de mieux : rendre le banal extraordinaire ! Alors, les esprits chagrins diront qu’après Lydie, Un tout petit bout d'elles et consorts… il lui faudrait changer de registre, et que le quotidien n’est pas un sujet en soi, mais pourquoi donc ? 

Simple, terriblement ordinaire même, mais attachant et porteur de sens, du moins pour ceux qui se donneront la peine de rentrer dans le jeu du scénariste belge, L’adoption est l’un de ces albums qui ne révolutionnera pas le monde, mais qui aidera à se réconcilier, momentanément, avec le genre humain. Maniant alternativement la tendresse, les non-dits et un cynisme bougon, le créateur de Bouffon empiète légèrement sur les terres de Lupano et emprunte quelque peu Aux Beaux étés , mais avec suffisamment de tact pour qu’il ne lui en soit pas tenu rigueur. 

Sur cette partition pleine de bons sentiments, Arno Monin signe un dessin qui, comme celui de Jordi Lafebre, est tout en bonhomie, en rondeur, en gentillesse. Il est impossible de ne pas craquer sur cette petite fille affublée de son doudou, sur Gabriel et son air d’ours mal léché ou sur tous ces petits instants remplis de silences plus denses qu’un roman.

Qinaya est un petit bout d’chou, haute comme trois pommes, qui va faire plus de ravages, dans le cœur de son papy d’adoption, que le séisme qui a rasé sa ville natale, c’est vous dire !

Gaaaaarde à vous ! Grognez....

Les 3 grognards : 1. L'armée de la lune

© Casterman 2016 - Hautière & Salsedo
S’évader du fort de Joux en plein hiver avec l’espoir de rejoindre Saint-Domingue, mais se faire reprendre illico et envoyer à Boulogne pour espionner l’Empereur, voilà résumés les derniers jours d’Honoré. 

Ayant renoncé à envahir l’Angleterre depuis Boulogne, Napoléon - en cette fin du mois d’août 1805 - prend la tête de sa Grande Armée et se lance à la conquête de l’Europe. Dans ces rangs, Honoré, un ex-lieutenant qui ne pardonne visiblement pas à l’Empereur la mort de Toussaint Louvertrure en 1803, Félicien, un jeune écervelé non dénué de panache, et Kemeneur, au physique plus qu’impressionnant. L’armée de la Lune permet à Régis Hautière de poser les bases d’un récit très classique dans sa conduite et son contexte historique, mais qui sait se permettre certaines libertés qui en font toute la saveur. Il en est de même pour Greg et Frédérik Salsedo qui restent sur un registre graphique semi-réaliste un rien caricatural, et qui s’autorisent quelques incursions du côté du manga notamment. 

Les campagnes napoléoniennes ne sont pas une simple promenade digestive et s’il y est facile d’y trouver la gloire, il est encore plus aisé d’y rencontrer la mort ! Gageons que ces trois grognards sauront tirer leur épingle du jeu et que ceci sera raconté d’une manière tout aussi agréable que dans ce premier album.

Gabella ! Fais ton oeuvre....

LE BOURREAU : 1. Justice divine ?

© Delcourt 2016 : Gabella & Carette
Il est la main de Dieu sur Terre. S’il a décidé qu’il en soit ainsi, son heure sera la dernière pour ses victimes ! 

Mathieu Gabella revient avec un récit baigné de fantastique. Cette fois, il est question d’un bourreau qui cultive sa singularité comme un sacerdoce. 

Une fois refermé l’album, un parallélisme s’impose avec Le Roy des Ribauds (Akileos), pour la forme, et certains comics pour le fond. Sur la forme, le Paris de cet exécuteur des basses œuvres semble devoir être, dès l’introduction, plus qu’un décor. Mais, contrairement à la dernière production des auteurs de Block 109, la ville redevient rapidement une simple une toile de fond. Le parallèle s’arrête donc là, sur un constant frustrant d’inachevé. L’analyse va peut-être un peu plus loin sur le second point. Le bourreau apparaît comme un super héros, à l’instar de ceux de DC Comics et consorts. Invincible (ou presque), il possède toutefois sa faille (qui n’est pas à base de kryptonite) et tient son identité secrète derrière un costume de circonstance. Plus près de Batman que de Superman, il partage avec ses homologues américains l’impérieuse nécessité d’avoir une mission à la hauteur de sa dimension démiurgique et de combattre un alter-ego maléfique. Toutefois, le scénariste de La Licorne tient à marquer sa différence ; aussi, fait-il évoluer ses protagonistes dans un Paris moyenâgeux et non au milieu d’une mégapole moderne. De plus, en installant l’intrigue, il mûrit longuement la psychologie tourmentée de son personnage, dépassant ainsi le manichéisme toujours ambiant d’outre-Atlantique et parachève l’ensemble en le dotant finalement d’un libre-arbitre. 

D’une lecture pleine de promesses, cet opus introductif appelle cependant une petite restriction, s’il est utile d’en formuler une. Les dialogues (et surtout la voix off) sont par trop présents et le parti-pris graphique de Julien Carette, ne parvient pas, malgré toutes ses qualités, à évacuer la densité d’un découpage parfois étouffant. 

Avec un scénariste, un dessinateur, une story-boarder (Virginie Augustin), un spécialiste des décors (Jérôme Benoit), une coordination artistique (Nautilus Studio), un cover-artist (Jean Bastide) et bien évidement un coloriste (Jean-Baptiste Hostache), Le Bourreau fait figure de véritable superproduction. Reste au prochain volet de ce triptyque à justifier une telle débauche d’efforts…