lundi 27 avril 2015

Le Caravage passe et...



© Glénat 2015 - Manara
En cette fin d'été 1592, alors que la nuit pointe, Michelangelo Merisi da Caravaggio franchit le pont Salario pour entrer dans Rome. La gloire et les honneurs l'attendent. Mais cela, il ne le sait pas encore...

Après le superbe Au fil de l'art de Gradimir Smudja qui remontait le cours de l’histoire picturale de l’Humanité, La vision de Bacchus de Jean Dytar, prix À Tours de Bulles 2015, ou bien encore la récente collection des grands peintres proposée par Glénat, le 9ème Art semble vouloir rend hommage appuyé à son illustre prédécesseur. Cédant à la tendance du moment, Milo Manara s’attaque au Caravage, expert du chiaroscuro et bad boy notoire. 

La palette et l'épée permet à l’un des chefs de file de l’érotisme transalpin faire partager, à nouveau, son amour des jolies femmes et… sa passion pour la peinture. Ces soixante-quatre planches à l’esthétique très « manaresque » permettent d’appréhender un artiste en rupture avec le Maniérisme et qui, en replaçant le commun des mortels au centre de son œuvre, fut l’un des vecteurs artistiques de la contre-réforme. Milo Manara réalise là un récit visuellement des plus plaisants, mais dépeint également la quête artistique d’un peintre que la rumeur fît longtemps passer pour un voyou aussi prompt à croiser le fer qu’à manier le pinceau. Ce premier volet de ce qui sera un diptyque, va au-delà de la simple biographie et s’essaye à rendre compte de la complexité d’un homme et d’une époque dirigée par le dogme pontifical qui brûlait encore ceux qui s’opposaient à lui et qui entendait utiliser l’Art comme outil de prosélytisme. 

N’en déplaise aux tenants d’un Manara uniquement préoccupé par les courbes de ses belles, ce Caravage porte en lui autre chose… et, malgré une architecture de la cité éternelle plus proche des védustistes du XVIIIe siècle que du baroque italien, graphiquement cet album s’avère de belle facture !

vendredi 17 avril 2015

Pas de quoi couper un cheveux en quatre...


© Soleil Productions 2015 - Di Giorgio & Vax
Poursuivis pour avoir été les témoins involontaires d’un assassinat, Kang Jie et Nuo ne doivent leur salut qu’à la dextérité dans l’art du katana de Yukio. Mais leur répit ne sera que de courte durée et ils sont désormais les proies d’une horde lancée à leurs trousses.

Jean-François Di Giorgio connaît bien les us et coutumes des manieurs de sabre puisqu’il signa, à partir de 2005, le scénario de Samouraï avec Frédéric Genêt aux pinceaux. Alors, rien d’étonnant à ce qu’il s’attelle de nouveau à un récit de rônins, mais cette fois au féminin ! Reprenant une trame (par trop) classique, ce premier volet est mené tambour battant. Là où certains auraient trouvé matière à deux ou trois albums, la chose est expédiée en quarante-six pages chrono. Certes, le dessin expressif de Vincent Cara s’adapte parfaitement au rythme effréné des combats et certaines planches, sur le final, sont des plus réussies, mais l’histoire manque de fond faute de temps...

Le prochain album sera peut-être l’occasion d’en savoir un peu plus sur cette samouraï. À ce propos, il n’aura pas échappé aux aficionados du genre qu’avec Isabellae, la profession se féminise ! Doit-on voir là un signe des temps ou un simple souci de parité ?

mercredi 15 avril 2015

Loup, y es-tu ?

La malbête : 1. Monsieur Antoine en Gévaudan

© Bamboo  2015 - Ducoudray & Hamo
Louis le Quinzième aime prendre soin de ses sujets. Aussi, leur dépêche-t-il Antoine de Beauterne, son porte-arquebuse personnel, pour mettre fin aux agissements sanglants d’un monstre qui sème l’effroi en Lozère. Arrivé prestement sur les lieux, l'émissaire royal est en mal d’animal, mais pas de victimes…

Plus de deux-cent-cinquante ans après, la fameuse bête du Gévaudan continue de défrayer la chronique et d’inspirer tant et mieux. D’aucuns y voyaient l’instrument du châtiment divin, d’autres l’œuvre du Diable. Plus prosaïquement, le mythe véhicule la part animale, les déviances et les peurs d’un territoire longtemps tenu à l’écart de tout et de tous. Par un concours de circonstances, cette affaire – au départ strictement locale - devint nationale et menaça un temps l’équilibre d’un royaume qui se remettait difficilement de la guerre de Sept Ans. Alors meute(s) de loups ? Hybride dressé pour tuer ? Meurtres sciemment organisés ou crimes déguisés ? Peut-être que le Bête est un peu de tout cela à la fois ! 

Sur un sujet aussi riche, Aurélien Ducoudray reprend nombre d’éléments historiques et les agence à sa guise dans une fiction où l’essentiel ne s’articule pas forcément autour des bouffées lupines de quelques individus ou le désir de certains nobles à se venger des Grands jours d’Auvergne. Au-delà du sensationnel, il est une histoire, celle de Barthélémy qui devrait acquérir de l’ampleur dans le cadre du second volet du diptyque… Sur une telle base, le choix d’un dessin réaliste était plus que tentant, mais aurait irrémédiablement connoté l’album pour ce qu’il n’est pas : un récit historique ! Aussi, recourir aux services d’Hamo évite toute confusion. Avec un trait emprunt de naïveté, mais capable de véhiculer les humeurs et émotions des différents protagonistes, il donne toute la vraisemblance voulue à cette histoire… et esquive, visuellement, les pièges d’une historicité trop prégnante. 

Enième variation sur une légende qui suscite encore aujourd’hui les passions comme la controverse, La malbête vient apporter sa modeste contribution à une bibliographie déjà très riche.

lundi 13 avril 2015

King Livingstone

John Arthur Livingstone : Le Roi des singes #2
 
© Vents d'Ouest 2015 :  Bonifay & Meddour
Dans les brumes de Londres, la mort s’acharne toujours sur les dames de peu de vertu sans que la police ne puisse y mettre un terme. Faut-il voir là les agissements pervers d’un déséquilibré ou la situation est-elle plus complexe… ? 

Après un premier album qui n’avait pas laissé insensible, le second volet de John Arthur Livingstone était pour le moins attendu ! Mais le microcosme de la BD n’est pas exempt de coups de théâtre et le 26 mai dernier, via Facebook, Philippe Bonifay tirait sa révérence, laissant dans l’expectative ceux qui attendaient sagement une suite. La patience est une qualité qui se cultive, et qui, parfois, est récompensée. Ainsi, après la parution en octobre 2014 de la version en tirage de tête chez les Sculpteurs de Bulles, la fin du diptyque se retrouve enfin en librairie. Il aurait été dommage qu’il n’en soit pas ainsi. 

En reprenant le mythe de Tarzan, Philippe Bonifay a su en faire autre chose. Jouant des classiques de la littérature anglaise, il inscrit son héros dans un contexte qui dépasse la simple adaptation et il lui invente un autre destin. Dans la continuité du tome un, le scénario voit cependant sa structure quelque peu évoluer. Peut-être est-ce une simple impression, mais le scénario, par un large recours à des flashbacks et leur incrustation selon un déroulé variable, paraît prendre une dimension chaotique, à l’instar des sentiments et des doutes qui assaillent le roi des singes. La certitude de ne pouvoir trouver sa place dans cette jungle urbaine où les animaux sont enfermés ou empaillés fait que le retour au pays constitue le seul futur possible. Toutefois, avant de partir, il est un mystère à élucider pour lequel il lui faudra renouer avec un pressentiment, une odeur… 

Au fil des pages, l’intention prend le pas sur la précision ; l’essentiel n’est plus dans le trait, mais dans ce qui l’anime. Dès lors, le dessin perd de son académisme, mais la tension qui imprègne chaque case donne à toutes les planches une intensité que la couleur de Stéphane Paitreau sait parfaitement valoriser. 

Rentrera qui veut dans ce récit, mais celui qui suivra Fabrice Meddour saura qu’il est de ces dessinateurs qui laissent certainement un peu d’eux-mêmes dans leurs albums…

jeudi 2 avril 2015

Divine colère !

Mettez des mots sur votre colère

© Glénat 2015 - Malès
Tant par la puissance du récit que les échos qu’il éveille, Mettez des mots sur votre colère interpelle.

En premier lieu, il y a cette lutte contre l’exploitation des enfants dans les entreprises américaines du début du XXe siècle. Traiter objectivement un sujet aussi complexe est en soi une véritable gageure et tel ne semble pas être le propos de Marc Malès. À l’évidence, l’œuvre photographique de Lewis Hine est un prétexte contextuel qui permet à Owen Brady d’exister en tant que personnage, qu’avatar… Car, si colère il y a, il ne peut être uniquement question de la sienne et des mots qu’il ne parvient pas à mettre dessus !

Croisé sans concession d’un combat dont il fut jadis victime, il parcourt les États-Unis à la recherche de ceux que le rêve américain exploite et oublie. Mais une telle plongée introspective dans le capitalisme sauvage auquel s’adonne l’Amérique laisse des traces ! Owen Brady doit alors se battre contre ses démons intérieurs, à commencer par cette rage qu’il ne peut contenir face aux injustices qu’il s‘oblige à côtoyer. Noyant dans l’alcool et le sexe la violence qui l’habite, il ne fait que la reproduire, s’enfonçant toujours plus loin dans une spirale autodestructrice dont il ne pourra sortir seul.

La beauté d’un dessin au trait soigné, l’utilisation sensuelle de l’huile à l’eau, la mise en valeur "cinématographique" de l’horizontalité du format, ou le traitement subtil et sobre des situations les plus dures concourent à faire de cet élégant album autre chose qu’une simple fiction.

Bien qu’à l’impératif, le titre pourrait certainement se conjuguer au présent et… à la première personne du singulier !

Mon Dieu, j'ai pêché...


© Glénat 2015 - Foerster
Un fragment de lune s’est écrasé sur la centrale atomique de Tchernobourg. Depuis, les radiations font leur œuvre et dans les rues en ruine de l’illustre cité se promènent désormais des mutants dotés de pouvoirs bien surprenants. Parmi eux, un prêtre pour le moins singulier.

Mieux vaut avoir le moral scotché sur le beau fixe ou quelques petits cachets d’antidépresseurs à portée de la main avant que de se plonger dans Le confesseur sauvage. Homme poulpe prédisposé à recueillir les confessions spontanées de ses concitoyens, le père Irradieu, curé autoproclamé d’une église désertée déclenche, dès qu'il les touche, les confessions de ses ouailles. Ce qui pourrait apparaître alors comme une bénédiction s’avère en fait un fardeau au regard des révélations dont il est le dépositaire plus ou moins involontaire.

Avec cet album, Philippe Foerster s’adonne avec plaisir à son penchant naturel pour les histoires bien noires. En quelques saynètes à l’onirisme débridé et décomplexé, il fouille sans avoir l’air d’y toucher dans les circonvolutions de l’âme humaine. De l’être ou du paraître, aux aspirations défuntes en passant par les illusions ayant valeur de réalité… l’auteur belge aborde, via ses personnages difformes, nombre de travers de notre propre société. Offrant une lecture à tiroirs, il permet de voir tout et son contraire dans ces planches à la colorisation changeante selon les chapitres.

L’absurdité relative du propos comme l’approche graphique, en noir et blanc, à la frontière du caricatural ou du surréalisme, sont des procédés efficaces pour (r)amener le lecteur à certaines réalités… Surprenant, autant que déstabilisant, le dernier opus de Philippe Foerster dérangera ceux qui souhaiteront s’endormir paisiblement.