mardi 25 juin 2013

L'Enfer c'est pas sorcier !


Cornélius Shiel : 1. La princesses des abysses

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© Delcourt 2013 - Mallet & Evangelisti
Pourquoi l’énigmatique Cornélius Shiel choisit-il Hector Travis, écrivain au talent discuté, pour rédiger ses mémoires ? Voilà de quoi susciter bien des attentions, à commencer par celle - pour le moins appuyée - de ces hommes qui semblent parfaitement connaître le nouveau pensionnaire du Gilset. Sans le savoir Hector vient de pénétrer en Enfer !

Avec cet album introductif, Patrick Mallet utilise adroitement l’artifice des mémoires pour livrer un double récit. Ainsi structure-t-il son scénario autour de deux époques, celle d’un homme né magicien en 1676 et celle, plus contemporaine, du sorcier qu’il est devenu. Au-delà de ce biais narratif qui évite une trop classique linéarité et apporte quelques originalités à un thème déjà maintes fois traité, l’auteur d’Achab s’abstrait de tout manichéisme et fait de la frontière entre le Bien et le Mal une ligne des plus tenues qu’il est aisé de franchir, dans un sens comme dans l’autre ! Se jouant du temps et des lieux, cette histoire développe un fantastique qui sait être complexe sans pour autant s’avérer compliqué.

Cette même faculté à rendre simple ce qui pourrait ne pas l’être se retrouve dans le graphisme de Patrizio Evangelisti (Fourmi Blanche). Grâce à des angles de vue judicieusement travaillés, le dessinateur transalpin sait distordre la réalité et créer un monde onirique, entre escape céleste et île surgie des eaux. Si le trait est classique, la mise en planche n’hésite pas à briser le cadre traditionnel du gaufrier pour apporter rythme et mouvement à une biographie qui ne laisse que peu de répit au lecteur.

À l’évidence, une série qui débute de bien belle manière. 

jeudi 20 juin 2013

Bloody Chris


Le voile des ténèbres

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© Atlantic Bd 2013 - El Torres & /Hernández Walta
Suite à un terrible accident dont elle sort miraculeusement indemne, Chris Luna dialogue avec les morts. S’il hante ses nuits, son handicap lui permet toutefois de payer ses factures en l’aidant dans son métier de détective privé ! Mais, au-delà de ses visions récurrentes, la jeune femme fait un cauchemar, toujours le même, et depuis qu’elle est revenue à Crooksville, sa ville natale, celui-ci semble prendre un sens nouveau. 

Les amateurs de gore bien saignant seront comblés par Le voile des ténèbres, déambulation zombiesque et macabre dans une bourgade du Maine. Nourri de la haine et des rancunes amères des défunts qu’il accueille, le Chthonien veut passer de l’autre côté du voile qui sépare la vie du trépas et renaître parmi les vivants. Sur ce pitch qui n’est pas sans rappeler quelques classiques du genre, El Torres s’éparpille. Ce qui débute comme un bon thriller, s’égare ensuite dans la psyché torturée de l’héroïne pour finir en carnage mystique. De cette introspection des plus sanguinolentes, il faudra surtout retenir le travail de Gabriel Hernandez qui évite le registre du réalisme et opte pour un dessin volontairement plus flou, tout en traits et en impression pour ce road-movie psychanalytique.

mardi 18 juin 2013

Les meilleurs d'entre tous


Cutting Edge : 1. 1

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© Delcourt 2013 - Dimitri & Alberti
Sélectionnés soigneusement, les invités de Leviathan Financing & Co se voient proposer un étrange challenge ! Curiosité malsaine, appât du gain ou narcissisme latent, les motivations sont légion, mais ceux ou celles qui auront dit oui se retrouveront au cœur d’un jeu pervers et… dangereux.

Il est des albums qui, en quelques pages, captent l’attention. Cutting edge est de ceux-ci. En quatre planches, les protagonistes sont présentés, en dix, l’intrique est en place, et en deux, le suspense est cadré. Le volet initial de cette nouvelle série peut alors commencer. Première étape : Barcelone, sur les traces d’un jazzman perdu. 

Pour son premier essai, Francesco Dimitri frappe fort. Coupé au cordeau, ponctué d'enchaînements millimétrés et de dialogues inspirés, son scénario est écrit avec efficacité et si les clichés sont là, ils sont utilisés avec circonspection en variations sans fioritures inutiles. Vivant, plein de rebondissements, et donnant autant dans la psychologie des personnages que dans le mouvement ou l’intrigue, ce récit séduit par sa fluidité et sa densité. Il en est de même pour le dessin de Mario Alberti, aussi à l’aise chez DC Comics que dans les strips du franco-belge. 

Une mise en bouche qui laisse présager du meilleur.

Oh Seigneurs !

Les seigneurs de guerre : 2. Vareck
 
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© Glénat 2013 - Dorison & Hostache
2018. Plus que jamais les Balkans sont une poudrière prête à embraser le monde. Dans un pays en dérive, les sociétés militaires privées poussent comme des champignons pour le bonheur des seigneurs de guerre locaux. Mais, sur l’échiquier mondial, ils ne sont que des pions. Les événements à venir vont se charger de le leur rappeler.

Cette nouvelle série se donne les moyens de réussir et fait figure d’œuvre collégiale avec pas moins d'un scénariste, de quatre dessinateurs et d'un studio pour la couleur, sans parler d’une approche design, d’un superviseur, d’un documentaliste et d’un préposé au découpage !

Le récit de Guillaume Dorison s’inspire fortement des conflits récents et projette ses acteurs dans un futur proche. L’ensemble s’avérerait presque plausible pour peu que soit fait abstraction des fameux Méka(s) et autres engins de combat qui, anachroniquement, font preuve d’une technologie des plus futuristes dans un contexte étrangement actuel. De même pour l’analyse politique - fort improbable - des rapports mondiaux dont la vraie singularité est de faire passer les enfants de l'Oncle Sam pour des bads guys ! Toutefois, il convient de souligner le souci documentaire du scénario qui permet de créer un univers sonnant vrai, tout comme l’organisation des séquences qui sait donner son rythme au récit et de la consistance aux flashbacks.

En creux, le parti graphique peut surprendre. Tout d’abord, il y a les décors produits par Pascal Haillot, totalement vides de protagonistes, ces derniers étant l’apanage de Jean-Baptiste Hostache, Benoit Dellac et Didier Poli. Sur ce point, le travail à huit mains montre rapidement ses limites et perturbe, voire pénalise, la cohérence et la fluidité des deux albums.

Géré tel un blockbuster hollywoodien, ce premier cycle des Seigneurs de guerre fait dans le visuellement efficace... Est-ce suffisant pour convaincre ?

Très space ial !

Tony Chu : 6. Space cakes

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© Delcourt 2013 - Layman & Guillory
Tony Chu a salement dégusté dans Première ligue et il s’en remet très difficilement ! Heureusement que Toni, sa sœur, est là pour reprendre le flambeau familial dans des affaires aussi lugubres que déjantées. Ce qui, au passage, permet à Poyo, le partenaire du moment de John Colby, de se la jouer guest-star. Du sang et des plumes, voilà ce qui vous attend !

Avec Space cakes, Delcourt sort ce sixième album cinq mois après sa parution outre-Atlantique, signe évident de l’intérêt des bouffeurs de grenouilles pour le cibopathe américain. Le récent passage plus que confidentiel des auteurs dans certaines librairies hexagonales a permis de vérifier, de visu, l’attrait pour ce poulet du R.A.S. qui n’hésite pas à se mettre à table pour faire avancer ses enquêtes.

Sur ce nouvel opus, le délire de John Layman continue de plus belle et semble atteindre un sommet avec l’intrusion de Poyo, coq cybernétique de combat aussi caractériel qu’efficace. Si l’on ajoute à cela une galerie de tarés de première bourre aux spécialités tout aussi délirantes, le tableau est complet. Cette jubilation débridée se retrouve dans le graphisme de Rob Guillory, dont la réserve en dédicace tranche singulièrement avec l’exubérance de ses planches. Cela bisoute, suçote, léchouille à tout va, croque, mastique, mâchouille à qui mieux-mieux, trucide à l'envi et ceci dans une explosion de couleurs des plus psychédéliques.

C'est dingue, loufoque, décalé, hilarant ! Bref, un bon moyen de relativiser pas mal de choses, à commencer par l’humour… À lire sans retenue !

lundi 3 juin 2013

Feu Hollywood boulevard

Une vie à écrire

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© Bamboo 2013 - Félix & Liman
Et si, à Hollywood, le destin n’existait pas ? Si tout était écrit, scénarisé dans les moindres détails ? Billy est de ceux qui imaginent des vies, Scarlett de celles qui les vivent ! 

Sorti en 2009 sous le titre Hollywood Boulevard, ce qui deviendra la première partie d’Une vie à écrire n'a pas véritablement trouvé son public. Le triptyque initial se transforme alors en… diptyque, ce qui impose à Jérôme Félix de refondre intégralement un scénario déjà rédigé. Entre-temps, Ingrid Liman est partie sur d’autres projets et la parution du second (et dernier) opus tarde. Les années passant - trois ans et demi - et le consumérisme ambiant aidant, sa sortie s’avère financièrement et éditorialement problématique. Finalement, décision est prise de sortir… un one-shot !

Au travers de Scarlett et Billy, le scénariste de L’héritage du diable s’emploie à décrypter les méandres de l’usine à rêver en Technicolor qu’est Hollywood. Dans ce nouveau Far-West où le box-office fait plus de morts que les colts, toutes les victimes sont consentantes pour se brûler les ailes aux feux des sunlights. À ce petit jeu de massacre, il demeure cependant difficile de démêler le mythe de la fiction. Entre affairisme, vices, drogue, meurtres et autres turpides du même acabit, la probité de Scarlett passerait pour anachronique si, finalement, elle ne lui ouvrait pas les portes d’un avenir meilleur. Clap de fin !
Dans ce monde où le physique sert à autre chose qu'à impressionner la pellicule, le trait d’Ingrid Liman fait merveille et les silhouettes élancées et terriblement féminines de ses comètes d’un jour sont superbes. Toutefois, le traitement, parfois presque caricatural, de certains représentants de la gent masculine perturbe l’esthétique ambiante de ces quatre-vingt-quatorze-planches.

Au final, Une vie à écrire se révèle (trop) dense dans sa deuxième partie, sans que cela se révèle suffisant pour convaincre.

dimanche 2 juin 2013

Khazars ! Vous avez dit "Khazars" ?

Le vent des Khazars : Tome 2

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© Glénat 2013 - Fournier & Nardo
Quel lien existe-t-il entre un mystérieux groupuscule s’attaquant aux sites des multinationales exploitant le pétrole azerbaïdjanais et un royaume disparu depuis un millénaire ? A priori, aucun, sauf peut-être le nom de « Khazars » ressurgit du passé pour une raison que Marc Sofer voudrait bien connaître.

Makyo a su élaborer un scénario qui passe du Xe siècle au XXIe avec une facilité déconcertante et arrive ainsi à ne faire qu’une de deux histoires parallèles. Il y a mille ans, les méandres de la diplomatie byzantine eurent raison du peuple Khazar ; aujourd’hui, le mercantilisme peu scrupuleux de sociétés pétrolières efface définitivement leurs dernières traces. Le vent des Khazars a fait son œuvre. 

Malgré un final un rien mélodramatique et qui aurait mérité d’être quelque peu plus approfondi, ce récit s'avère cohérent et prenant, à l'image du graphisme réaliste, quoiqu’un peu figé, de Federico Nardo.

Libre adaptation graphique de l’œuvre de Marek Halter, le premier opus du Vent des Khazars avait, bien que fort discrètement, fait bonne impression. Sept mois plus tard, le deuxième volet du diptyque clôt agréablement ce récit.