mardi 31 décembre 2013

La guerre de René Tardi

 
© Casterman 2012 - Tardi
Il est des choses qui ne peuvent se deviner, la raison de la colère d’un père est l’une d’elles. Sur trois cahiers, René Tardi a révélé sa drôle de guerre et sa captivité. Ce qu’il n’avait jamais dit, il l’a finalement écrit. Un travail de mémoire qui n’éteint pas les rancœurs et n’efface pas des années d’incompréhension mais permet, même tardivement, de se comprendre enfin ! 

Un pays se souvient plus facilement de ses victoires que de ses défaites et c’est certainement pour cette raison que notre Histoire retient la France qui a résisté et beaucoup moins de celle qui s’est battue en mai 1940. Ainsi, le courage de ces soldats submergés par un raz de marée vert-de-gris n’a pu effacer la suffisance de l’état-major français de l’époque. 

À travers le graphisme de son fils, René Tardi lui raconte le pourquoi de son engagement et l’origine de sa haine. Il décrit enfin sa détention en Poméranie et ses jours de combat à surmonter la faim qui torture le ventre jusqu’à l’obsession et le fatalisme qui pousse à supporter l’insupportable. Dans une mise en abyme faisant abstraction du temps passé, le créateur d’Adèle Blanc-Sec se transpose - gamin - dans le récit de son paternel et établit un dialogue transgénérationnel surréaliste. Pas de grandiloquence, juste un enfant devenu adulte qui apprend à connaître son père par le biais de planches structurées en panoramique dont la linéarité comme la mise en couleur (de Rachel Tardi) rendent compte avec une justesse rare de désillusions qui marqueront irrémédiablement. 

Stalag II B est une autre vision de la Deuxième Guerre mondiale, celle de ces hommes qui résistèrent à leur manière en luttant contre le froid, le dénuement, les privations et la mort. Pas de faits guerriers glorieux pour marquer la Nation seulement, l’abnégation à vouloir revenir embrasser les siens. Un album d’une poignante et grande simplicité.

dimanche 29 décembre 2013

Effectivement, il y en a pour tous les goûts...

Tony Chu : 7. Dégoûts et des douleurs

© Delcourt 2013 : Layman & Guillory
Toni est morte, et ça, son flic de frère ne le digère pas ! 

Dégoûts et des douleurs permet de révéler un Tony Chu qui prend de l’épaisseur. Il est des épreuves qui vous murissent un homme, même s’il est élevé au jus de betteraves. Entre Le Vampire qui veut le recruter, l’Église de la divinité de l’œuf immaculé qui cherche à le convertir, Savoy qui tente de le manipuler via Olive ou la bande de dégénérés qu'il côtoie quotidiennement, l’agent cibopathe est à deux doigts de voler dans les plumes de celui qui osera se prendre de bec avec lui. 

Un petit changement s’opère donc subtilement avec ce titre. Si l’humour loufoque, voire potache, est toujours présent – à ce titre, la Navy en récolte pour son grade - John Layman donne à son héros une détermination qui ne lui est pas coutumière. Cependant, il serait dommage que cette opiniâtreté devienne mécanique et récurrente, car la dimension humoristique en souffrirait. Album de transition, Dégoûts et des douleurs reste un grand moment graphique et le style de Rob Guillory est inlassablement et génialisimement délirant, allant - pour un comics US - jusqu’à réaliser certains de ses gags dans la langue de Molière !

Les inconditionnels trouveront peut-être cet opus moins iconoclaste qu’à l’ordinaire… mais il semblerait que Tony en ait marre de déguster !

Escapade tourangelle

Les innocents coupables : 3. La liberté

© Bamboo 2013 - Galando & Bizot
Jean, Miguel, Adrien et Honoré préparent une nouvelle évasion et, cette fois, pas question d’échouer à nouveau en quartier disciplinaire. Il ne s’agira pas de fuir droit devant, mais de bien préparer son coup pour que cette dernière tentative… soit la bonne. 

Dernier volet de la trilogie des Innocents coupables pour Laurent Galandon et Anlor. Sur une base préparée depuis deux albums, les auteurs relatent la patiente mise en œuvre d’une escapade spectaculaire et orchestrée de première. Un dénouement qui permettra aux héros de sortir de leur condition de forçat pour enfin vivre normalement, du moins comme avant ! 

Cette série confirme le talent de scénariste de Laurent Galandon qui sait, sur des sujets telle la colonie pénitentiaire de Mettray ou le retour au pays d’un combattant de 14-18 (Pour un peu de bonheur), porter des scénarios qui ouvrent sur des récits complexes et parfaitement structurés qui savent finalement résister à la facilité du happy-end. Parallèlement, afin d’accompagner ce récit, le dessin d’Anlor a su évoluer, délaissant les rondeurs au profit des angles, mieux à même de rendre compte des privations et de la dureté des conditions de vie de cette maison de redressement. 

Ainsi, ce referme une histoire plaisamment racontée.

jeudi 26 décembre 2013

Compté 5 fois avant le KO final !

Championzé

© Futuropolis 2010 - Ducoudray & Vaccaro
Amadou M'Barick Fall est né à St Louis, au Sénégal. Arrivé en France dans les jupons d’une actrice néerlandaise, il découvrira la pratique du noble art. À la force de ses poings, dans un style plus que personnel, il deviendra le premier champion du monde africain, raflant le titre à un certain Carpentier. Cependant, sa gloire sera éphémère. 

Décrivant le combat quotidien d’un homme qui n’avait que ses gants pour faire face au racisme ordinaire d’une bonne société certaine de sa supériorité, Championzé retrace le destin hors norme de Battling Siki. 

Côté scénario, Aurélien Ducoudray prend un parti très linéaire, dont il rompt cependant la monotonie en faisant intervenir quelques témoins pour évoquer – au passé - le boxeur, sans pour autant insuffler à l’ensemble un rythme suffisant. Pour sa part, Eddy Vaccaro sert un graphisme aux allures de crayonné qui aurait mérité peut-être d’un peu plus de précision, mais qui, avec sa bichromie et sa pagination traditionnelles, suscite une atmosphère surannée des plus appropriées. 

Après Championzé, Young permet au duo Ducoudray/Vaccaro de s’atteler au deuxième volet de leur trilogie. À noter que simultanément paraissaient dans les bacs des librairies et sur grands écrans, deux versions de la destinée tragique de Victor Younki.

lundi 23 décembre 2013

Voilà ! C'est fini... (air connu)

L'histoire secrète : 32. Apocalypso

Apocalypso ! C’est sur ce titre que s’achève l’odyssée des Archontes. Conçue en 2005 comme un spin-off d’Arcanes et d’Arcane majeur, la série a acquis depuis une dimension qui a fait de l’ombre à ses ainées. De Genèse à ce trente-deuxième album, Dyo, Reka, Aker et Erlin ont ainsi parcouru et tenté de manipuler plus de cinq mille ans d’Humanité. 

© Delcourt 2013 - Pécau & Kordey
Les tenants de la thèse de la conspiration se réjouiront de constater que l’Histoire est bien façonnée par le combat de forces obscures, tandis que ceux qui sont persuadés de l’impossibilité d’infléchir le fil du temps seront confortés dans leur approche. Histoire secrète réussit donc à combler les uns et les autres grâce à l’habileté de Jean-Pierre Pécau. Si ce que d’aucuns considèrent, à tort, comme une "BDnovela" ne modifiait pas fondamentalement le cours des choses tel que nous l’appréhendons, il faut cependant reconnaître que les luttes fratricides des quatre familles savaient remettre quelques faits historiques notoires en mémoire, tout en modifiant singulièrement la manière de les aborder. 

La série avait été pensée pour des parutions rapprochées et plusieurs dessinateurs devaient initialement se relayer pour maintenir une fréquence de sortie soutenue. Si Geto et Goran Sudzuka ne firent qu’un passage éclair sur Le Graal de Montségur, à l’instar de Léo Pilipovic qui n’intervint que sur Les clés de Saint Pierre et 1666, Igor Kordey est celui qui œuvra sur le reste de la saga. Capable de produire au moins deux albums par an - ce qui lui fut souvent reproché -, il a su imprimer un style puissant qui sort du convenu et sait capter l’attention. Ici, l’important est à rechercher dans la tension qui se dégage des planches et non pas dans la précision des vignettes. 

Les généralités étant rappelées, qu’en est-il de cet ultime volet ? 

Il serait dommage de dévoiler prématurément un épilogue tant attendu. Tout juste peut-on évoquer un final au rythme soutenu qui permet de boucler la boucle et aurait certainement mérité, du fait d’un contenu assez dense et d’ellipses conséquentes, quelques pages de plus. Il n’en sera pas dit davantage ! 

Comme toute chose, Histoire secrète connaît finalement... une fin, mais ce n’est un secret pour personne, le trio Pécau/Kordey/O’Grady préside désormais à la destinée des 30 deniers ! Rendez-vous est pris le 5 février 2014.

Pernette et le pot... au feu !

Les chemins de Malefosse : 21. Plaie d'argent 

© Glénat 2013 - Bardet & Goepfert
Il est des chemins qui ne cessent de se croiser. À croire que le destin ne prend de sens que s’il peut les entremêler à loisir. Apparemment, tel est le cas pour Gunther, Pritz, Pernette de Courcelles et le frère Louvel dans Les Chemins de Malefosse

L’avènement des Bourbons au trône de France ne fut pas une partie de plaisir dans un pays en proie à une guerre de religions. La période étant déjà fort confuse, le scénario ne semble devoir rien simplifier. Si son érudition est à saluer, il devient à l’évidence nécessaire de savoir vers quel dénouement il compte mener ; car aujourd’hui, il n’est question que d’une histoire décousue, passant d’un lieu (ou d’une temporalité) à l’autre avec une facilité déconcertante. Reste le dessin de Brice Goepfert dont le réalisme maintient quelque intérêt à la série. 

Une mise en perspective des albums futurs serait la bienvenue, au risque de voir les héros se perdre dans les méandres d’une époque que bien peu maîtrisent.

dimanche 22 décembre 2013

Tous les deux sans personne... (air connu)

Une nuit à Rome : 2. Tome 2

© Bamboo 2013 - Terrasson
Pour vingt-quatre heures à Rome dans les bras de Marie, Raphaël va mettre une partie de sa vie en l’air. Il est des choix qu’il faut assumer et c’est là que cela se complique. 

L’immaturité de quadragénaires adulescents, la nostalgie d’un avenir imaginé autrement, la peur de s’engager durablement, autant de bonnes raisons pour transgresser la routine et retrouver la femme de ses vingt ans. Jim dépeint avec une certaine justesse, et une pointe d’idéalisme, les états d’âmes et les interrogations bien connues de ceux qui ont franchi le cap de la quarantaine. Le tout est qu’il n’est pas toujours donné à chacun de retrouver son amour de jeunesse dans la chambre 118 du Palazzo Medici de la place Navone… Si le graphisme sait rendre des ambiances avec justesse et donne à cette fable urbaine des allures de conte, il convient cependant de regretter finalement une vision par trop idéalisée des rapports amoureux. 

Jolie prestation promise à un bel avenir cinématographique, Une nuit à Rome s'articule autour d'un thème que Jim a décidé d’exploiter jusqu’au bout avec Où sont passés les grands jours.

Veni, vidi et pas vici !

Aigles de Rome (Les) : 4. Livre IV 

© Dargaud 2013 - Marini
Arminius a trahi Rome. Le Castrum Visurgis ignore encore que ses jours sont comptés et désormais, seul Marcus est capable d’arrêter son ancien frère d’armes. Encore faut-il qu’il lui en soit laissé la possibilité ! 

Ce quatrième opus des Aigles de Rome illustre le brio de Enrico Marini dans l’art du combat. Nombre de ses planches exploitent pleinement sa capacité à valoriser – par ses cadrages et son dessin - la force et l’agilité des belligérants. Toutefois, cette approche esthétique ne lui fait pas oublier de travailler un scénario qui sait jouer sur différents registres. Haine, fourberie, traitrise toute la gamme des bassesses humaines semble avoir été utilisée et seule la probité de Marcus émerge du lot. 

Romains et guerriers germains n’étaient pas des enfants de chœur et l'auteur italiano-helvète sait parfaitement le rappeler, tout en donnant à l’ensemble une dimension épique totalement maitrisée.

vendredi 20 décembre 2013

Les champs d'honneur...

La faucheuse des moissons : 1. Les blés coupés
 
© Physalis 2013 - Chabaud & Monier
Ce 11 novembre est l’occasion de décorer l’un des derniers combattants de la Grande Guerre. Alors que l’édile local égraine ses poncifs, Jean Rocaillon se souvient de la boue, de la peur, de la douleur, de ceux fauchés par la mitraille ou asphyxiés par les gaz, de tous ces hommes qui, comme lui, partirent un matin d’août 1914, la fleur au fusil, certains de revenir victorieux pour Noël…

Depuis quelques mois déjà, la guerre 14-18 hante les phylactères et il n’y a qu’a se référer à la thématique sur BDGest pour s’en convaincre. Même s’il tend à s’estomper de l’inconscient collectif, les contemporains du conflit s’éteignant un à un, l’évènement se doit d’être commémoré, ne serait-ce qu’en mémoire de ceux tombés à terre et qu’importe sous quel drapeau. La faucheuse des moissons y concourt à sa manière.

En juin dernier, Frédéric Chabaud et Julien Monier s'attachaient avec Sang noir à l’une des pages méconnues de la Der des Ders : celle de l’engagement des troupes coloniales. Cette fois, il s’agit de suivre un groupe de jeunes gens dans ce qui deviendra la Première Guerre mondiale. Cet opus d’ouverture, la série devant comprendre au moins trois volumes, permet de planter le décor et de présenter les acteurs. Il est ainsi question de Lucien, Jean, Joseph…, de leurs amitiés, de leurs différences et de Charlotte… Structurée en chapitres, Les blés coupés est une chronique sociale de l’ordinaire dévolue au quotidien de ceux qui garniront les premières lignes. Pour accompagner cette histoire, le trait de Lucien Monier, d’une simplicité enfantine dans la première partie, prend ensuite de la maturité sans cependant pouvoir se départir d’un relatif manque de constance. Il bénéficie toutefois d’une mise en couleurs subtilement rehaussée par le papier mat et épais choisi par les éditions Physalis.

Après la nostalgie d’un temps révolu, Les cicatrices de la terre devraient rappeler à tout un chacun la tragique réalité des débuts du XXe siècle.

vendredi 13 décembre 2013

Catalina ! Je suis conquis, j'l'adore...

Conquistador : Tome III
 
© Glénat 2013 - Dufaux & Xavier
En cette fin du mois de mai 1520, Tenochtitlan et ses environs sont l’objet d’une intense agitation. Chacun se prépare à l’assaut ultime, les dernières alliances se font et se défont dans le sang et les larmes. Rêvant de gloire et de richesses, chacun sait que son avenir se jouera dans les semaines qui vont suivre. Mais le destin des hommes leur appartient-il ou est-il l’apanage des dieux qui hantent la canopée ? 

Conquistador est une mécanique parfaitement rodée. Un bel hidalgo sous l’emprise d’une malédiction qui lui échappe, une kyrielle de vrais méchants qui s’égaillent au sein de chaque camp et quelques créatures de rêves aussi désirables que dangereuses. Voilà pour les personnages. Côté décors, une jungle luxuriante et la mégalomanie architecturale de la capitale de Moctezuma permettent à Philippe Xavier de donner forme à l’imagination débridée d’un scénariste qui réinterprète la fin de l’empire aztèque. 

Il faut se rendre à l’évidence, cet album est très bien réalisé et c’est peut-être là que, curieusement, se trouve son principal défaut. Jean Dufaux a beau s’évertuer à inventer des héros torturés et des situations compliquées, l’ensemble demeure trop parfait, trop calibré, pour permettre une réelle empathie avec Catalina Guerero ou Hernando Del Royo. Ce troisième opus se lit comme se regardent ces superproductions où l’héroïne, malgré un séjour prolongé dans les tréfonds d’une geôle putride réapparait au grand jour, plus belle et vénéneuse que jamais. La perfection du dessin de Philippe Xavier, mais aussi une certaine emphase scénaristique y sont certainement pour quelque chose. 

Quoiqu’il en soit Conquistador reste une série à laquelle il est difficile de reprocher l’efficacité de son script ou la maîtrise graphique de ses planches.

Highway to Hell (air connu)

Bouncer : 9. And back

Le Bouncer a évité le pire puisqu’il est toujours en vie. Après quelques difficultés, somme toute compréhensibles en pareil lieu, il s’extrait du guêpier de Deep-End en emportant Pretty John avec lui. Mais le plus dur reste à faire, semer ses poursuivants et arriver vivant à Barro-City ! 

© Glénat 2013 - Jodorowsky & Boucq
Alejandro Jodorowsky n’a pas son égal pour décrire l’enfer dans lequel ses personnages se complaisent sans aucune retenue. Aussi sait-il transformer Deep-End en digne émule de Gomorrhe où, entre deux rapines, la lie du Grand Ouest se donne rendez-vous et s’adonner librement à ses débordements. La perversion est un fond de commerce que l’auteur chilien cultive ici avec talent, ce qui ne lui fait cependant pas oublier qu’il faut savoir aller au-delà pour écrire un bon scénario. 

Si le sexe et la violence règnent en maitres sur le pénitencier et un sur bon tiers de l’album, il est un moment où il est nécessaire de varier les plaisirs et de revenir aux fondamentaux du genre. Une fois la tumultueuse évasion réussie, il s’ensuit une poursuite, à travers la fournaise du désert et le froid mordant du col de l’Aigle, d’une rare efficacité et terriblement humaine dans sa démesure. Et que dire d’un final surprenant qui traduit à lui seul le brio d’un scénariste, certes souvent décrié, mais résolument à part ? 

Un tel script exige un dessin qui puisse exprimer toutes ces passions sans les dénaturer. François Boucq est celui qui en donnant corps à ces pulsions, leur confère toute leur crédibilité. Associé à une maitrise des décors qui entre en résonance avec l’univers tourmenté du réalisateur de La Danza de la Realidad, il imprègne ce diptyque d’une couleur qui en décuple l’intensité dramatique. 

D’une superbe manière, To Hell comme And Back revisitent les canons du western. Que demander de plus ?

lundi 9 décembre 2013

Toute ma vie, j'ai rêvé (air connu)


© Paquet 2013 - Vier
Il est des seconds qui se voudraient les premiers. Richard de Winter appartient à cette catégorie, et il aurait pu inscrire son nom à jamais dans les nuages si, le devançant systématiquement, Gabriel Montaigue n’avait été là ! De déconvenues en désillusions, l’aristocrate n’aura de cesse de supplanter son éternel rival. Qu'importe les moyens employés. 

Fidèles à leur ligne éditoriale, les éditions Paquet entraînent leurs lecteurs vers les firmaments, et cette fois, c’est un jeune autodidacte helvète qui est aux commandes. 

King Richard n’est pas seulement l’histoire de deux pionniers anglais de l’aviation qui se disputent le ciel et, accessoirement, les faveurs de la baronne Elise d'Astarac. Il est, surtout, question de la volonté de réussir malgré les handicaps et des dérives qu’une telle détermination peut causer. Prenant pour cadre, les prémices du XXe siècle et les bouleversements technologiques qui l’accompagnent, Max Vier signe un scénario qui retrace le destin fictif et cruel d’un pilote qui se voulait le meilleur. Le recours à la métaphore aérienne qui permet de tutoyer les cieux, est alors l’occasion de jolies planches. Riche à en devenir confus, le script alterne des séquences narratives avec une voie en off à la première personne, des flashbacks oniriques et de tournoyantes envolées. Toutefois, cette richesse finit par nuire à la lecture et à la compréhension du récit, tout comme la confusion des physionomies masculines. Reste que les scènes aéronautiques donnent le tournis et illustrent déjà une maîtrise des angles de vues à laquelle l’expérience cinématographique de Max Vier n’est certainement pas étrangère. 

Refusant la facilité, ce one shot s’attache à la vie d’un homme dépassé par ses rêves de gloire. Pari ambitieux pour un premier album…

Ainsi, soit-il !

Jour J : 15. La secte de Nazareth

© Delcourt 2013 - Duval & Kordey
En se lavant les mains, le gouverneur Ponce Pilate a fait le mauvais choix. Crucifiant Barabbas en lieu et place d’un certain Jésus de Nazareth, il a permis au prédicateur de soulever Jérusalem et d’attirer sur elle les foudres de l’empereur Claude et de sa Xe Fretensis. Trente ans plus tard, cette secte de fanatiques veut brûler la Ville Éternelle.

 En considérant le cours du temps comme une suite de hasards, rien n’empêche d’imaginer que ce qui est, aurait pu être tout autre. Tel est le principe de base de l’uchronie dont le scénariste de Jour J et du Grand jeu demeure l’un des spécialistes.

Toujours avec Fred Duval, Jean-Pierre Pécau revisite aujourd’hui les prémices du christianisme. Cependant, ils en modifient singulièrement l’approche puisqu’il est ici question d’un groupuscule qui, après une révolte durement matée, a essaimé au sein de toute la Romanité et cherche désormais à s’attaquer au cœur de l’Empire. Si le récit se déroule il y a un peu moins de deux mille ans, il semble devoir trouver un écho - voulu - dans l’actualité : derrière Rome, il est possible d’imaginer l’ombre de Washington… Très contemporain dans le propos, La secte de Nazareth tient toutefois plus de la traque policière que de l’analyse théologique, même si, au regard de l’Histoire, le dernier coup de glaive du centurion Gaius sonne comme un aveu d’échec !

Déjà aux pinceaux sur Le lion d’Égypte, Igor Kordey est de ceux dont la puissance des planches ne laisse pas insensible. Et si un certain manque de précision peut lui être parfois reproché, il livre ici une partition qui en privilégiant la force du trait à un réalisme forcené, n'en sert pas moins parfaitement le scénario.

Sur un concept inépuisable, Jour J souffle le chaud et le froid. Avec ce dernier volet, il semblerait que les auteurs aient retrouvé leur inspiration et offrent à ce one-shot une mise en perspective dont tous les opus de la collection ne bénéficient pas.

dimanche 8 décembre 2013

Happy birthday...


Cérémonie d’anniversaire au Petit Faucheux, où la librairie Bédélire fêtait ses 20 ans. Un bel âge qui méritait, comme il se doit, d’être marqué. 

Au menu des festivités musique et dessin ! Sur des registres divers, Frasques accompagné de Guillaume Carreau puis Chromb! (un groupe lyonnais) et Sébastien Flao ont fait le spectacle. Si l’un jouait sur un registre New Orléans (piano, clarinette/saxophone et guitare/banjo), le second (piano/synthé, saxophone, basse et batterie) évoluait sur des notes nettement plus expérimentales jouant sur ses harmonies aussi bien que sur les désaccords. Quoiqu’il en soit, le brassage proposé entre musique, dessin, vidéo et animation a fait son petit effet sur une salle comble et - à s’en référer aux applaudissements nourris - conquise par les prestations offertes. 

Une soirée de découvertes entrecoupée de quelques bulles qui étaient allées se chercher du coté de Vouvray… et de quelques figures locales (Simon Hureau, Serge Pellé, Ullcer et sûrement d’autres … que je n’ai pas reconnus !). Il y avait pire manière d’occuper son samedi soir !

vendredi 29 novembre 2013

Banni soit qui mal y pense !

Le Banni : 2. La reine pourpre

© Le Lombard 2013 - Henscher & Tarumbana
Hector Wiestal revient sur les terres d'Archaon pour se voir accusé du meurtre de son souverain. Dans un dernier murmure, Alester confie une dernière mission à son ancien compagnon d’arme, l’une de celles qui scellent à jamais les légendes.

Le poids de nos victoires avait laissé le Banni et ses compagnons aux lisières du pays surfin. Les voici de nouveau fuyant les sbires d’Elysia, qui règne désormais dans le sang de ses pairs. Avec le deuxième opus de ce triptyque médiéval fantastique, Henscher et Tarumbana signent un retour attendu.

Outre les figures imposées du genre, Henscher sait développer - en second plan - des thématiques qui confèrent de l’épaisseur à cet album. Jouant sur les ambigüités, peu de personnages échappent à une psychologie marquée soit par une folie illuminée ou des tourments intérieurs, soit par une ambition sanguinaire, quand il ne s’agit pas d'une haine farouche. Utilisant de nombreux retours en arrière qui éclairent les désillusions d’un héros déchu, le scénario entrelace différents propos qui, loin de s’exclure, donnent corps à un récit, à l’image de ces fils qui, tissés, constituent une étoffe des plus solides. Sur cette toile, Tarumbana peint numériquement ses planches. Et si le jeu des ombres parvient à atténuer le statisme qui imprègne bien des vignettes, les scènes de combat sont dotées d’une puissance et d’une violence qui en décuplent la dynamique et font de La reine pourpre une réussite graphique.

Attendu fin 2014, La voix des morts apportera-t-il la rédemption à celui qui, dit-on, fait les rois ? Allez savoir !

Juliette en août 36


© Futuropolis 2013 - Gibrat
En ce début du mois d’août 1936, cinq cent cinquante mille ouvriers français découvrent les congés payés. À vélo, en train ou bien encore en voiture, les cohortes des premiers vacanciers s’abandonnent, durant quinze jours, aux joies de l’oisiveté et du soleil. C’est l’occasion pour Mattéo de revoir Collioure, sa mère et Juliette…

Dans Troisième époque, Jean-Pierre Gibrat évoque, avec une sensibilité teintée de nostalgie, la France du Front populaire : celle de la semaine de quarante heures, de l’allocation chômage, de l’école obligatoire jusqu’à quatorze ans. Celle qui, sans le savoir, goûte les derniers instants d’insouciance d’une décennie qui la verra bientôt entrer en guerre.

La saison s’y prêtant, le dessin est un appel au vent sous les robes translucides, à la douceur d’un baiser donné, au goût de l’anisette, à l’odeur des pins, à une brise marine dans les cheveux, aux balades en tandem, à la chaleur du jour et à la tiédeur des nuits. Cet album est un flot de souvenirs qui, emmagasinés au cours d’une quinzaine ensoleillée, tiendront chaud au cœur le reste de l’année. Jouant sur les cadrages, les angles de vue, le découpage ou les couleurs, le trait comme la mise en lumière savent insuffler mouvements et intensité. Dès lors, une simple promenade sur la plage prend des allures de valse.

Toutefois, derrière cette légèreté estivale, la tragédie espagnole se prépare.

Condamné au sortir de la Der des Ders, puis amnistié, Mattéo est resté à Paris où, ironie du sort, il est désormais… tailleur de pierres ! Mais ce retour au pays de son enfance fait resurgir tout un passé difficile à oublier. Malgré son apparent détachement et les bras de Juliette grands ouverts, il ne peut définitivement éteindre la révolte qui lui coûta dix ans de sa vie et la mort de nombre de ses illusions. Il est des causes à défendre, même si elles sont perdues.

S’il convenait de donner un adjectif à cette histoire, celui de "social" viendrait en premier. Au-delà de ces plages soudainement pleines d’une foule bigarrée autant qu’animée ou des bals au son de l’accordéon, la petite ville catalane cristallise les rivalités politiques qui agitaient l’Hexagone, exacerbées par la proximité d’une Espagne qui servait de répétition aux fascistes européens.

Chronique douce-amère d’un été particulier qui put faire croire en des temps meilleurs, ce nouveau volet de Mattéo illustre, s’il en était besoin, le talent de son créateur.

samedi 23 novembre 2013

Etoile des neiges, mon coeur amoureux (air connu)

Le pilote à l'Edelweiss : 3. Walburga

© Paquet 2013 - Le Pennetier & Hugault
Henri, Alphonse : deux jumeaux aux destins si différents. Car, à en croire une fille de Bohême, l’un connaîtra une fin tragique dans les bras d’une femme au cœur de pierre, tandis que l’autre périra noyé si une naïade ne le sauve. Mais la Guerre de 14-18 n’a que faire des prophéties d’une belle diseuse de bonne aventure ! 

Avec Walburga, Yann et Romain Hugault mettent un terme aux envolées du pilote à l’édelweiss. Les pièces du puzzle s’assemblent enfin et l’heure des comptes a sonné. 

Sans rien dévoiler d’une fin des plus morales, certains regretteront la manière dont le père créateur de Dottie clôt son triptyque avec une certaine facilité dans la félicité. Quoi qu’il en soit, il serait mal venu de bouder son plaisir et si le scénario montre parfois une relative naïveté qui tranche avec la noirceur de l’époque, Yann fait le boulot, et bien. Parallèlement et au-delà de toute polémique sur la capacité du SPAD S.XIII à virer sec sans décrocher à 19.686 pieds, il faut reconnaître que les planches de combats aériens de Romain Hugault sont toujours à couper le souffle. Maîtrise technique des lignes, qu’elles soient de fuite ou des appareils, cadrages, angles des prises de vue… tout est dessiné pour donner au lecteur l’illusion qu’il est, lui aussi, dans l’habitacle. Une fois revenu sur le plancher des vaches, cette impression d’aisance s’estompe quelque peu devant la candeur des personnages, mais nul ne saurait en vouloir à un dessinateur qui réussit à rendre compte, avec autant d’à-propos, des voluptueuses volutes d’une Gitane. 

Sur Walburga se referme l’histoire d’un pilote qui préférait les édelweiss aux marguerites. Désormais, il ne reste plus qu’à patienter sur le tarmac et à attendre le prochain vol des Hugault Drawing Lines.

jeudi 14 novembre 2013

Et de deux !

Hercule (Morvan, Looky) : 2. Les geôles d'Herne

© Soleil Productions 2013 - Morvan & Looky
Revenu de sa première épreuve, Hercule se voit confier une nouvelle mission : partir sur une planète prison afin de ramener à la raison un Exogin-n’n répondant au nom d’I-dr.

Les geôles d’Herne est le deuxième opus d’un space-opera qui revisite ses classiques et les transcrit dans un univers particulièrement sanglant où les manipulations génétiques remplacent les anabolisants de synthèse. Rejouant le combat d’Héraclès contre l'hydre de Lerne, Jean-David Morvan en livre une version qui, malgré les apparences, s’avère assez proche du script originel… même s’il est ici transposé aux confins des mondes connus, en des temps pour le moins indéterminés. Par nombre de détails, il fait subliminalement le lien avec la légende tout en la revisitant avec imagination. Ainsi crée-t-il, en lieu et place du monstre aux neuf têtes, sept clones tout aussi immortels... 

Ceci étant, l’attrait de la série est ailleurs et ce qui a pu être dit sur le premier album reste de mise. Le scénario plus porté sur l’efficacité que sur la psychologie demeure elliptique en diable, tandis que le graphisme hyperréaliste de Looky et Olivier Till confirme leur maîtrise consommée de l’infographie. Aussi, ce nouveau volet des vicissitudes du Merk ravira les adeptes du genre sans forcément déplaire à ceux qui apprécient les planches fouillées et travaillées.

Il manque à ce dodecaptyque un rien d’introspection et quelques pages supplémentaires qui le satelliseraient sur une toute autre orbite…

Une lesbienne plutôt gaie !

Lesbienne invisible
 
© Delcourt 2013 - Dbjay & Revel
Océanerosemarie est homo. Mais contrairement à certaines idées reçues, cela ne se remarque pas de prime abord sur son visage ! 

En cette fin d’année, la mode est aux spectacles qui trouvent une seconde vie dans les opuscules du 9e Art. Ainsi sortent, coup sur coup, Comprendre les femmes, une compilation des sketches d’Olivier de Benoist chez Bambou, Ils s’aiment, transcription en strips de la pièce de Pierre Palmade et Michelle Laroque aux éditions Jungle, et La lesbienne invisible, version dessinée du spectacle du même nom écrit par Océanerosemarie. Cerise sur le gâteau, une adaptation cinématographique serait prévue pour 2014. 

Un one woman show est une chose, un album en est une autre… et ce qui suscite le rire sur les planches de l’un, peut virer au désastre dans celles de l’autre. Toutefois, la chroniqueuse de France-Inter et Murielle Magellan, qui cosigne le scénario, ont su éviter cet écueil. Structurée autour d’une suite alerte de saynètes qui illustrent les temps forts de sa construction personnelle, l’histoire évoque avec légèreté et un humour des plus caustiques les déboires sentimentaux et sexuels de l’artiste. Cependant, il est difficile de comprendre où le récit veut emmener le lecteur. Ne cultivant pas la profondeur de Le Bleu est une couleur chaude, l’album reste sur le registre de la dérision… ce qu’il fait fort bien. De son côté, Sandrine Revel sait imposer sa marque. Son trait léger, enjoué et coloré dépeint agréablement les états d'âme d'une héroïne somme toute ordinaire, à l’exception - peut-être - de ses orientations saphiques quelque peu marquées ! 

Radio, théâtre, bande dessinée, film et même chansons… Décidément, pour une lesbienne invisible, Océanerosemarie est une femme que l’on voit beaucoup en ce moment !

lundi 11 novembre 2013

Le bleu est une bien jolie couleur

Le bleu est une couleur chaude

© Glénat 2010 - Maroh
Le bleu est une couleur chaude, Quai d’Orsay, le Transperceneige… En cette fin d’année, les adaptations de bandes dessinées au cinéma sont légion. 

Beaucoup de choses ont été écrites sur cet album juste et sensible : la cohorte des récompenses que collectionne désormais Julie Maroh le prouve. Alors qu’ajouter de plus, si ce n’est de dire que l’amour peut être éternel, mais nous ne le somme pas, il convient alors de s’en souvenir afin d’en savourer chaque seconde. Et puis, n’en déplaise à certains, le fait que ce soit entre deux personnes de même sexe, n’enlève rien à l’intensité et à la profondeur du sentiment amoureux !

Un album beau et dramatique. À lire.

vendredi 8 novembre 2013

L'abbé qui ne savait à quels seins se vouer

Les mémoires de Casanova  : 1. Bellino

© Delcourt 2013 - Andrei & Mazzotti
En 1789, au château de Dux en Bohème, Giacomo Girolamo Casanova trompe le temps en rédigeant ses mémoires. Jusqu’en juin 1798, il écrira dix volumes de ce qui deviendra Histoire de ma vie, une œuvre dont la Bibliothèque nationale de France a acquis la version originale en 2010.

Que dire de celui que l’inconscient collectif a élevé au rang d’idéal masculin et que les historiens, plus pragmatiques, considèrent comme un témoin privilégié de son époque ? Rien qui n’ait été à maintes reprises relaté, repris, interprété et déformé… Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder ce que le 9e Art a déjà produit sur le sujet.

Même si les éditions Delcourt souhaitent développer leur collection Erotix, il n’était guère envisageable d’adapter les trois mille sept cents feuillets de l’hagiographie manuscrite du contemporain du divin marquis, d’où le parti pris de ne retenir que certains épisodes - judicieusement choisis - de son existence. Dès lors, et même si la fidélité historique semble être respectée, il est difficile de parler de scénario pour cette succession de tableaux qui retracent les premiers émois du jeune abbé, car en 1744, Casanova a dix-neuf et porte la soutane ! Autres époques, autres mœurs…

Bien que l'album ne soit pas à mettre entre de jeunes mains, le dessin de Stefano Mazzotti sait rester dans le registre d’un érotisme de bon aloi qui n’affolera que quelques oies blanches à peine sorties du couvent, ce qui, en ce XXIe siècle, demeure chose fort rare. Si le trait, très réaliste, ne laisse rien ignorer de l’intimité d’adolescentes plus prisonnières de leurs sens que de leur vertu, il n’en reste pas moins empreint d’un statisme académique qui nuit à la spontanéité du récit et à la sensualité des transports amoureux. Passé ce détail, l’ouvrage s’apprécie facilement.

Privilégiant les jeux de jambes des alcôves aux ronds de jambes des officines diplomatiques, ce premier volet des Mémoires de Casanova s’avère bien décevant, une fois les pâmoisons de la chair éteintes.