dimanche 27 mai 2012

I'm standing at the Crossroad....

Billet sur l'opus 3 d'O'boys : Midnight Crossroad

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© Dargaud 2012 - Cuzor & Colman
Huck Finn a fait une promesse à Charley Williams et une promesse à un ami, c‘est sacré, même s’il est noir. Désormais, la trace de celui qui maintenant se fait appeler "Lucius no fingers" se perd dans les rues de Memphis. En cette cité de légende, où naquit le Blues, le jeune garçon et son amie Suzy ne ménagent ni leur temps, ni leur peine pour le guitariste de génie, véritable fantôme que tous semblent avoir écouté, mais que les deux adolescents peinent à retrouver. Du triage de la Missouri Pacific Railroad en passant par les bouis-bouis à la rive droite du Mississippi, ou les coulisses sordides du Palace Theater, l’ombre de Lucius fait courir les deux jeunes adolescents à travers une ville gangrénée par la Grande Récession. Mais le Diable n’a pas voulu du musicien prodige et Huck pourra arracher ce qu’il en reste aux griffes du shérif Bull, du moins temporairement !

Dernier volet de ce premier cycle où nos deux jeunes héros échouent dans un Memphis qui peine à digérer le krach de 1929. À mille lieux des mirages vendus par Hollywood, le scénario offre un regard moins édulcoré du rêve américain. En ces temps de misères, l’Amérique gère sa paupérisation comme elle peut et si elle invente le Blues, elle est aussi le creuset d’excès dépeints avec minutie et qui servent de toile de fond à ce "rail movie". Initié comme une variation de Huckleberry Finn, O’boys acquiert progressivement la profondeur et de la densité qui en font une belle série. Faut-il y voir la patte de Colman ou le maîtrise du sujet par Cuzor ? Vraisemblablement les deux.

Si les Etats-Unis des années 30 constituent le décor dans lequel s’inscrit l’album, le Blues lui donne le rythme et en marque le tempo. Chaque planche est imbibée des mélodies et des accords de ces guitaristes qui gémissent leur désespoir et si Lucius a des airs de Robert Johnson cela n’est pas forcément le fait du hasard ! Toutefois, au-delà de la musique, il y a surtout une multitude d’hommes et de femmes, de toutes couleurs, jetés sur les routes et dans les trains. Steve Cuzor sait les intégrer à son histoire et les dessine avec précision comme pour en rappeler l’importance - A noter, pour l’anecdote, la physionomie de certains seconds rôles, qui n’est pas sans rappeler celle de personnages célèbres tel Sammy Davis Jr… Parallèlement, la mise en couleurs de Meephe Versaevel sait mettre en exergue un feeling et une l’atmosphère particulière qui confèrent à l’album tout son attrait.



Indiscutablement, Midnight Crossroad impose une série à l’indéniable qualité. Pour conclure, en plagiant un tant soit peu Calvin Russel, disparu depuis peu :  
  • Hey, Mister Cuzor,
  • You’re standing at the Crossroad,
  • There are many roads to take,

Pauvre Alice ...

Billet sur l'opus 1 d'Alice aux Pays des Singes : Tome 1

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Alice a un problème ! Elle n’est plus au pays des Merveilles et elle se retrouve amnésique au pays des Singes. Le pire, c’est que tous les primates la prennent pour Tarzan ce qui, il faut bien l’avouer, est quelque peu vexant. Heureusement qu’Eddy le mandrill est là et que, grand cœur, il décide d’aider la gamine à regagner ses pénates. Car la pauvre, complètement paumée au milieu de la jungle, risque de finir en hors-d’œuvre pour tigres.


© Glénat 2012 - Keramidas & Tébo
Loin d’être une simple parodie d’Alice au pays des Merveilles, l’album de Tebo et de Nicolas Keramidas possède quelque chose de subversif et de savoureux, notamment dans la manière dont il égratigne la pauvre héroïne. Chiante à souhait, niaise à en devenir nunuche, rien ne lui est épargné. De la désobligeance des singes qui la prennent pour Tarzan - faut dire que pour eux tous les humains sont des tarzans - aux crottes de nez d’Eddy, la fillette affronte avec une naïveté suspecte les dangers séculiers de la jungle (marais, fleur carnivore, éboulement…) pour finir boulotée par un tigre danseur transformé en passeur vivant ! Il faut suivre …


Sur ce coup, les deux auteurs se sont visiblement lâchés, en laissant libre cours à une interprétation déjantée des rêveries de Lewis Carroll et en perpétuant, à leur manière, les pérégrinations de la donzelle. À mi-chemin entre le conte illustré pour enfants et la bande dessinée pour plus grands, cet album - avec sa galerie d’animaux abracadabrantesques et loufoques au possible - possède un côté transgénérationnel des plus sympathiques. L’humour potache de Tebo – qui visiblement se retient - allié à la naïveté et au foisonnement du dessin de Keramidas forment un cocktail désopilant, qui se lit avec un plaisir régressif.


samedi 19 mai 2012

Soeur Isabelle, priez pour lui !

Billet sur l'opus 2 d'Ambulance 13 : 2 - Au nom des hommes

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La guerre livre quotidiennement son contingent de morts et d'atrocités. Fidèle à l'idée qu'il se fait de lui même et de sa mission, Louis-Charles essaye d’apporter un semblant d'humanité dans ce qui, au grès des vagues d'assaut, n'est plus que cris, douleurs et mort. Mais, en ces temps, où l'honneur d'un homme se mesure à sa propension à se faire massacrer sans contester, il est mal vu de proposer à l'ennemi une trêve pour ramasser ses blessés : tout fils de lieutenant-général que l'on soit ! Mais si l’homme a inventé la guerre, il a également inventé l’amour et celui-ci peut même naître, et mourir, au milieu de vastes cimetières où les tombes se creusent à grand renfort d'obus.

© Bamboo 2012 - Mounier & Cothias
Patrick Cothias et Patrick Ordas, auteurs du roman éponyme, nous livrent avec Au nom des hommes un album profond et émouvant sur un épisode méconnu de la Der des Ders. Ambulance 13 relate la genèse de ce qui deviendra le Service de Santé des Armées et de ces médecins de guerre tiraillés entre leur devoir de soldat et celui de médecin. En respectant un contexte historique, sans pour autant verser dans le cours d’histoire, en sachant alterner les interminables heures de terreur au fond des tranchées, avec quelques rares instants d’accalmie sur les lignes arrières, en opposant la volonté d’aider à vivre, à la stupidité d’une hiérarchie qui n’a guère plus de considération pour ses soldats que pour du bétail et en jouant de la troublante ambigüité des sentiments entre le jeune lieutenant et sœur Isabelle, les deux écrivains déploient un scénario qui s’attarde sur ceux qui firent cette guerre, mais sans la vouloir. Sur un registre tout en harmonie, le dessin réaliste d’Alain Mounier et la mise en couleurs de Sébastien Bouët évitent intelligemment le sordide et le pathétique de bonne aloi et concourent à l’intensité et la maturité de cet album.

En rendant hommage à ces hommes et ces femmes qui risquaient leur vie pour essayer de la faire resurgir des chairs mutilées par les combats, Ambulance 13 constitue certainement l’une des meilleures séries du moment.

mercredi 16 mai 2012

De retour d'Afrique

Billet sur l'opus 3 d'Ida : Stupeur et révélations

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© Delcourt - Cruchaudet 2012
Passablement marquée par son séjour à la cour du roi Béhanzin et sans le sou pour poursuivre son périple africain, Ida est contrainte d'intégrer une cohorte de novices partie évangéliser quelques contrées congolaises. Le passage de l’Équateur ayant eu un effet plus que salvateur sur l’équilibre psychologique de notre héroïne, celle-ci n’aura, dès lors, de cesse de trouver un moyen lui permettant de quitter ses consœurs de mauvaise fortune. Réussissant enfin à regagner l’Europe et Paris, Ida trouvera enfin la réponse qu’elle était partie chercher au royaume du Dahomey.

Ces derniers temps, les exploratrices féminines et les dérives de la colonisation font l’actualité du 9ème art. Après Africa Dreams de Maryse et Jean-François Charles ou encore le Mary Kinsley de Julien Telo, Chloé Cruchaudet clôt, avec Stupeur et révélations, les aventures africaines d’Ida von Erkentrud. Avec une naïve - et redoutable - efficacité, l’ancienne élève des Gobelins sait rendre attachante une jeune femme qui, voulant seulement concrétiser un rêve d’enfant s’embarque pour Tanger puis Saint-Louis. À travers Ida, la dessinatrice lyonnaise rend compte, avec une délicieuse ingénuité et une réelle jubilation, des travers des colons européens vivant en vase clos, imbus de leurs certitudes et de leur souveraine supériorité. Aussi, au fil des pages et des albums, l’intérêt, d’abord bienveillant, porté à l’héroïne helvétique prend épaisseur et consistance au fur et à mesure que celle-ci, à défaut de vraiment percevoir et comprendre l’Afrique, l’accepte et admet les changements que son épique odyssée induisent sur sa petite personne. Sous une apparente désinvolture, cet album permet d’aborder, sans emphase, les errances du colonialisme économique et spirituel - même le mieux attentionné - que l’Europe exerça sur le continent noir.

Grâce à un dessin et un scénario pleins de justesse et d’à-propos, et avec un humour parfois acide mais jamais trivial, la jeune auteur(e) signe là un album - et un triptyque - qui sonne terriblement juste. Une jolie tranche de vie et un adorable moment de lecture.

dimanche 13 mai 2012

Ella, elle l'a... (air connu)

Billet sur l'opus 4 d'Ella Mahé : La Couleur des Dieux

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Thomas n’est pas l’archéologue qu’il prétend être, mais plutôt un aventurier sans scrupule qui veut s’approprier, à des fins purement mercantiles, le secret de la couleur des Dieux. Ella regrette de s’être lancée dans le désert avec lui, mais il est trop tard ! Victime d’un enlèvement, la jeune femme est finalement recueillie dans le village où Celle qui n’a pas de nom séjourna comme guérisseuse, il y a plusieurs milliers d’années. Impressionné par le regard de la jeune restauratrice, le docteur Adjib, descendant de Fréderic Labadie (princesse des sables) la mènera jusqu'à tombeau de la divinité aux yeux vairons et lui contera l’histoire de celle qui, née fille de pharaon, préféra fuir et vivre au milieu de son peuple plutôt que de subir le poids de la tradition pharaonique… quitte à le faire au péril de sa vie. 

© Glénat 2012 - Simon & Charles
Fin de ce cycle dessiné à 4 mains. Pour clôturer cette épopée égyptienne, Jean-François Charles a invité Christophe Simon, un habitué des récits historiques. La ligne claire du dessinateur belge, collaborateur de Jacques Martin, laisse planer sur ses planches l’ombre de son illustre ainé et Alix semble pouvoir surgir au détour de chacune de ses planches. Côté scénario, la maîtrise du couple belge pour les récits historiques et romanesques trouve ici son plein épanouissement et donne aux 4 albums leurs lettres de noblesse. Pour couronner ce premier cycle, le secret de la mystérieuse princesse est enfin révélé : elle n’est autre qu’une des filles du pharaon Akhénaton, celui qui tenta d’imposer le monothéisme d’Aton à son peuple. Fidèle à la tradition de la série, la dichotomie temporelle dans la structure de l’album et la complémentarité graphique et narrative qui en découle, fonctionnent toujours aussi bien et font de cet opus, comme des trois précédents, une indéniable réussite. 

A suivre… au cours d’un deuxième cycle ! 






vendredi 4 mai 2012

Oh Mary, si tu savait.... (air connu)

Billet sur l'opus 1 du Ignition City : Tome 1

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Depuis que les martiens sont arrivés sur Terre et mis fin à la Deuxième Guerre mondiale, l'Humanité a pû, à son tour, conquérir les étoile. Toutefois, en ce mois de février 1956, seul le spatio-port d'Ignition City permet encore de gagner le vide sidéral. C'est dans ce no man’s space que Mary, la fille du célèbre Rock Raven, atterrit au petit matin. Elle découvrira, rapidement, que tous les anciens amis de son défunt père ne lui voulaient pas que du bien.

© Glénat 2012 : Pagliarani - Ellis
Warren Ellis est décidément à l'honneur chez Glénat Comics puisqu'après la sur-énergisée Anna Mercury, le voici de retour avec l'une de ses séries phares, Ignition City, dont les 5 volumes sont ici compilés (en VF) en un seul album. Dans ce huis-clos uchronique et rétro-futuriste à souhait, l'auteur britannique s'adonne librement à l’un de ses thèmes de prédilection - la conquête de l’Espace - et réussit la performance d’adapter, sur un récit de science fiction totalement steampunk, les codes du western traditionnel.
Au-delà du clin d’œil aux conquérants de l’espace assimilés aux pionniers de l’Ouest américain, Warren Elis nous livre un scénario plutôt bien ficelé, parfois drôle, voire cynique, avec un vignettage dense et des dialogues qui ne le sont pas moins. La lecture en est (parfois) ralentie mais présente l’énorme avantage de donner de consistance aux personnages et densité à l’histoire. Toutefois le regard n’est pas scotché aux phylactères et peut librement apprécier les extérieurs réalisés par Gianluca Pagliarani. Si ses personnages souffrent parfois d'une approche graphique qui manque de constance, l’ambiance dans laquelle évolue la belle Mary (comme quoi il est possible d’être pilote d’engins spaciaux, parler le martien des hauts plateaux et rester féminine) n’est pas encore sans rappeler celle de ces stations orbitales perdues aux portes du Far-Space, sordides, suintantes, minimalistes et étouffantes.

Ignition City est un album vintage, un rien régressif qui parle d’Espace sans pour autant décoller du plancher des vaches. Sacrée performance !