jeudi 27 octobre 2016

ISABELLAE

 
© Le Lombard 2016 - Raule & Gabor
Invoqués par les Druides, les Formoires surgissent par centaines des entrailles de l'île d'Émeraude. Défaits, Celtes, Anglais et Normands doivent s’unir, malgré leurs rancœurs, pour tenter de survivre. 
 
La Geste des Dieux Obscurs n’est qu’un combat. Dans une mêlée de corps déchirés et de chairs lacérées, quels qu’ils soient, les combattants s’entrechoquent dans un maelstrom où même un dieu aurait du mal à reconnaître les siens. À l’évidence, le souhait de Gabor et Raule est de rendre compte au plus près de la densité des heurts, de la violence des coups portés, de la bestialité régnant au pied de la colline de Tara. Le résultat est à la hauteur de l’intention. Mais comme pour toute chose, l’excès nuit et la profusion se mue en confusion. L’affrontement vire au capharnaüm et sa finalité se consume au fur et à mesure que son issue se dessine.Loin du Japon, la dualité entre les deux cultures n’est plus et Isabellea redevient une série médiévalo-fanstatique lambda. Seul subsiste de l’Empire du Soleil levant un sabre dont, curieusement, la lame arrive à combattre les lourdes épées du Moyen-Âge. Certes, la couleur de Gabor renforce le découpage de Raule et structure la lecture d’une planche, marque les séquences et rythme le récit, mais ce n’est pas suffisant pour donner un sens à l’album.
 
Reste seulement à espérer que le "cliffhanger" final ne donnera pas lieu à un reboot aérien de ce cinquième volet !

HARMONY


© Dupuis 2016- Reynès
Harmony devait mourir d’une dégénérescence neuronale, mais le traitement mis au point par le professeur William Torres l’a sauvée. Tout irait pour le mieux si des effets secondaires pour le moins curieux n’avaient accompagné cette guérison et suscité un intérêt qui dépasse maintenant le simple cadre scientifique pour devenir militaire… 

Avec Memento, le lecteur avait quitté la jeune héroïne, en pleine nuit, épuisée après une performance télékinésique dévastatrice. Dans Indigo, il retrouve Harmony, six ans auparavant, alors qu’elle découvre ses capacités hors du commun.

Après avoir installé son sujet, Mathieu Reynès se devait de répondre aux attentes suscitées en janvier dernier. Si l’essai peut être de toute beauté, la transformation n’en est pour autant jamais acquise et l’exercice demeure toujours délicat, pour ne pas dire périlleux. Dans le cas présent, il est désormais réussi et de belle façon. Il en est ainsi d’un graphisme qui sait capter l’attention des plus jeunes tout en donnant aux plus vieux l’expressivité que requiert un peu plus de maturité. Mais il ne s’agit pas seulement d’un dessin bien en place ou d’une mise en couleurs informatique toute en nuances, comme quoi l’une n’est pas forcément antinomique de l’autre ! Il est surtout question de structuration des planches, du jeu des plans et du découpage des séquences qui donnent son rythme, son sens et son intensité au récit. Ajoutons à cela un scénario des plus travaillés qui met le premier album parfaitement en perspective du second, tout en annonçant de manière subliminale le troisième et il pourra être passé sous silence une profondeur dans la psychologie des personnages rarement atteinte dans une production estampillée jeunesse ! 

Si Ago s’inscrit dans la veine de ses deux prédécesseurs, Mathieu Reynès se prépare là un bel avenir...

VERTIGO

© Le Lombard 2016 - Sergeef & Bufi
Dans les rues de Guatemala city, l’espérance de vie est des plus courtes, même pour les membres des Maras qui règnent sans partage sur les différents quartiers, réglant leur compte dans des bains de sang. Il y a quelques années, Samuel Santos s’en est extrait par miracle, mais c’est pour mieux y replonger aujourd’hui. 

Après une incartade dans le long Hyver de 1709, Nathalie Sergeef revient en Amérique centrale avec Vértigo. La scénariste belge, comme sur Juarez, adopte un propos dense où les héros traînent leurs blessures avec l’espoir qu’elles les aideront à devenir meilleurs. Sur le thème de la rédemption et de la violence qui mine tout un continent, elle relate une histoire pleine de suspens tout en s’attachant à la profondeur de ses personnages. En cela ce nouvel album - en attendant Rançon d'état - satisfera les amateurs exigeants d’une écriture qui prend soin d’éviter toute linéarité sans pour autant se perdre en flashbacks hors de propos. Paradoxalement, une telle efficacité ne se retrouve que partiellement dans le trait d’Ennio Bufi qui, malgré son réalisme, manque cette fois-ci curieusement de constance et crée ainsi une relative confusion dans la compréhension du récit.

Servi par une narration intense et prenante, Vértigo retrace la vie de ces gamins dont l’identité est tatouée à même la peau et pour qui la vie des autres n’a pas plus d’importance que leur propre mort.

MISS HARLEY

#1
 
© Bamboo Édition 2016 - Chantilly & Poitevin
Après être revenue des plaisirs solitaires, Milly Chantilly passe à la vitesse supérieure. Pour s’envoyer en l’air, mieux vaut un bon vieux bicylindre en V de 750 cm3 qu’un moteur électrique de 1.5 V monté sur un canard en plastique, fut-il thermo-moulé !

Aidés de Philippe Gürel pour dessiner les mythiques machines de Milwaukee, Arnaud Poitevin et Mickael Roux débutent chez Bamboo une nouvelle série qui décline motard au féminin. Miss se rêve en Harley, mais n’abandonne pas pour autant sa féminité… Il s’en suit une série de gags en une planche sur le dur apprentissage de bikeuse : délices des révisions, railleries de ses condisciples mâles, problèmes de carburation et choix du tatouage adapté. L’ensemble prêtera plus souvent à sourire qu’à rire et provoquera – vraisemblablement - des poussées d’urticaire à celles qui ignorent les délices du second degré. 

Exit les doux dingues de la Joe Bar Team ou les fausses terreurs de Mammouth et Piston, le Girl Power investit les concessions Harley-Davidson. Mes amis, que va-t-il nous rester ?

vendredi 21 octobre 2016

PERCEVAL

© Le Lombard 2016 - Pandolfo & Risbjerg
Ce jouvenceau ne connaît pas son nom ! D’ailleurs, en a-t-il besoin puisqu’il vit seul avec sa mère au milieu des bois avec pour seuls compagnons les animaux de la forêt ? Sauf qu’un jour, il découvre trois cavaliers revêtus de fer et de lumières… 

Avec Yvain, Gauvain et Lancelot, Perceval représente l’idéal chevaleresque immortalisé au XIIe siècle par Chrétien de Troyes et dont Anne-Caroline Pandolfo s’inspire ici fortement. 

Plutôt que de faire croiser l’épée à son héros, la scénariste de La Lionne préfère le voir croiser la route de différents protagonistes qui, chacun à leur manière, feront de ce jeune anonyme : Perceval. Mais que personne ne s’y trompe, il ne s’agit pas ici de glorifier celui qui, bien qu’aspirant au meilleur, ne saura aller jusqu’au bout de sa quête, laissant cet honneur à Galaad. Il est simplement question de l’accompagner dans ses premiers pas si hésitants, ceux qui firent qu’après quelques erreurs de jeunesse, il eut enfin la certitude de savoir qui il était. Pour suivre ce cheminement initiatique, Terkel Risbjerg s’emploie - au travers d’un trait jouant sur le registre "naïf" (mais parfaitement en place), d’aplats de couleurs et de flashbacks sous enluminures - à renouer, d’une certaine façon, avec un dessin aux réminiscences médiévales. 

Ne possédant pas l’inventivité d’un Morgane auquel l’actualité le rapproche immanquablement, Perceval permet toutefois de découvrir – fort plaisamment - un personnage emblématique mais finalement peu connu.

IROQUOIS

© Daniel Maghen 2016 - Prugne
En cette année de grâce 1609, Québec n’est encore qu’un fortin de bois sur les bords du Saint-Laurent, mais dans ce coin perdu du royaume de France, deux cents ans de guerre se préparent… 

Patrick Prugne excelle dans l’art de l’aquarelle et des paysages et il a trouvé dans les grands espaces américains un terrain d’expression à la mesure de son talent. Porteur d’une vision idéalisée comme a pu l’être celle de ceux qui découvrirent ces contrées dans lesquelles les Nord-Amérindiens vivaient en harmonie… avec la nature, il n’en oublie pas pour autant les luttes fratricides qui les opposèrent. En cela son dessin est à la fois esthétique et quasiment anthropologique comme le laisse à penser le supplément de ce one-shot : il y a derrière chaque planche un souci du détail qu'il faut saluer. Mais, pour faire un album, il faut aussi une histoire. Ici la question se pose de savoir s’il s’agit de celle de Samuel de Champlain, qui pour mieux pacifier les rives du Saint-Laurent, y mit le feu, ou celle, plus introspective de Petite-Loutre, prisonnière et égérie d’une tribu connue autant pour son organisation sociale que pour son art consommé de la guerre. Difficile de savoir tant Patrick Prugne semble hésiter sans trancher, ni vraiment conclure. 

Quoi qu’il en soit une fois refermé, Iroquois invite à en connaître plus sur le destin naissant de la Belle Province et sur la lutte qu’Anglais et Français se livrèrent par tribus indiennes interposées.

HYVER 1709


© Glénat 2016 Sergeef & Xavier
La neige étouffe les cris de ceux qui meurent, mais la traque de Loys Rohan se poursuit dans cet hiver de 1709 qui ne semble ne devoir jamais finir. Pourtant, à une encablure de la côte, un trésor attend celui qui saura le prendre. 

Second et dernier opus du diptyque signé Philippe Xavier et Nathalie Sergeef. Techniquement irréprochable, ce Livre II manque, malgré ses paysages enneigés, cruellement du souffle épique qui sied à ce type d’histoire. Et si quelques longueurs intermédiaires auraient peut-être permis un traitement plus développé du final, il n’y a décemment pas grand-chose à reprocher aux deux auteurs, si ce n’est que de livrer un album par trop calibré et formaté. La même remarque était faite il y a quelques temps sur le dernier tome de L’épervier. 

Philippe Xavier fait du Philippe Xavier ! Certes bien, mais, ne devrait-il pas se mettre un peu en danger en sortant de sa zone de confort ?

jeudi 20 octobre 2016

CHRONOSQUAD

Lune de miel à l’âge de bronze

© Delcourt 2016 - Albertini & Panaccione
Ca y est. Enfin presque ! Telonius Bloch va intégrer la prestigieuse Chronosquad et réaliser son rêve de gosse. Mais au fait, pourquoi choisir un spécialiste de la période médiévale pour l’envoyer dans la IVe dynastie égyptienne ? Certainement un manque de personnel dans ce corps d’élite chargé de surveiller les escapades temporelles de touristes en mal d’exotisme.

Album de science-fiction, BD de divertissement, métaphore socio-historique, Lune de miel à l’âge de bronze est un peu tout cela. La faute il est vrai, si faute il y a, à Giorgio Albertini, médiéviste de formation et accessoirement historien de la bande dessinée. Si le néologisme du nom de la série est des plus explicites, celui du titre sonne cependant comme celui d’un OSS 117, mais version Michel Hazanavicius. Prenant pour prétexte une petite fugue d’adolescents en mal de reconnaissance, le scénariste italien promène son lecteur à travers l’Égypte démotique. Mais, en matière de temps personne n’étant à un paradoxe près, il est également question d’une légère escapade amoureuse en 1491 ainsi que d’une enquête policière en plein Paléolithique… le tout sur fond de satire sociale ! Si l’on ajoute à cela un humour potache et un comique de répétition, il y a là un album des plus agréables à lire malgré ses (presque) deux cent trente-six planches. Avec en guest star le sosie de Marcel Coste - son héros fétiche - Grégory Panaccione se fait visiblement plaisir et prend ses aises dans une pagination qui le lui permet. Cédant aux joies des séquences muettes, mais ô combien bavardes, le dessinateur transalpin laisse croire à une apparente facilité qui s’explique certainement par le rythme effréné de production dont il est capable, certains parlent de soixante planches hebdomadaires ! Toutefois, ce dilettantisme n'est qu'apparent et il confère toute sa personnalité graphique à ce premier volet. 

Soignant leurs références visuelles comme les détails historiques imperceptibles au néophyte, Grégory Panaccione et Giorgio Albertini livrent le premier opus d’une tétralogie déjà pleine de promesses. La suite avec Destination Révolution, dernier rappel annoncée pour début 2017…

lundi 17 octobre 2016

WONDER

© Delcourt 2016 - Bégaudeau & Durand
Renée travaille à l’usine, elle fabrique des piles en banlieue parisienne. En ce début du mois de mai, elle est loin de se douter qu’elle aussi fera sa révolution… 

Renée fait partie de cette cohorte silencieuse qui n’a aucune velléité sociale, mais qui goûte insidieusement, et par inadvertance, à la liberté. Par hasard, à l’occasion d’une manifestation, elle découvre un nouvel univers de l’autre côté du périphérique, là où la dictature des intellectuels remplace celle des petits contremaîtres. Ainsi, de Charybde en Scylla, Wonder (c’est ainsi que ses compagnons de lutte la surnomment) va s'adonner aux délices du surréalisme libertaire, donner un sens à sa vie, elle qui avant de pouvoir transformer le monde voudrait d’abord changer. 

Pour retranscrire cet itinéraire quasi initiatique, Élodie Durand joue du noir et blanc. Cette dualité symbolise la poussière de manganèse et le blanc virginal de la rosière, deux valeurs cardinales qui cadrent l’existence de la jeune ouvrière. La dessinatrice tourangelle les oppose à la couleur de ses crayons comme s’affrontèrent, à l’époque, deux conceptions radicalement opposées de la société. Mais la transgression sociale qu’opère la jeune femme se matérialise aussi dans la structure même des planches : la rectitude et l’ordonnancement des cases s’estompent doucement pour définir un nouvel espace de création, avant de resurgir à nouveau, pour mieux disparaître... peut-être définitivement. 

Simple et avec de belle envolées graphiques, Wonder laisse penser que, le rouge de la révolte désormais aux lèvres, Renée peut enfin décider de son destin....