lundi 17 avril 2017

LA LOUVE

© Sarbacane 2017-  Palloni
Ginger mène une double existence. Comme beaucoup de femmes, elle fait deux journées en une : épouse modèle et mère aimante en soirée, « homme de main » sans scrupule d’un usurier que nul ne connait, le jour. 

Dans un album carré aux vingt chapitres pleins d’un gaufrier aux cases de taille identique, Lorenzo Palloni (The Corner, L’île) rythme la spirale infernale dans laquelle s’enfonce une héroïne qui œuvre dans un secteur où la pitié n’est pas de mise. Porté par un graphisme auquel les cent quatre-vingts pages permettent de s’acclimater, La louve dissèque le parcours émotionnel de Ginger qui ne sait que faire de ses dix doigts sinon frapper, frapper et frapper encore et qui, au fil des passages à tabac, comprend que finalement la violence n’est ni un moyen d’exister ni de subsister. 

Sans aucun effet de style inutile, si ce n’est quelques jolies figures dans l’agencement de certaines planches, Lorenzo Palloni a la volonté de rendre compte – au travers de la monotonie du 9x9 - de la brutale routine où s’enferme son personnage principal. 

Une histoire atypique, souvent racontée à la première personne, que certains prendront plaisir à recommander.

lundi 10 avril 2017

UT

Les Venelles de la faim

© Mosquito 2017 - Barbato & Roi
En 2016, l‘Italie se prend de passion pour une série en six fascicules pour le moins atypique. En 2017, les éditions Mosquito publient en trois tomes - de deux-cents pages chacun - les aventures de Ut.

Plutôt que de chercher à savoir qui est cet énigmatique personnage, ne serait-il pas plus aisé de définir ce qu’il n’est point ? Ce n’est pas un héros - du moins pas dans son sens générique -, ce n’est pas non plus le genre de protagoniste que l’on croise dans tous les strips et il est loin de ressembler à un bellâtre. Un brin infantile, voire primaire, Paola Barbato le définit comme «una specia di pinocchio moderno». En des temps où ce qui ressemble à un ersatz d’Humanité ne recherche qu’à s’entredévorer, Ut ferait presque figure de gentil naïf s’il ne découpait pas son prochain à grand coup de serpe !

Romancière transalpine rentrée en BD via les scénarios de Dylan Dog, Paola Barbato livre un script pour le moins déstabilisant. Impossible d’appréhender ni le lieu ni l’époque et encore moins le contexte général de cette fiction. Curieusement, cet univers plus qu’insolite n’est pas aussi déroutant qu’il n’y parait de prime abord, ne serait-ce que par ses références visuelles notamment celles au cinéma allemand de l’Entre-deux-guerres ou à Lovecraft. Erratique, décousu, sans véritable fil narratif à l’exception d'une quête qui donne un peu de linéarité (et de sens) à un récit qui va de rues en ruelles sans finalité apparente, Les Venelles de la faim attire plus que de raison. Avec sa personnalité affirmée Ut plonge le lecteur dans un monde d’outre-temps et de folie où les enfants se nourrissent d’histoires et leurs parents de chairs. Le magnétisme qui s’échappe de ce premier volet de triptyque doit énormément au superbe dessin. En noir et blanc, Corrado Roi cultive un graphisme dont la finesse du trait et les aplats se fondent et emplissent chaque planche d’une charge esthétique et émotionnelle peu courante. Ainsi, Ut doit autant à l’onirisme macabre de son scénario qu’à l’évanescence sépulcrale de son dessin.

Pour conclure, une fois n’est pas coutume, une mention spéciale pour le soin et la qualité apportés à la version française de ce fumetti qu’il aurait été dommage de manquer.

vendredi 7 avril 2017

KATANGA

1. Diamants

© Dargaud 2017 -  Nury & Vallée
1960. Le Congo accède à l’indépendance. Quelques mois plus tard, le nouvel Eldorado qu’est le Katanga fait sécession. Commence alors une période de troubles et d’exactions en tous genres… 

Après avoir clôturé le cultissime Il était un fois en France, le retour du tandem Nury/Vallée était attendu avec une once de curiosité. Exit la Seconde Guerre mondiale et la vieille Europe, le duo a jeté son dévolu en terre africaine en un temps où le continent noir s’émancipe de la tutelle coloniale et cherche à assumer, seul, son destin. Mais toutes les richesses que recèle son sous-sol attisent la convoitise d’aventuriers et d’industriels peu scrupuleux prêts à mettre le pays à feu et à sang pour s’enrichir. 

Après une introduction tout en panoramiques qui est à elle seule un petit bijou de concision et d’ellipses, Fabien Nury plonge le lecteur dans l’horreur d’un conflit fratricide où la machette sert de juge de paix. En quelques pages, le contexte est posé dans toute sa complexité, la galerie typée des protagonistes est mise en place et le chassé-croisé d’arrivistes, de mercenaires et de politiciens véreux de tout bord peut dès lors commencer ! Au fur et à mesure que le fil de son histoire s’étire, Diamants résonne des barbouzeries de la Françafrique ou des derniers massacres en date. Et même si le cruel l’emporte sur le sordide, la violence affichée n’est pas gratuite et concoure à la puissance d’un thriller politique dont il sera difficile de s’extraire tant les planches de Sylvain Vallée sont - par leur composition et leur puissance d'évocation - d’une efficacité redoutable.

Katanga est un nouvel exemple du talent conjugué de ces deux auteurs qui n’ont plus rien à démontrer, mais qui s’attachent à nous gratifier d’un triptyque qui s’annonce déjà comme un modèle du genre.

LADY MECHANIKA

3. La tablette des destinées  
 
© Glénat 2017 - Chen, M. M & /Montiel, Martin
Nul repos pour Lady Mechanika qui, après une partie de chasse helvétique, plonge au cœur de l’Afrique à la recherche d’un vieux savant en quête d’un mystérieux temple sumérien ! Mais le continent Noir est plein de surprises et de dangers même pour la représentante de Mechanika city. 

Nouveau cycle complet pour ce troisième opus - compilations des six livrets parus en 2015 aux USA - des aventures de la fille spirituelle de Lara Croft et d’Edward Scissorhands. Mené tambour battant, le périple africain de l’égérie de Joe Benitez satisfera pleinement les fans quelques peu refroidis par les fantaisies éditoriales passées de Glénat comics. Si son créateur confie volontiers que son héroïne, née lors d’une convention à Atlanta, doit beaucoup à la plastique de Kate Beckinsale et au dress-code de Kato, il a su cependant lui créer sur-mesure un univers où foisonnent les détails et les fioritures graphiques propres au steampunk de la plus pure veine. Recyclant à l’envi les vieilles recettes chères aux super-héroïnes, cet album se distingue toutefois de la production ambiante par une scénographie visuellement détonante à l’architecture compliquée jusqu’à la saturation. Cependant, Joe Benitez et Martin Montiel savent également se ménager des planches à la structure plus classique qui permettent une pause salvatrice aux infinies combinaisons graphiques sorties de leur imagination puisque La tablette des destinées est dessiné à quatre mains. 

Esthétiquement des plus attractives, Lady Mechanika s’impose comme la femme à la mode dans le petit monde des comics. Reste à lui conférer une véritable densité et à ne pas trop capitaliser sur les effets visuels que permet le décorum post-victorien. Réponse à venir avec les adaptations de The Lost Boys of West Abbey et La Dama de la Muerte déjà édités outre-Atlantique.

QUITTER PARIS

© Delcourt 2017 - Mademoiselle Caroline
Fuir la capitale, d’accord ! Mais pas pour Annecy… 

Nouvelle livrée du Quitter Paris, paru en 2012, de Mademoiselle Caroline qui a su si bien nous surprendre avec La différence invisible

Très girly (le terme est galvaudé, mais tellement approprié) dans l’esprit et le style, cette biographie alpine traduit cependant - au fil des pages - un attachement sincère pour ces terres d’altitude où le Reblochon et Décathlon font la loi et ou le taux d’homonymie frôle les seuils du tolérable. Alors, même si certaines planches apparaissent quelque peu hors de propos, il n’en demeure pas moins que Mademoiselle Caroline sait s’investir et se moquer (gentiment) des autres comme (plus cruellement) d’elle-même. 

Ceux qui savent ce que vivre à plus de 1100 m d’altitude veut dire, apprécieront cet album à sa juste valeur ; pour les autres, ils risquent de passer à côté de certaines subtilités très locales… Tant pis pour eux.