lundi 28 décembre 2015

Georgi vs Sergueï

MORT AU TSAR : 2. Le terroriste

© Dargaud 2015 - Nury & Robin
Un diptyque, deux albums ! Un pour la victime, un pour son assassin. 

Avec ce second volet de Mort au Tsar, Fabien Nury offre une autre version de l’assassinat du Grand-Duc  Sergueï Alexandrovitch. S’inspirant librement des faits historiques, il s’attache cette fois à Georgi, celui qui planifia dans les moindres détails l’attentat du 17 novembre 1905. Utilisant une mise en abime et un récit à la première personne, le scénariste de Il était une fois en France construit un scénario riche et dense où le suspens va crescendo et sait aller au-delà de la fin tragique du gouverneur de Moscou. Pour sa part, Thierry Robin réalise un superbe travail graphique et concoure à faire de ce drame, une dramatique.

Deux faces d’une même pièce, Mort au Tsar est curieusement passé inaperçu en cette fin d’année, ce qui est regrettable au regard de ses qualités manifestes.

dimanche 27 décembre 2015

Viens poupoule, viens... (air connu)

LE GRAND MÉCHANT RENARD
 
Difficile de s’assumer en croqueur de poules lorsque que vous êtes réduit à manger des navets ! Renard se rêve en Grand Méchant et se retrouve en mère adoptive d’une couvée qu’il voulait croquer. Comme quoi la vie n’est pas toujours celle que l'on voudrait !

Venu du monde de l’animation (Ernest et Célestine), Benjamin Renner se lance avec bonheur dans la bande dessinée. Il est toujours facile de dire n’importe quoi d’un album et de chercher un sens à ce qui n’en a pas forcément ! Pour l’occasion, retenons seulement, le bonheur d’une lecture qui prête souvent à sourire, voire à rire et apprécions ce Grand Méchant Renard pour ce qu’il est : un joyeux divertissement réalisé avec une simplicité d’une rare efficacité. 

Deux petites choses encore : n’hésitez pas à aller jouer avec l’application Turbo-média tirée de l’album et à venir les 10 et 11 septembre 2016 au festival "À Tours de Bulles", Benjamin Renner en sera l’invité d’honneur !

mardi 22 décembre 2015

Une erreur est toujours possible !


© Glénat 2015 - Manara
En cette fin d’année, les intégrales se multiplient plus vite que les petits pains… 

Demain, l’apocalypse regroupe deux histoires parues chez Albin Michel respectivement en 2000 et 2002 sous les titres Révolution et La planète prison. A priori, ces deux albums n’ont que peu de choses à partager si ce n’est l'esthétique. D’où la nécessité d’un avant-propos pour donner une relative cohérence à l’ensemble. Il sera laissé à chacun le soin de se faire son opinion sur les justifications avancées, mais force est de constater que cet album brille par l’inconsistance et la superficialité de ses scénarios. Ainsi, voir un apôtre du nu accuser les publicitaires d’utiliser le sexe pour vendre a quelque chose de surréaliste qui relève de l’autodérision ou du second degré ! Ce qui n’est pas pire que de s’essayer à quelques digressions hasardeuses sur les conséquences sociétales de manipulations génétiques. 

Toutefois, que les amateurs de jolies femmes faiblement vêtues se rassurent, le trait de Manara sait garder toute son élégance même dans les situations les plus incongrues. Il sera seulement permis de regretter qu’il puisse alterner avec autant d’aisance l’excellent et le nettement moins bon. Aussi sur 2015, il conviendra de ne retenir que son superbe Caravage.

lundi 21 décembre 2015

Midwest - Bastogne - Midwest

AIRBORNE 44 : 6. L'hiver aux armes

Bastogne. En ce nouvel an 1945, c’est dans la neige des Ardennes que se joue le dernier tournant d’une guerre qui sera la Seconde, et que beaucoup souhaiteraient être la dernière. 

Avec L’hiver aux armes, Philippe Jarbinet clos son troisième diptyque d’Airborne 44. Sur un scénario très classique, l’auteur belge dépeint la guerre au quotidien, à travers des hommes et des femmes, héros de tous les jours, pris dans une tourmente qui a souvent pour issue une fin prématurée. Avec un soin méticuleux, d’autant plus qu’il est réalisé en couleurs directes, le dessinateur verviétois réussit un superbe travail d’aquarelliste qui donne à cette série un réalisme et une profondeur qui en sont la marque distinctive. 

À écouter Philippe Jarbinet, un quatrième cycle serait en préparation. Après le Dust Bowl du Midwest, il serait question d’un printemps, en Allemagne !

Noires colombes...

AMERE RUSSIE : 2. Les colombes de Grozny

© Bamboo Édition 2015 - Ducoudray & Anlor
Arrivée à Grozny, Ekaterina est assignée à résidence dans « l'immeuble des aveugles ». Ne renonçant à rien, elle tente - tout en recherchant son fils - d'aider ceux qu'elle peut. 

En deux albums, Aurélien Ducoudray a réussi à développer un récit qui donne une autre vision de la guerre en Tchétchénie, voire en général. Ici, il n'est nullement question de doctrine, mais simplement d'une vieille femme qui certaine de son droit traverse un pays en ruine pour retrouver son fils. Les colombes de Grozny aurait pu être un album moralisateur ou engagé. Le parti pris est plutôt celui de la dérision devant l'intransigeance et d'un humour sans illusion face aux évènements. Aux pinceaux, Anlor poursuit son chemin et livre une partition plus que convaincante dans un registre semi réaliste qui donne à ses planches le décalage nécessaire à cette histoire. 

Amère Russie évoque ceux qui subissent la guerre sans forcément en être les protagonistes, juste les victimes collatérales d'un conflit qui souvent les dépasse ... Seule lueur d'espoir, la naïveté et l'entêtement de femmes qui comme Ekaterina ne peuvent se résoudre à voir leur progéniture mourir à la guerre.

jeudi 17 décembre 2015

Un gros nounours...

 
© Delcourt 2015 - Mobidic
Le Roi Ours ne veut plus de sacrifices ; aussi libère-t-il Xipil. Ce faisant, il la condamne aux yeux de sa tribu qui ne peut concevoir qu’il puisse être refusé un tel honneur ! La jeune femme devient alors une paria qui n’a d’autre choix que de suivre son sauveur…et de l’épouser ! 

Nouvelle venue dans le monde de la BD, Mobidic signe avec Roi Ours un bien bel album, autant dans la douceur du trait que dans la manière d’aborder certaines thématiques. La différence, l’obscurantisme, le regard des autres, les obligations qui s’imposent à nous, l’amour, la haine, la vengeance, autant de sentiments et de situations qui font la vie mais qui, ici, prennent une dimension initiatique. 

Conte aux références métissées pour ce qui est du panthéon animalier comme des références civilisationnelles, celui-ci se caractérise par un dessin à la fois très épuré qui confère au roi des Ours la finesse des œuvres de François Pompon, mais qui sait être aussi très expressif dans le jeu des expressions et des regards comme idéaliste dans sa vision d’une Nature aux airs d’Eden originel. 

Maîtrisant tour à tour le dessin, le scénario et la couleur, la jeune auteure franco-mexicaine n’a voulu laisser à personne d’autre le soin de raconter son histoire. Elle y aura mis trois longues années, mais si comme le déclamait Corneille, la valeur (parfois) n’attend pas le nombre des années, alors, l’avenir appartient à Mobidic.

mercredi 16 décembre 2015

Partenaire particulière... (air connu)

ESMERA 
 
© Glénat 2015 - Zep & Vince
Comment en 1965, à Gênes, connaître les délices de la chair lorsque l’on est cloîtrée dans un pensionnat pour jeunes filles et que les anges veillent sur votre virginité ? Après une expérience qui lui a laissé comme un goût d’inachevé, c’est dans les bras de sa meilleure amie qu’Esmera découvre sa différence…

En guise de préliminaires et bien que Zep en signe le scénario, il convient de préciser que ce one-shot est à réserver à un public adulte. Ceci dit, revenons à cet album pour le moins atypique, même si Happy sex laissait déjà à penser que le père de Titeuf aimait également jouer avec la maîtresse ! 

Si après quelques pages, le scénariste suisse donne l'impression de s’offrir une petite récréation, le dernier strip de la vingt-quatrième planche remet les pendules à l'heure. Cependant, essayons d'oublier un bref instant toute sexualisation du propos pour s’attarder sur ce qui, à bien des égards, s’apparente à un conte, certes pornographique, mais un conte tout de même. Si la dimension libidinale de certaines scènes est sans équivoque - comment parler de sexe sans montrer une fesse (voire un peu plus...) -, ceci est toujours traité avec ce qu’il faut de décence artistique pour ne pas sombrer dans le scabreux et avoir son utilité au niveau du récit. Car au-delà du questionnement d'Esmera sur sa libido et les quiproquos qui en découlent, elle est aussi (et surtout) le témoin impliqué du changement des mœurs de ses contemporains. Ainsi, par orgasmes interposés, permet-elle de mettre en perspective près de cinquante années d’évolution (ou de régression) sexuelle, et ce en moins de soixante-seize pages. Éludant subtilement le matérialisme du comment, Zep essaye de s’attacher au caractère existentiel du particularisme d’Esmera… sans vraiment y réussir. 

Sur cette histoire où la manière importe autant que le message, Vince réussit le tour de force de rester dans un réalisme qui n’a rien de vulgaire. La « faute » sans doute à son style et à une héroïne aux faux airs d’Audrey Hepburn, autant qu'à une monochromie qui n’est pas sans évoquer de vieux films italiens. 

Ni lesbien, ni gay, ni bi ou trans... Zep vient de (re)inventer un nouveau genre : l’alter(sexuel) !

mardi 8 décembre 2015

Olympia vs Pétra : 0-7

OLYMPIA
 
© Dargaud 2015 - De Busscher & Bertrand
Il est toujours délicat de s’entendre dire « Mais comment, tu ne connais pas l’Olympia de Bertrand ? Mais, c’est énooooooorme ! ». À ce moment-là, vous souhaiteriez être ailleurs, vous vous dites que votre lecture d’(À Suivre) était vraiment très superficielle et qu’il y a une vie au-delà de la ligne claire du franco-belge. Derechef, vous vous jurez que demain, dès potron-minet, vous comblerez cette lacune béante dans votre culture bédéstique. 

De Phillippe Bertrand, ma mémoire n’avait retenu que l’entrelacs des courbes de Linda et les lignes brisées de son art et plus récemment le touchant Le Montespan avec Jean Teulé. Et à part cela ? Rien ! 

Avec cet ouvrage posthume au dessinateur comme à Jean-Marie de Busscher, son scénariste, Dargaud rend hommage à une époque, à un style que d’aucuns pourront (re)découvrir du 10 décembre 2015 au 2 janvier 2016 dans une galerie sise 10 rue Choron à Paris, dans le 9ème arrondissement. Mais revenons à Olympia ! Une fois l’album lu, le parallèle avec l’aristocratique et divine Petra de Michelluzzi semble inévitable et pas forcément en faveur de l’héritière des von der Goltz ! L’inconséquence de cette ingénue guidée par sa seule naïveté et quelques élans de sensualité comme les situations fantaisistes dans lesquelles elle est plongée trouvent vite leurs limites dans une Allemagne en proie à sa Révolution. 

Toutefois, cet album aura au moins le mérite de remettre en lumière un dessinateur éclectique au trait singulier autant que marquant et un récit qui l’est un peu moins !

Le dernier chant de Maldoror...

SORTILÈGES4. Cycle 2 Livre 2

© Dargaud 2015 : Dufaux & Munuera
La paix règne à nouveau sur le royaume d’Entremonde ! Mais à l’évidence, une telle situation ne saurait perdurer… 

Le conte permet, comme l’a résumé Bruno Bettelheim, de grandir en dépassant les difficultés et de donner à croire en un monde meilleur ! Avec Sortilèges, il est bien question de cela et Jean Dufaux ne déroge pas à la tradition lorsqu’il s’attache à décrire le caractère pernicieux du pouvoir, même pour les plus vertueuses. Toutefois, pour que le conte puisse cultiver ses vertus éducatives, il se doit de se conclure sur une note optimiste. Aussi, comme s’il tenait à exorciser la malédiction qui s’abat sur les têtes gouvernantes, le scénariste belge s’attache, parallèlement, à démontrer la force rédemptrice de l’Amour, seul capable - à l’instar de la pierre philosophale - de transformer le Mal en Bien, le plomb en or. 

Un lyrisme (encore) un rien verbeux et un sens modéré du tragique comme du comique donnent enfin à cette tétralogie l’équilibre qui lui manquait. Pour faire écho à cette plénitude enfin trouvée, le dessin de José-Luis Munuera atteint lui aussi une certaine forme de maturité. Tour à tour caricatural ou tragique, mais juste, son dessin se singularise par la puissance de sa mise en couleur qui doit pour beaucoup à la superbe luminosité qui règne sur nombre de planches. 

Variation moderne de ce qui passerait presque pour une production des studios Walt Disney, ce dernier volet des aventures de Maldoror et de Blanche démontre, s’il en était encore besoin, que l’Enfer et le Paradis sont des concepts très… relatifs !

mardi 1 décembre 2015

Temps ensoleillé et froid ....

HYVER 1709 : 1. Tome 1

© Glénat 2015 - Sergeef & Xavier
En cette année 1709, un froid mordant s’abat sur le royaume de France. Le vin gèle dans les caves et le grain vient à manquer. Cet hiver fera plus de morts qu’une année de guerre… 

Après le sable et la chaleur de Jérusalem, le vert et la moiteur des frondaisons d’Amérique du Sud, Philippe Xavier dessine la campagne française figée par des températures sibériennes. Sur un scénario de Nathalie Sergeef ayant en toile de fond la guerre de Succession d’Espagne, le dessinateur de Croisade gratifie son public de décors enneigés très travaillés où le phylactère se fait rare comme si les flocons étouffaient les sons et que les mots se figeaient au fond des gorges gelées. Bien que se déroulant sous le règne d’un roi dont le soleil n’allait pas tarder à se coucher, le parallèle avec Les chemins de Malefosse de François Dermaut est inévitable. L’époque est certes différente, mais la trame du récit présente de singulières similitudes jusque dans la religiosité des belligérants. Reste que Loys Rohan n’est pas Gunther Amerbach !

Visuellement du plus bel effet grâce, notamment, à la couleur de Jean-Jacques Chagnaud et historiquement bien posé, le récit souffre, malgré toute l’attention de Nathalie Sergeef, de nombreuses ellipses qui laissent à penser qu’un triptyque n’aurait peut-être pas été de trop pour une histoire aussi dense. Quoiqu’il en soit, l’aventure reste plus que plaisante et il semblerait qu’elle puisse – au-delà d’un diptyque - perdurer sous d’autres latitudes !