mardi 30 décembre 2014

Reposez en Enfer, Baronne Zarkoff !


© Glénat 2015 - Nury & Alary
Alors que le monde entier célèbre l’Armistice, une guerre de succession couve pour la reprise de l’empire de la baronne Zarkoff. Ironie du sort, avant de mourir, cette dernière charge Silas de lui retrouver un héritier que beaucoup souhaiteraient voir mort…

Fabien Nury exploite la veine du Réseau Aquila et lui invente une suite dans une Bavière d’après-guerre qui panse ses plaies et ne sait quel avenir s’inventer. L’appétit d’associés aiguisés par l’appât du gain, l’intérêt supérieur des nations et une Europe en recomposition constituent la trame d’un scénario qui n’hésite pas à se servir de l’Histoire pour raconter la sienne. Sur cette toile de fond, Silas Corey, alliant le cynisme d’un James Bond et la désinvolture d’un Arsène Lupin, navigue au grè des opportunités, sauvant une hypothétique veuve sans pour autant oublier d’en tirer profit. Le fil rouge qui semble constituer les scénarios de Fabien Nury est de à nouveau présent : sobriété du propos, attachement à un certain fond, le tout au service d’un héros qui cultive les contradictions avec panache.

Sur une mise en page des plus classiques qui utilise à merveille l'horizontalité, Pierre Alary laisse à la couleur de Bruno Garcia le soin de marquer les temporalités du récit. Déployant un trait semi-réaliste, il compose pour ses personnages de vraies personnalités qui font écho au synopsis et donnent à cette fiction toute sa consistance


Avec cette deuxième dilogie, le talentueux Silas Corey prouve que les vieilles recettes, intelligemment revisitées, savent garder toute leur saveur.

vendredi 26 décembre 2014

J'ai le coeur qui fait... splash !

 
© Le Lombard 2014- Da & De Moor
IL, appelons-le ainsi, est marié, père de deux filles, dirige un service de relations publiques, boursicote, fait les courses, a le cœur à gauche et le pragmatisme à droite et voit son psy régulièrement. Ah oui, un ultime détail ! Alors que beaucoup sauraient faire quelque chose de son existence, lui n’arrive même pas à lui trouver un sens…

Le problème de IL, c’est qu’il a tout pour être heureux, du moins selon les canons en vigueur. Cependant, lui ne l’est pas ! Égratignant au passage nombre de ses contemporains au travers de ses réflexions sur les valeurs cardinales de la vie moderne, Gilles Dal égraine certaines vérités qui pourraient entrer en résonance avec les états d’âme d’une minorité à même de s’offrir une dépression. Mais après ? Rien, ou presque ! IL est un mec sans relief, bourré de lieux communs, sans passion et sans émotion, incapable de donner un visage à sa femme ou à ses enfants. Alors, y avait-il matière à réaliser un album ? La réponse est oui si vous appréciez le graphisme de Johan De Moor. 

Graphiquement, Cœur glacé relève d’une créativité qui tranche singulièrement avec la vacuité journalière de IL. À la limite du surréalisme, le dessin est plein de vie, de mouvements, de couleurs et d’un humour à la fois décalé et absurde. Paradoxalement, cette iconographie exubérante comme la pagination un peu folle illustrent, à leur manière, la futilité des joies normées d’un quotidien formaté. En cela, elles expliqueraient peut-être l’anhédonie de IL. Toutefois, son indifférence d’enfant gâté envers les petits bonheurs de tous les jours est proprement insupportable. 

Cœur glacé prouve, si cela était nécessaire, que la vie a le sens qu’on veut bien lui donner… Une dernière chose, cette bande dessinée n’est pas, en cette période de fêtes, le cadeau rêvé. Sauf à vouloir plomber l’ambiance !

lundi 22 décembre 2014

Djinn Djinn !



 
© Dargaud 2014 - Dufaux & Mirallès
Le désir comme la trahison se révèlent être des armes redoutables pour qui sait les manier avec discernement. Jade est passée maître en cet art subtil et sa science des plaisirs est recherchée pour qui voudrait mettre à mal le jeu des alliances avec l’occupant anglais… 

Jean Dufaux est un auteur prolifique qui se laisse, parfois, emporter par une imagination fertile teintée d’un intellectualisme précieux. Cependant, il reste un extraordinaire conteur qui, pour peu qu’il s’en donne la peine, est capable du meilleur. Tel est le cas avec Un honneur retrouvé.

Une à une, les portes ouvertes depuis Le pavillon des plaisirs se referment. Tous les personnages trouvent leur place dans un dénouement final qui permet aux trois cycles de s’enchaîner malgré une chronologie quelque peu fantaisiste. Nulle ellipse ou pirouette, mais un scénario cohérent qui surprendrait presque après quelques développements parallèles qui pouvaient faire craindre le pire. Paradoxalement, cette simplicité dans sa construction sert un récit qui, à l’étroit sur seulement cinquante-trois pages, trouve au travers du dessin d’Ana Mirallès un nouvel espace d’expression. Sur un crayonné des plus discrets et un encrage délicat, ses couleurs directes apposées en couches successives interpellent par leurs transparences et le jeu des ombres. Intervenant pour beaucoup dans le charme de cet avant-dernier opus, ses planches s’imposent par leur sensualité lumineuse et la profondeur de leur colorisation, laissant augurer de somptueux originaux.

Avec Un honneur retrouvé, Jade, lord et lady Nelson s’en vont. Il ne restera plus qu’à Kim Nelson le soin de refermer définitivement les aventures de Djinn dans un treizième et dernier album.

vendredi 12 décembre 2014

Un ange déçu...


Le chant des Stryges : 14. Exécutions

© Delcourt 2014 - Corbeyran & Guérineau
Il est des séries qui à force de durer finissent par perdre de leur intérêt. Exécutions, le dernier volet sur la lente agonie des archanges déchus, déçoit.

Initiée en fin 1997 avec Ombres, répartie sur 3 cycles et près de deux décennies, cette histoire peine à retrouver son souffle dans un troisième cycle qui traine en longueur. Eric Corbeyran n’a plus le feu sacré et fait dans la facilité, tandis que le trait de Richard Guérineau a connu depuis Cellules une évolution qui lui ôte beaucoup de son attrait. L’impatience qui prévalait à la sortie d’un nouvel album est désormais remplacée par l’habitude ou, dans le meilleur des cas, l’espoir secret d’être (à nouveau) agréablement surpris.

Pour les plus fidèles, il reste deux opus pour tourner définitivement la page sur les étranges Stryges.

jeudi 11 décembre 2014

Un mangaka au Louvre

Les gardiens du Louvre

© Futuropolis 2014 - Taniguchi
Pour un étranger esseulé, le palais du Louvre est un lieu où il est aisé de se perdre. C’est aussi un endroit où d'étranges rencontres sont possibles… 

Avec ce nouvel album, Jirô Taniguchi revisite le syndrome de Stendhal. Toutefois, il ne saurait-être question de la Galerie des Offices de Florence, mais bien des collections parisiennes de la rue de Rivoli, et ce n'est pas la Renaissance italienne qui donne ici le vertige, mais quelques-unes des trente-cinq mille œuvres qu'abrite le vaisseau amiral du service des musées de France.

Plutôt qu'une visite, le mangaka propose une déambulation dans les méandres de l'Art. Avec un récit qui, à bien des égards, pourrait être autobiographique, il nous entraîne au-delà des apparences dans une réflexion sur Corot, Van Gogh ou l’évacuation de 1939. Si le procédé est plaisant, le résultat manque de rythme et, paradoxalement, de sens. Structuré en quatre jours de découverte autour d'autant de thèmes, le cheminement de l'auteur est difficile à comprendre. Seule certitude : cette balade à Paris résonne comme une promesse faite à Keiko.

Cette histoire est marquée par une mélancolie propre "aux limbes oniriques de l'imagination" fiévreuse d'un jeune dessinateur, mais Jirô Tanigucchi ne peut se départir d'un certain académisme qu’il parvenait à transcender sur son superbe Venice, édité récemment dans la collection Travel Books. Esthétiquement réussi grâce à une mise en couleurs directe et à quelques assistants méticuleux, Les gardiens du Louvre ne possède cependant pas la beauté habitée de Au fil de l'art de Gradimir Smudja, ou bien encore l'érudition graphique de La vision de Bacchus de Jean Dytar, lauréat de la dernière Tour d'Ivoire 2015. 

Onzième opus de la collaboration entre les éditions Futuropolis et le célèbre musée, ce one-shot offre un agréable moment , mais n’arrive pas à traduire tout l'amour que Jirô Taniguchi semble porter à la peinture du dix-neuvième siècle. Détail qui a sa petite importance, la lecture se fait de droite à gauche comme pour un manga !

mercredi 3 décembre 2014

Les Êtres humains et l'homme médecine

Ambulance 13 : 5. Les Plumes de fer

© Bamboo 2014 - Ordas & Mounier
Janvier 1918. Louis-Charles Bouteloup ne le sait pas encore, mais, sur la cote 306, il va côtoyer ce que l’Homme fait de pire en matière de bassesse et d’ignominie.

Hasard du calendrier, alors que va paraître Shadow Warriors de Speca et Mainil, comics relatant les aventures de deux snipers cheyenne et iroquois sur le front de 14-18, Patrice Ordas, désormais seul au scénario mais toujours accompagné d'Alain Mounier au dessin, sort le troisième cycle d’Ambulance 13.

Le conflit touche à sa fin et, si le jeune chirurgien y a gagné l'inimitié de ses pairs en même temps que la considération des hommes de troupe, il y a surtout perdu beaucoup de ses illusions. Les plumes de fer ne lui donnera guère de raisons d’espérer mieux. Toutefois à trop vouloir en dire, il est aisé de semer une certaine confusion. Qu’il soit question de Corps francs, soit ! D'Indiens, pourquoi pas ? Mais, dans un album de seulement quarante-six planches, il est difficile de comprendre le lien avec de fugaces incursions parisiennes ou une tentative d’évasion en territoire allemand. Sans doute faut-il y voir là les prémices de développements futurs indispensables à la suite du récit.

Après les coloniaux au chemin des Dames, voici donc les Amérindiens au collet du Linge, sans parler des Corps francs. Malheureusement pour eux, les uns comme les autres semblent devoir partager le mépris de leurs supérieurs et leur satisfaction à les regarder disparaître. Sur ce constat, Patrice Ordas construit à nouveau un scénario où la vilenie est plus que jamais érigée en vertu cardinale. Quoi qu'il en soit de cette fiction, il n'en demeure pas moins que ceux qui inspirèrent Capitaine Conan furent bien des spécialistes de l'exfiltration avant l'heure et que, dès 1914, Lakotas, Commanches ou Cherokees étaient sur le front à crypter les communications alliées sous le nom de Code talkers.

En cette année de centenaire, les séries sur la Première Guerre mondiale sont légion. Si un phénomène de saturation commence à poindre, Ambulance 13 a une façon d'appréhender les tranchées qui sort de l’ordinaire. Reste toutefois à souhaiter que, dans le prochain album, la convalescence de Louis-Charles Bouteloup l'amène jusqu'à l'armistice.

Hep ! Taxi !

Les taxis de la Marne :  Septembre 1914
 
© Bamboo 2014 - Le Naour & Plumail
Septembre 1914 : Joffre est en déroute, le gouvernement fuit pour Bordeaux et Paris va tomber dans quelques jours. Seules la clairvoyance du général Gallieni et une erreur tactique de von Kluck vont permettre au cours de la guerre de s’inverser.

Après François Ferdinand, Jean-Yves Le Naour poursuit chez Grand Angle son travail sur la Guerre 14-18. Privilégiant la véracité historique aux effets dramatiques et de style, l’historien donne une vision de la fameuse bataille de la Marne moins glorieuse que celle retenue par l’Histoire. Entre irresponsabilité des politiques, rivalité des chefs et erreurs stratégiques, le tableau dressé n’est guère élogieux pour le haut commandement dont le seul mérite semble d’avoir su profiter d’une opportunité. Après avoir traité, côté des tranchées, l’une des premières confrontations majeures du conflit dans La faute du Midi, l'auteur s'intéresse avec Les taxis de la Marne à l’univers feutré des états-majors. À l’évidence, les généraux de l’époque n’en sortent pas grandis.

Valant plus pour sa dimension didactique que graphique, cet album est - en cette période de centenaire - une bonne manière de relativiser certains hauts faits de la Grande Guerre...

mercredi 26 novembre 2014

Au nom du père...

 
© Dargaud 2014 - Desberg & Marini
Le mystère de sa naissance à peine élucidé, Armando est confronté à un mystérieux tueur qui, méticuleusement, décime les derniers descendants des Trebaldi… 

Après dix albums passés à rechercher son géniteur, il aurait été concevable que le Scorpion puisse se reposer dans les draps de la rousse Anséa et jouir d’une fortune amèrement acquise. Stephen Desberg et Enrico Marini en ont décidé autrement, pour la plus grande joie des fans de l’ancien chasseur de reliques. Toutefois, comment initier un nouveau cycle sans lasser ou se répéter ?

 Une manière radicale consisterait à faire table rase du passé, du moins à se montrer très sélectif. Ainsi, la fin précipitée de quelques protagonistes judicieusement choisis serait l'occasion d'introduire du sang neuf et d'articuler le récit autour de nouvelles destinées. Évidemment, il conviendrait d'être rigoureux dans ses choix afin de ménager un lectorat éminemment masculin ! Ensuite, il importerait de relancer l’action grâce à un sujet consistant et, si possible, propice à de nombreux rebondissements, tout en prenant soin de le nimber d’une part conséquente de malédiction. Enfin, ne serait-il pas opportun de développer un axe narratif secondaire qui permette certaines digressions qui viendraient, aux moments opportuns, enrichir le propos ? Ceux qui liront ce onzième volet du Scorpion ne manqueront pas de remarquer que Stephen Desberg, en professionnel accompli, ne se prive pas d'utiliser tous ces leviers pour écrire un scénario plus que solide. Tueur énigmatique et décès prématurés, secret de famille ou fils caché constituent désormais la matière des albums à venir. 

Reste que cette série s’apprécie également pour la qualité du dessin d’Enrico Marini. À ce titre, tout a été dit, ou presque ! Donc, nul besoin de reparler de son brio dans les perspectives et le mouvement, ou d'attirer l'attention sur l'expressivité des différents personnages tant le dessinateur des Aigles de Rome maîtrise son art. 

Chacun l'aura aisément compris, cet opus quasiment introductif sait habilement et agréablement surprendre, et à moins de s’adjoindre les services d'un haruspice pour une lecture divinatoire des entrailles de La neuvième famille, il faudra patienter deux petites années encore pour en savoir plus…

lundi 24 novembre 2014

Le noir lui va si bien...

Black Widow : 1. Raison d'être

© Panini Comics 2014 - Edmondson & Noto
Entre deux piges au S.H.I.E.L.D., Natalia Alianovna Romanova (alias Natasha Romanoff) cherche sa rédemption dans ce qu'elle sait faire de mieux : tuer !

Édité par Panini Comics dans la collection All-New Marvel Now, Raison d'être - compilation des six premiers épisodes déjà parus outre-Atlantique - (re)met à l'honneur la Veuve noire, avec Nathan Edmonson au scénario et Phil Noto aux pinceaux.

Tous les matins en se maquillant, Natasha Romanoff a conscience qu'elle ne pourra pas revenir en arrière. Qu’a cela ne tienne, elle n’exécutera désormais des méchants que moyennant quelques dotations financières à des fondations caritatives de son choix. La morale est sauve : la tueuse de l'ex-KGB peut se refaire une virginité et jouir d'une certaine impunité déontologique. Libre à chacun d'adhérer ou non à un pitch qui serait bien mince s'il se contentait d'égrener les contrats confiés à la jolie rousse. Afin de donner un peu d'épaisseur psychologique à son héroïne, Nathan Edmonson accompagne les séquences d’action d’une voix off qui permet au lecteur d’appréhender chaque scène selon deux approches, la sienne en tant que spectateur et celle de Natascha en tant qu’acteur. Ce procédé narratif illustre la distanciation de la jeune femme vis-à-vis d'elle-même etson ambiguïté: elle qui abat froidement ceux qu’elle pourchasse, ne peut s'empêcher de se poser des questions d’ordre existentiel lorsqu’il s’agit d’adopter un chat ! 

Pour traduire une telle ambiguïté, Phil Noto adopte lui aussi un graphisme à géométrie variable souvent très expressif dans les gros plans et plus figuratif dans le mouvement. Efficace dans ses cadrages, rigoureux dans ses découpages, cet album donne la part belle au visuel et au spectaculaire tout en conservant une certaine sobriété. Petit détail qui a son importance : les variations d’encrage sont parfois déconcertantes, tandis que le traitement pour le moins hasardeux et inégal de la couleur laisse souvent circonspect.

Nul besoin d’être un spécialiste du monde Marvel pour apprécier pleinement cette nouvelle aventure de la Veuve noire. En attendant la suite, les aficionados pourront relire Black widow : Ce qu'ils disent d'elle ou les intégrales telles The Itsy-Bitsy Spider ou The Name of the Rose.

Chassé-croisé et faux semblant

Largo Winch : 19. Chassé croisé 
 
© Dupuis 2014 - Van Hamme & Francq
Les femmes disent de lui qu’il possède quelque chose que les autres hommes n’ont pas ! Évoquent-elles son charme dilettante, son physique de trentenaire au mieux de sa forme ou les 29.907 millions de dollars que pèse le groupe W ? Autant de petits riens qui agacent et lui valent certaines inimitiés…

Voilà près de vingt-cinq ans que le héros de Van Hamme et Francq sillonne le monde des affaires du 9e art en arborant un sourire ravageur et sa conception décalée de la finance. Une telle longévité explique, en partie, que la sortie de Chassé-croisé soit l’occasion d’une couverture média qui, de Gala à France 3 en passant par LesEchos.fr ou Europe 1, couvre large. De fait, un Largo Winch envahit aussi bien les gondoles des supermarchés que les rayonnages des librairies spécialisées ou des gares. Les aventures du richissime gentleman séduisent le plus grand nombre : on ne vend pas impunément 300.000 unités, en moyenne, sans cultiver le consensus ! 

À son habitude, le scénariste bruxellois manie l’art de l’ellipse et fait travailler l’imagination de son lectorat tout en densifiant un scénario en faux-semblants. Ce volet londonien, en s’inscrivant dans l’actualité la plus brûlante, reprend les recettes qui président au succès de la série. Cependant, Jean van Hamme sait les renouveler par l’introduction de quelques innovations comme le choix vaudevillesque du huis clos hôtelier ou une modification de la structure même de ses diptyques. Il n’en sera pas dit plus, manière de garder le suspens entier. 

Pour sa part, Philippe Francq se voit confier la lourde tâche de dessiner « la plus belle femme du monde » et de donner vie et crédibilité à toute une kyrielle de personnages. Si une relative anorexie peut être reprochée de la gent féminine, il conviendra cependant d’apprécier à leur juste valeur les décors d’un Londres plus vrai que nature.

Chassé-croisé s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs, tout en apportant sa petite contribution à l’hagiographie de ce milliardaire hors normes. Et si les affres du business remplissaient le quotidien de ce dernier, il semblerait que d’autres préoccupations l’accaparent désormais… La suite (et fin) dans 20 secondes.

Italie en italique


© Delcourt 2014 - Alfred
Il est des années qui marquent plus que d’autres. Pour Alfred, 2014 devrait être particulière, car ce n’est pas tous les jours que vous êtes récipiendaire d’un Fauve d'or – pour Come prima – et que, quelques mois plus tard, le Regard 9 de Bordeaux vous fait les honneurs de sa programmation ! Ainsi, en mai dernier, plus de deux cent soixante illustrations furent exposées dans un festival qui joue les entremetteurs entre bande dessinée, musique, littérature, etc.

Italiques se présente comme une vision subjective et affective d’une certaine Italie. Les murs sont devenus planches et les cadres... cases. Ce nouvel ordonnancement, au verbe rare, leur a certainement ôté une partie de leur puissance évocatrice, mais l’ensemble reste cependant des plus expressifs puisque l’universalité des lieux comme du propos interpelle forcément et renvoie tout un chacun à ses propres impressions, transalpines ou non. 

L’auteur du Désespoir du singe choisit délibérément de n’évoquer que trois endroits : Venise, Cinque Terre et Naples. Sur la Lagune, la nuit, la pluie ou le brouillard révèlent toute la singulière beauté d’un labyrinthe de rii et calli où l’imagination nimbe de mystère la réalité des choses. Si c’est en Vénétie qu’Alfred devint père, Cinque Terre lui rappelle son enfance. Avec ses cases agencées en autant de diapositives, la Riviera ligure prend des allures de planche contact, succession d’images et de souvenirs aux goûts de gelaterie, aux senteurs de sable chaud et aux effluves de crèmes à bronzer. Alors que d’aucuns auraient attendu Rome, Milan ou Florence, le récit file ensuite plein Sud, vers la Campanie, où le trait se fait filiforme, coloré, souple et fluide pour décrire la frénésie napolitaine. Toutefois, il n’hésite pas à s’épaissir pour appréhender l’intemporalité du Vésuve, jouant ainsi du contraste entre ce géant assoupi et cette ville exubérante.

Avec cet album autobiographique, tout en subtiles évocations, Alfred prouve que ses interrogations sur sa légitimité d’autodidacte de la bande dessinée n’ont plus de sens… si tant est qu’un jour, elles en eurent un !

vendredi 14 novembre 2014

Rayon de soleil sur London !


© Dargaud 2014 - Nury & Henninot
Le vieux Parlay met sa fabuleuse collection de perles en vente. À cette occasion, il invite les pires négociants des Salomon et même au-delà. Tous, sauf David Grief qui convoite la plus jolie pièce du roi d’Hikihoho, celle-là même dont ce dernier ne peut se séparer.

Avec Fils du soleil, Fabien Nury signe une adaptation réussie de deux nouvelles de Jack London. Plus que la lettre, c’est l’esprit qui est repris ici. Alors que ses concurrents convoitent un véritable trésor, David Grief est venu chercher autre chose d’encore plus précieux à ses yeux. L’âpreté des affaires, la puissance des égos exacerbent les passions dans une spirale de violence qui n’a d’égale que celle des vents qui la balayeront.

Vouloir développer un scénario aussi riche en quatre-vingt planches relève de la gageure ! Et si la première partie de ce one shot permet d’installer la psychologie du personnage principal et de poser le cadre comme la trame du récit, le deuxième volet s’avère des plus denses, trop peut-être et, à l’évidence, certaines séquences se retrouvent à l’étroit dans une pagination au cordeau. La brutalité des passions, la vengeance machiavélique d’un tyran fou, la fureur des éléments se mélangent en un maelstrom final qui laisse le lecteur haletant. Quoiqu’il en soit l’ensemble demeure curieusement équilibré et il est difficile, une fois terminé, de refermer un album qui appellerait une suite… habilement évitée. La sensation est d’autant plus prégnante qu’Éric Hénninot livre une partition graphique pleine d’efficacité, dont le réalisme rend agréablement compte du caractère épique et de la dimension introspective de cette histoire parfaitement racontée.

Fils du soleil ferait presque regretter de ne pas être né au début du siècle dernier pour pouvoir encore écumer le Pacifique à la recherche de la plus magnifique des perles.