lundi 1 mai 2017

TONY CHU


© Delcourt 2017 - Layman & Guillory
Voilà, c’est fini ! 

En guise d'introduction, il y a mieux ! Pourtant, tel est le constat à la lecture de ce dernier volet des aventures de Tony Chu, flic cibopathe. Conçu un soir particulièrement arrosé (et vraisemblablement pas au jus de betteraves) en marge du San Diego Comic Con en 2008, il fallait une sacrée dose d’optimisme pour parier un dollar sur ce pitch à dormir debout. Mais le talent aidant, le rêve américain a encore frappé ! 

En autant d’albums qu’en compte une douzaine d’œufs, John Layman et Rob Guillory nous ont entraîné dans leur univers délirant à l’humour au énième degré, à la manière de feu Gotlib. Exubérant, prolixe, excessif, expansif, débridé, iconoclaste, halluciné et hallucinant… les qualificatifs ne manquent pas pour caractériser ce travail salué par deux Eisner Awards et un Harvey Award. À ce titre, dernier repas fait office de best off. Le trait de Rob Guillory a gagné en maturité ce que son personnage a perdu en illusion, l’accompagnant ainsi jusque dans ses blessures les plus profondes pendant que John Layman déroulait un scénario aux digressions ubuesques, mais au fil rouge d’une belle rectitude. Graphiquement des plus maîtrisés, notamment dans sa composition, sachant préserver les recettes qui ont fait son succès, cet ultime opus referme une série aussi atypique que transgressive, prouvant si besoin était que d’un grand n’importe quoi, peut sortir un petit quelque chose. 

Un seul regret cependant, la base line de la version française, traduire cibopathe par cannibale… quelle faute de goût !

ANTIGONE

© Glénat 2017 - Penet
La dynastie des Labdacides est maudite ! Antigone, fille d’Œdipe, défie le pouvoir du roi Créon en pleurant son frère Polynice, traître à Thèbes. Antigone doit mourir…

Régis Penet cultive la tragédie. Après Lorenzaccio d'Alfred de Musset, voici qu’il s’attaque à un monument de culture hellénique. Au-delà des mots, de la portée philosophique qui demeure ou des passions qui l’animent, il convient de s’attarder sur la dimension esthétique qui remplit l’album. 

Réalisées sur bois et à l’huile, nombre de planches sont d’un réalisme pictural qui les rapproche évidemment plus de la peinture classique que de la bande dessinée. L’emphase propre à la théâtralité antique de l’œuvre voit toutefois sa rigidité adoucie par un effet qui – toute proportion gardée - n’est pas s’en rappeler le sfumato cher aux peintres de la Renaissance. Objectivement, nul ne pourra donc nier la qualité artistique de l’album. Toutefois, ce dernier en vient à prendre des airs de catalogues d’exposition puisque chaque page, chaque case - finalement - se regarde comme un tableau et non plus comme la partie d’un tout qui prend son sens dans la dynamique de lecture. L’œil et l’esprit s’attardent trop souvent sur une composition, un jeu d’ombre, la finesse de la mise en couleurs, la profondeur d’une expression, ou sur quelques anachroniques approximations aussi, pour que le fil de l’histoire ne finisse pas par se rompre. 

Quoi qu’il en soit, le travail de Régis Penet reste et l’émotion qui se dégage,de cet Antigone  le place à part, à la lisière de deux Arts qui présentent de nombreuses similitudes, mais demeurent fondamentalement différents.

FACE AU MUR

© Casterman 2017 - Astier
La vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille surtout si les cigognes vous ont déposé du mauvais côté du périphérique. Aux petits coups, succèdent de plus gros et un jour, c’est le grand saut, celui qui ne permet pas de revenir en arrière…

Le hasard fait parfois curieusement les choses, notamment quand il permet à un auteur de BD de rencontrer, en prison, l’une des figures du grand banditisme français. À une époque où le fric n’était pas (encore) une donnée virtuelle, il fallait un sacré culot pour aller le chercher là où il se cachait. Avec des fortunes diverses, c’est ce qu’a réalisé dans les 80’s Jean-Claude Pautot : quelques évasions, une grosse décennie de planques et de nombreux séjours en taule sans forcément toucher le pactole au passage. De cette rencontre improbable est née
Face au mur.

En huit chapitres monochromes à la chronologie bouleversée, comme autant d’étapes dans l’existence d’un homme pour qui chaque minute pouvait devenir la dernière, Laurent Astier s’introduit dans l’intimité d’une tête brûlée. Cette plongée - dans l’enfer du quotidien carcéral ou la paranoïa de la cavale - résonne avec puissance ; car s’il est des situations qui sont le fruit de l’imagination, leur véracité ne peut s’inspirer que de la réalité.

Laurent Astier cultive l’art du policier, il trouve avec Jean-Claude Pautot un destin dont il peut librement s’inspirer. Une belle lecture en perspective pour ceux qui décideront de s’immerger dans ce récit sans concessions ni fioritures.

LE BOURREAU

2. Mascarades

© Delcourt 2017-  Gabella & Carette
Un bouffon domine la ville du sommet d’un clocheton, la lune se dessine au-dessus de lui. Non, il ne s’agit pas d’une nouvelle aventure du Joker qui nargue Gotham City puisque l'action se déroule dans un Paris moyenâgeux et, si les héros sont masqués, comme dotés de pouvoirs extraordinaires, il est question de bourreau et non de chauve-souris ! 

Après une première confrontation dans Justice divine ?, Mathieu Gabella en remet une couche avec Mascarades et concocte un scénario à tiroirs relançant une histoire qui aurait pu être cousue de fil blanc. Dès lors, difficile d’y reconnaître les siens même si le final permet d’éclairer les esprits… pour les replonger illico dans l’obscurité et le doute. Agréable à lire, ce deuxième opus du triptyque demande cependant quelques efforts et le parallèle qu’établit le scénariste de La licorne complexifie la situation autant qu’il l’explicite. Difficile donc de suivre de concert deux pans d’une seule histoire sans s’égarer un tant soit peu. Reste que le dessin de Julien Carette dynamise un récit aux moult rebondissements et que le rewriting des codes du comics dans une adaptation plus qu’hexagonale donne à croire que les super-héros s’acclimatent parfaitement aux bords de Seine. 

Second volet des affres existentielles d’un exécuteur des basses œuvres à la psychologie troublée, Mascarades laisse présager d’un dénouement sombre et surprenant. Réponse au cours du 1er semestre 2018.