jeudi 31 octobre 2013

Babe, t'es so single !

Forever, Bitch : #1

Les réseaux sociaux sont le nouvel Eldorado du 9e Art, une terre virtuelle pleine de promesses qui ne demandent qu’à être converties en espèces sonnantes et trébuchantes. Prenez un blog tendance visité par plusieurs dizaines de milliers de personnes chaque mois, donnez-lui de la matérialité en le transposant sur papier et il y a fort à parier que nombre de blogueurs franchiront le Rubicon qui séparait hier encore les adeptes de la blogosphère et les amoureux des bulles. Le minimum de ventes étant quasiment assuré, l’éditeur ne prend que peu de risques : La Tectonique des plaques en est le dernier exemple en date. Combien de temps persistera ce phénomène ? Vraisemblablement la durée de vie d’un phylactère spéculatif !

© Delcourt 2013 - Wingrove
Maureen Wingrove, alias Diglee, fait partie de cette génération de blogueuses so girly qui manie l’humour et Photoshop CS5 avec un certain bonheur. Diplômée de l’école Emile Cohl en 2009, la jeune femme crée la même année son cybercarnet qui lui apporte renommée et contrats, lui permettant au passage de sortir en 2011, Autobiographie d'une fille Gaga suivie en 2012 par Confessions d'une Glitter Addict.

Sous la forme d’une compilation de saynètes réparties sur soixante-dix planches, elle se livre à un gentil jeu de massacre et n’épargne pas ses copines ni ceux qui gravitent autour. C’est frais, insouciant sans être vraiment inconsistant, une sorte de chronique aigre-douce sur la vacuité de ces adulescentes pour lesquelles seuls les mecs, la mode et l’approche de la trentaine peuvent provoquer quelques questions existentielles. En privilégiant la satire à la caricature, l'auteure - adepte du tout numérique - utilise sa tablette graphique pour croquer avec délice le quotidien de ces pré-trentenaires frivoles. Le trait est fin, porteur d’une certaine élégance, les décors minimalistes et les dialogues savoureux.

Bien que s’inscrivant dans la lignée des parutions de ses illustres aînées que sont Pénélope Bagieu ou Margaux Motin, Forever, Bitch fait montre d’une relative autodérision… salvatrice !

lundi 28 octobre 2013

Dior ! Elle adore...


Jeune fille en Dior : Jeune fille en #1

© Dargaud 2013 - Goetzinger
Dior, Balmain, Nina Ricci, Balenciaga… Ces noms firent de Paris la capitale mondiale de la mode. Mais derrière les créateurs, il y a toutes ces petites mains qui œuvrent pour que chaque défilé soit une fête. À travers le destin de la naïve Clara Nohant, d'abord journaliste à Jardin des Modes puis égérie du 30 avenue Montaigne, c’est l’histoire des débuts de la célèbre maison qui est ici contée.

Art de l’inutile ou de l’excellence, les avis divergent sur la Haute Couture. Cependant, le pragmatisme ne doit pas faire oublier l’importance économique que revêt l’industrie du luxe pour l’Hexagone. Ceci dit, qu’en est-il exactement de cette Jeune fille en Dior ?

Le trait d’Annie Goetzinger porte en lui la légèreté, l’élégance et la distinction qui siéent à l'indécente insouciance d’un microcosme qui s’émerveille sur une parure nuptiale toute de satin, mais qui ne connaît même pas la couleur des tickets de rationnement... L’Art naît de l’opulence et non pas dans les privations !

Une fois passée la douceur mélancolique d’un dessin aux couleurs délicieusement surannées, il ne reste que peu de choses d’un album qui égrène les hauts faits de couture de celui qui, bien qu’appréciant les hommes, voulait que les femmes du monde se sentent aussi belles qu’une duchesse…

Habemus papam...

Le pape terrible : 3. La pernicieuse vertu
 


© Delcourt 2013 - Jodorowsky & Caneschi
Le vice et la perfidie. Jules II et Machiavel mettent Ferrare à genoux pour satisfaire les envies d’un prélat qui s’autorise tous les excès. Entre démesure et folie, la saga infernale se poursuit.

Vouloir resituer Le Pape Terrible dans la chronologie des guerres d’Italie ne sert à rien puisque Alejandro Jodorowsky n’en a cure et s’enfonce avec complaisance dans une outrance qui n’a rien d’historique. Il y a cependant des limites à ne pas franchir et l’auteur chilien les tangente dangereusement tel un funambule de l’intempérance.

Inutile donc de s’appesantir sur un scénario dont il convient toutefois de souligner l’enchaînement des séquences, à défaut d’en apprécier le contenu. L’intérêt de ce troisième volet de la vie "jodorowskisée" de Giuliano della Rovere est à rechercher ailleurs, dans le trait et les perspectives de Théo Caneschi. Réaliste, expressif et puissant, voire habité, son dessin transfigure les protagonistes et théâtralise le stupre jusqu’à la caricature, mettant ainsi en exergue l'exagération coutumière de son scénariste.

Un album discutable et qui - dans la continuité de Borgia - n’est pas à mettre entre toutes les mains !

dimanche 27 octobre 2013

Les Pictes de Ferri & Conrad aux astérixiens



© Les Éditions Albert René 2013 - Ferri & Conrad
Les Pictes… jamais ce peuple de l’ancienne Calédonie n’aura fait autant couler d’encre et parler de lui !

L’arrivée d’un album d’Astérix est un évènement qui dépasse le petit microcosme de la bande dessinée et qui, dans le cas présent, prend des proportions savamment orchestrées… 

Laissons aux puristes et autres spécialistes le soin de procéder à l’exégèse de ce trente-cinquième volet des pérégrinations des deux Gaulois et de finaliser l’analyse sémantique de l’ensemble des phylactères pour ainsi déterminer son degré de filiation goscinno-urderzonienne. Ceci étant, il convient de saluer le courage (à moins que ce ne soit de l’inconscience ou de l’orgueil) de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad d’avoir relevé le défi ! Vraisemblablement la réalité des choses sur la genèse de cet opus fut moins idyllique que ce que relate la presse spécialisée et leur performance n’en apparaît que plus méritoire. 

Graphiquement Didier Conrad sait se glisser dans les crayons d’Uderzo avec un mimétisme surprenant tout comme Jean-Yves Ferri avec le style de Goscinny, avec cependant une réussite moindre dans la mesure où cette première parution s’apparente parfois à une succession de figures imposées.

Faire du « à la manière de… » expose invariablement à une comparaison ! Globalement, cet album reste dans la lettre autant que dans l’esprit de l’œuvre originelle, dès lors que peut-on lui reprocher ? Peut-il, doit-il évoluer ? Pourquoi pas ? À la condition d’un minimum de continuité qui impose que le duo dessinateur/scénariste perdure et possède une réelle vision de ce que doivent devenir les personnages. Sinon, il ne s’agit que de copies ! 

Au-delà des raisons mercantiles, il est toujours intéressant de voir comment certains justifient qu’une série puisse survivre, sous d’autres plumes, à ses créateurs. Astérix appartient-il à René Goscinny (ou ses ayants droit) et à Uderzo ou comme le proclame ce dernier, à son public ? La question peut-être posée et à mettre en regard des réponses apportées par Hergé ou Christin et Mézières !

jeudi 24 octobre 2013

Louise Pinocchio


A l'origine des contes : Pinocchio
 

Louise est une enfant espiègle et à l'imagination débordante qui parcourt le palais Garnier à longueur de temps au lieu d’aller à l’école. Un jour de 1875, elle y fera la connaissance d'un journaliste italien... 

© Glénat 2013 : Bonifay & De Rochebrune
Comment naît un conte ? Telle est l’interrogation à laquelle Philippe Bonifay tente de répondre au travers de cette nouvelle série qui paraît chez Glénat. Évidemment, le sujet a déjà été travaillé et d'abondants écrits en expliquent doctement les tenants et aboutissants. Et si, plus simplement, l’inspiration des écrivains, en l’occurrence Carlo Collodi, prenait sa source dans les petits riens qui font parfois de grandes journées ? C’est ce que semble vouloir nous faire comprendre ce Pinocchio. 

L’ensemble, joliment raconté et dessiné, s’avère exubérant comme peut l’être son héroïne. Toutefois, le lecteur en viendra presque à se demander si l’album n’aurait pas dû s’appeler Louise. En effet, il est plus souvent question de l’adolescente que du créateur du pantin de bois et de la manière dont l’idée lui vint d’écrire son récit. À considérer que la fillette fut sa muse, les instants qu’ils partagent sont pratiquement réduits à la portion congrue, même s’ils sont censés avoir largement influencé le romancier. 

Quoi qu’il en soit, l’important dans une histoire, c’est d’y croire ! En cela, le trait de Thibaud de Rochebrune et la couleur de Scarlett Smulkowski sont des alliés précieux qui savent donner vie aux rêveries d’une petite fille. 

Plaisant et distrayant, ce Pinocchio contribue, à sa façon, à en perpétuer la magie.

Mère ou maquerelle ?


Chimère(s) 1887 : 3. La furie Saint-Lazare

© Glénat 2013 - Turpyn & Beaufrère
Après la mort de Salomé, Chimère est incarcérée à Saint-Lazare, la sinistre prison pour femmes de Paris. Mais la culpabilité de la jeune fille ne convainc pas le commissaire Leroux qui préfère privilégier une autre piste… 

Avec La furie de Saint-Lazare, Christophe Pelinq et Melanÿn déchirent progressivement le voile qui recouvre le passé de Madame Gisèle et donnent quelques clefs permettant de comprendre l’attitude rigide de la tenancière à l’égard de sa juvénile pensionnaire. Ainsi, au gré des turpitudes du bordel mondain, les deux demi-mondaines vont s’affronter et révéler quelques-unes des facettes de leur personnalité… la perversité n’hésitant pas, à l’occasion, à changer de camp ! Dès lors, le scandale politico-financier qui se fomentait contre Ferdinand de Lesseps et son canal se trouve repositionné en arrière plan alors que les geôles ou les bas-fonds de la capitale viennent compléter le tableau qui est fait de la société parisienne de cette deuxième moitié du XIXe. 

Graphiquement, l’album confirme l’évolution amorcée dans Dentelles écarlates. Désormais, le trait de Vincent s’installe dans l’épaisseur, accentuant encore la déformation imposée aux physionomies. Doit-on voir là une volonté de révéler la noirceur qui anime ses personnages ? La question reste posée, d’autant plus que certaines séquences font encore preuve de la finesse et de la légèreté saluées sur Perle pourpre et qu’il serait dommage de regretter. 

Si la tension qui s’installe entre les principales protagonistes de Chimères(s) 1887 marque cet épisode et accentue l’intensité dramatique du récit, la lente transformation du graphisme en perturbe la lisibilité et en atténue la dimension esthétique.

lundi 21 octobre 2013

Quel temps demain ?

Paradoxes : 1. L'homme infini
 
© Glénat 2013 - Convard & Bidot
Avec la découverte de la "Loi de Multiplicité" et, donc, de la possibilité de voyager dans le temps, Edwel Conrad pourrait être l’égal de Dieu et façonner ainsi le destin des hommes. Mais, pourquoi le ferait-il ?  
 
Ce mois d’octobre est très « physique » ! Après Uchronie(s) et son multivers (New Beijing/New Delhi/New Moscow) ou Universal War et sa trame spatio-temporelle unique, voici que Didier Convard s’essaye à son tour aux joies de la mécanique quantique avec un triptyque dont le premier volume s’intitule L’homme infini.  
 
Pour jouer avec le temps, il faut en connaître et maîtriser tous les rouages au risque de perdre son lectorat ! Afin d’éviter cet écueil, le scénariste pose très vite les bases de son cadre conceptuel et se permet d’y revenir de manière récurrente grâce à quelques références scientifiques telles que "la conjecture de protection chronologique d’Hawking" et "le principe de causalité", ou à des artefacts comme ces Timejumpers venus d’on ne sait quand. Ce faisant, et c’est certainement l’attrait de la série, il s’avère délicat de dissocier ce qui relève du flashback ou du flashforward. Ainsi, Laurent Bidot marque la différence chronologique de chaque séquence - au travers notamment de ses décors – sans pour autant assurer au lecteur qu'elles s’inscrivent bien dans la même chronologie ! Malheureusement, la mise en couleur ne parvient pas à insuffler aux planches le relief nécessaire, tout comme le trait des plus classiques ne peut s’extraire de l’anonymat graphique de nombre de productions actuelles.  
 
Paradoxes peine à convaincre. Qu’en sera-t-il du second volet ? L’avenir le dira, à moins que quelqu’un en soit déjà revenu et puisse en faire la chronique…