vendredi 29 novembre 2013

Juliette en août 36


© Futuropolis 2013 - Gibrat
En ce début du mois d’août 1936, cinq cent cinquante mille ouvriers français découvrent les congés payés. À vélo, en train ou bien encore en voiture, les cohortes des premiers vacanciers s’abandonnent, durant quinze jours, aux joies de l’oisiveté et du soleil. C’est l’occasion pour Mattéo de revoir Collioure, sa mère et Juliette…

Dans Troisième époque, Jean-Pierre Gibrat évoque, avec une sensibilité teintée de nostalgie, la France du Front populaire : celle de la semaine de quarante heures, de l’allocation chômage, de l’école obligatoire jusqu’à quatorze ans. Celle qui, sans le savoir, goûte les derniers instants d’insouciance d’une décennie qui la verra bientôt entrer en guerre.

La saison s’y prêtant, le dessin est un appel au vent sous les robes translucides, à la douceur d’un baiser donné, au goût de l’anisette, à l’odeur des pins, à une brise marine dans les cheveux, aux balades en tandem, à la chaleur du jour et à la tiédeur des nuits. Cet album est un flot de souvenirs qui, emmagasinés au cours d’une quinzaine ensoleillée, tiendront chaud au cœur le reste de l’année. Jouant sur les cadrages, les angles de vue, le découpage ou les couleurs, le trait comme la mise en lumière savent insuffler mouvements et intensité. Dès lors, une simple promenade sur la plage prend des allures de valse.

Toutefois, derrière cette légèreté estivale, la tragédie espagnole se prépare.

Condamné au sortir de la Der des Ders, puis amnistié, Mattéo est resté à Paris où, ironie du sort, il est désormais… tailleur de pierres ! Mais ce retour au pays de son enfance fait resurgir tout un passé difficile à oublier. Malgré son apparent détachement et les bras de Juliette grands ouverts, il ne peut définitivement éteindre la révolte qui lui coûta dix ans de sa vie et la mort de nombre de ses illusions. Il est des causes à défendre, même si elles sont perdues.

S’il convenait de donner un adjectif à cette histoire, celui de "social" viendrait en premier. Au-delà de ces plages soudainement pleines d’une foule bigarrée autant qu’animée ou des bals au son de l’accordéon, la petite ville catalane cristallise les rivalités politiques qui agitaient l’Hexagone, exacerbées par la proximité d’une Espagne qui servait de répétition aux fascistes européens.

Chronique douce-amère d’un été particulier qui put faire croire en des temps meilleurs, ce nouveau volet de Mattéo illustre, s’il en était besoin, le talent de son créateur.

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