jeudi 30 juin 2016

Crimes et shopping

LADY KILLLER : À COUTEAUX TIRÉS

© Glénat 2016 - Jones &. Rich
Joséphine Schuller est une mère attentionnée, une épouse aimante et une femme d’intérieur avertie. Seule petite ombre au tableau, à ses heures perdues, elle est tueuse à gages…

Vous pourriez penser que Josie a recours à cette activité afin d'arrondir ses fins de mois et subvenir à l’éducation de ses deux adorables filles. Il n’en est rien. Tandis que ses voisines s’adonnent de manière compulsive au shopping ou aux réunions Avon, elle préfère – pour des raisons mystérieuses - le meurtre à l’arme blanche ! 

Bénéficiant d’un graphisme très kitch, connoté 50’s, Lady Killer, a la saveur de la dérision et de l’outrance pleinement assumée. Alors que vous pourriez vous attendre de la part d’un duo d'auteures à une certaine retenue, voire une intellectualisation de l’acte, Joëlle Jones et Jamie S. Rich s’en donnent à cœur joie dans le sanguinolent et jouent sur le décalage visuel et sociale de leur héroïne. Sous ses faux airs de Jacky Kennedy, Josie (alias Lady Killer) n’hésite pas à trancher dans le vif et à occire, salement, à grandes giclées d’hémoglobine ; l’important est le résultat plus que la beauté du geste. Féminine jusqu’au bout des ongles, Madame Schuller tue comme un homme !

Une fois l’album refermé, vous regarderez votre conjointe différemment, tout en vous jurant de mettre sous clefs l’ensemble de couteaux à découper en acier inoxydable offert par votre belle-mère. On ne sait jamais !

lundi 27 juin 2016

Allez mon Kiki !

LES AILES DU SINGE : 1. WAKANDA

© Paquet 2016 - Willem
Difficile pour un pilote d’exception d'être rivé au plancher des vaches ! Heureusement, Harry peut compter sur Betty pour s’envoyer en l’air. Enfin, façon de parler…

Se servir de nos amis les bêtes pour pouvoir évoquer - tout à loisir - les travers des hommes n’est pas chose nouvelle et, des bestiaires médiévaux en passant par La Fontaine, les références littéraires à la zoosphère sont légion. Il est alors normal que le 9e Art suive les mêmes voies. Toutefois, la bande dessinée zoomorphique reste un exercice un peu particulier, qui demande une certaine dextérité. En effet, il ne suffit pas de savoir dessiner une souris pour faire Mickey ou un chat pour donner naissance à Blacksad. Ayant montré quelques prédispositions avec L’épée d'Ardenois, Étienne Willem semble vouloir persister dans le genre et ce pour notre plus grand bonheur. À l’évidence, l’enfant de Charleroi a des facilités pour dessiner les animaux anthropomorphisés et cela se voit sur ce premier opus des Ailes du singe. 

Dans le cas présent, cette version crayonnée de Wakanda possède le charme, assumé, des productions hollywoodiennes d’entre-deux-guerres. L’absence de couleurs et d’encrage ramène chaque planche à sa dimension première ; sur le bleu, le trait brut délivre toute son expressivité. D’aucuns reprocheront à Étienne Willem d’avoir repris tous les clichés des films américains d’aventures, ceux du temps du Noir & Blanc. Mais qui s’en plaindrait tellement la chose est faite avec brio, avec cette pointe d’autodérision qui permet une certaines distanciation ? Les héroïnes sensuelles à souhait, les méchants patibulaires comme il faut, et toute la faune de seconds rôles croquée avec justesse donnent à cet album une belle consistance à la dynamique toute cinématographique. Cerise sur le gâteau, la mise en abîme entre King-Kong et le Wakanda prouve qu’Étienne Willem est un auteur complet qui sait mener toute sa petite ménagerie d’une main de maître.

John Blacksad n’a qu’à bien se tenir : Harry Faulkner fait une entrée tonitruante dans le petit monde animalier de la bande dessinée.

UN TOUT PETIT BOUT D'ELLE

© Le Lombard 2016 - Zidrou & Beuchot
Avec Un tout petit bout d’elles, Zidrou et Raphaël Beuchot clôturent leur trilogie africaine initiée en mai 2011. Exit, les conteurs de liberté ou la musicalité des bords du lac Maï Ndombé, place à un autre visage du continent Noir, celui des nouveaux colonialistes et du poids des usages ancestraux. 

À travers l’histoire d’amour entre Yue Kiang, qui travaille pour un consortium chinois venu puiser dans les richesse du Congo, et Antoinette qui rêve de visiter le Louvre, le Stakhanov belge du scénario évoque une pratique d‘un autre âge : l’excision. 

Le sujet est délicat et pourrait paraître quelque peu lointain pour celui qui en ignore tout. Écrit en sous-entendus lourds de sens, cet album laisse le lecteur hébété et incrédule fasse à cette coutume souvent perpétuée par celles qui en furent les victimes. Rituel barbare dont les seuls fondements semblent être ceux de la tradition, il est cependant dommage que Benoit Drousie ne se soit pas attaché à expliquer en profondeur les raisons qui font encore que plus de 130.000 fillettes sont mutilées chaque année. Annexé d’un complément qui permet de se rendre compte de l’étendue du drame, Un tout petit bout d’elles bénéficie de la sobriété du dessin de Raphaël Beuchot qui, par sa gestion des couleurs, adoucit singulièrement la dureté du propos et renforce l’anachronique détermination de ses héros. 

Reste au final un certain désarroi face à un acte qui, pour nous occidentaux, n’a aucun sens, mais qui continue de marquer dans leur chair la plus intime des centaines de millions de femmes de par le monde.

Salut les filles !


© Glénat 2016 - DeConnick & De Landro
Dans un futur indéterminé, les femmes vivent dans l’ombre des hommes. Celles qui auraient quelques velléités d'indépendance sont impitoyablement envoyées à «Bitch Planet», un établissement auxiliaire de conformité gravitant autour de la terre… 

Scénarisé par Kelly Sue DeConnick et dessiné par Valentine De Landro, Bitch Planet, publié aux USA depuis décembre 2014 chez Image Comics, fait aujourd’hui l’objet d’une intégrale chez Glénat Comics : Extraordinnary machine compile les 5 premiers fascicules. 

Cette série est présentée comme un pamphlet social sur la misogynie et l’oppression des minorités. Soit ! Mais encore ? La lecture de ce premier volet laisse dubitatif. La situation où se trouve la gent féminine apparaît comme un postulat puisque rien n’est expliqué, ce qui est passablement frustrant. La mise en place des protagonistes dure et ne se finalise que sur la fin de l’album, tout comme la perspective d’une confrontation sportive hautement médiatisée et… symbolique. Quant aux considérations qui sont censées constituer les fondements du scénario, elles sont taillées à la serpe et relèvent plus du parti-pris que de la démonstration. 

Alors, à l’image de son graphisme qui fleure bon l’iconographie pigmentée des années 70’s, il reste à prendre Bitch Planet pour ce qu’il est : un exercice de style qui se garde de faire dans la demi-mesure.

jeudi 16 juin 2016

La belle est la bête...

VEIL

© Delcourt 2016 - Rucka & Fezjula
Surgit du néant, elle arpente les rues, nue. Qui est-elle ? Personne ne le sait, mais son identité n’est pas la raison de l’intérêt qu’elle suscite…

Si, la présence du scénariste de Lazarus sur la couverture rassure, c’est toutefois le design de cette dernière qui attire indéniablement l’attention. Bien que Greg Rucka signe le scénario, ce dernier n’en devient pas transcendant pour autant, comme quoi, même les plus grands peuvent avoir leur moment de faiblesse. Impossible donc de s’extasier sur la psychologie des protagonistes, la profondeur des références ou la complexité des situations. En fait, l’album s’avère maîtrisé plus par l’expérience que par l’inspiration, au rat près !

L’intérêt de cette compilation de cinq opuscules parus entre mars et octobre 2014 chez Dark Horse Comics, vient du graphisme de Toni Fezjula.

Au-delà d’un travail sur les perspectives qui apporte le dynamisme attendu de ce genre de production, le parti graphique se singularise dans sa manière de traiter les ombres. Selon les supports - décors ou personnages – elles rendent l’aspect du vitrail ou de tatouages tribaux. Parallèlement, le jeune dessinateur d’origine serbe accompagne le tout d’une gestion des textures qui renforce – au travers d’une mise en couleurs pour le moins particulière dans ses choix – la densité de chaque case. Il est juste à regretter un manque d’éclat des teintes qui en aurait augmenté l’impact.

Visuellement atypique, Veil possède une personnalité qui en fait tout l’attrait.

Drôles d'oiseaux : vol #2

BIRDY'S : 2. L'effet papillon
 

© Clair de Lune 2016 - Nolwen
Awen va rentrer au parlement des Birdy’s. Mais un grave danger menace ces drôles d’oiseaux, et l’imprévisible volatile pourrait être, encore une fois, l’instrument providentiel du destin… ou le jouet d’une sombre machination.

Paru en 2012 aux éditions Clair de Lune, le premier volume de Birdy’s avait surpris par sa poésie et sa créativité. En 2016, il connait une suite qui emprunte de nouveaux sentiers. Quoiqu’il en soit, Nolwen continue à déstructurer joliment ses planches. La page est le support sur lequel il agence, chaque fois différemment, une multitude de vignettes qu’il articule autour d’un élément graphique central. Visuellement, cet ordonnancement rompt toute monotonie et concourt à la dynamique et au sens de l’histoire, mais il impose une grande maîtrise dans l’arrangement des cases comme dans la narration. Pour ce qui relève du dessin, bien que socialement tributaire de l’encre et ayant excellé dans le monochrome, les Birdy’s s’adonnent désormais aux charmes de l’aquarelle dans des tonalités bien différentes de l’Alternative. Exit une certaine forme de naïveté, place à une aventure au caractère moins initiatique, plus enlevé, moins intemporelle mais toujours aussi inventive. Ne négligeant pas pour autant certaines thématiques, ce nouvel opus verse dans le récréatif plutôt que dans l’introspectif. Ce changement se matérialise par un trait, coloré, riche de mille et un détails et des dialogues beaucoup plus nombreux ; dorénavant le minimalisme fait place à la profusion et, parfois, laisse poindre un soupçon de confusion.

Passant de l’objet lunaire à une bande dessinée plus classique, Birdy’s a incontestablement changé. Évolution nécessaire ou mutation inopportune ? L’avenir le dira…

dimanche 12 juin 2016

L'ange mécanique !


© Glénat 2016 - Benitez
Dans cette cité où la modernité est érigée en dogme, il est une femme qui recherche sans relâche celui qui lui a volé sa jeunesse et lui a greffé ses prothèses mécaniques à la place des bras… 

Après avoir connue outre-Atlantique une parution mouvementée, Glénat comics édite la dernière production de Joe Bénitez. Le mystère du corps mécanique regroupe donc les cinq premiers volets des aventures de la nouvelle égérie du monde steampunk, ce qui va ravir les amateurs francophones du genre et ceux qui apprécient le trait du dessinateur américain. Graphiquement, il faudrait être particulièrement difficile pour trouver quelque chose à redire à ces cent-douze planches de pur bonheur visuel qui fera connaître (et pourquoi pas apprécier !) les arcanes du Comics à ceux qui ne les fréquentent que très rarement. L’esthétisme est le maitre mot dans cet univers à la Jules Verne, mâtiné d’Angleterre rétro-victorienne. L’ensemble est maîtrisé et structuré de telle manière qu’il est malaisé d’imaginer qu’il puisse en être autrement. Cerise sur le gâteau, en articulant son récit autour d’un trio, Joe Bénitez complexifie son histoire et en multiplie les possibilités. 

S’il n’était des dialogues parfois si verbeux qu’ils en perdent leur lisibilité et rendent fastidieuse la lecture de certains passages, ce premier opus serait quasiment parfait. Bonne nouvelle, le volume deux est attendu pour l’automne… celui de 2016 !

Le marin, la marquise...

L’ÉPERVIER : 9. Coulez la Méduse

© Quadrants 2015 - Pellerin
Les amateurs de combats navals et d’intrigues de cour seront ravis par ce neuvième opus des aventures du gentilhomme breton. Si la magie de la précision de Patrice Pellerin fait merveille dès qu’il s’agit de dessiner Versailles ou quelques frégates, le trait se fait parfois moins précis sur les personnages notamment ceux de second rang. Parallèlement, la cinétique ne semble pas être la préoccupation d’un auteur plus soucieux du détail historique que les mouvements de ses protagonistes. 

Entre terres du Nouveau Monde, geôle en Finistère et cabinets à Versailles, l’Épervier sait entraîner son lectorat à sa suite, mais navigue sur ses acquis.

samedi 11 juin 2016

69 ? Un printemps pourri, mais un bel été !

LES BEAUX ETES : 2. La calanque

© Dargaud 2016 - Zidrou & Lafebre
En 1985, dans Retour vers le futur, Robert Zemeckis utilisait une De Lorean DMC-12 pour remonter le fil des ans. Plus pragmatique, Benoit Drousie a recours à une 4L rouge répondant au doux sobriquet de Mam’zelle Estérel. Exit 1973 et sa maladie d’amour, et bienvenue en 1969, quand Gainsbourg allait et venait et que la France pansait ses blessures de Mai. 

Plutôt que de suivre le cours de son histoire, le scénariste de Marina prend le contre-pied de toute logique narrative. Nous voici en été 69, quatre ans avant la naissance de Pépette. 

Ce nouveau volet des Beaux étés s’inscrit dans la veine du précédent, mais en plus tendre et joyeux. La calanque est d’une insouciance qui devient rare ces derniers temps. Certes, il y a une bonne dose de nostalgie que les plus jeunes trouveront désuète et hors de propos, mais ceux qui ont connu les migrations sur la Nationale 7 durant les Trente glorieuses prendront peut-être différemment la chose. Zidrou remet au goût du jour la magie des grands départs, celle où tout est possible. Il réinvente l’aventure au coin de la rue avec une naïveté d’une simplicité déconcertante. 

Progressivement, le dessin de Jordi Lafebre atteint sa pleine maturité. Tout est là, de la précision du trait à l’empathie pour ses personnages. Visiblement, le jeune graphiste ibérique a son récit totalement en main, il ne lui reste plus qu’à la laisser vagabonder selon sa guise au gré des planches. 

Finalement, le bonheur peut se raconter ! Cela fait même de beaux albums…

Diable ! Déjà fini...

L’HÉRITAGE DU DIABLE : 4. L'apocalypse

© Bamboo 2016 - Félix & Gastine
Et si la réalité était tronquée ? Si l’évidence s’avérait n’être qu’une illusion ? Si le vrai avait l’apparence du faux, à moins que ce ne soit le faux qui sonne comme le vrai ? Que faire, qui croire, que penser ?

Le constat est implacable, la conclusion d’une série est toujours un instant délicat pour ne pas dire difficile, et nombreuses sont celles qui, après avoir suscité les plus folles illusions, se concluent mollement ou dans des révélations vides de sens. 

Cette épineuse question a certainement dû effleurer Jérôme Félix à l’heure de solder son Héritage, et lui donner à regretter d’avoir, sciemment ou non, jonglé sur les registres de l’historique et de l’ésotérique ou brouillé les pistes tout en menant son récit crescendo. Terminer en beauté et verrouiller tous les axes narratifs initiés depuis Rennes-le-château et ceci en seulement cinquante-deux planches n’est pas une mince affaire, mais il convient d’admettre que le contrat est rempli. 

Dense à la limite du raisonnable, ne laissant que peu de place à la fioriture, dédoublant l’action en de multiples lieux afin de mieux conclure, le scénariste s’en sort avec les honneurs, sans cabrioles ni effets de manches superfétatoires. Ciblant volontairement un large public sans pour autant renoncer à développer un pitch qui ait du sens, l'enfant de Vire réussit à faire la synthèse de bien des références cinématographiques ou littéraires – Da Vinci Code ou Indiana Jones pour les plus régulièrement mentionnées - pour servir sur un plateau cette fiction à Paul Gastine. Naturellement doué pour camper la gente féminine, le jeune dessinateur normand (lui aussi !) a, depuis Le secret du Mont St Michel, singulièrement étendu le champ de ses possibilités en matière de paysages et de décors. Désormais, la polyvalence et la maturité dont il fait preuve sur L'Apocalypse devraient lui permettre de conquérir de nouveaux espaces graphiques.

Une fois terminé, L’héritage du diable laisse la satisfaction de voir un talent se confirmer et un autre éclore. Que souhaiter de plus ?

Le hasard, c'est bizarre !

 
© Le Lombard 2016 - Ekeland & Lécroart
Vous avez dit « hasard », comme c’est bizarre… Mais, est-ce vraiment un hasard ? S’il fait parfois bien les choses, le hasard inquiète, ne serait-ce que par le fait qu’il soit insaisissable ! 

Dans la collection la petite bédéthèque des savoirs, les éditions du Lombard tentent d’en donner une explication accessible à ceux qui auraient raté Polytechnique sur un malentendu. 

Dans le cas présent, Le hasard d’Ivar Ekeland (scénario) et Étienne Lécroart relève plus de l’opuscule (par son format) que de la bande-dessinée. Si la théorie du chaos ou les probabilités sont abordées de manière littéraire et visuelle à travers les dialogues qu'entretiennent les deux principaux protagonistes (le sachant et le candide) et quelques illustrations didactiques, il faut cependant un minimum d’implication pour comprendre certaines subtilités du théorème central limite ou les contingences propres à la notion de volatilité, sans parler de l’attente nécessaire pour appréhender concrètement la compression spontanée des gaz… Coté dessin, le format et une pagination dense basée sur un gaufrier 2x3 ne laissent que peu de latitude pour aérer le propos. Seul élément récréatif, un petit lépidoptère qui n’est pas sans rappeler une certaine coccinelle… 

Le hasard permettra – éventuellement - de tenir une conversation en société, mais pas de passer son bac. Quant à l’apport de la BD dans cette histoire, il relève du support pédagogique.

lundi 6 juin 2016

À l'abordage !

MARINA : 3. Razzias !

© Dargaud 2016 - Zidrou & Matteo
L’ombre de Dante Alighieri hante Venise à jamais. Désormais, l’important est de savoir si le miracle qui la sauva jadis de l’anéantissement peut se produire à nouveau… sept siècles après. 

Créée il y a à peine trois ans, Marina cultive une retenue à laquelle il est temps de mettre définitivement fin ! 

Alors qu’il pourrait jouer sur la facilité du mythe de la Venise éternelle, Benoit Drousie déstabilise la Sérénissime République en déversant sur elle sept maux - comme autant de péchés capitaux -, l’obligeant à poser genou à mer pour ne pas sombrer. Si la ville édifie son avenir (touristique) sur son passé (mercantile), le scénariste belge lui imagine une fin en conséquence et entraîne le lecteur dans les méandres de l’Histoire marchande et guerrière de l’illustre cité lacustre. Louvoyant des prémices de la Renaissance à ceux du vingt-et-unième siècle, il se sert de la superstition qui nimbe la cité pour tisser un récit qui hybride le romanesque historique à la fiction contemporaine. 

Sur les eaux de la Lagune, Mattéo Alemanno manie sa topetta avec aisance. Le dessinateur vénitien brosse un portrait du Trecento d’une vraisemblance et d’un réalisme saisissants. Au-delà de la simple dimension visuelle, il se dégage de ses planches une atmosphère qui doit beaucoup à une mise en couleurs directe plus que travaillée, que seuls ceux qui ont eu la chance d'admirer ses originaux peuvent vraiment apprécier. Là se trouve le seul bémol de l’album ; celui d’une reproduction qui minimise sa valeur graphique. Et l’on se plait à rêver d’un tirage de tête sur un papier de fort grammage au grain délicat. 

Justement mis en scène et magnifiquement dessiné, Razzia démontre le potentiel d’une série qui s’installe de manière trop discrète comme une référence du genre. Reste à faire qu’elle apparaisse enfin comme telle aux yeux du plus grand nombre.

jeudi 2 juin 2016

Loup ? Y es-tu ?

TOUT CONTE FÉE

© Casterman 2016 - Camou & Bandini
Il était une fois une maison. Plutôt un immeuble, avec un air de déjà-lu ! Au rez-de-chaussée, le Père Léon devise avec Jéso Dedieu. À l’étage, Mlle Chapon accuse Monsieur Wolf d’avoir mangé sa petite sœur. Au-dessus, le jeune Pierre Pan vit au crochet d’un ancien officier de Marine. Et que penser de ces deux mineurs bientôt majeurs ? Mais toujours pas de raton laveur ! 

S’il fallait résumer Tout conte fée, il serait possible d’écrire que cet album porte un regard décalé sur ces histoires qui font le bonheur des pédopsychiatres et la fortune des studios Disney. En développant un peu plus, il pourrait être ajouté que Lionel Camou, pour une raison étrange, s’intéresse au devenir de l’éclectique microcosme des contes de fées, une fois les grimoires refermés et les enfants couchés ! Avec une fantaisie des plus débridées, il se laisse aller à quelques supputations sur ce petit monde, avançant pour l’occasion une théorie surprenante quant aux relations que notre réalité quotidienne tisserait avec ces univers de magie et de rêves. Ainsi, si le Grand Méchant Loup se tape Mère-Grand en cachette, c’est pour éviter de mettre prématurément le Petit Chaperon Rouge face à une sexualité résolument subversive qui insufflerait en elle des tensions primaires pour ne pas dire primales… Comprenne qui pourra ? 

À la planche à dessins, Bandini s’en donne à cœur joie et prend visiblement plaisir à travailler avec son scénariste de père. Se jouant des styles comme des situations, cet opus se révèle être un véritable melting-pot de références visuelles et d’influences graphiques qui arrive, nonobstant de légers écarts, à conserver sa cohérence malgré la folie ambiante. 

Tout conte fée réalise le grand écart entre Bruno Bettelheim et Tex Avery, tout en naviguant des Monty Python et Lewis Carroll. Ceci étant, il ne fait pas dans l’orthodoxie et le politiquement correct, mais c’est certainement là sa qualité première. La seconde étant qu’il faut au moins le lire deux fois pour en apprécier toute la subtilité !