mardi 31 octobre 2017

GIACOMO C.


© Glénat 2017 - Dufaux & Griffo
Comme tant d’autres, j’ai perdu de vue Monsieur de C. après qu’il eut réglé - de manière honorable quoique définitive - son différend avec feu le Marquis de San Vere. Depuis cinq longues années, la rumeur voulait qu’il erre en Orient… pour le plus grand désarroi des pensionnaires de Mme Aquali fille. Mais depuis plusieurs jours, la nouvelle se répand sur la lagune aussi vite que l'eau un jour d’aqua alta, notre homme serait prochainement de retour de Corfou et MM. Dufaux et Griffo auraient la primeur de son récit qu’ils monnayeraient toutefois fort chichement. Bien que jaloux de son crédit auprès d’amies communes et de ses accointances passées, tant avec ceux qui nous gouvernent que ceux qui nous dépouillent (quoique les uns se confondent parfois avec les autres), je ne peux que me réjouir du retour de cette âme libertaire et libre qui privilégiait l’amitié aux Plombs et les largesses des jolies femmes aux ors du pouvoir. 

J’ai donc revu dernièrement Giacomo de C. ; en galante compagnie, il va de soi ! Après avoir échangé quelques banalités sur le triste sort du Signor Guirlando, nous en sommes venus à deviser sur le fond de l’affaire. Nous pûmes donc échanger sur le sujet tout le reste de la soirée en profitant de la générosité de notre hôte. Cette agréable discussion fut pour moi l’occasion de lui signifier mon plaisir à prendre de ses nouvelles et à lui dire que je reconnaissais dans ce "Retour à Venise" tout ce qui faisait le sel de ses exploits passés. Trop diront d’aucuns ! Mais il est toujours plaisant de boire d'un même vin tant qu’il est bon et ce crû, pour ce qui est du scénario, n’est pas des moindres. Si ce récit recèle bien quelques langueurs, il ne révèle aucune longueur - exception faite de la façon dont la Signora d’Albrante éveille les sens de sa fille - et propose même un dénouement qui me laisse à penser que l’exil a changé durablement notre homme. L’heure avançant, je ne puis lui cacher cependant mon désappointement devant le relâchement – voire les imprécisions - dans le traitement graphique de certaines planches ou cases … gâchant un tant soit peu mon plaisir. Mais en souvenir des lectures d’hier, je n’en tiendrais grief à quiconque sauf à ce que cela se reproduise ! 

J’essayais sur le tard d’en connaître un peu plus sur la suite qu’il entendait donner à tout cela, mais notre ami, a contrario des courtisanes vénitiennes, n’aime pas à être bousculé. Nous décidâmes donc d’en rester là et d’aller goûter aux délices de quelques dames à peine masquées.
  
Silvestro de S.

samedi 21 octobre 2017

MARSHAL BASS

2. Meurtres en famille

© Delcourt 2017 - Macan & Kordey
Un tueur en série victime d’une famille de meurtriers. Les vastes espaces de l’Ouest ne sont pas forcément le paradis tant espéré... 

Darko Macan n’est pas du genre à enjoliver la réalité. Loin du mythe d’une Amérique bienpensante et conquérante, le scénariste croate dresse un portrait du Far-West exempt de fioritures, mais indéniablement plus réaliste que la majeure partie des productions hollywoodiennes. Son scénario sent la sueur, exhale la vilenie, transpire la bêtise et personne ne peut prétendre à une once de virginité. L’alcool, le soleil, l’or tournent les têtes et poussent aux pires extrémités de pauvres hères qui tueraient père et mère pour un dollar de plus. La marque de Darco Macan est de faire en sorte que tout ceci s’inscrive "naturellement" dans le cours d'un récit où le sordide est de mise, la lâcheté un art et la violence un moyen de survivre. 

Sur cette trame sans concession, Igor Kordey délaisse cette fois les grands paysages - à l’exception notable d’une superbe double page qui pourrait devenir récurrente au fil des albums - pour se concentrer sur ceux qui les hantent. Sous son trait, ces nouveaux barbares donnent toute sa dimension à la dramaturgie de Meurtres en famille, et ce n’est pas la couleur de Desko qui viendra en atténuer la dureté. 

Loin des stéréotypes, Marshall Bass apporte une dimension humaine au genre. Un western psychologique en somme…

jeudi 19 octobre 2017

THE DEAD HAND


© Glénat 2017 - Higgins &Mooney
Dans un coin paumé au milieu de nulle part, des anciennes gloires de la Guerre froide vivent en huis clos et protègent un secret jusqu’ici bien gardé… 

Premier essai sur un format franco-belge pour Kyle Higgins et Stephen Mooney. 

À la croisée de deux mondes, The dead hand hésite à choisir véritablement son camp et manque trop souvent de précision dans l’encrage des physionomies et la dynamique des personnages : ce qui passe inaperçu en 18 x 28 ne l’est plus forcément sur une pagination 24 x 32 ! 

Pour ce qui est du fond du récit, ce mélange de thriller et de science-fiction se met doucement en place et laisse présager quelques surprises à venir. Toutefois, ce premier tome se contente de passer en revue - au travers de quelques flashbacks et une voix off en narration - les principaux acteurs et d’installer une atmosphère pesante de faux-semblant. 

Les reliques de la guerre froide se révèle être un volet introductif efficace, mais qui tarde quelque peu à vraiment monter en puissance. En espérant que le second saura remédier à cette situation.

HARMONY


© Dupuis 2017-  Reynès
Memento, Indigo, Ago : le premier cycle d’Harmony est désormais complet. Bref retour sur une série qui a su - en moins de deux ans - trouver sa place dans le petit monde du fantastique hexagonal. 

Après un premier opus en quasi huis clos centré sur une mystérieuse adolescente amnésique et dotée d’un étrange pouvoir, Mathieu Reynes s’est mis à jouer avec les temporalités semant quelque peu le trouble. Dans ce dernier volet, il prend soin de replacer chaque chose dans la chronologie des évènements. Toutefois, il sait garder nombre de portes encore closes tout en introduisant de nouveaux personnages afin d’explorer de nouvelles voies dans les opus à venir. 

Un scénario qui évite la simplicité de la linéarité et s’avère suffisamment complexe pour maintenir le lecteur entre deux eaux et un dessin qui assume sa parenté avec les comics sans renier sa filiation au franco-belge sont désormais les marques de fabrique de cette série. Cependant, s’il est une chose qu’il faut retenir d'Ago, elle est à rechercher dans la progression du trait du créateur d’Harmony. Au fil des planches, son graphisme qui recherche toujours les effets visuels dans la cinématique des protagonistes et les prouesses télékinésiques de son héroïne, glisse vers davantage de réalisme et s’attache de plus en plus à l’expressivité des personnalités. 

Avec un scénario qui se découvre au fil des albums autant qu’il s’imagine, Harmony a encore de belles années devant elle…

mardi 17 octobre 2017

LE PETIT VAGABOND

© Paquet 2017 -  Kung
Du Tibet à Tapei en passant par New-York, le petit vagabond est là pour guider le voyageur égaré, pour aider celui qui se cherche…

Crystal Kung est une dessinatrice en devenir. « Mes dessins sont le miroir de ma vie » dit-elle. Aussi, au gré du vent, des étoiles ou de ses voyages, elle délivre ici sept fables poétiques et graphiques ; sept saynètes muettes, ponctuées simplement d’interrogations et de suspensions ; sept rencontres faites de par le monde. 

Si les dialogues sont minimalistes (mais se suffisent à eux-mêmes), la composition est parfaitement pensée. Au fil des planches, la jeune taïwanaise démontre une maturité et une évidence dans le trait qui sont les signes prometteurs d’une future grande. 

Album à l’émotion discrète et aux couleur lumineuses, Le Petit Vagabond prête à rêver autant qu’à voyager et constitue l’une des heureuses surprises de cette fin d’année.

vendredi 13 octobre 2017

PETITE MAMAN

© Dargaud 2017 - Mahmoudi
L’enfance de Brenda n’est pas celle à laquelle tout enfant devrait avoir droit. Humiliée et violentée par son beau-père, délaissée par sa trop jeune mère, elle se construit, seule, dans la souffrance et la culpabilité…

Véritable documentaire qui prend le crayon là où d’autres utilisent un micro et/ou une caméra Petite maman fait œuvre de tact pour aborder un sujet aussi douloureux que délicat. S’il est difficile de filmer ce que l’on subodore, il est plus facile de le dessiner avec toute l’intégrité morale que cela implique, et en cela cet album est un petit bijou d’équilibre et de psychologie. Ceux qui rechercheraient un plaidoyer larmoyant ou racoleur sur des drames qui se jouent à huis clos à un bloc, une rue ou même une porte, en seront pour leur frais. Halim Mahmoudi - en observateur discret - s’abstient de tout jugement à l’emporte-pièce et reconstitue avec compassion et douceur, mais sans occulter la douleur des coups et la violence des mots, la complexe résilience d’une enfant devenue la souffre-douleur expiatoire d’exactions banalisées par le quotidien.

Pleine d’espoir, cette chronique sociale que l’on souhaiterait n’être que de pure fiction interroge surtout sur notre capacité collective à ne pas vouloir voir, à ne pas savoir oser ou à refuser de s’imaginer un inimaginable qui chaque année fait plus de 98.000 jeunes victimes.

dimanche 1 octobre 2017

GUNBLAST GIRLS

1. Dans ta face minable !

Recette du Gunblast Girls cake. 

© Le Lombard 2017-  Crisse
Tout d’abord, choisissez un team de filles un peu badass sur les bords (il faut que la gent masculine s’y retrouve a minima) et un brin stéréotypées. Montez l’ensemble au batteur (à grande vitesse) avec un doigt de "dernière mission comme au bon vieux temps avec un max de pognon à la clef " et réservez au frais. 

Dans un plat réchauffé, mettez une galerie de branquignoles de première avec le QI d’un poulpe et la force de frappe d’un porte-avion, puis ajoutez un vrai méchant bien mafieux affublé de deux belles garces : l’une rousse incendiaire (toujours !) et l’autre qui se prend pour la belle-mère de Blanche-Neige. Nappez l’ensemble de vide sidéral additionné de paranormal et d’un brin d’humour dans les dialogues ainsi que de quelques références graphiques assumées pour l’onctuosité. Pour le croquant disposez, selon votre envie, de jolis vaisseaux spatiaux et une poignée d’extra-terrestres. 

Servez le tout à des adolescent(e)s affamé(e)s, vous ferez certainement des heureux(-euses) à défaut de décrocher vos trois étoiles…

À COUCHER DEHORS


© Bamboo Édition 2017 - Ducoudray & Anlor
Nicolas reste introuvable et avec lui s’évanouissent les derniers espoirs pour Amédée d’avoir un toit à soi… 

Avec À coucher dehors Aurélien Ducoudray s’en donne à cœur joie dans le bon mot. Sur un récit cacophonique dont la succession des rebondissements devient statistiquement problématique, l’auteur de Mort aux vaches ! peine à convaincre. L’histoire est jolie, mais sauf à rester dans le registre de la comédie, quelque peu forcée, la galerie de portraits comme les situations deviennent par trop caricaturales pour être crédibles. Graphiquement, Anlor emprunte la même voie et fait surjouer ses différents personnages. Toutefois, la composition classique de ses planches comme de ses décors évite à l’ensemble de glisser vers l’excessif. 

Quoiqu’il en soit À coucher dehors possède le mérite de vouloir traiter de la connerie en générale et de la différence en particulier, ce qui - au demeurant - reste une louable et vaste entreprise.

Ut #3


© Mosquito 2017 - Barbato & Roi
Énigmatique, Ut s’inscrit dans la lignée de ces séries qui ne laissent pas indifférent et pourrait - pour peu que le hasard y pourvoie - devenir culte pour d’aucuns. 

Cela a déjà été dit, mais Histéria entérine définitivement le fait, Corrado Roi fait preuve d’une maîtrise du noir et blanc qui frôle la perfection. La technicité chirurgicale de son trait et la charge émotionnelle qui s'en dégage, entraînent de concert le lecteur vers des horizons aussi déconcertants qu’inusités. Il serait prétentieux de parler d’Art mais, par certains aspects, nombre de planches tutoient le concept. 

Cependant, comment ne pas être réducteur ou caricatural avec ce pavé de plus de six cents pages. Plus que des mots, ce sont des impressions confuses qui subsistent, ainsi que le vague sentiment d’avoir fortuitement compris l’essentiel. Ut est un cauchemar où le primal l’emporte sur la raison. Là réside peut-être sa magie, car si le fil rouge demeure mystérieux, il faut reconnaître cependant qu’un semblant de récit prend corps dans les ruelles d’une ville fantomatique ou à l’intérieur d’une maison utérine. Toutefois, savoir où Paola Barbato souhaite nous conduire relève de la pure spéculation. Manifestement, Corrado Roi y a mis du sien, mais il est évident aussi, connaissant l’importance que la scénariste italienne accorde à la psychologie chaotique de ses personnages dans ses romans, qu’il faille essayer de rechercher - dans cet univers "lovecraftien" - quelles allégories.

Triptyque à l’esthétique troublante et à l’ambiguïté singulière, Ut est indéniablement l'une des révélations de l'année.

VALERIAN VU PAR ...


© Dargaud 2017 - Lupano & Lauffray
Monsieur Albert a décidé de se faire du Shingouz, juste histoire de passer ses nerfs pendant que Valérian se frotte aux joies du trading quantique et que Laureline voit vendre ses charmes bien malgré elle ! 

Après Manu Larcenet, voici que le duo Lupano & Lauffray s’offre une variation sur un thème cher à Pierre Christin et Jean-Claude Mézières. Mais après un été saturé par Besson et sa Cité des mille planètes, n’est-ce pas trop ? 

En propos liminaire, il convient de préciser que ce Shingouzlooz Inc. doit être lu avec curiosité et non pas avec nostalgie. Cette précaution prise, rien ne s’oppose à apprécier la façon dont Wilfrid Lupano s’empare de l’univers développé par son aîné. Dès lors, deux manières d’appréhender la prestation s'offrent au lecteur : l’une, critique, considère que l’exercice vire aux figures imposées et au plagiat sans réelle saveur ; l’autre se délecte de l’irrévérencieuse densité du récit proposé. Cocktail de références cuisinées aux goûts du jour par un scénariste qui connait assez ses classiques pour surfer sur les polémiques du temps et se permettre de nombreux clins d’œil, souvent humoristiques. De même, avec un trait semi-réaliste qui s’adonne occasionnellement au comique sans surjouer et qui sait parfaitement remplir les grands vides intergalactiques de créatures gigantesques, Matthieu Lauffray rend une copie plus que probante, surtout lorsqu’il s’attaque à la plastique de Laureline. Alors, effectivement, la partition graphique est différente de celle de Jean-Claude Mézières, mais encore heureux puisque la finalité de la chose est de digresser librement et non pas de plagier... 

Fidèle dans l’esprit, mais différent dans la lettre, ce nouvel opus de Valérian par… démontre qu’avec du vieux, il est toujours possible de faire du neuf… à condition de le réaliser, comme ici, avec talent.