lundi 26 septembre 2016

MORT AUX VACHES !

© Futuropolis 2016 - Ducoudray & Ravard
Après un gentil braquage, Ferrant, Romu, Cassidy et José éprouvent une envie subite de campagne. Rien qu’un mois et après chacun pourra pleinement jouir de son larcin sous d’autres cieux. Enfin, si c’est possible !  

Mort aux vaches ! , faut reconnaître, c'est du brutal ! D’aucuns lui trouverait du Audiard dans les dialogues : y’en a. Et puis du Lautner dans le scénario ? Si, y'en a aussi ! Et ces gangsters en quête de ruralité ne rappelleraient-ils un peu Canicule d’Yves Boisset, jusqu’au tonton qui a des airs de Gabin dans La Horse de Pierre Granier-Deferre… S’il est fait abstraction des références cinématographiques, il est clair qu’Aurélien Ducoudray a fait dans le champêtre. De la crise de la vache folle, aux matériels de la concession du coin, aux cours de sélection appliquée en passant par les dancings du Boischaut ou les filières matrimoniales roumaines, cela sent le vécu, le rural profond. Ajoutez à cela une bande de bras cassés pour le moins inhabituelle et une compagnie de perdreaux qui le jour où l’intelligence a été distribuée devaient être ailleurs : le tableau de la situation est à peu près exhaustif. Et pour mettre en couleurs tout cela, quoi de mieux qu’un petit noir et blanc très vintage et un trait qui fait plus dans l’expressif que dans le figuratif ?  

Avec Mort aux vaches ! , Aurélien Ducoudray et François Ravard revisitent le thriller pastoral, celui qui fleure bon le Pascal, l’ensilage frais et les vapeurs de fuel.

LA DIFFERENCE INVISIBLE

© Delcourt 2016 - Dachez & Mademoiselle Caroline
À vingt-sept ans passés, Marguerite ne se sent toujours pas en phase avec le monde qui l’entoure. Il faut dire qu’au bureau, elle n’est pas des plus "corporate", qu’elle a horreur du bruit et préfère la compagnie de ses deux chats à celle de ses collègues, sans parler de ses petites manies ! Marguerite ne le sait pas encore, mais elle est atteinte d’une forme d’autisme : le syndrome d’Asperger. Cette différence invisible fait toute sa singularité. 

Super Pépette (alias Julie Dachez), l’autiste qui parle et qui en plus a des choses à nous dire, troque la vidéo pour la plume et avec Mademoiselle Caroline et Fabienne Vaslet tente d’expliquer au commun des mortels ce qu’est un(e) aspie ! Évidemment, vu de l’angle du plus grand nombre, Marguerite n’est pas aussi neuroatypique qu’elle voudrait le faire croire... Telle est la sentence de ceux qui se sentent du bon côté de la normalité. Alors, avec ses mots, l’aspirante aspie explique ce qu’est sa vie, elle pour qui les choses en apparence les plus banales font figure d’exploit. Longtemps Julie n’a pu mettre un nom sur son état et, aussi curieusement que cela puisse paraître, le jour où elle fut diagnostiquée, ce fut pour elle une révélation. Loin de culpabiliser, elle décide alors de choyer son altérité afin de vivre en harmonie avec elle-même. Pendant vingt-sept années, son existence fut de se contrarier, un peu comme ces gauchers qui se doivent d’être droitiers, maintenant, basta, elle se réapprend. 

Léger, mais non superficiel, le crayon sans fioritures de Mademoiselle Caroline alterne les séquences où Super Pépette se raconte et celles où la dessinatrice livre quelques clefs comportementales. Didactique et ludique, l’album donne à découvrir le quotidien et les codes d'un univers qui finalement se révèle plein de couleurs... et de petites cuillères ! Et si (re)connaître ne signifie pas forcément comprendre, de page en page, Marguerite, de bizarre, devient juste différente ! 

La richesse se nourrit de la diversité, encore faut-il la préserver…. sans toutefois la cultiver à l’excès !

vendredi 23 septembre 2016

AU FIL DE L'EAU

© Rue de Sèvres 2016 - Díaz Canalès
Ancien dessinateur d’animation devenu scénariste, Juan Díaz Canalès se (re)met à la planche à dessin pour Au fil de l’eau paru chez Rue de Sèvres. 

Ainsi, après le polar anthropomorphique, le fantastique (Fraternity), l’humour (Les patriciens) et la résurrection d’un mythe avec le dernier volet de Corto Maltese, le dessinateur madrilène se lance dans un one-shot en noir & blanc au registre des plus classiques, preuve – s’il en était besoin – de son éclectisme. 

Autour du temps qui s’écoule imperturbable et de son issue inéluctable, Juan Díaz Canalès met à plat une certaine conception de la vie. Plutôt que de s’essayer à de métaphysiques circonvolutions, il ancre son récit dans les quartiers populaires de Madrid, peuplés de cette classe moyenne qui voit la crise doucement l’entrainer vers la paupérisation. À travers le destin de Niceto, ancien militant républicain, il est alors question de désillusion - au travers d’un fils catholique fervent -, mais également d’espoir en l’avenir grâce à un petit-fils plus près de Podemos que du Partido Popular. Présenté comme un polar, Au fil de l’eau utilise une série de meurtres comme fil rouge, mais relève plutôt de la chronique sociale du temps qui court à travers les générations et qui finalement met tout le monde face à sa finitude. Niceto en a pleinement conscience, mais n’espère-t-il pas qu’un peu de lui-même subsistera quand son futur arrière-petit-fils naîtra ? Face à tant de matière et quelques jolis passages, le scénario se trouve à l’étroit même sur quatre-vingt-dix planches et il n’aurait pas été inutile de s’attarder plus sur la psychologie de personnages trop nombreux pour être pleinement approfondis. Toutefois l’essentiel est dit, mais l’indicible - propre aux relations humaines - peine à prendre toute son ampleur. 

Si Juan Díaz Canalès n’a pratiquement plus rien à prouver en matière de scénario, c’est sur son dessin qu’il se met en danger. Après un prologue riche de belles promesses, la suite s’avère plus déconcertante. Alors que les décors sont parfaitement maîtrisés à l’image de la couverture de la version espagnole, les personnages ne font pas toujours preuve de la même maturité laissant encore une marge de progression dans la fluidité du trait ainsi que dans la finesse de certains encrages par trop appuyés, mais desquels se dégage une empathie qui recentre l'album sur les valeurs qui le sous-tendent. 

À sa manière, Au fil de l’eau contribue à démontrer qu'une chronique reste, avant tout, un exercice subjectif !

À COUCHER DEHORS

Tome 1 
 
© Bamboo Édition 2016 - Ducoudray & Anlor
Nicolas, n’est pas franchement dans la Lune, ni même dans les étoile, il est ailleurs… en orbite autour de la Terre. En fait, il rêve d’être Gagarine. Il faut dire que Nicolas est loin d’être débile, il est simplement trisomique ! 

Confier un gamin à trois sans domicile fixe, il faut oser. Mais en les personnes d’Amédée, de Prie-Dieu et de la Merguez, Aurélien Ducoudray a trouvé trois rois mages du pavé parisien qui possèdent encore une once d’éthique et d’espoir en l’espèce humaine (à l’exception cependant des porteurs d’uniforme !). Bien que le scénario soit construit sur un concours de circonstances, dont la probabilité est largement inférieure à celle de gagner la super cagnotte de l’Euro-millions, ceci n’empêche pas d’y croire et de savourer la manière dont Amédée se prend d’affection pour son jeune protégé et ce à l’insu de son plein gré. Comme la mode est aux papy-boomers qui redécouvrent la joie de la parentalité, le rapprochement avec L’adoption de Zidrou ou Les vieux fourneaux de Lupano est immanquable, mais sans grand intérêt bien que les ressorts narratifs présentent quelques similitudes. À ce propos, une attention toute particulière aux dialogues et au graphisme d’Anlor qui donnent sa tonalité à cette histoire, Que de chemin parcouru depuis la colonie de Mettray et Les Innocents coupables ! Désormais, son trait délaisse le réalisme pour explorer un registre à la limite de l’étude de caractère et de la caricature. Là réside sans doute le petit plus qui fait l’attrait de cet album - et de ceux cités précédemment - cette capacité à susciter une empathie quasi immédiate pour des personnages bien typés, même s’ils pêchent parfois par excès. 

Sur une galerie de portraits hauts en couleurs, Aurélien Ducoudray et Anlor bâtissent un récit plein d’humanité et d’humour.

CONFESSIONS D'UN ENRAGE


© Glénat 2016 - Otéro
La douceur du Maroc, l’insouciance de l’enfance, effacées d’un simple coup de griffe ! Il y eu un avant radieux, il y aura un après sombre et interminable. La rage au cœur, la hargne au ventre, Liam gaspille sa vie à lutter contre la bête qui lui ronge les entrailles, celle qui veut son âme.

Il est des couvertures, fussent-elles perdues entre mille, qui attirent le regard. La composition de Vérane Otéro est de celles-ci, véritable condensé du second album en tant qu’auteur complet de Nicolas, son mari.

Écrit à la première personne, Confession d’un enragé n’est pas uniquement une autobiographie. Il est également question d’une réflexion sur cette révolte sourde et maladive qui étreint fasse à l’injustice ou, plus prosaïquement, face à certaines contrariétés. Liam ne peut contenir cette violence qu’il laisse parfois éclater dans une bouffée destructrice. Inconsciemment, il s’invente un châtiment qui lentement l’attire dans une spirale autodestructrice à la fin sans surprise. Traité sur le ton de la nostalgie, de l’humour, de la dérision, puis du cynisme et enfin de l’espoir, Nicolas Otéro livre le récit ambigu d’un coupable que l’on voudrait victime. Liam porte-t-il à jamais les séquelles latents de la rage, comme l’analyse clinique qui rythme le récit tendrait à le faire croire, ou s’agit-il de quelqu’un qui cultive sa névrose avant d’être totalement dépassé par celle-ci ? Peu importe, le récit se lit d’une traite et quelle que soit l’hypothèse retenue par le lecteur, celui-ci se retrouve inexorablement entraîné par la relation symbiotique qu’entretient le jeune héros avec sa maladie… avec ce félin intérieur ! Pour rendre compte du crescendo des tensions, Nicolas Otéro matérialise le mal qui prend possession du jeune garçon par une mise en couleur et des circonvolutions travaillées, renforçant ainsi un graphisme qui, curieusement et malgré toutes ses qualités, ne peut exprimer toute la perversité d’un garçon qui fait plus figure de sale gosse que de bad boy. 

Sept vies, tel était le marché ! À bien y compter, il en resterait deux… Suffisamment pour tenir la bête à distance sous réserve de ne pas y céder encore, et encore !

mardi 13 septembre 2016

NUIT NOIRE SUR BREST

© Futuropolis 2016 - Kris & Cuvillier
Dans la purée de pois d’une nuit d’août 1937, un sous-marin espagnol fait surface dans la rade de Brest. Rapidement, le navire devient un objet de convoitise et le préambule d’un conflit qui ravagera l’Europe quelques années plus tard. 

La guerre constitue une source d’inspiration malheureusement inépuisable. Celle d’Espagne n’échappe pas à la règle, s’il est fait référence à quelques parutions récentes du neuvième art comme Dolores de Bruno Loth, España la vida de Maximilien Le Roy et Eddy Vaccaro ou bien L'art de voler d’Antonio Altarriba, sans parler du mythique, mais plus lointain, Phalanges de l'ordre noir du duo Christin/Bilal, et la liste est encore longue… Alors que nombre de récits guerriers s’attachent à ceux qui combattaient, étrangement, les albums sur la lutte sanglante qui opposa les forces républicaines aux troupes franquistes s’intéressent plus à ceux qui la subirent, à l’instar des Temps mauvais (Les) de Carlos Gimenez. Peut-être faut-il voir là les conséquences d’une confrontation armée qui, contrairement à son illustre ainée, opposait non pas des nations, mais un peuple à lui-même ! Cette dualité se retrouve dans Nuit noire sur Brest, dans une variation navale. 

Avant tout, il y a les dialogues et surtout cette voix off - un rien désabusée - qui révèle magnifiquement les dessous des cartes d’une partie de dupes entre une France qui prônait, quelque peu forcée, la neutralité, mais qui laissait communistes et anarchistes porter assistance aux Républicains pendant que les nervis du Parti Social Français s’employaient auprès des barbouzes nationalistes. Cependant, au-delà du flot des mots, il y a une atmosphère. Celle de l’avant-guerre, celle du port de Brest avec sa brume, ses putes ou ses ouvriers syndiqués, celle des arcanes du pouvoir où grenouillent faux diplomates et vrais espions, celle - équivoque - d’un affrontement en devenir dont personne ne veut entendre parler alors que Guernica n’en finit pas de brûler au-delà des Pyrénées. Pour donner consistance à l’impalpable, à l’indicible, la couleur est nécessaire, et celle de Damien Cuvillier fait merveille en illuminant bordels et sous-marins, tout en dépeignant Brest autrement que sous la pluie. Et s’il ne peut être passé sous silence un graphisme qui, sur certaines planches, frôle la démonstration en cherchant la difficulté, il faut convenir qu’il trébuche – parfois – curieusement sur de petits détails. 

Fiction historique qui, au travers d’une anecdote, conduit à s’intéresser à une période aussi confuse et ambiguë que les personnages qui la peuplent, Nuit noire sur Brest sait - au-delà de l’agréable - jouer sur le registre du pédagogique en proposant un dossier qui permettra au lecteur de revenir à l’Histoire, la vraie et de terminer l’aventure du C-2… du moins jusqu’à Carthagène !

CARTHAGO

5. La Cité de Platon

© Les Humanoïdes 2016 - Bec & Jovanovic
Désormais, l’existence des mégalodons, n’est plus un secret. Toutefois, pour continuer son business comme si de rien n’était, le trust Carthago décide de faire sauter la caverne d’Arunkulta. Pendant ce temps, Wolfgang Feiersinger part sur la trace de l’Atlantide et Lou renaît à la vie…  

La Cité de Platon, cinquième volet de la série créée par Christophe Bec, clôt le second cycle initié avec Les monolithes de Koubé

Efficace dans son traitement, cet album joue cependant toujours des mêmes registres. Après avoir fait renaître des profondeurs du Miocène le plus féroce des prédateurs marins, voici que la mythologique Atlantide surgit du fond des âges, prémices de développements futurs où les voix de certaines devraient se faire, à nouveau, entendre…. Pour maintenir le rythme, et diversifier les plaisirs, thriller techno-écologique et romance sous-marine viennent compléter l’ensemble et constituer autant d’histoires dans l’histoire. Pour mettre en page cette matière, Christophe Bec utilise un découpage qui n’hésite pas à sillonner la planète avec une facilité déconcertante et indispensable à ce type de récit dont l’intérêt réside dans la démultiplication des terrains narratifs et des séquences parallèles. Le montage est ici, comme pour les films d'action, plus important que les dialogues ou le graphisme de Milan Jovanovic. 

Parfaitement maîtrisé, Carthago, offre ce que l’on attend de lui, du grand spectacle, mais sans vraiment se renouveler. Est-ce suffisant ? Chacun en jugera en fonction de son degré d'exigence.

mercredi 7 septembre 2016

RECONQUÊTES


© Le Lombard 2016 - Runberg & Miville-Deschênes
Minée par ses dissensions internes, la Horde des Vivants est divisée et acculée. Elle va devoir livrer son dernier combat. Sa survie ne peut être que dans la victoire,. Encore faut-il que les Dieux en décident ainsi, quitte à les aider un peu…

Il y a cinq ans, Sylvain Runberg et François Miville-Deschênes ouvraient les portes d'une Mésopotamie, jusqu’ici souvent ignorée par le neuvième Art. Aujourd’hui, comme annoncé, ce quatrième opus les referme. 
 

Outre un scénario qui revisite avec à-propos les mythes anciens pour offrir un récit, où fiction historique et antic-fantasy se fondent en un seul et même univers, cette saga restera probablement dans les esprits pour son graphisme, à la hauteur de l’épopée racontée. Structuration des planches des plus classiques - rappelant l’école de la ligne claire pour les passages narratifs, pleines pages - voir doubles - travaillées en incrustation pour les scènes les plus grandioses, découpages en biseau afin de renforcer la dynamique des combats au corps à corps, gros plan sur les visages pour mieux en explorer la psyché, François Miville-Deschênes multiplie les figures de style pour donner vie à ce récit. 

Parfois elliptique, ce dernier album n’est pas sans faire référence à certaines grandes productions hollywoodiennes par son esthétique et sa démesure. Une fois encore avec La mort d’un Roi, le lecteur est le spectateur privilégié de la tragédie sanglante qui se déroule sous ses yeux, grâce au réalisme et la précision d’un encrage qui souligne la souplesse des lignes et des courbes, tandis que la mise en aquarelle confère rondeur et texture aux formes, dans un résultat souvent des plus charnels. 

Sylvain Runberg et François Miville-Deschênes auront eu la sagesse de ne pas faire l’album de trop. Ainsi se termine l’histoire de Thusia, fille d’Atlante devenue guerrière Sarmate… Désormais, la Horde des Vivants peut parcourir ses terres comme jadis, libre.