À l’occasion de la sortie du dernier Harmony... un interview malencontreusement oublié dans les archives de Mathieu Reynes lors de l'édition 2017 de Quai des bulles.
Mathieu le premier cycle d’Harmony est terminé. Désormais, comment occupez-vous vos journées ?
M.R. : Avec le second cycle, tout simplement !
Ce qui signifie : pas de transition, pas de pause ?
M.R.
: Non, la pause a été l’écriture du second cycle et également celle
d’un scénario pour un projet avec Valérie Vernay avec qui j’avais fait
La mémoire de l’eau en 2012. Nous devrions a priori signer chez
Dupuis. Cela sera en parallèle d’Harmony, mais comme je ne fais que le
scénario, je peux faire les deux !
À propos de scénario celui d’Harmony est-il totalement écrit ?
M.R.
: En fait, le but pour moi était de faire un premier cycle qui sert à
placer l’univers, à présenter les personnages et après à faire évoluer
tout cela dans un second cycle, un troisième, un quatrième…
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© Dupuis 2018- Reynès |
C’est donc quelque chose au long court ?
M.R. : Oui, c’est ce que j’aimerais.
Vous avez donc déjà le fil rouge sur plusieurs cycles ?
M.R.
: Grosso modo oui. Toutefois, plus les choses avancent plus de fil
devient tenu. J’avais les trois premiers albums de totalement bouclés,
et je me rends compte maintenant que les choses ont quelque peu évolué
depuis, que ce soit sur tous les sujets notamment sur les divers
protagonistes. Certains deviennent plus importants que ce qu’ils
auraient dû être. De même, certains éléments de l’histoire qui devaient
rester encore sous-jacents sont finalement développés plus tôt.
et d’autres sont oubliés ?
M.R.
: Oui c’est cela. C’est fonction aussi du retour que j’ai des lecteurs.
Je me rends compte qu’ils s’attachent à tel ou tel personnage ou que
certains éléments de l’histoire les intriguent plus. Du coup, je décide
de creuser dans cette direction.
Ce qui fait que votre scénario évolue ?
M.R. : Oui et comme Dupuis me laisse quasiment carte blanche de ce côté-là, je fais un peu ce que je veux !
Même sur un premier album en quasi huis-clos ?
M.R.
: Sur Memento, il a fallu faire accepter aux gens de Dupuis – malgré le
fait qu’ils avaient l’intégralité du script en main - un rythme très
lent et un huis clos sur quasiment cinquante pages. Ils redoutaient que
le lecteur s’ennuie un peu, mais ils ont accepté de tenter le coup car
moi je voulais ce huis clos et que l’histoire se concentre, d’abord, sur
le personnage principal puis exploser – comme sur Ago - et apporter
progressivement des éléments de réponse.
Vous signez le scénario, le dessin voire la couleur. Mis à part Valérie Vernay, personne ne veut travailler avec vous ?
M.R.
: Non, c’est vraiment une réelle volonté. Avant Harmony, j’étais sur
Alter Ego et nous étions quasiment une dizaine par album. Ce n’était pas
une mauvaise expérience bien que finalement je ne travaillais que sur
le story-board…. À la fin, j’ai ressenti le besoin de me prouver à
moi-même que je pouvais faire des choses tout seul…. Et puis à
travailler à plusieurs, vous vous habituez à une certaine facilité, vous
déléguez. Du coup, j’avais envie de me compliquer la tâche, j’avais
envie de redevenir auteur complet et du coup de me lancer dans le
scénario.
En tant qu’auteur complet qui est-ce qui prend la main, le scénariste, le dessinateur ?
M.R.
Plus le temps passe, plus c’est le scénariste. Finalement, j’ai de plus
en plus de plaisir à faire le scénario plus tôt que le dessin.
La chronologie du premier cycle est un peu particulière, pourquoi ?
M.R.
:Cela m’amusait car justement avec Alter ego j’avais vu que l’on
pouvait tricher un peu dans l’ordre des albums. J’ai donc cassé la
chronologie du récit, le but étant pour moi de démarrer la série avec un
lecteur aussi perdu que le personnage. Harmony, au début du tome 1, est
amnésique. Elle ne sait pas où elle est, un peu comme le lecteur qui
découvre en même temps qu’elle ce qui l’a amenée ici.
Vous parliez
tout à l’heure de décors, il y a quelques temps vous avez dit « La SF
n’est pas mon domaine de prédilection en dessin et le décor encore
moins. », maintiendriez-vous aujourd’hui cette affirmation et pourquoi ?
M.R.
: (Sourire) C’est vrai que la science-fiction n’est pas mon domaine de
prédilection, mais j’ai cependant dessiné La peur géante chez Ankama ! À
l’époque, je travaillais déjà avec Denis Lapière, nous nous entendions
très bien et nous avons décidé de tenter l’aventure. En plus, il y avait
un côté comics, super héros qui me plaisait : c’était à la fois une
opportunité et un pari ! D’une manière générale, la SF ce n’est pas du
tout mon univers graphique pas même au cinéma, ce n’est pas un genre qui
m’attire particulièrement, mais j’avais envie d’essayer de voir ce que
cela donnerait. Et puis comme c’était en parallèle à Alter ego - ou
juste sur la fin – l’album me permettait de me remettre vraiment dans le
dessin et de reprendre possession de mon travail, de me remettre aux
décors... A posteriori, ce fut une transition pour remettre en route la
machine… pour me lancer sur mon propre projet.
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© Dupuis 2016 - Reynès |
Le fait d’avoir un
cursus scientifique avant de faire une école d’animation a-t-il une
influence sur votre manière d’imaginer le scénario, de dessiner Harmony ?
M.R.
: L’animation peut-être ! Lorsque que j’écris ou que je dessine, je
pense en images animées, l’histoire défile littéralement dans ma tête.
De fait, mes influences sont plus à rechercher dans les films que dans
la BD. Pour tout dire, je lis très peu de bande-dessinées et mes vraies
références et influences, je les puise au cinéma ou dans les séries de
télévision. Maintenant comme je sais dessiner, je raconte mes histoires
en BD, mais si j’avais accès à un autre média, je travaillerais
certainement différemment.
Un dessin animé ?
M.R. :
Personnellement, je ne serais pas contre. Mais dans tous les cas ce
n’est pas moi qui décide. Cependant, l’idée me plairait énormément car
pour moi Harmony est plus conçue comme une série télé que comme
une série BD. Du moins, c’est comme cela que je le conçois !
Au cours de ces derniers mois, votre manière de dessiner a évolué. Est-ce voulu pour capter un lectorat « plus adulte » ?
M.R.
: Non cela s’est réalisé naturellement. Plus j’avance, plus je deviens
exigent envers moi-même au niveau du dessin… donc j’essaye de le faire
évoluer, d’aller vers quelque chose qui puisse me convaincre moi-même,
notamment au niveau de l’encrage. Je n’ai pas envie de me reposer sur
mes lauriers, j’ai envie de me bousculer un petit peu et d’atteindre des
objectifs personnels vis-à-vis de mon travail. Il y a beaucoup
d’auteurs que j’admire et qui me motivent, notamment Ralph
Meyer … qui ont des encrages tout simplement magnifiques. Ceci étant,
mon dessin évolue en même temps que le caractère d’Harmony va
s’affirmer. En effet, la série va devenir, plus dure, plus noire… pas
forcément plus adulte, mais moins jeunesse. Je vais me centrer sur le
créneau adolescent-adulte. Quand le tome 1 est sorti, j’avais beaucoup
de lectrices, très jeunes entre 8 et 10 ans. Il n’est pas dit que cela
devienne trop violent pour des lecteurs de cet âge. Mais mon lectorat va
grandir avec la série !
Ceci influence votre manière de la concevoir ?
M.R.
: Non. Depuis le début je fais ce dont j’ai envie. Mes références sont
les comics, Akira, Dragon Ball… des choses parfois violentes mais qui
plaisent aussi bien aux adultes qu’aux enfants et je ne me dis pas, il
faut viser tel public-là. Je fais ce qui me semble juste par rapport à
la nécessité de l’histoire et je constate ensuite quel public est
attiré.
Vous faites votre crayonné sous informatique, puis votre encrage à la main. Pourquoi mixer ces deux approches ?
M.R.
: Je n’ai pas réussi à lâcher totalement le traditionnel et…
l’informatique ne me plait pas totalement… de moins en moins d’ailleurs !
Plus le temps passe, plus je reviens au traditionnel. Au début je
faisais mes story-boards très rapidement sur papier et au crayon et je
les reprenais sur ordinateur. Maintenant, mes story-boards sont plus
poussés sur papier et l’étape informatique devient anecdotique, c’est
juste du « rafistolage », du ré-assemblage d’éléments et après je repasse
sur papier pour l’encrage.
Pourquoi ?
M.R.
: L’informatique a tendance à me figer, à me bloquer et je suis plus
spontané sur papier, avec un crayon, qu’avec l’outil informatique. C’est
le contraire pour beaucoup d’autres dessinateurs qui se sentent
libérés. Le problème est le « droit à l’erreur » et le fait de pouvoir
recommencer à l’infini. Avec le papier, c’est fait, l’erreur peut
(parfois) apporter un « plus » et cela m’intéresse de travailler avec
cette tension. J’ai une approche très personnelle qui me pousse à «
salir » un peu mon dessin… à prendre le risque d’un trait qui « tremble
».
Refaire, refaire… il y a cependant le rythme de la publication ?
M.R.
: Jusqu’à présent, j’avais un peu d’avance, maintenant cela se
complique un peu. Là, je suis au taquet par rapport au planning et
j’aurais même un peu de retard, mais il me reste quelques mois pour me
rattraper. Pour l’instant ce n’est pas un stress, mais cela pourrait le
devenir car comme la série est bien installée, il y a une demande de
mon éditeur pour avoir des sorties régulières et là, il y aura au moins
d’un an entre les tomes 3 et 4, l’objectif étant d’avoir un album par
an.
Et le 4ème album ?
M.R. : Le scénario est terminé et les dix
premières planches sont dessinées, mais le titre n’est toujours pas
trouvé… mais tout cela va arriver vite et il va falloir penser également
à la couverture. Comme il n’y a pas eu de pause entre les tomes 3 et 4,
je n’ai pas encore pris le temps de me poser et de réfléchir à tout
cela.
À propos de couverture, le mat sur Ago, c’est un choix ?
M.R.
: La maquette de la série a été reprise. Nous sommes passées sur une
couverture plus sombre car nous nous sommes rendus compte que les
couvertures des deux premiers albums ne « vendaient » pas l’intérieur du
livre, elles étaient un peu trop girly et cela ne correspondait pas
au public qui lisait la série, il fallait donc redynamiser la
couverture !
Vous évoquiez un autre projet avec Valérie Vernay ?
M.R.
: Nous resterons sur un fond réaliste avec une petite touche de
fantastique qui vient un peu troubler l’ordre des choses. Le scénario a
été écrit cet été. Il y a encore quelques petites choses à mettre au
point, mais l’histoire est bloquée. Le développement se fera après le
quatrième tome d’Harmony et ce sera un triptyque et puis j’enchainerai
sur le tome n°5.
Donc booké jusqu’en 2020/2021 ?
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© Reynès |
M.R :
C’est nécessaire financièrement ! Il faut toujours le « projet d’après »
ne serait-ce que pour vivre et puis personnellement, j’ai besoin de
toujours réfléchir à quelque chose, d’avoir des projets. Ce n’est pas
uniquement la carotte financière qui me fait avancer, mais plutôt le
besoin de savoir que j’ai des choses à raconter.
Que vous demande-t-on en dédicace ?
M.R.
: Cela dépend. Dans les endroits où je n’ai pas été depuis longtemps,
les gens me ressortent parfois des vieux albums des années 2000. Avec
Harmony, les choses changent ce qui est rassurant car cela indique que
la série est installée, mais ce n’est pas rare de voir des choses qui
ont plus de 10 ans… Lors de la parution des premier tomes,
c’était 95%... d’Harmony ! Aujourd’hui, les lecteurs se sont attachés à
d’autres personnages. Par exemple, Sonia est un personnage qui est de
plus en plus demandé en dédicace alors que ce n’était pas à la base un
personnage important et qui était censé perdurer, mais je pense que je
vais la faire revenir. Pour l’anecdote, je me suis inspiré d’une amie
qui s’appelle Sonia et qui est étudiante infirmière. C’est intéressant
de voir l’appropriation des personnages par le public, certains sont
devenus plus importants que ce qu’ils devaient être initialement ce qui
ne m’a pas empêché de m’en séparer sur Ago car pour moi, il est
nécessaire que les lecteurs puissent se dire « tient les héro peuvent
être en danger, peuvent mourir, peuvent disparaitre ». Personnellement
je suis fan de séries et lorsque vous regardez Walking dead ou Game of
thrones les héros arrivent… et repartent décapités ! Cela permet au
lecteur de s’attacher encore plus aux personnages car il sent qu’ils ne
sont ne plus éternels, infaillibles ou invulnérables. Cela les rend plus
proches, plus humains.
Puisque nous sommes à St Malo, les festivals pour vous c’est quoi ?
M.R.
: Je ne suis pas un bon client. J’ai des problèmes de dos et pour moi
les dédicaces, ce n’est pas un véritable plaisir ce qui me coupe
peut-être de certains de mes lecteurs, mais je reste toutefois très
accessible sur les réseaux sociaux ce qui permet de beaucoup échanger
avec mes lecteurs. Et pour ceux qui veulent un beau dessin, je fais
également quelques commissions.
Mathieu, il me reste à vous remercier et à vous dire à bientôt pour votre album avec Valérie Vernay et le T4 d’Harmony.
M.R. : Merci à vous.