dimanche 11 novembre 2018

Rencontre avec Mathieu MATHIEU REYNES


À l’occasion de la sortie du dernier Harmony... un interview malencontreusement oublié dans les archives de Mathieu Reynes lors de l'édition 2017 de Quai des bulles.  


Mathieu le premier cycle d’Harmony est terminé. Désormais, comment occupez-vous vos journées ?
M.R. : Avec le second cycle, tout simplement !
 
Ce qui signifie : pas de transition, pas de pause ?
M.R. : Non, la pause a été l’écriture du second cycle et également celle d’un scénario pour un projet avec Valérie Vernay avec qui j’avais fait  La mémoire de l’eau en 2012. Nous devrions a priori signer chez Dupuis. Cela sera en parallèle d’Harmony, mais comme je ne fais que le scénario, je peux faire les deux !
 
À propos de scénario celui d’Harmony est-il totalement écrit ?
M.R. : En fait, le but pour moi était de faire un premier cycle qui sert à placer l’univers, à présenter les personnages et après à faire évoluer tout cela dans un second cycle, un troisième, un quatrième… 

© Dupuis 2018-  Reynès
C’est donc quelque chose au long court ?
M.R. : Oui, c’est ce que j’aimerais. 

Vous avez donc déjà le fil rouge sur plusieurs cycles ?
M.R. : Grosso modo oui. Toutefois, plus les choses avancent plus de fil devient tenu. J’avais les trois premiers albums de totalement bouclés, et je me rends compte maintenant que les choses ont quelque peu évolué depuis, que ce soit sur tous les sujets notamment sur les divers protagonistes. Certains deviennent plus importants que ce qu’ils auraient dû être. De même, certains éléments de l’histoire qui devaient rester encore sous-jacents sont finalement développés plus tôt. 

et d’autres sont oubliés ?
M.R.
: Oui c’est cela. C’est fonction aussi du retour que j’ai des lecteurs. Je me rends compte qu’ils s’attachent à tel ou tel personnage ou que certains éléments de l’histoire les intriguent plus. Du coup, je décide de creuser dans cette direction.
 
Ce qui fait que votre scénario évolue ?
M.R.
: Oui et comme Dupuis me laisse quasiment carte blanche de ce côté-là, je fais un peu ce que je veux ! 

Même sur un premier album en quasi huis-clos ?
M.R. : Sur Memento, il a fallu faire accepter aux gens de Dupuis – malgré le fait qu’ils avaient l’intégralité du script en main - un rythme très lent et un huis clos sur quasiment cinquante pages. Ils redoutaient que le lecteur s’ennuie un peu, mais ils ont accepté de tenter le coup car moi je voulais ce huis clos et que l’histoire se concentre, d’abord, sur le personnage principal puis exploser – comme sur Ago - et apporter progressivement des éléments de réponse.
 
Vous signez le scénario, le dessin voire la couleur. Mis à part Valérie Vernay, personne ne veut travailler avec vous ?
M.R.
: Non, c’est vraiment une réelle volonté. Avant Harmony, j’étais sur Alter Ego et nous étions quasiment une dizaine par album. Ce n’était pas une mauvaise expérience bien que finalement je ne travaillais que sur le story-board…. À la fin, j’ai ressenti le besoin de me prouver à moi-même que je pouvais faire des choses tout seul…. Et puis à travailler à plusieurs, vous vous habituez à une certaine facilité, vous déléguez. Du coup, j’avais envie de me compliquer la tâche, j’avais envie de redevenir auteur complet et du coup de me lancer dans le scénario.
 
En tant qu’auteur complet qui est-ce qui prend la main, le scénariste, le dessinateur ?
M.R
. Plus le temps passe, plus c’est le scénariste. Finalement, j’ai de plus en plus de plaisir à faire le scénario plus tôt que le dessin.
 
La chronologie du premier cycle est un peu particulière, pourquoi ?
M.R.
:Cela m’amusait car justement avec Alter ego j’avais vu que l’on pouvait tricher un peu dans l’ordre des albums. J’ai donc cassé la chronologie du récit, le but étant pour moi de démarrer la série avec un lecteur aussi perdu que le personnage. Harmony, au début du tome 1, est amnésique. Elle ne sait pas où elle est, un peu comme le lecteur qui découvre en même temps qu’elle ce qui l’a amenée ici.
 
Vous parliez tout à l’heure de décors, il y a quelques temps vous avez dit « La SF n’est pas mon domaine de prédilection en dessin et le décor encore moins. », maintiendriez-vous aujourd’hui cette affirmation et pourquoi ?
M.R.
: (Sourire) C’est vrai que la science-fiction n’est pas mon domaine de prédilection, mais j’ai cependant dessiné La peur géante chez Ankama ! À l’époque, je travaillais déjà avec Denis Lapière, nous nous entendions très bien et nous avons décidé de tenter l’aventure. En plus, il y avait un côté comics, super héros qui me plaisait : c’était à la fois une opportunité et un pari ! D’une manière générale, la SF ce n’est pas du tout mon univers graphique pas même au cinéma, ce n’est pas un genre qui m’attire particulièrement, mais j’avais envie d’essayer de voir ce que cela donnerait. Et puis comme c’était en parallèle à Alter ego - ou juste sur la fin – l’album me permettait de me remettre vraiment dans le dessin et de reprendre possession de mon travail, de me remettre aux décors... A posteriori, ce fut une transition pour remettre en route la machine… pour me lancer sur mon propre projet.
 
© Dupuis 2016 - Reynès
Le fait d’avoir un cursus scientifique avant de faire une école d’animation a-t-il une influence sur votre manière d’imaginer le scénario, de dessiner Harmony ?
M.R.
: L’animation peut-être ! Lorsque que j’écris ou que je dessine, je pense en images animées, l’histoire défile littéralement dans ma tête. De fait, mes influences sont plus à rechercher dans les films que dans la BD. Pour tout dire, je lis très peu de bande-dessinées et mes vraies références et influences, je les puise au cinéma ou dans les séries de télévision. Maintenant comme je sais dessiner, je raconte mes histoires en BD, mais si j’avais accès à un autre média, je travaillerais certainement différemment.

Un dessin animé ?
M.R.
: Personnellement, je ne serais pas contre. Mais dans tous les cas ce n’est pas moi qui décide. Cependant, l’idée me plairait énormément car pour moi Harmony est plus conçue comme une série télé que comme une série BD. Du moins, c’est comme cela que je le conçois !
 
Au cours de ces derniers mois, votre manière de dessiner a évolué. Est-ce voulu pour capter un lectorat « plus adulte » ?
M.R.
: Non cela s’est réalisé naturellement. Plus j’avance, plus je deviens exigent envers moi-même au niveau du dessin… donc j’essaye de le faire évoluer, d’aller vers quelque chose qui puisse me convaincre moi-même, notamment au niveau de l’encrage. Je n’ai pas envie de me reposer sur mes lauriers, j’ai envie de me bousculer un petit peu et d’atteindre des objectifs personnels vis-à-vis de mon travail. Il y a beaucoup d’auteurs que j’admire et qui me motivent, notamment Ralph Meyer … qui ont des encrages tout simplement magnifiques. Ceci étant, mon dessin évolue en même temps que le caractère d’Harmony va s’affirmer. En effet, la série va devenir, plus dure, plus noire… pas forcément plus adulte, mais moins jeunesse. Je vais me centrer sur le créneau adolescent-adulte. Quand le tome 1 est sorti, j’avais beaucoup de lectrices, très jeunes entre 8 et 10 ans. Il n’est pas dit que cela devienne trop violent pour des lecteurs de cet âge. Mais mon lectorat va grandir avec la série !
 
Ceci influence votre manière de la concevoir ?
M.R.
: Non. Depuis le début je fais ce dont j’ai envie. Mes références sont les comics, Akira, Dragon Ball… des choses parfois violentes mais qui plaisent aussi bien aux adultes qu’aux enfants et je ne me dis pas, il faut viser tel public-là. Je fais ce qui me semble juste par rapport à la nécessité de l’histoire et je constate ensuite quel public est attiré.
 
Vous faites votre crayonné sous informatique, puis votre encrage à la main. Pourquoi mixer ces deux approches ?
M.R.
: Je n’ai pas réussi à lâcher totalement le traditionnel et… l’informatique ne me plait pas totalement… de moins en moins d’ailleurs ! Plus le temps passe, plus je reviens au traditionnel. Au début je faisais mes story-boards très rapidement sur papier et au crayon et je les reprenais sur ordinateur. Maintenant, mes story-boards sont plus poussés sur papier et l’étape informatique devient anecdotique, c’est juste du « rafistolage », du ré-assemblage d’éléments et après je repasse sur papier pour l’encrage. 

Pourquoi ?
M.R.
: L’informatique a tendance à me figer, à me bloquer et je suis plus spontané sur papier, avec un crayon, qu’avec l’outil informatique. C’est le contraire pour beaucoup d’autres dessinateurs qui se sentent libérés. Le problème est le « droit à l’erreur » et le fait de pouvoir recommencer à l’infini. Avec le papier, c’est fait, l’erreur peut (parfois) apporter un « plus » et cela m’intéresse de travailler avec cette tension. J’ai une approche très personnelle qui me pousse à « salir » un peu mon dessin… à prendre le risque d’un trait qui « tremble ». 

Refaire, refaire… il y a cependant le rythme de la publication ?
M.R.
: Jusqu’à présent, j’avais un peu d’avance, maintenant cela se complique un peu. Là, je suis au taquet par rapport au planning et j’aurais même un peu de retard, mais il me reste quelques mois pour me rattraper. Pour l’instant ce n’est pas un stress, mais cela pourrait le devenir car comme la série est bien installée, il y a une demande de mon éditeur pour avoir des sorties régulières et là, il y aura au moins d’un an entre les tomes 3 et 4, l’objectif étant d’avoir un album par an. 

Et le 4ème album ?
M.R
. : Le scénario est terminé et les dix premières planches sont dessinées, mais le titre n’est toujours pas trouvé… mais tout cela va arriver vite et il va falloir penser également à la couverture. Comme il n’y a pas eu de pause entre les tomes 3 et 4, je n’ai pas encore pris le temps de me poser et de réfléchir à tout cela.  

À propos de couverture, le mat sur Ago, c’est un choix ? 
M.R. : La maquette de la série a été reprise. Nous sommes passées sur une couverture plus sombre car nous nous sommes rendus compte que les couvertures des deux premiers albums ne « vendaient » pas l’intérieur du livre, elles étaient un peu trop girly et cela ne correspondait pas au public qui lisait la série, il fallait donc redynamiser la couverture !

Vous évoquiez un autre projet avec Valérie Vernay ?
M.R
. : Nous resterons sur un fond réaliste avec une petite touche de fantastique qui vient un peu troubler l’ordre des choses. Le scénario a été écrit cet été. Il y a encore quelques petites choses à mettre au point, mais l’histoire est bloquée. Le développement se fera après le quatrième tome d’Harmony et ce sera un triptyque et puis j’enchainerai sur le tome n°5.

Donc booké jusqu’en 2020/2021 ?
© Reynès

M.R
: C’est nécessaire financièrement ! Il faut toujours le « projet d’après » ne serait-ce que pour vivre et puis personnellement, j’ai besoin de toujours réfléchir à quelque chose, d’avoir des projets. Ce n’est pas uniquement la carotte financière qui me fait avancer, mais plutôt le besoin de savoir que j’ai des choses à raconter. 

Que vous demande-t-on en dédicace ?
M.R
. : Cela dépend. Dans les endroits où je n’ai pas été depuis longtemps, les gens me ressortent parfois des vieux albums des années 2000. Avec Harmony, les choses changent ce qui est rassurant car cela indique que la série est installée, mais ce n’est pas rare de voir des choses qui ont plus de 10 ans… Lors de la parution des premier tomes, c’était 95%... d’Harmony ! Aujourd’hui, les lecteurs se sont attachés à d’autres personnages. Par exemple, Sonia est un personnage qui est de plus en plus demandé en dédicace alors que ce n’était pas à la base un personnage important et qui était censé perdurer, mais je pense que je vais la faire revenir. Pour l’anecdote, je me suis inspiré d’une amie qui s’appelle Sonia et qui est étudiante infirmière. C’est intéressant de voir l’appropriation des personnages par le public, certains sont devenus plus importants que ce qu’ils devaient être initialement ce qui ne m’a pas empêché de m’en séparer sur Ago car pour moi, il est nécessaire que les lecteurs puissent se dire « tient les héro peuvent être en danger, peuvent mourir, peuvent disparaitre ». Personnellement je suis fan de séries et lorsque vous regardez Walking dead ou Game of thrones les héros arrivent… et repartent décapités ! Cela permet au lecteur de s’attacher encore plus aux personnages car il sent qu’ils ne sont ne plus éternels, infaillibles ou invulnérables. Cela les rend plus proches, plus humains. 

Puisque nous sommes à St Malo, les festivals pour vous c’est quoi ?
M.R.
: Je ne suis pas un bon client. J’ai des problèmes de dos et pour moi les dédicaces, ce n’est pas un véritable plaisir ce qui me coupe peut-être de certains de mes lecteurs, mais je reste toutefois très accessible sur les réseaux sociaux ce qui permet de beaucoup échanger avec mes lecteurs. Et pour ceux qui veulent un beau dessin, je fais également quelques commissions.
 
Mathieu, il me reste à vous remercier et à vous dire à bientôt pour votre album avec Valérie Vernay et le T4 d’Harmony.
M.R.
: Merci à vous.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire