vendredi 4 novembre 2016

Interview d'Arno MONIN

La nomination de L’Adoption pour le Prix Ouest France/Quai des Bulles 2016 est l’occasion de revenir avec Arno Monin sur son parcours et ses envies.


L’envolée sauvage, chez Bamboo,  L’enfant maudit chez Bamboo, Merci encore chez Bamboo et enfin L’adoption toujours chez Bamboo ! Ne seriez-vous pas un peu casanier… ou alors fidèle ?
Arno Monin : La fidélité s’installe naturellement. Lorsque vous travaillez avec des gens avec qui cela se passe bien… vous avez envie de continuer ! Et dès lors, que vous avez des projets, vous avez tendance à en parler prioritairement avec les gens avec qui vous travaillez déjà, et puis si tout le monde est d’accord, pourquoi arrêter ? De plus, les conditions de travail qui me sont proposées sont excellentes. Je sais que mon éditeur fait un travail éditorial dont je ne bénéficierais peut-être pas forcément ailleurs. Ceci est assez génial pour un auteur d’entendre vraiment parler de son album quand il sort...

Laurent Galandon, Zidrou : un joli duo de scénaristes !
A.M. : En fait… Avec Laurent, j’ai débuté avec lui ! Après, les albums que nous avons réalisés se sont inscrits dans la continuité. C’est aussi simple que cela ! Avec Zidrou, c’est différent. Comme tout le monde, j’ai craqué sur Lydie, c’est un album qui m’avait vraiment séduit. Parallèlement, Grand Angle voulait travailler avec Zidrou (qui intervenait déjà pour Bamboo sur Boule à zéro). Personnellement, j’étais en recherche d’un projet à ce moment-là. Après deux faux départs - pour dire que cela ne marche pas à tous les coups – Grand Angle m’a proposé une collaboration avec Zidrou sur Merci

Graphiquement comment abordez-vous chaque album ?
A.M. : D’abord, il faut que le plaisir de dessiner soit là. Cela fait une dizaine d’années que je suis dans le métier… et il faut que l’envie demeure. Ensuite, il y a le souci d’affiner ma méthode en enlevant des étapes que je sens comme laborieuses et inutiles. Ainsi, sur L’adoption, je n’ai plus d’encrage, ni de crayonnés préparatoires… Je dessine sur une feuille blanche et je fais monter mes dessins. J’avais envie de revenir à cela. Avant, quand j’étais petit, je prenais une feuille blanche et je faisais un dessin et c’était d’une simplicité qui me faisait rêver. Alors que maintenant que c’est devenu un métier, il y a la table lumineuse, avec cette première esquisse par-dessus laquelle il faut revenir par transparence pour les corrections… Si le fait de multiplier les étapes est très important en tant que débutant - cela permet de s’auto-corriger et  de se maitriser techniquement parlant - je cherche désormais autre chose : aller vers plus de simplicité et de fluidité car cela participe au plaisir que j’ai de faire les choses au quotidien.

Et comment cela s’est-il mis en place ?
A.M. : Sur Merci, je voulais déjà amorcer ce virage technique. Mais cela ne se fait pas de bout en blanc. Les premiers essais n’étaient pas concluants, il me fallait du temps. J’ai mis un mois à un mois et demi pour faire mes réglages, pour refaire mes pages. Sur L’adoption, l’album a été commencé en noir et blanc avec des encrages, version classique ; et puis, je me suis dit « non »,  c’est dommage de repartir là-dessus encore une fois. Sur cet album, le changement de technique concoure à la tonalité générale de l’album. Ma nouvelle manière de faire a tout changé. Par exemple sur la couverture, les couleurs n’auraient pas été ce qu’elles sont si j'avais encré le dessin. Un simple cerné noir et le ressenti des couleurs est différent, elles apparaissent différemment, même sans les modifier, elles vont être cernées et perdre de leur force émotionnelle.

Êtes-vous plutôt du genre à faire énormément de recherches ou faites-vous confiance à votre manière d’appréhender librement les choses ?
A.M. : Je suis un intuitif, et je tâtonne plus que je ne réfléchis. J’accumule des croquis sur lesquels je vais sélectionner des choses qui m‘intéressent puis je les mélange. C’est comme cela que je trouve mes tronches : je fais mes gammes de têtes. Je m’amuse à assembler des éléments. Je me dis que j’aime bien ce regard, que ce coup d’œil est bon, mais que le reste ce n’est pas ça et je recommence. Je procède également comme cela sur les décors que j'aime recomposer. Dans L’Adoption, même si l’album est référencé géographiquement, j’ai eu à cœur de me permettre toutes les (re)compositions possibles. Ainsi, l’aéroport que l’on voit est complètement fictif. Je me suis dis que cela n’avait que peu d’intérêt que deux ou trois personnes reconnaissent tel ou tel aéroport, par contre il était important qu’il retranscrive l’ambiance, l’état émotionnel dans lequel se trouvent les personnages. 

Question pression, travailler avec Zidrou est-ce une bénédiction ou une malédiction ?
A.M. : C’est génial ! C’est une super chance pour plein de raisons et il n’y avait pas de pression particulière.

Comment avez-vous collaboré ?
A.M. : Zidrou m’a livré un découpage complet de l’album et nous avons fonctionné par chapitre. Ainsi, j’avançais toujours en sachant où nous allions, ce qui est très important car il y a certaines scènes qu’il faut préparer, amener assez tôt. Je lui envoyais des lots de pages assez copieux, sur lesquels il réagissait et apportait ses corrections. C’était et c’est un travail très interactif.

Êtes-vous du genre à suivre scrupuleusement les directives du scénariste ou à réclamer votre espace de liberté ?
A.M. : Le scénario de L’Adoption n’a pas bougé, car c’est très important de raconter la même histoire ; de plus les intentions de Zidrou sont très claires, je vois ce qu’il veut dire et j’essaie d’aller le plus possible dans le sens de son propos. Je suis cependant intervenu sur la mise en scène, sur des petits renversements, des optimisations…

Avez-vous des velléités de devenir un auteur complet ? Écrire et dessiner votre propre histoire vous tente-t-il ? Pourquoi ?
A.M. : Cela fait rêver, mais c’est un autre métier ! Je ne sais pas si je serais capable de faire pareil un jour. Par contre, je m’amuse à apprendre en potassant des bouquins, cela m’intéresse beaucoup, je prends des notes. Après, je pense que j’ai le défaut de beaucoup de dessinateurs. Seul, j’ai des tas de scènes qui me viennent à l’esprit, mais j’ai du mal à savoir de quoi je veux parler dans le fond et à m’y tenir… Je ne dis pas que cela ne m’arrivera pas. Pour le moment, je prends des notes sur tout ce qui m’interpelle, ce qui me touche. Ce sont des notes qui peuvent très bien me servir un jour… tout peut s’écrire assez vite ! 

Après L’Adoption, qu’envisagez-vous de faire ? Sortir à La dérobée un album sur La vie d’artiste ou jouer du Tuba ? La musique est-elle une autre passion ?
A.M. : (Rires). C’est un divertissement. La musique c’est physique, c’est direct. Le dessin c’est plus cérébral. Il s'agit d'une question d’équilibre. J’adore chanter et quelques café-concerts suffisent à me faire plaisir.

Mais pour le coup, vous êtes auteur et compositeur ?
A.M. : Ce n’est pas la même chose qu’être auteur complet. Pour une chanson, vous décrivez un tableau. Un scénario, il y a toute une mécanique des évènements… Une chanson, c’est une écriture ramassée, c’est l’esquisse d’un instant dans lequel vous ne pouvez pas raconter trois mille choses. Par contre, il faut savoir de quoi vous voulez parler et en cela je retrouve les problématiques d’un scénariste. Cependant, il est plus facile d’être exigeant sur une chanson, l’exercice d’écriture est plus bref donc facile à mener au bout. Du coup, un scénario semble être un marathon… qui se rapprocherait plus d’un album.


© Bamboo Édition 2016 - Zidrou & Monin

Nota - Décerné lors du festival Quai des bulles, ce prix désigne un ouvrage paru dans l’année. Étaient en compétition : Vive la marée ! de David Prudhomme et Pascal Rabaté (Futuropolis) ; L’été Diabolik, de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse (Dargaud) ; L’adoption, de Zidrou et Monin (Grand Angle) ; Juliette, de Camille Jourdy (Actes Sud) et Le piano oriental, de Zeina Abirached (Casterman). Le lauréat 2016 est L’été Diabolik, de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse.

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