© Delcourt 2014 - Dorison & Breccia |
Avril 1915, les troupes alliées s’apprêtent à débarquer sur la plage
de Sari Tépé pour une offensive qui devrait balayer l’armée turque et
mettre fin à la guerre ! Mais l’Histoire en a décidé autrement.
Si
le super-héros est une figure incontournable de la bande dessinée, le
mythe n’est plus le monolithe d’antan. Depuis quelques années, entre "le
brave malgré lui" et les productions américaines de Marvel & Co,
fleurit une nouvelle race de demi-dieux, dont Les sentinelles de Xavier
Dorison seraient presque l’archétype. Ce terme est un bien grand mot et
doit s’entendre dans son acceptation sociale, puisque ni Féraud,
Clermont, et encore moins Djibouti, ne sont des types idéaux, et c'est
ce qui fait leur particularité. À l’inverse de nombre de leurs confrères
conçus outre-Atlantique, les surhommes français pensent et… doutent.
Les
sentinelles permet d’appréhender le statut de sauveur de l'Humanité
d’une manière pour le moins inhabituelle. Ainsi le lieutenant Féraud,
précurseur en garance de Robocop, a des états d’âmes, des problèmes avec
la hiérarchie, l’alcool et les femmes. Sans parler quelques troubles
dépressifs qui feraient le bonheur de plus d’un psychanalyste. Pour
couronner le tout, il doit battre en retraite devant un nouvel ennemi et
se contenter de gérer la débâcle alliée de janvier 1916. En fait,
Féraud a tout de l’anti-super-héro !
Cette approche pour
le moins déstabilisante pour les amateurs de manichéisme bleu et rouge
se trouve renforcée par le trait d’Enrique Breccia. Le dessinateur
argentin continue à faire vaciller les certitudes en développant un
graphisme anguleux, à la limite du torturé, voire du caricatural. Ses
personnages à la fois tendres, pathétiques, burlesques, ou dérisoires
remettent l’individu au centre d’une tragédie qui a pour arrière-plan
une guerre où les désirs de désertion l’emportent sur les rêves de
victoire.
Loin des comics made in USA, Les sentinelles
propose une autre façon de voir le super-héros, plus introspective, plus
intellectualisée, sans pour autant en oublier le côté spectaculaire,
inhérent à la condition de sauveurs de la veuve et de l’orphelin.