En ce début du XIXe siècle, nombre de terres encore vierges
enflamment les imaginations. Mais derrière un doigt négligemment pointé
sur une carte peut se dissimuler une vérité qui n’a rien d’onirique.
Pour être revenu du cœur des ténèbres, Charles Marlow le sait mieux que
quiconque…
© Soleil Productions 2014 - Miquel & Godart |
Conservant la structure originelle du roman,
le scénario passe rapidement des bords de la Tamise au continent noir
après un court passage, digne de Lewis Carroll, par la Société. Mêlant
voix off et dialogues au risque de perturber la compréhension du propos,
ce qui pourrait apparaître comme une expédition en ses contrées
méconnues se révèle être une odyssée dans les tréfonds de l’âme humaine.
Alors qu’il pénètre au plus profond du pays, Marlow voit ses références
avalées par la végétation qui l’entoure. Sa sociabilité se fond aux
frondaisons de la canopée, ses convictions se désagrègent sur les berges
boueuses du fleuve et ses certitudes s’évaporent dans la moiteur
ambiante. Plus il avance au sein de la forêt primaire, plus il remonte
le fil du temps avec nul horizon à regarder.
Au cœur des
ténèbres est un ouvrage complexe et pluriel. Récit d’aventures, il
comporte cependant une large part autobiographique, voire introspective,
et évoque sans détour l’exploitation outrancière du Congo. Mais au-delà
de cet aspect critique, l’œuvre se fait analytique et interroge sur le
rapport à la réalité. Qu’est-ce qui est vrai, qui semble l’être ou qui
ne l’est pas ? Comment la perte des repères usuels fait-elle sombrer
dans la folie des démons premiers et succomber à la barbarie ? Nul n’est
à l’abri de cette démence pas même Kurtz, personnage fascinant
d’ambigüité, démiurge tribal et idole déchue de l’impérialisme
occidental.
Le one-shot de Stéphane Miquel et de Loïc
Godart se veut la libre adaptation de la nouvelle éponyme. S’il reste
fidèle à l’écrit original, tant dans l’esprit que sur la forme,
qu’apporte-t-il de plus ? La réponse est à chercher… et à trouver au
travers du parti-pris des découpages ou des séquences, des angles de
vue, du choix des mots, de la confrontation de la grisaille
septentrionale et de l’ocre des glaises d’Afrique, ou bien dans un trait
qui déforme les physionomies pour les mettre à l'unisson des âmes.
Cette interprétation donne alors – toute proportion gardée – une
nouvelle dimension aux écrits du romancier anglais comme le fit
l’emblématique Apocalypse Now de Francis Ford Coppola !
Les
grandes œuvres sont souvent redoutables à adapter ou à interpréter, et
peuvent se révéler un piège inextricable. Stéphane Miquel et Loïc Godart
ont visiblement su les éviter et offrent un album réaliste, dénué de
tout romantisme, que Joseph Conrad aurait certainement apprécié !
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