jeudi 27 février 2014

L'enfer est vert !


En ce début du XIXe siècle, nombre de terres encore vierges enflamment les imaginations. Mais derrière un doigt négligemment pointé sur une carte peut se dissimuler une vérité qui n’a rien d’onirique. Pour être revenu du cœur des ténèbres, Charles Marlow le sait mieux que quiconque… 

© Soleil Productions 2014 - Miquel & Godart
Conservant la structure originelle du roman, le scénario passe rapidement des bords de la Tamise au continent noir après un court passage, digne de Lewis Carroll, par la Société. Mêlant voix off et dialogues au risque de perturber la compréhension du propos, ce qui pourrait apparaître comme une expédition en ses contrées méconnues se révèle être une odyssée dans les tréfonds de l’âme humaine. Alors qu’il pénètre au plus profond du pays, Marlow voit ses références avalées par la végétation qui l’entoure. Sa sociabilité se fond aux frondaisons de la canopée, ses convictions se désagrègent sur les berges boueuses du fleuve et ses certitudes s’évaporent dans la moiteur ambiante. Plus il avance au sein de la forêt primaire, plus il remonte le fil du temps avec nul horizon à regarder. 

Au cœur des ténèbres est un ouvrage complexe et pluriel. Récit d’aventures, il comporte cependant une large part autobiographique, voire introspective, et évoque sans détour l’exploitation outrancière du Congo. Mais au-delà de cet aspect critique, l’œuvre se fait analytique et interroge sur le rapport à la réalité. Qu’est-ce qui est vrai, qui semble l’être ou qui ne l’est pas ? Comment la perte des repères usuels fait-elle sombrer dans la folie des démons premiers et succomber à la barbarie ? Nul n’est à l’abri de cette démence pas même Kurtz, personnage fascinant d’ambigüité, démiurge tribal et idole déchue de l’impérialisme occidental. 

Le one-shot de Stéphane Miquel et de Loïc Godart se veut la libre adaptation de la nouvelle éponyme. S’il reste fidèle à l’écrit original, tant dans l’esprit que sur la forme, qu’apporte-t-il de plus ? La réponse est à chercher… et à trouver au travers du parti-pris des découpages ou des séquences, des angles de vue, du choix des mots, de la confrontation de la grisaille septentrionale et de l’ocre des glaises d’Afrique, ou bien dans un trait qui déforme les physionomies pour les mettre à l'unisson des âmes. Cette interprétation donne alors – toute proportion gardée – une nouvelle dimension aux écrits du romancier anglais comme le fit l’emblématique Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ! 

Les grandes œuvres sont souvent redoutables à adapter ou à interpréter, et peuvent se révéler un piège inextricable. Stéphane Miquel et Loïc Godart ont visiblement su les éviter et offrent un album réaliste, dénué de tout romantisme, que Joseph Conrad aurait certainement apprécié !

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