|
© Delcourt 2015 - Macan & Kordey |
Si l’uchronie permet de réécrire l’Histoire, elle ne la réinvente que
très rarement. Là se situe la limite d’un genre qui butte sur la
difficulté à recomposer le passé en dehors de ses propres canons. Nous,
les morts évite cet écueil en s'appuyant sur un concept finalement peu
développé. En déplaçant le centre de gravité de l’Humanité hors de la
veille Europe, Darko Macam prend une première fois le contre-pied de
notre réalité et le fait encore lorsque, six cents ans plus tard, des
Inkas deviennent les maîtres des Amériques.
Opus introductif, Les enfants de la peste
innovait encore en hybridant les genres grâce à des cohortes de
morts-vivants émergeant de leur tombe ! Mais là où certains auraient
donné dans le zombie sanguinolent, le scénariste croate met cette forme
d’immortalité en regard de l’utilisation qui en est faite ! De l’autre
côté de l’Atlantique, les choses sont tout autre. Alors qu’une
civilisation périclite dans la folie du désespoir, l’autre atteint son
apogée dans le sang, la violence et des mœurs délétères. Le contraste
est sciemment voulu et s’exprime, visuellement, au travers de la palette
graphique de Yana, Nikola Vitovic’ et Len O’Grady, mais également dans
le fait que ce qui relève de la malédiction pour les uns semble devoir
être bénédiction pour les autres ! Ce postulat va amener le héros de
cette tétralogie à faire ses humanités en parcourant le monde, en
commençant par ce qui est désormais Le continent cimetière.
Dans
ce deuxième volet, Manco peut donner libre cours à sa curiosité, cette
curiosité qui guiderait l’Homme vers sa fin. Parcourant une Angleterre
et une France qui n’ont pas évolué depuis 1348, le jeune prince poursuit
son voyage initiatique à la découverte de terres inconnues et de
lui-même. Pendant ce temps, dans son propre pays, de nombreux
bouleversements ne seront pas sans quelques conséquences sur son propre
destin, prémices prémonitoires d’une mondialisation qui n’a pas encore
eu lieu. Même si le scénario se fait largement elliptique, Darko Macam
sait parfaitement découper son script, densifier son propos et
dramatiser les différents moments forts en basculant d’un continent à
l’autre, sans se départir d’une certaine forme d’humour et d'une
tendance pour les choses du sexe qui mériterait peut-être une analyse.
Pour servir cette quête sanguinaire, Igor Kordey imprime toujours un
style puissant et crûment réaliste à ses planches, mais sait aussi
jouer, lorsqu’il le faut, sur le registre des émotions.
Uchronie reposant sur un script travaillé, à qui il ne faut toutefois pas en faire dire plus qu’il ne le peut, Nous, les morts renouvelle le genre et donne aux talents d’Igor Kordey et Darko Macam l’occasion de s’exprimer pleinement.