mardi 7 juillet 2015

Lève-toi et marche

Nous, les morts2. Le Continent cimetière
 
© Delcourt 2015 - Macan & Kordey
Si l’uchronie permet de réécrire l’Histoire, elle ne la réinvente que très rarement. Là se situe la limite d’un genre qui butte sur la difficulté à recomposer le passé en dehors de ses propres canons. Nous, les morts évite cet écueil en s'appuyant sur un concept finalement peu développé. En déplaçant le centre de gravité de l’Humanité hors de la veille Europe, Darko Macam prend une première fois le contre-pied de notre réalité et le fait encore lorsque, six cents ans plus tard, des Inkas deviennent les maîtres des Amériques. 

Opus introductif, Les enfants de la peste innovait encore en hybridant les genres grâce à des cohortes de morts-vivants émergeant de leur tombe ! Mais là où certains auraient donné dans le zombie sanguinolent, le scénariste croate met cette forme d’immortalité en regard de l’utilisation qui en est faite ! De l’autre côté de l’Atlantique, les choses sont tout autre. Alors qu’une civilisation périclite dans la folie du désespoir, l’autre atteint son apogée dans le sang, la violence et des mœurs délétères. Le contraste est sciemment voulu et s’exprime, visuellement, au travers de la palette graphique de Yana, Nikola Vitovic’ et Len O’Grady, mais également dans le fait que ce qui relève de la malédiction pour les uns semble devoir être bénédiction pour les autres ! Ce postulat va amener le héros de cette tétralogie à faire ses humanités en parcourant le monde, en commençant par ce qui est désormais Le continent cimetière

Dans ce deuxième volet, Manco peut donner libre cours à sa curiosité, cette curiosité qui guiderait l’Homme vers sa fin. Parcourant une Angleterre et une France qui n’ont pas évolué depuis 1348, le jeune prince poursuit son voyage initiatique à la découverte de terres inconnues et de lui-même. Pendant ce temps, dans son propre pays, de nombreux bouleversements ne seront pas sans quelques conséquences sur son propre destin, prémices prémonitoires d’une mondialisation qui n’a pas encore eu lieu. Même si le scénario se fait largement elliptique, Darko Macam sait parfaitement découper son script, densifier son propos et dramatiser les différents moments forts en basculant d’un continent à l’autre, sans se départir d’une certaine forme d’humour et d'une tendance pour les choses du sexe qui mériterait peut-être une analyse. Pour servir cette quête sanguinaire, Igor Kordey imprime toujours un style puissant et crûment réaliste à ses planches, mais sait aussi jouer, lorsqu’il le faut, sur le registre des émotions. 

Uchronie reposant sur un script travaillé, à qui il ne faut toutefois pas en faire dire plus qu’il ne le peut, Nous, les morts renouvelle le genre et donne aux talents d’Igor Kordey et Darko Macam l’occasion de s’exprimer pleinement.

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