jeudi 16 janvier 2014

Peur sur la ville

Métropolis : Tome 1
 
© Delcourt 2014 - Fréjean & De Caneva
13 mai 1934, une déflagration secoue le parvis de l’esplanade de la Réconciliation de Métropolis, puis, d'un immeuble, des tirs achèvent méthodiquement les rescapés. L’inspecteur Faune, témoin du drame, parviendra à neutraliser le tireur embusqué et découvrira incidemment dans les tréfonds de la place une mise en scène des plus macabres. Existe-t-il un lien entre ces cadavres mutilés de femmes et cet attentat ? Et que peuvent bien cacher les évolutions de la mégapole que seul le jeune policier semble percevoir ? L’histoire ne fait que commencer !

En 1999, Serge Lehman renonçait à l’idée d’écrire un roman uchronique sur une Europe qui aurait su s'éviter le conflit de 14-18. Confronté à la difficulté de donner une réelle crédibilité sociale à un monde épargné par les cicatrices d’une Première Guerre mondiale, le livre ne fut finalement jamais achevé. Plus d’une décennie plus tard, le projet se concrétise sous une toute autre forme : celle d’une bande dessinée. 

Métropolis est un objet hybride. Du moins apparaît-il comme tel à l'issue du premier opus de cette tétralogie frappée du label des éditions Delcourt. 

D’abord, il y a l’uchronie. Cette agglomération tentaculaire, créée – pour les besoins de la fiction – par Aristide Briand et Gustav Stresemann, symbolise l’entente franco-allemande au lendemain du traité de Francfort (1871) et rappelle fortuitement que les deux diplomates reçurent le prix Nobel de la Paix pour les accords de Locarno (1925). Sur le modèle des villes de franchise du Moyen-âge, cette urbanisation nouvelle prend littéralement possession des quatre-vingt seize pages et sait générer ses propres codes graphiques, largement inspirés par le début du XXe siècle. Dans un Métropolis aux airs de New York se croise le Who’s Who des années trente !

Puis, il y a la dimension policière, représentée par Gabriel Faune. Cet éminent membre du bureau de contrôle, flanqué d’un collègue psychologiquement instable, va devoir dénouer une double affaire. D’un coté, un acte terroriste dont les ramifications politiques se dessinent en filigrane, et de l’autre, des dépouilles momifiées retrouvées au milieu des décombres. Dès les premières planches, le lecteur est immergé au cœur de deux enquêtes, entre turpides humaines et arcanes de la diplomatie.

Enfin, il y a le volet fantastique. Gabriel connaît mieux que quiconque tous les recoins de la cité dont il en est le « Citoyen n° 1». Cette compréhension confine à l’intimité puisqu’il entretient avec la métropole des relations émotionnelles qui interpellent autant qu’elles interrogent. 

La force des paysages urbains et les sensations qui en émanent sont indissociables du graphisme impressionnant de Stéphane de Caneva. Classique et réaliste, son trait est équilibré et sa gestion des cadrages permet d’appréhender la composition de la ville selon des perspectives étourdissantes rappelant le travail d’Anne Renaud sur Hel. Comme rarement, son approche graphique confère à la mégalopole une présence qui fait écho aux sentiments ambigus que ressent le héros. Ainsi, le rapprochement avec Masqué, autre production du scénariste, devient inévitable, tout comme l’analogie avec les Cités obscures de Benoît Peeters et François Schuiten pour la prégnance des constructions architecturales.

Sur un script superbement mis en image, mixant habilement Histoire alternative, thriller et paranormal, Métropolis engage une réflexion sur l’utopie de la paix et gratifie ses lecteurs d’une séduisante ouverture.

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