mercredi 1 mai 2019

DYLAN DOG (Mosquito)

4. Berceuse macabre
 
© Mosquito 2019 - Baraldi & Roi
Les contes ne sont plus, et les enfants qui n’ont plus peur du méchant loup deviennent de méchants louveteaux… 
 
Dylan Dog est de retour chez Mosquito qui adapte dans la langue de Molière La ninna nanna dell'ultima notte paru en mars 2017 avec Corrado Roi au dessin et Barbara Baraldi au scénario. 
 
Par ses oppositions de noir et de blanc, le dessinateur italien travaille superbement la composition de chaque planche, définit une attitude, pose un regard, puis, avec toujours la même maestria, distille par touches vaporeuses ses ambiances, lourdes, pesantes, ténébreuses. Détaché à la limite de la distanciation, son graphisme sobre - comme ses cadrage - fait du lecteur le spectateur d’une aventure où l’imagination prend de facto le pas. Parfois, le récit de Barbara Baraldi s’avère par trop écliptique voire chaotique ; toutefois, la centaine de pages de ce nouvel album se lit d’un trait, trop rapidement peut-être pour être certain d’avoir appréhendé cette histoire dans ses moindres recoins. 
 
Dylan Dog cultive le mystère, l’irrationnel et mobilise la fine fleur du 9e art de la péninsule italienne sans pour autant susciter un réel engouement de ce côté-ci des Alpes ! Allez savoir pourquoi.

SARA LONE

4. Arlington Day
 
© Sandawe 2019 - Arnoux & Morancho
"Parfois rien ne se déroule comme prévu. Je devais neutraliser un "patsy" incapable d’aligner un lapin à vingt mètres et qui prétendait descendre Kennedy ! D’autres en ont décidé autrement et visiblement, ils disposent de moyens qui dépassent les miens... 

 Le 22 novembre 1963, mourut un président et l’Amérique se fabriqua illico un héros à la mesure de ses rêves. Pour moi, il s’agit plus d’une fin de cycle et du début des ennuis. Janus n’a pas tort, je dois protéger mon cul ! Mais comment en suis-je arrivée là ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé un bon mari, un qui ne sente pas la crevette et qui aurait pu me faire trois mômes en échange d’une cuisine toute équipée. Au lieu de cela, mon pensionnat « des Oiseaux » s’appelait le Blue Parrot et comme j’ai une idée assez arrêtée des mecs qui peuvent me mettre une main aux fesses cela a vite dégénéré. Après ce fut un enchaînement d'événements improbables pour une gamine. Un contrat de la mafia sur ma tête, l’United states secret service qui s’intéresse à moi sans vraiment en comprendre la raison, une affaire de famille à solder, un trésor à remonter à la surface et trois ans d’entrainement afin de toucher une pièce d’un dollar à 2500 pieds. Il faut reconnaître qu’il y a là matière pour thriller atypique. De Pinky Princess à Arlington Day, la baby doll qui faisait saliver les vieux cochons de la Nouvelle Orléans est devenue une femme qui se cherche. Je confesse qu’Érik Arnoux m’a fait monter progressivement en puissance au fil des planches, donnant de l’épaisseur à ma personnalité sans toutefois en révéler toutes les facettes. Quoi qu’il en soit, la pin-up des débuts se retrouve au cœur d’une des plus grandes conspirations politiques du siècle dernier… drôle de destin ! Mais je ne me leurre pas, je ne suis qu’une anachronie qui n’a pas sa place dans l’Histoire et qui ne laissera pour trace que quelques albums, à l’image de feu mon éditeur ! 

Avant de m’éclipser temporairement, une pensée particulière à David Morancho pour sa minutie d’architecte, son soin du détail et le réalisme de son dessin. 

Kennedy is dead, but the show must go on ! Why not in Vietnam ?"

SWING

Volume 1

© Panini Comics 2019 - Hawkins & Šejic
Après la fièvre des premiers temps, la routine du quotidien s’installe entre Cathy et Dan Lincoln. Afin de ressusciter quelques élans passionnels dans son couple, la jeune femme décide de s’adonner aux joies de l’échangisme !

Dessiné par Linda Šejic qui intervient déjà sur Sunstone, Swing exploite le filon du sexe branché sans pour autant franchir les limites de la bienséance. Si le graphisme comme la mise en couleurs attirent l’œil, le récit concocté par Jenni Cheung et Matt Hawkins ne s’engage en rien sur les sentiers de la luxure débridée et reste sagement cantonné à des lieux communs qui feraient à peine rosir une rosière. 

Ni licencieux, ni émoustillant, Swing ne donne pas le change !

CARMEN Mc CALLUM

16. CYBERIE

© Delcourt 2019 Duval & Louis
Je fais souvent cette lecture étrange d'une femme qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre… 

Il y a du Verlaine chez Carmen. Les dessinateurs se succèdent, les formes varient mais l’esprit demeure. 

Difficile de reprendre une série surtout derrière Gess ou Emem, pourtant Louis ne démérite en rien et trouve ses marques dans un cahier des charges graphiques qui ne laisse que peu de latitudes. Sur un scénario lui aussi dans la lignée des albums précédents -mais comment en serait-il être autrement ? -, Fred Duval ressuscite d’anciens personnages, assurant ainsi une transition en douceur sur ce nouveau cycle. Pour le reste, pas de (mauvaises) surprises : une Carmen toujours aussi sûre d’elle-même, une mission qui ne manque pas d’adrénaline et un ennemi qui revient hanter son exécutrice… Du grand spectacle en perspective dans un univers post-apocalyptique et glacé dont nul ne sait de quelle manière l’égérie de Gazdrom s’en sortira. 

Cybérie s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs et cultive les charmes d’une héroïne rajeunie, mais plus Carmen que jamais !

AU-DELA DES DECOMBRES

Six mois plus tard

© Cambourakis 2019 - Zerocalcare
En parlant de soi, il advient que l’on puisse parler des autres et réciproquement ! Et à ce jeu là, Zerocalcare excelle. 

Connu comme le loup blanc en Italie, Michele Rech peine à acquérir la même notoriété de ce côté-ci des Alpes et ce malgré les efforts louables des éditions Cambourakis. Avec Six mois plus tard suite d’Au-delà des décombres, il continue de porter un regard acide et affectueux sur le spleen d’une génération qui se voit contrainte d’oublier ses rêves. Avec ce récit biographique, fictionnel et légèrement psychédélique, il se raconte à la première personne en mélangeant les métaphores animalières, l’autodérision et une empathie vis-à-vis de sa bande de la Rebibbia. À travers cet exercice aux airs de thérapie expiatoire, l'auteur de Kobane Calling dépeint les difficultés existentielles autant que matérielles d’une jeunesse désabusée qui, de galères en faux plans, peine à trouver sa place dans une Péninsule qui se berce de ses désillusions. Si la peinture bavarde de ce petit microcosme hétéroclite est sans réelle concession, elle demeure cependant teintée d’un humour propre aux comédies italiennes, qui aide à faire passer l’amertume du quotidien et à distiller aux passages (et sans état d’âme) quelques vérités contre lesquelles il est difficile de lutter. 

Dans un style qu’il cultive depuis La prophétie du tatou, Zerocalacre se moque de lui et des siens avec suffisamment d’ironie pour croire en des lendemains moins pires à défaut d’être meilleurs.

JANE

© Glénat 2019 - Brosh McKenna & Pérez
Orpheline, Jane n’a pas eu beaucoup de chance jusqu’à présent . Mais, son déménagement à New York et un nouveau job pourraient peut-être changer sa vie ? 

Nul besoin de présenter Aline Brosh Mckenna, qui signa le script du Diable s’habille en Prada et participa, entre autres, à celui d’un Nouveau départ ou de Fame (dans sa version de 2009 !). Il en est de même - notamment pour les amateurs de comics - du Canadien Ramón K. Pérez qui collectionne les distinctions. Toutefois, suffit-il qu’une scénariste accomplie s’emploie à la libre adaptation d’un des fleurons de la littérature romantique britannique en s’associant à un dessinateur reconnu pour réaliser une bonne bande dessinée ? 

Si le scénario se révèle solide et progresse très linéairement vers une conclusion sans en dévoiler prématurément le contenu, le désappointement est de mise lorsqu'il est question de parler dessin. Il en est ainsi des physionomies qui ,au sein d’une même planche, laissent apparaître des différences pour le moins notables, et que dire de certaines cases où la finesse du trait connaît de telles variations que celles-ci ne peuvent être que le fruit d’une numérisation malheureuse. Dans un registre similaire, la mise en couleur, essentiellement en aplats, si elle renforce globalement la dramaturgie de la fin de l’album, ne permet pas de développer pleinement la personnalité des protagonistes… 

Jane fait mentir Corneille ! Même bien né, la valeur se fait parfois désirer.


CONNAN LE CIMMERIEN

La Fille du géant du gel

© Glénat 2018 - Recht
Sur les eaux gelées d’un lac du Nord, les hommes s’affrontent encore et encore. Toutefois, aujourd’hui, un battement lancinant étouffe le tumulte des combattants qui entre-tuent… 

Fluide sur les courbes d’une déesse impudique, puissant dans les combats sanguinaires, superbe sur les paysages enneigés, le trait de Robin Recht impose sa marque. Violent, oppressant, épique, grandiose, les adjectifs manquent pour qualifier cet album. Mais au-delà de l’esthétique, dans l’immersion graphique que constitue cette lecture naît une forme d’exaltation. La Fille du géant du gel exhale l’enivrant parfum du désir, répand les relents des cadavres des vaincus, enivre de l’air pur et glacé des cimes de l’Odroerir ou sature les sens des effluves de sueur et de sang mêlés. Rares sont les albums qui procurent une telle sensation de mouvement, une telle fluidité dans leur narration ! Cependant, à bien y regarder, le pitch est des plus ténus : sur fond de cosmogonie nordique, un mercenaire sans état d’âme succombe aux charmes d'Atali, sorcière espiègle et flamboyante et défie les dieux pour jouir pleinement du repos dû aux guerriers. Du classique, mais pas du convenu, puisqu’avec cette variation de la Belle et de la Bête, Robin Recht projette son récit dans les ténèbres d’où surgit Ymir et pour la gloire duquel les Vanirs ou les Aesirs maculent la blancheur hivernale. 

Avec La Fille du géant du gel, Conan le Cimmérien entre dans la légende du Nordheim et un peu plus dans celle du 9e Art.