© Monsieur Toussaint Louverture 2018 - Ferris |
Il suffit parfois d’un rien pour qu’une vie bascule. Une anodine piqûre
de moustique qui évolue en méningo-encéphalite et, au seuil de la
quarantaine, vous voilà paralysée pour le restant de vos jours… Mais,
une petite fille qui croit en des temps meilleurs peut vous insuffler
l’envie de ne pas capituler. Alors, ce sont les séances de rééducation,
le Chicago Art Institute, puis un crayon scotché à une main rétive qu’il
faut dompter, mais qui à force d’efforts deviendra une virtuose.
Emil
Ferris est un monstre, un monstre de précision du trait et de profusion
des sentiments, une auteure surgie de nulle part (enfin presque) et déjà
portée aux firmaments par ses pairs.
Lire Moi, ce que j’aime, c’est les
monstres ne doit rien au hasard et demande un minimum de disponibilité
afin de se perdre dans ses quatre cents pages ! Karen Reyes se voit en
loup-garou car elle sent bien qu’elle est différente. Karen est de
Chicago, d’Uptown plus précisément et en 1968, ce n’est pas forcément le
meilleur endroit pour grandir dans l’insouciance ! Karen sait toutefois
s’en accommoder et se créer un monde parallèle pour lui permettre de
supporter les travers du quotidien. Moi, ce que j’aime, c’est les
monstres est son journal secret, là où le fil de son histoire intime
s’inscrit au jour le jour, au gré des événement qui surviennent dans son
quartier. Karen est une adolescente, mais Emil Ferris est une femme qui
a ses combats ; elle profite ainsi de l’occasion pour en parler et
faire de Karen son bras dessiné. Ainsi les sujets d’indignation se
succèdent et s'entremêlent les uns aux autres avec comme dénominateur
commun le droit aux minorités d’exister et pas seulement de subsister.
Mais ce qui subjugue avant tout dans ce graphic novel, c’est le dessin…
au stylo et tout aux traits et en fines hachures ! Tour à tour enfantine, naïve, réaliste et sur-réaliste… Emil Ferris fait
preuve d’une technicité incroyable et d’une culture artistique
indéniable qui lui permettent d’explorer un registre graphique des plus
surprenants où la minutie côtoie l’émotion. Alliant une puissance
visuelle rare à une qualité d’écriture qui ne peut être le fait d’un
simple concours de circonstances, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres
constitue une œuvre à part, hors normes, à l’écart de ce qu’il est
communément possible de lire en matière de BD. Les récompenses qui
pleuvent sur Ferris, outre Atlantique, viennent corroborer cette
appréciation. À l’évidence, Les éditions Monsieur Toussaint Louverture,
dont le travail est à souligner ici, sont en passe de réussir un joli
coup éditorial.
Véritable OLNI (objet littéraire non identifiable), Moi,
ce que j’aime, c’est les monstres consacre peut-être trop rapidement
(quoi qu’à cinquante-six ans cela soit très relatif) une auteure qui
devra, dans les années à venir, pouvoir exister en dehors d’un tel
chef-d’œuvre.
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