mercredi 31 janvier 2018

LE SUAIRE

Lirey 1357
 
© Futuropolis 2018 - Mordillat & Liberge
En cet hiver 1357, le royaume de France voit poindre un péril plus grand que les morsures du froid : la peste. Mais si les corps sont mis à mal, les âmes le sont tout autant et les Flagellants font vaciller une Église qui se perd. Dans cette tourmente, chacun tente de donner un sens à sa vie... 

Gérard Mordillat et Jérôme Prieur s’intéressent depuis longtemps à la question religieuse que ce soit avec Corpus Christi diffusé sur Arte ou de nombreux essais publiés aux éditions du Seuil. Après avoir pensé en faire un film, les voici qui parcourent les arcanes du Neuvième Art non pas pour s’attarder sur Jésus Christ, mais sur les traces qu’il a laissées ici-bas, du moins celles que d’aucuns voudraient lui attribuer. Prenant comme fil rouge l’énigmatique suaire de Lirey, les auteurs s’attachent non pas au berger, mais à ses brebis avec un triangle amoureux qu’ils projetteront, le temps de trois albums, à travers l’espace et le temps que ce soit en Champagne en 1357, dans le piémont italien au XIXe siècle ou dans la Sierra Nevada espagnole deux cents ans plus tard ! 

Avec ce premier tome, les scénaristes dépeignent une population qui a faim et grelotte tandis que les édiles de tous ordres mangent gras et boivent sucré. Au milieu de cette déliquescence, deux hommes et une femme cherchent dans leur foi une échappatoire au plaisir charnel ou une solution aux affres qui les entourent. Avec eux se tisse une petite histoire qui marquera la grande pour les siècles des siècles ! Relevant de l’étude de mœurs plus que du récit d’aventure, Lirey 1357 possède, au travers des passions humaines qu'il explore, une dimension romanesque indéniable. Se faisant le récit laisse parfois douter de son sujet voire de sa finalité et cette ouverture devra être mis en perspective avec les opus qui la suivront. Si le scénario pêche par son rythme, ceci est largement compensé par le travail magistral d’Éric Libergé qui compose un camaïeu de gris avec le blanc de la virginale Lucie et la noirceur des âmes de ses contemporains. Tout en finesse et en intensité, sa prestation graphique concourt grandement à l’intérêt que l’on se doit de porter à ce triptyque. 

Alors authentique relique ou subtil artefact ? La question apparaît finalement secondaire puisque ce qui importe semble devoir être la ferveur qui y est attachée…

mercredi 17 janvier 2018

LADY KILLER

2. Les vices de Miami 

© Glénat 2018 - Jones
Josie Schuller poursuit désormais son petit business sous le soleil de Cocoa Beach et délègue le nettoyage de ses scènes de crimes… Mauvaise idée, surtout pour une fée du logis comme elle !

Compilant les cinq issues parus chez Dark Horse Comics entre août 2016 et août 2017, ce deuxième volume de Lady Killer signe le retour de Joëlle Jones au dessin et... au scénario. 

Autant le dire d’emblée, Les vices de Miami fait dans le trash, l’hyper trash même et il convient d’être un adepte chevronné du second degré pour apprécier, et relativiser, le propos. Derrière une débauche d’hémoglobine et une prédisposition à découper son prochain qui relèverait presque de la psychiatrie, Joëlle Jones s’attaque au rêve américain des fifties dans ce qu’il a de plus cher et de plus sacré. C’est provocant, incongru, improbable dans ses excès… et terriblement jubilatoire. Une sorte d’exercice de style où l’élégance sophistiquée de Josie respecte (faussement) l’esprit, comme le trait, de l’iconographie des publications d'après-guerre (la Seconde !), mais dans un registre qui ferait passer Dexter pour un néophyte ! 

Faisant fi de nombre d'inhibitions et témoignant d’une certaine propension à la surenchère, Lady Killer ne pose-t-il finalement pas la question existentielle qui mine - une partie - de la gent féminine : est-il possible d’être une tueuse compulsive et une femme équilibrée ?

LES DERNIERS ARGONAUTES

3. L'orbe du Monde

© Glénat 2017 - Djian, Jean-Blaise & Ryser
Borbos, le satyre, Nessia, la sorcière thessalienne ne sont plus. Laissant Manaos derrière eux, Jason, Leitos, Eurymion et Skarra partent explorer les rivages de l’Hyperborée, à la poursuite de l’Orbe du Monde. 

Les derniers Argonautes renoue avec les épopées antiques en un temps où l’Humanité vénérait un panthéon olympien à la perversité toute humaine… confirmant ainsi que l’Homme est bien à l’image des Dieux qu’il vénère… 

À mille lieues de la magnificence des héros d'Homère, L’orbe du Monde s’attache aux destins d’individus blessés pour lesquels ce périple s’apparente à une rédemption, voire une thérapie. Bien qu’il soit toujours difficile de développer des psychologies complexes tout en répondant aux canons de la BD d’aventure et ce sur quarante-six planches - fussent-elles d’un triptyque - Jean-Blaise Djian et Olivier Legrand parviennent à donner de l’épaisseur à leur récit et de la consistance à des personnages qui doutent, essayent, se trompent et s’entêtent plus que de raison... Si le lecteur trouve dans le final de cet ultime volet réponse à toutes ses questions, quelques interrogations demeurent sur le parti-pris graphique de Nicolas Ryser : le trait semi-réaliste se fait moins précis, tandis que la mise en couleurs privilégie des teintes très septentrionales qui atténuent la luminosité et les contrastes de son dessin, l'enfermant dans une monotonie préjudiciable. 

Ainsi se clôt l'histoire du dernier des Argonautes et l’avènement du nouveau maître de Belerion…

mardi 16 janvier 2018

JE NE SUIS PAS D'ICI

© Warum 2017 - YunBo
Pas d’ici et plus de là-bas… Tel est le constat que fait Eun-mee étudiante coréenne en France. Loin de chez elle, la question de savoir qui elle est revêt soudainement une résonance particulière tout comme l’impression d’être une étrangère, une fois de retour chez elle ? 

Faisant miroir à l’album de Samir Dahmani paru chez Steinkis, Je ne suis pas d’ici narre les 3 années d’une élève en master à l’École Européenne Supérieure de l’Image d’Angoulême. Avec un trait très doux uniquement au crayon tout en variations de gris parcimonieusement colorées de touches de bleu (voire de rouge), la jeune fille du Pays du Matin calme livre - à la première personne - sa lente transformation. Album porté par les questions d’identité culturelle, la jeune dessinatrice faite montre d'une approche graphique très européenne et ce jusque dans les physionomies de ses compatriotes, brouillant ainsi la perception des différences à l’autre dans une uniformité troublante. 

Politiquement des plus correctes, Yunbo reste toutefois sagement sur un registre convenu. Nulle révolte ou velléité de se définir par rapport à soi-même, mais simplement l’acceptation de la prégnance de la masse et de ses traditions sur l’individu… un peu frustrant mais pas inintéressant !

TRISTAN et YSEULT

© Gallimard 2017 - Maupré & Singeon
La passion lie Tristan et Yseult, mais les arcanes du destin n’ont que faire des tourments des âmes… 

Sur une pagination très sage, Singeon transcrit la fièvre qui ravage les deux amants grâce à un jaillissement des couleurs en aplat et un graphisme semi-réaliste et naïf. Pour ce qui relève du scénario, Agnès Maupré - tout en respectant la ligne dramaturgique du récit initial - n’hésite pas à donner à la relation des jeunes tourtereaux une tournure des plus libidinales et à démontrer que les affres du cœur sont avant tout ceux de la chair.

Figures emblématiques du roman médiéval et courtois, Tristan et Yseult voient leur idylle modernisée par Agnès Maupré et Singeon qui n’hésitent pas à dépoussiérer, de manière salutaire, le mythe.

ISABELLAE

6. Des papillons dans la brume

© Le Lombard 2017 - Raule & Gabor
La colline de Tara est un lieu sacré pour les Celtes, mais sera-elle le berceau d’une ère nouvelle où la sépulture de leurs dernières illusions ?

Isaballae est l’exemple symptomatique de nombre de productions dessinées. 

Un scénariste reconnu, un dessinateur pourvu du talent nécessaire et un pitch qui sait mélanger intelligemment divers registres graphiques, voire cinématographiques. Le résultat est à l’avenant et les trois premiers albums constituent un triptyque de qualité qui aurait pu se suffire à lui-même. Là où d’aucuns se seraient arrêtés, Le Lombard a décidé de poursuivre l’aventure. En quittant le Japon médiéval pour la verte Erin, Raule et Gabor ont malheureusement sombré dans une débauche d’effets visuels et d’incantations fantastico-mystiques qui décrédibilisent totalement leur récit, l’installant dans un univers qui malgré les efforts de Gabor n’a aucune réelle crédibilité. 

L’histoire se termine comme elle peut, par une pirouette magique qui ressuscite les morts et laisserait à croire que Dieu existe. Tant mieux pour les hommes et femmes de foi, mais pour les amateurs de bande-dessinée Les papillons dans la brume clôture LE cycle de trop !

jeudi 11 janvier 2018

ASTERIX ET OBELIX


© Les Éditions Albert René 2017 - Ferri & Conrad
La parution d’un Astérix et Obélix est un moment à part : mélange d’impatience à découvrir et de nostalgie à se souvenir. 

Voici près de quatre ans que le tandem Ferri & Conrad est aux commandes du char et le moins qui puisse leur être reconnu est qu’ils ont su s’inscrire dans les roues de leurs prégnants prédécesseurs. Mais poursuivre les aventures du facétieux Gaulois est un marché de dupes. Alors évidement ceux qui ont appris les jeux de mots avec feu Goscinny ou la géographie hexagonale en faisant le Tour de Gaule trouveront toujours à redire. Ce serait oublier que le monde ne cesse de tourner et que ce qui faisait la saveur des  gouters d’hier ne donne pas forcément envie aux amateurs de hamburgers d’aujourd’hui. 

Après trois albums qui ont montré les limites de l’exercice, ne pourrait-on pas définitivement affranchir Jean-Yves Ferri et Didier Conrad afin qu’ils puissent utiliser leur talent à autre chose qu’à plagier - pour une bande de nostalgiques - un duo qui fait désormais partie du patrimoine de la bande dessinée française ?

RAOUL EN MILIEU NATUREL

© Jungle ! -  Véropée
Raoul est un charmant bambin qui - du haut de ses presque cinq ans  - a déjà une idée bien arrêtée des choses de la vie.

Prof le jour et illustratrice la nuit, Véropée croque ces instants de vie, ces mots d’enfants dont l’aplomb et le bon sens apparaissent, parfois, d’une évidence surréaliste et qui prêtent souvent à sourire avec une indulgence coupable.

Sentant un vécu certain, l’accumulation de saynètes peut virer à la saturation à dose massive, mais judicieusement dosé, l’exercice est tout à fait supportable !