dimanche 31 décembre 2017
LA MILLE ET UNIEME NUIT
© Soleil Productions 2017- Le Roux & Froissard |
Telle Pénélope, Shéhérazade – de nuit en nuit - conte une
histoire sans fin afin de pouvoir survivre au jour naissant, car si les
mots venaient à lui manquer, le sultan Shahriar la ferait passer de vie à
trépas !
Remplies de phantasmes parfumés d’Orient, Les mille et une
Nuits constituent un recueil d’histoires dont peu embrassent la
totalité mais qu’aucun ne peut ignorer ! De l’Inde au Moyen Orient, au
fil des siècles, au gré des nuits, les contes se sont ajoutés les uns
aux autres et d’Aladin à Ali Baba, ils ont enchanté plus d’une veillée.
À
l’évidence Étienne Le Roux n’a pas résisté à l’envie d’apporter sa
pierre à ce grand édifice et à s’inscrire ainsi dans la tradition des
conteurs, de ceux qui font briller de plaisir et rougir de fatigue les
yeux des plus jeunes. Cet album est de ceux que l’on voudrait lire à
voix haute pour en partager la profondeur mais aussi montrer pour en
faire découvrir les planches aux couleurs de sable finement travaillées
ou bien encore le dessin tout en douceur et en simplicité. Le fond du
propos est une leçon de vie et la forme de savoir-faire.
La mille et
unième nuit se raconte autant qu’il peut être lu et sa magie
permettra aux petits d’entrer dans le monde des grands et à leurs ainés
de retomber, pour quelques instants, en enfance.
AMOROSTASIA
© Futuropolis 2017 - Bonin |
La pandémie d’amorostasie continue de s’étendre et ce malgré les mesures
prophylactiques mises en œuvre par les autorités. L’amour est un mal
contre lequel il faut désormais s’immuniser…
À l’évidence le dénouement
proposé par Cyril Bonin n’aurait pas pâti de plus de densité et de
complexité… plutôt que de sombrer dans les bons sentiments et le happy
end général aussi inexpliqué que soudain : le romantisme a ses canons
dont il est difficile de s’extraire. Alors soit, ceci permet de
stigmatiser les travers d'une époque et de dénoncer la bipolarité d’une
société capable d’aduler le soir ce qu’elle vouait aux gémonies le matin
même, mais l’ensemble manque singulièrement de passion. L’amour
n’est-il que retenue et bienséance à l’image d’un crayonné tout en
douceur et en élégance ?
Suite et fin d’Amorostasia dont l’évanescence
du trait ne peut faire oublier un final qui marque le pas sur le
crescendo initié par les deux albums précédents.
CORTO MALTESE
© Casterman 2017 - Díaz Canalès & Pellejero |
Les héros ne meurent jamais vraiment, car il en subsiste toujours
quelque chose en nous !
Nouvelle aventure du plus célèbre des marins du
9ème Art qui fidèle à lui-même - du moins à l’idée qu’il en reste -
promène son dilettantisme sur les traces de Livingstone. Alors que dire
de cette histoire qui a le goût d’un Corto Maltese sans toutefois en
avoir la saveur…. Juan Díaz Canalès respecte le cahier des charges et
s’évertue à faire croiser le chemin du Maltais à tout ce que l’Europe de
ce début de XXème siècle se connaissait de célébrités africaines sans
cependant donner une véritable consistance à son scénario. Aussi ne
reste-t-il de cet album qu’une succession de scènes qui s’accumulent
sans réellement constituer un récit au long cours : la lettre est là,
mais sans l’esprit. La remarque vaut pour le travail de Rubén Pellejero
auquel il ne peut rien être reproché si ce n’est l’absence de cette
étincelle qui fait la différence entre le maître et l’élève… quand ce
dernier est bridé par l’obligation de respecter les canons d’un genre.
Équatoria montre des limites, déjà entrevues avec Sous le soleil de
minuit. Ne serait-il donc pas plus sage de cesser de marcher sur les
traces d’Hugo Pratt et de laisser à Corto le soin de choisir une autre
voie plutôt que de s’évertuer à lui faire réemprunter des chemins que
nous connaissons tous par cœur.
mercredi 20 décembre 2017
SARA LONE
3. Snyper lady
© Sandawe 2017 - Arnoux & Morancho |
1962 ! La crise de Cuba est une immense partie de poker entre
l’Est et l’Ouest où nombre des cartes sont truquées…
Troisième opus des
aventures de l’ex-danseuse du Blue Parrot reconvertie dans la pêche à la
crevette et accessoirement petite main de la CIA. La jolie rousse a
terminé ses classes, soldé ses déboires avec la mafia locale et relancé
ses affaires. Le temps est donc venu pour elle de montrer l’étendue de
ses talents, mais la cause est-elle juste ?
Pour se convaincre de
l’évolution de Sara Lone, il suffit de comparer les couvertures de Pinky
princess et Sniper lady. La gamine en rupture de ban est devenue une
femme qui, à défaut de savoir où elle va, entend désormais le faire
selon ses règles. Jouant hier sur le registre du thriller, Erik Arnoux
développe aujourd’hui un récit d'espionnage qui s’inscrit dans
l’histoire contemporaine en laissant son égérie jouer une partition où
le M14 remplace les violons. Place donc à la realpolitik et à ses
coulisses où il devient difficile – pour le plus grand plaisir du
lecteur - de séparer la réalité de la fiction. Sur un format réduit à la
pagination dense et aux dialogues fournis, le dessin réaliste et précis
de David Morancho ancre le récit dans une Amérique des Sixties plus
vraie que nature.
Reste maintenant à dénouer le nœud d’une intrigue qui a
rendez-vous avec l’Histoire…. à Dallas !
mardi 19 décembre 2017
KATANGA
2. Diplomatie
© Dargaud 2017 - Nury & Vallée |
Le soleil se couche sur l’ex-Congo-belge qui, plus que
jamais, attise les convoitises, notamment lorsque qu’elles se pèsent en
carat !
Diplomatie est une jolie leçon de machiavélisme et de bande
dessinée où la fiction flirte avec une vision héritée de la
Françafrique…
Puisant sans retenue dans l’histoire mouvementée de la
décolonisation, les deux auteurs en livrent une version au réalisme
hallucinant. En dessinant des salauds plus vrais que nature aux
physionomies typées à la limite du caricatural, Sylvain Vallée est passé
maître dans l’art de stigmatiser les turpitudes des états d’âme de ses
personnages. Son travail sur ce deuxième volet de la trilogie est
simplement parfait d’équilibre et d’intensité à l’instar de ses décors
plombés par la moiteur ambiante, où le bruit des moustiques serait
presque perceptible. Pour sa part Fabien Nury fait la part belle à ce
que l’Humanité a de pire, un vrai panier où les crabes sont remplacés
par des alligators. Dès le prologue, il captive littéralement
l’attention de ses lecteurs pour ne les laisser que cinquante-deux
planches plus tard, en état de manque. Impossible de souffler, les
événements s’enchainent sans rien occulter de leur violence ou de leur
perversité. Du grand art sans aucune indulgence pour le genre humain.
Le
duo Nury-Vallée avait atteint des sommets avec Il était une fois en
France, il en conquiert de nouveaux avec Katanga.
samedi 16 décembre 2017
LADY MECHANIKA
4. La Dama de la muerte
© Glénat 2017 - Chen, & Benitez |
She’s back ! Celle qui devrait d’ici peu remplacer Super Jaimie dans le
cœur des amoureux de bio-mécanique est de retour !
Joe Benitez, bien
évidemment, mais également et encore Martin Montiel, M.M. Chen, Mike
Garcia ou Michael Heisler, sans oublier Peter Steigerwald et Beth Sotelo
: ils sont venus, ils sont tous là pour ces deux nouvelles graphiques
de la divine égérie du steampunk. En cette fin d’année, la Dama de la
muerte retiendra plus particulièrement l’attention. Parue judicieusement
à l'approche de Novembre, cet arc narratif fait écho à notre Toussaint
nationale, les mariachis en plus, et trouve une étrange résonance en
cette veille de Noël avec le Coco de Walt Disney. Quoiqu’il en soit, ce
dernier opus est du meilleur cru et justifie la tournée promotionnelle
et hexagonale de son créateur.
Sur le fond, les deux histoires
voient le petit univers de la belle lady prothésée s’enrichir d’un
nouveau coéquipier dans Les garçons perdus de West Abbey et, plus
généralement, d’une profondeur psychologique qui relève des Complexes
plutôt que de la logique binaire. Coloré, dense et luxuriant, foisonnant
de détails, le dessin de Benitez et Montiel devient plus expressif et
leur découpage donnera des migraines ophtalmiques aux plus fragiles
tandis que le lettrage de Michael Heisler fera la joie des opticiens.
Mélangeant légendes aztèques et tradition mexicaine tout en les
saupoudrant de fantastique et de hors-la-loi sanguinaires, ce volet ne
renie pas ses vieilles recettes, mais dégage un petit quelque chose qui
l’inscrit dans la réalité du moment et laisse à croire que Joe Benitez y
a mis du sien plus que de coutume.
Égale à elle-même Lady Mechanika
propose un quatrième opus de ses aventures qui ravira les converti(e)s à
sa cause et pourrait rallier quelques septiques qui découvriront dans La Dama de la muerte une expressivité des regards rare dans un Comic.
jeudi 14 décembre 2017
SOUTERRAINS
© Casterman 2017 - Baudy |
Le Nord, ses corons, ses mines, ses mineurs exploités, ses sociétés exploiteuses et au fond un monde que tous ignorent…
Ce qui aurait pu être un énième album sur la condition ouvrière, ses luttes et ses désillusions prend sous la plume et le trait de Romain Baudy une dimension singulière. Il est effectivement question de rapport des classes mais pas que et Souterrains sait subtilement basculer vers le fantastique et de la science-fiction, dans un monde de nains et de géants dont le royaume se trouve menacé. Alors, même si l’action tarde à vraiment s’installer, ce qui suit est pour le moins intéressant…
Sur une mise en couleurs qui privilégie les bleus-gris et
les teintes érugineuses, Romain Baudy signe un second album plein de
promesses.
lundi 11 décembre 2017
LES VIEUX FOURNEAUX
© Dargaud 2017- Lupano & Cauuet |
La parthénogenèse thélytoque en milieu zadiste, il faut s’appeler
Wilfrid Lupano pour en faire le pitch du quatrième volet des Vieux
fourneaux et non pas une thèse doctorale !
Attendu avec intérêt ou
impatience selon les cas, ce nouvel album cultive les raisons de son
succès. Des personnages à la limite de la caricature mais (terriblement)
attachants, des préoccupations d’actualité traitées avec légèreté mais
pas par-dessus la jambe, des bons mots et une peinture des petits
travers humains qui jardine avec révérence les plates-bandes d’un
illustre prédécesseur constituent les principaux ingrédients de ce
cocktail siroté avec plaisir tant qu’il ne file pas la gueule de bois.
Les vieux fourneaux cuisine une recette qui a fait ses preuves : celle
d’offrir plusieurs niveaux de lecture… multipliant ainsi les publics. De
fait, chacun a le choix de se marrer doucement sur le comique de
situation que Paul Cauuet travaille joliment… ou de s’interroger
gentiment sur les effets de l’agriculture bio sur la libido des jeunes
marionnettistes ou bien encore les motivations des médecins roumains à
venir repeupler les déserts médicaux ! L’art subtil du créateur du Loup
en slip est d’amener nombre de ses sujets avec une bonne dose de
dérision, mais les choses sont dites et à chacun d’en faire le meilleur
usage.
Surjouant parfois, la fine équipe de septuagénaires demeure égale à elle-même : facétieuse et cabotine à souhait.
samedi 2 décembre 2017
PETITES MORTS...
...et autres fragments de Chaos
© Glénat 2017 - Liberatore |
Tanino Liberatore cultive le goût de soufre ! En
six chapitres, Petites morts revient sur plus de quarante années de transgression : des
premiers travaux inachevés de 1974 à un inédit de 2013 scénarisé par
Jean David Morvan.
Au cours de cette promenade, le dessinateur transalpin
se confie progressivement, par bribes, sur ses diverses expériences
graphiques. De sa difficulté à faire de la « vraie » bande-dessinée, à
sa passion pour l’illustration en passant par son souci du « bon »
cadrage ou ses expérimentations pour renouveler le plaisir de dessiner,
il démontre qu’il existe une vie en dehors de Ranxerox. Au fil des
planches, il est aussi question de ses publications dans Il Male, l’Écho
des Savanes, ou Hustler, de ses rencontres avec Pratt ou de son
admiration pour Moebius, de l’importance du cinéma dans son travail ou
le la musique, qu’elle soit de Zappa ou de Miles Davis. Loin de la
biographie ou de l’intégrale, l’auteur a procédé à une sélection de
morceaux choisis pour illustrer ses collaborations au bonheur varié,
expliquer ses sources d’inspiration puisées dans l’air du temps. Il est
aussi question de de son rapport au sexe et à la violence, parfois
difficile à cerner, mais qui nourrit un dessin, dérangeant parfois, mais
d’un réalisme et d’une puissance rares.
Alors ces fragments de chaos ne
feront pas de tout à chacun un exégète de l’irrévérencieux maestro, mais
ils permettront de mieux le décrypter. Et, qui sait, d’apprécier un
artiste hors pair qui ne laisse pas indifférent.
Inscription à :
Articles (Atom)