lundi 23 février 2015

Dans l'ombre des mâles


© Dargaud 2015 - Zidrou & Oriol
L’histoire en soi est simple. Au soir de sa vie, un roi se voit proposer par un mage étrange de vaincre sa propre mort. Homme de bien, il n’hésite pourtant pas à céder aux pires compromissions pour accéder à un désir d’éternité devenue obsessionnel.

Le choix du conte offre l’avantage d’un récit aux règles élémentaires et linéaires pour les plus jeunes, comme la possibilité d’un second degré pour leurs aînés. Or, dans le cas présent, il apparaît rapidement que Les 3 fruits n’est en rien destiné à quelques bambins en mal de sensations fortes ! S’il est communément admis que ces allégories, en mettant en scène les méandres de l'inconscient, aident toute progéniture à grandir et comprendre le sens des choses, il faut reconnaître que le père de l’élève Ducobu jette la confusion à force de profusion. Avec une histoire aux nombreuses circonvolutions, il se perd dans une narration aux figures de style trop récurrentes. Seule la fin semble devoir sauver cette fable.

L’impression est totalement différente concernant le graphisme d’Oriol. Tout en ombres et avec une glaçante efficacité, il révèle la part sombre des hommes et l’horreur, comme l'absurdité, des situations où ils se fourvoient. Au-delà de la singularité d’un trait, sa mise en couleurs, d’un aspect très proche du rendu de la peinture, concoure à donner à son dessin toute sa puissance et une anachronique douceur aux quelques dames qui tentent d’exister dans cette parabole du mâle.

Valant surtout par son esthétisme, cette nouvelle coopération entre le scénariste belge et le dessinateur espagnol donne un album insolite et inclassable qui nécessite plus qu’une simple lecture pour en apprécier pleinement la beauté comme la teneur.

Echec et mat !

Jeu de Dames : Partie 1
 
© Bamboo édition 2015 - Toldac & Philan
"Un récit d’espionnage aux origines de l’aventure spatiale.". 

L’accroche est alléchante ! Cependant, une fois refermé, l’album laisse quelque peu le lecteur sur sa faim du fait d'un scénario qui manque de consistance comme de crédibilité. Comment imaginer un seul instant que les nazis aient pu laisser l’un de leurs meilleurs ingénieurs quitter Peenehünde par la grande porte, sa valise à la main, pour aller rejoindre… la résistance allemande. Le ton est donné, le reste est à l’allant. Un rien décalé par rapport à la realpolitik de l’époque, Jeu de dames s’attache plus aux tergiversations sentimentales d’un scientifique expatrié, un brin idéaliste, qu’aux coups bas de la conquête spatiale. Ceci dit, certains signes avant-coureurs et un cliffhanger explosif laissent supposer un emballement au cours du prochain volet. 

Autodidacte ayant fait ses premières armes sur Tupac, Philam livre ici son troisième album. Produisant un travail sans grand défaut, mais qui demande encore à s’affirmer, il pâtit d’une mise en couleurs trop uniforme qui n’arrive pas à rendre l’atmosphère des fifties.

100 maisons !

100 maisons : La cité des Abeilles
 
© Delcourt 2015 - Le Lay & Horellou
Alors que l’individualisme semble devenir l’une des valeurs refuge du XXIe siècle, quelques expériences sociales vieilles d’à peine 70 ans s’invitent dans la sphère BD. Après Plogoff et Lip des héros ordinaires, 100 Maisons : la cité des abeilles permet de s’interroger sur l’évolution et le contenu de mots comme « solidarité » ou « entraide ».

1950, la France sort de la guerre et reste à reconstruire. À Brest, Bordeaux ou Valence fleurissent des initiatives qui, localement, répondent à la demande de logements neufs et surtout salubres.

C’est à l’une de ces initiatives, celle de la cité « Les Abeilles » de Quimper, que Marion Boé et Delphine Le Lay s’intéressent. La première n’en est pas à son coup d’essai puisqu’elle est déjà à l’origine d’un documentaire sur le sujet. Quant à la seconde, elle semble faire de la contestation bretonne un sujet de prédilection puisqu’elle signait déjà le scénario de Plogoff. À travers le quotidien de Jeannette, Marie-Anne, André et Victor, les deux scénaristes évoquent les quatre années que nécessita l’édification du fameux lotissement et s’attachent à des moments clef leur permettant d’illustrer les valeurs que véhiculait une telle entreprise. Malheureusement, il manque à ce récit une réelle mise en perspective sociétale des motivations de ce mouvement qui connut jusqu’en 1965 un certain développement. Qu’est-ce qui favorisa son émergence ? Quelles furent les contraintes techniques, administratives, politiques à surmonter pour faire reconnaître l’Apport-Travail ? Si de nombreux albums s’adonnent à la mode du cahier graphique, un cahier historique aurait pu être bénéfique dans le cas présent ! Et puisqu’il est question de graphisme, il serait injuste de passer sous silence le dessin émouvant d’Alexis Horellou qui donne à ce reportage une dimension résolument humaine. À l’image des personnages, il s’avère juste dans sa sobriété et sensible dans le choix d’une mise en couleur sur un camaïeu de gris.

Comme le résumait Etienne Damoran, l’un des initiateurs historiques du concept : "Pour la première fois, l’État français a accepté qu’un emprunt soit garanti, non pas par des biens matériels, ou par des capitaux, mais par du travail !". Il serait dommage de laisser une telle idée tomber dans l’oubli !

dimanche 8 février 2015

De l'or et une Rose pour un fossoyeur...

Undertaker : 2. Le mangeur d'or

© Dargaud 2015 - Dorison & Meyer
Undertaker ! C’est sous ce nom que les gens me connaissent. Chez vous, ce serait Le fossoyeur ! En fait, je m’appelle Jonas Crow. Je sillonne le pays pour quelques mises en bière et, même si mes concitoyens ne m’apprécient guère, je leur suis nécessaire ; alors ils font avec. Ici, ma petite entreprise ne connait pas vraiment la crise et il m’arrive même parfois d’avoir des clients pour le moins singuliers, comme ce Joe Cusco. À bien y réfléchir, j’aurais dû laisser l’affaire à Flitburn ou Woodmack, ce qui m’aurait évité un tas d’emmerdes. 

J’ai cru comprendre que ce premier opus était pour le moins attendu. Comme le monde est étrange. Alors que j’essaye de me faire le plus discret possible depuis trois ans, me voilà propulsé sous les feux de la rampe et comparé à mon copain Myrtille. N’exagérons rien ! Cependant, un croque-mort comme héros, cela interpelle. Un lieutenant mal rasé, un videur manchot ou un tueur à gages gaucher auraient sûrement été plus opportuns, mais les rôles étaient déjà distribués. Ceci étant, la situation oblige Xavier Dorison à s’arracher et à sortir des sentiers battus et rebattus du western. Il faut reconnaître que l’homme a de l’imagination et le scénariste du talent, car en reprenant les codes du genre (peut-il en être autrement ?), il en propose une variation pleine de saveurs. Il y a du sang, de la sueur et des larmes, des salauds typés, quelques questions existentielles et une belle Rose anglaise, coincée et honnête, un comble dans ce coin paumé ; et puis j’oubliais Jed, drôle d’oiseau que celui-là ! Je n’en dirais pas plus sur cet album sinon que c’est du bel ouvrage et que le découpage est un petit bijou de précision et d’efficacité. Au passage, n’oublions pas Ralph Meyer, à croire que nous nous attendions ! Je me découvre dans son dessin et surtout, je redécouvre le Far-West avec mes congénères plus vrais que nature ! Il ne manque que l’odeur des chevaux et la poussière dans les yeux. 

Sans vouloir faire de prosélytisme et paraphraser l’épître VII de Jim Mac Clure aux habitants de Tombstone « Heureux ceux qui croiseront l’Undertaker, car ils connaîtront le bonheur ; quant aux autres, ils ne sauront jamais ce qu’ils ont perdu… ».

Terre ! Terre !

Terra prime : 1. La colonie

© Delcourt 2015 - Ogaki
Voilà plus de 250 ans que le Victoria III fonce à la vitesse de la lumière et parcourt l’espace à la recherche d’une planète qui pourrait abriter ses 1.053.258 habitants. Alors que l’Éden est en vue, des dissensions internes font voler le vaisseau en éclats, laissant une poignée de survivants livrés à eux-mêmes sur cette nouvelle "Terre"…


Terra prime est de ces albums qui développent une vision en même temps qu’une histoire. Car au-delà du récit de science-fiction pour adolescents, Philippe Ogaki semble vouloir imprimer aux aventures d’Élise une dimension plus… existentielle. Il est ainsi question de l’organisation d’une société vivant en vase clos, de la relativité, de l'évolution, du sectarisme, de la peur de l’autre… Si l’intention est louable, il s'avère difficile de donner à l’ensemble un contenu à la fois ludique, didactique et non réducteur. En cela, Meteors apparaissait beaucoup plus abouti ! Si certains raccourcis ne poseront vraisemblablement pas de souci métaphysique à un jeune lectorat, ceux qui voudront y regarder de plus près trouveront de nombreuses incohérences qui seraient moins importantes si le propos se voulait uniquement récréatif. Ceci étant, le travail produit par Philippe Ogaki mérite d’être salué pour son ambition et la maîtrise de son graphisme. Le dessinateur est en effet aussi à l'aise pour dépeindre une salle des machines qu'une forêt luxuriante.


Terra prime est une gentille allégorie sur les déviances d’une Humanité imbue d’elle-même. Reste à savoir si son auditoire saura en saisir toute la portée et en tirer les leçons qui s'imposent…

Le roi !

Le roy des Ribauds : Livre 1

© Akileos 2015 - Brugeas &Toulhoat
Tristan dit Triste Sire est l’âme damnée de son souverain. L’un comme l’autre sont craints. Tandis que Philippe Auguste manœuvre dans la lumière, son bras armé veille dans l’ombre des bouges d’une ville où il règne sans partage… Enfin, jusqu’à ce malencontreux faux pas !


Alors qu’ils n’arpentent plus de concert les chemins de l’univers de Block 109, Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat se retrouvent dans les ruelles mal famées d’un Paris moyenâgeux. Délaissant l’uchronie apocalyptique, ils investissent un territoire nouveau : le XIIIe siècle. Cependant, que leurs fans se rassurent, si les deux auteurs s’aventurent dans les culs-de-basse-fosse de la capitale capétienne, ce n’est pas pour faire du Maurice Druon ! Le lecteur se trouve ainsi entraîné aux basques d’un chef de bande sanguinaire et père aimant, maraud rêvant de s’émanciper de sa basse extraction, mais qui reste le serviteur zélé d’un roi fin stratège. Le personnage est ambigu et intéressant, à l’image d’un scénario complexe sans être alambiqué et d’intrigues nombreuses et savamment entrelacées qui se dénouent que partiellement à la faveur d’un cliffhanger prometteur. Parallèlement, tout est fait pour que la lecture de ces cent soixante planches se réalise d’une seule traite, sans temps mort. Sur ce terreau, le trait de Ronan Toulhoat s’exprime à merveille, nerveux mais parfaitement posé, il joue des ombres ou de la lumière, du noir et du rouge, des ouvertures sur la cité comme des huis clos en quelques venelles ou tavernes mal famées. Cherchant visiblement plus la crédibilité que la véracité historique, Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat prennent pied en une époque propice à bien des développements. 


Le roi réclame des têtes ? Certes ! Toutefois, qu'elles ne tombent point trop tôt, pour que chacun puisse se rassasier tout son soûl des errances et escarmouches du Triste Sire.