dimanche 15 décembre 2019

MARSHAL BASS

5. L'ange de Lombard street

© Delcourt 2019 - Macan & Kordey
Vivre dans l’Ouest n’a jamais été une sinécure pour un ancien esclave ; sur la coté Est non plus d’ailleurs… même lorsque l’on est devenu un Marshall des États-Unis. 

Mais qu’a fait River Bass au bon Dieu pour devoir frayer avec ce que l’Humanité produit de pire ? 

Darko Macan n’est jamais très tendre avec son héros et sa propension à le plonger dans les situations les plus dures, voire les plus sordides, flirte avec le sadisme… sauf à ne plus croire en son prochain. Si, pour le scénariste serbe, les vastes espaces du nouveau monde mettent à dure épreuve l’humanité de chacun, il semblerait que, derrière les façades respectables de Philadelphie, la situation ne soit guère plus reluisante, malgré leur apparente respectabilité. Quels que soient les circonstances ou le lieu, Darko Macan se délecte à montrer l’Amérique naissante sous son plus mauvais jour et L’ange de Lombard Street ne fait pas exception. Mythe ou fantasme, la situation décrite n’en demeure pas moins réaliste et derrière une apparente tendance à noircir le tableau, le lecteur devine une part de vérité. Bass n’est pas meilleur que ceux qu’il poursuit, il tente seulement de survivre en préservant un minimum de valeurs, et sans guère d’illusions. 

Pour servir ce récit dans sa part de démesure, le trait d’Igor Kordey fait merveille, notamment lors des séquences muettes où seul le dessin a charge de donner rythme et sens au fil du récit. Ainsi, l’osmose est parfaite entre ce que le scénario veut transmettre et ce que les planches laissent paraître, largement aidées en cela par les « éclairages » et la mise en couleurs crépusculaire de Nicola Vitković. 

Dans un final superbe, River Bass, ravalant aigreur et rancœur regagne l’Arizona, inconscient du danger qui désormais plane au-dessus de sa tête…

JUSQU'AU DERNIER

© Bamboo Édition 2019 - Félix & Gastine
Russel le sait, ceci est son dernier convoi de Longhorns. Désormais, son avenir va s'écrire sur quelques acres de terres à cultiver dans le Montana tout en veillant sur Bennett. Cependant, la route est encore longue et passe par Sundance… 

Le western est de nouveau à la mode. Toutefois, comment se démarquer de la (sur)production ambiante ? Dans ce qui est probablement l’un des albums de l’année, Jérôme Félix et Paul Gastine retournent aux origines et délaissent le mythe hollywoodien. 

Là où d’aucuns auraient opté pour la série, voire le diptyque, Jérôme Félix préfère le one-shot ! Dès lors, les difficultés s’accumulent. D'une part, il lui faut condenser l’essence même du western sur une pagination, certes en grand format, mais forcément réduite. D'autre part, il doit convoyer le lecteur dans les grands espaces de l’Ouest américain en alternant judicieusement les temporalités comme les lieux, mais aussi éviter les ellipses réductrices afin de prendre le temps de poser ses personnages sans rompre le fil de l’intrigue… À l’évidence, le scénariste de l’Héritage du Diable a maîtrisé la quadrature du cercle et livre là un récit abouti qui sort des classiques sentiers du genre, sans s’en affranchir totalement. Toutefois, un bon scénario n’est rien faute d’un excellent dessin et, pour l’heure, Jérôme Félix continue sa coopération avec Paul Gastine, jeune homme talentueux, mais à l’exigence chronophage… à une époque où l’urgence est devenue un art de vie ! Quoi qu’il en soit le résultat est là car le jeune Normand a encore repoussé ses limites graphiques. Que dire devant le réalisme poignant des protagonistes, la beauté des décors ou une direction photographique quasi cinématographique ? 

In fine, cette histoire ne se lit pas tel un album de bande dessinée, mais se regarde comme un film. Ce qui est suffisamment rare pour être mentionné. Jusqu’au dernier laisse les héros du Far-West aux salles obscures et dépeint superbement la face cachée d’une Amérique en pleine construction.

 

DANS LES FORETS DE SIBERIE

© Casterman 2019 - Dureuil
Est-ce l’approche de l’hiver qui fait que les grandes étendues froides et blanches ont le vent en poupe ? Après La marche de Régis Penet en août, voici que Casterman s’enfonce à son tour dans la froidure de la Sainte Russie avec La fin du monde en trinquant et Dans les forêts de Sibérie

Inspiré de la retraite de Sylvain Tesson sur les berges du lac Baïkal en 2010, ce roman graphique décline, après un reportage et un film, l’échappée sibérienne de l’écrivain voyageur. 

Pour qui ne goûte pas au plaisir des voyages immobiles ou qui est réfractaire aux crises érémitiques, cet album n’est pas forcément un ouvrage des plus conseillés. D’aucuns voudront considérer la démarche de l'aventurier comme une volonté de revenir à l’essentiel, d’introspecter sa force intérieure, de redécouvrir la maîtrise du temps et de l’espace… au fil des secondes qui s’écoulent, seul, ou des pas qu’il faut faire, par -30°C, pour ne plus l’être. En cela, ils seront probablement en phase avec la finalité première de cette retraite sciemment préparée. Quoiqu’il en soit, la dimension humaine comme la grandeur des paysages peinent à transparaître à travers un récit qui égrène six mois d’isolement réglés avec la régularité d’un métronome. Les planches de Virgile Dureuil défilent comme les jours, mais si la neige, les promenades, les corvées de bois ou d’eau, la vodka ou quelques rares visites suffisent peut-être à remplir l’espace vacant de la page blanche, ils n’arrivent cependant pas à lui conférer une véritable dimension existentielle. 

Une fois lu, Dans les forêts de Sibérie tient plus du carnet de voyage que du périple initiatique, effleurant seulement l’essentiel… mais après tout l’essentiel n’est-il pas de ne penser à rien si ce n’est de s’abriter de la morsure du froid et de profiter de la chaleur de la vodka ?

VERTIGES

© Daniel Maghen 2019 - Rochette
D’aucuns la trouvent belle et la chantent, d’autres préfèrent la descendre sur un chariot de foin. Il y a ceux qui les gravissent parce qu’elles sont là et parmi la multitude des amoureux de montagne, il y a Jean-Marc Rochette et ses Vertiges

Au fil des pages, au gré des planches, cet artbook édité par Daniel Maghen invite, par l’intermédiaire de Rebecca Manzoni, à la découverte d’un auteur qui, depuis Edmond le cochon ou ses publications dans (À Suivre), n’en finit pas de marquer le paysage de la BD française. Au cours d’un interview, le dessinateur isérois se livre sur son enfance, sa carrière, ses doutes quant à la maîtrise de son trait, le sens de sa peinture ou son plaisir d’écrire, et parle (avant tout) de son amour pour cette montagne qui a failli le tuer, mais qui demeure sa raison de vivre. 

Des recherches de Terminus aux planches du Loup en passant par ces peintures où l’abstraction des formes libère la puissance des émotions que suscitent les sommets, Vertiges constitue un cadeau idéal à glisser sous le sapin. 

 

LA MYSTERIEUSE AFFAIRE AGATHA CHRISTIE

© Vents d'Ouest 2019 - Van den Heuvel & Jacqmin
Le 3 décembre 1926, Agatha Christie disparaissait mystérieusement ! Durant douze jours, personne ne sut ce qu’elle ne fit ni où elle était… même pas elle ? C’est cette énigme, jamais élucidée, qui sert d’alibi à Chantal van den Heuvel et Nina Jacqmin pour écrire La mystérieuse affaire Agatha Christie. 

Ni véritable biographie et encore moins fiction, cet album s’attache plutôt à la personnalité, à travers ses blessures et doutes, d’une auteure sur laquelle tout a été dit et écrit. Le parti pris est celui de l’imagination qui, de l’enfance à l’âge adulte, confère à celle ou celui qui en est dotée la capacité d’aller là où personne ne va ! Le rêve peut être une forme de fuite, mais pour la scénariste belge, il n’est question que d’évasion.

Rigoureux dans la structuration de ses planches, mais doux par ses couleurs et le trait, ce récit permet d’appréhender la célèbre écrivaine en dehors de son art et constitue une occasion de renouer avec celle dont l’œuvre a marqué son temps et peut-être ceux qui suivront ! 

LE SCORPION

12. Le mauvais augure
 
© Dargaud 2019 - Desberg & Marini
Le secret des Trebaldi n’est plus et avec lui le Scorpion !

Ce douzième opus met fin à la coopération du duo Desberg & Marini qui, depuis près de vingt ans, veille sur la destinée du faiseur de reliques, pilleur des cœurs et, à ses heures perdues, redresseur de torts. 

Les vieux couples ont leur histoire sur lesquelles eux seuls peuvent revenir. Quoi qu’il en soit, ce dernier album scelle la fin de leur héros et si celui poursuivra certainement ses pérégrinations, il ne saurait en être qu’autrement.

Avec le temps, Enrico Marini a acquis une maîtrise telle qu’il aborde désormais son dessin non pas avec un souci de précision mais d’expression et même si, pour certains, le trait perd en minutie, il faut convenir qu’il conserve une dynamique et une expressivité jusque dans sa mise en couleur qui est la marque de la maturité. Quant à Stephen Desberg, en scénariste avisé, il prend soin de refermer consciencieusement toutes les portes, tout en veillant à laisser une fenêtre ouverte ! 

Ainsi, s'achève dans le sang et la traîtrise une aventure longue de douze albums qui a su fortement contribuer à la renommée de son dessinateur.