lundi 26 février 2018

QUELQUES PINCEES DE DESIR

© Tapages Nocturnes 2018 & Avril....
Album choral à cinq voix, la dernière production des éditions Tapages nocturnes offre une variation féminisée du désir.

Délaissant résolument le registre du hard pour une approche plus onirique du corps à corps amoureux, Marie Avril, Megan Rose Gedris, Niki Smith, Marine Tumelaire et Ariel Vittori associent leur trait au fil de sept nouvelles dessinées à l’érotisme varié. Du pinceau du maître au fruit défendu, du parfum de l’interdit au regret de ne pas avoir osé, chacune d’entre elles livre un fantasme dans des registres graphiques contrastés qui font écho au caractère protéiforme de la fantasmagorie érotique. Loin de toute considération analytique, les auteures puisent leur inspiration plutôt dans le répertoire de l’attirance intellectualisée que dans celui la concupiscence sans retenue. Dès lors leur travail relève de l'exercice de style où la diversité des genres donne à la performance une légère dimension artistique. 

Si Quelques pincées de désir est à réserver, selon la formule consacrée, à un public « averti », il n’empêchera cependant nullement de dormir, mais sera peut-être l’occasion de doux rêves…

THE DREAM

1. JUDE
  
© Dupuis 2018 - Dufaux & March
Megan travaille pour le compte de l’I.A.P., une mystérieuse société de production hollywoodienne. Elle recherche des talents à qui elle promet l’avenir auquel ils croient avoir droit. Mais avant, il leur faut passer un casting des plus particuliers et Broadway s’apparente alors à quelques antichambres de l’Enfer.

Impression contrastée à la lecture du premier volet de The Dream. Il a d’abord cette voix off qui joue de la première personne avec plusieurs personnages sans vraiment indiquer si le récit est pluriel ou si un seul individu se cache derrière différentes physionomies. Et puis, comme à son habitude, Jean Dufaux a tendance à pécher par excès. Au lieu de rendre les choses simples, il les agrémente d’artifices et rend sa narration précieuse, voire surjouée. À l’évidence, le scénariste belge a du mal à faire dans l’épure et la compilation de phrases chocs, d’allusions cinématographiques ou littéraires apparaît superfétatoire en surnombre, comme si toutes ces références servaient à établir la légitimité de son récit ! De légitimité, il n’est cependant nul besoin puisque sur le fond, Jude revisite sans concession le mythe de Faust d’une manière peu commune, même si parfois Rapaces ne semble pas très loin ! Tout comme Enrico Marini, il y a quelques années, Guillem March propose un graphisme où priment un esthétisme des formes (et des couleurs) ainsi qu’un encrage des plus subtils qui donne à chaque planche une finesse, voire une légèreté, qui tranche singulièrement avec les forces qui ourdissent dans l’ombre ! 

Alliant un certain classicisme du trait et des cadrages fortement influencés par les productions Comics, The Dream explore - sur fond de décadence et de rêve américain - le spleen de la jeunesse éternelle et entraîne le lecteur dans un road-movie satanique… où le Diable devrait reconnaître les siens !

CARTHAGO

© Les Humanoïdes Associés 2018 - Bec & Bufi
Les mégalodons poursuivent leur sanglante migration tandis que Lou recherche London pour savoir ce qu’il s’est réellement passé dans la grande pyramide de la cité de Platon. Même si les pièces du puzzle sont encore éparses, toutes convergent vers un seul et même endroit : la fosse de Kamtchatka. 

Dernier volet du troisième cycle, ce nouvel album met en place les derniers éléments d’un dénouement qui ne devrait tarder trop longtemps ; seul inconnu, le lien entre les requins géants et cette mystérieuse civilisation aquatique. Conservant les recettes qui font son succès, Christophe Bec revisite à l’envie les mythes anciens et la technologie la plus moderne dans une histoire qui parcourt le monde dans tous les sens sur la trace de grands prédateurs marins surgis de la nuit des temps. Baignant dans les nuances froides dès qu’il est question de profondeurs sous-marines, Ennio Bufi cultive pour sa part un découpage toujours au service de l’action et un graphisme réaliste dont la texture lisse et clinique fait écho à la tonalité générale du récit. 

Un scénario parfaitement ficelé, géré comme une course de fond, un graphiste impeccable… il ne manque presque rien à Carthago … si ce n’est cette once de chaleur humaine qui ferait toute la différence !

samedi 24 février 2018

AZIMUT


© Vents d'Ouest 2018 : Lupano & Andréae
Manie Ganza est à nouveau promise et cette fois-ci à un grand mamamouchi insomniaque. Mais l’Arracheur de temps, tout comme la haine maternelle, entraîne la belle intemporelle dans une fuite sans fin où elle et les siens devront traverser les sables d’un désert en guerre puis braver les morsures glacées d’un pôle Nord aux amours de verre… 

Jean-Baptiste Andréae et Wilfrid Lupano savent prendre leur temps et le soin apporté à leur récit vaut bien quelques « crones » ! Toutefois, au-delà d’un graphisme qui concourt à asseoir définitivement la renommée de la série, ce nouvel opus laisse un petit goût d’inachevé. Ne possédant pas la densité, ni la créativité débridée des Anthropotames du Nihil, ce quatrième volet apparaît en léger retrait par rapport à ses prédécesseurs… mais pouvait-il en être autrement ? Cependant, l’appréciation est toute relative car le travail de Jean-Baptiste Andréae est toujours parfait de poésie, de couleurs et de composition : un véritable enchantement. La remarque serait plus à mettre au débit du scénario. Jusqu’à présent, Wilfrid Lupano avait réussi le tour de force d’aller crescendo, chaque album surpassant le précédant en inventivité, en rêverie, mais les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel et il arrive immanquablement un moment où, malgré les efforts, l’excellence ne peut devenir la règle. Quoi qu’il en soit, le plaisir demeure puisque Nuées noires, voile blanc s’inscrit dans la continuité et sait être cocasse autant que touchant, sans s’épargner quelques considérations en filigrane qu’il serait loisible de caractériser de sérieuses si cela avait un sens dans un univers qui ne semble en avoir aucun ! 

Les secondes s’écoulent inexorablement et la fin est proche désormais, mais elle reste encore lovée dans les boucles d’une temporalité des plus singulières…

jeudi 15 février 2018

BLACK MAGICK

 
© Glénat 2018 - Rucka & Scott
Femme et flic ! Jusqu’ici, rien de bien extraordinaire. Mais femme, flic et sorcière ; là, cela devient plus rare et il n’y a guère que dans un Comic que cela est possible. La preuve en est avec Rowan Black dans Black Magick ! 

La légende veut que les bonnes fées se penchent parfois sur un berceau pour que son occupant se voit attribuer quelques dons ou grâces. À l’évidence, plusieurs de ces charmantes personnes ont fait de même pour ce premier volume compilant les cinq premiers épisodes de la nouvelle égérie de la police de Portsmouth. En premier lieu, citons le mage Greg Rucka dont le goût pour l’occulte trouve ici - après Veil - un nouveau terrain de jeu. Son récit oscille judicieusement entre réalité et monde parallèle et sait se diversifier en deux fils narratifs dont le lecteur sens confusément qu’ils sont indiciblement liés sans savoir encore vraiment pourquoi ni comment. Mais là où les charmes opèrent c’est lorsque la magicienne australienne Nicola Scott et son assistante transalpine Chiarra Arena, délivrent – en noir et blanc - des planches au réalisme parfaitement découpé et à la sensualité et l’esthétisme un peu surfait. Cependant, cet opus introductif œuvre dans un registre où graphisme et dessin concourent de manière similaire à l’intérêt d’une histoire où les circonvolutions ésotériques et le pragmatisme policier jouent de concert. 

ll semblerait que de la sorcellerie et de ses sortilèges, il en soit comme du bon grain et de l’ivraie Quoi qu’il en soit le prochain volet dira qui de la blanche ou la noire, il faudra choisir !

vendredi 9 février 2018

BOUNCER

10. L'or maudit

© Glénat 2018 - Boucq
Petite révolution au pays du Bouncer, François Boucq est désormais seul aux commandes et œuvre au scénario comme à la planche à dessins. Cependant, si les excès d’Alexandro Jodorowsky ne sont plus de mise, l’esprit demeure. 
À Barro city, le Far-West reste une terre de douleurs où la folie du plus fort fait office de loi. Tout est possible donc permis dans ces terres où il suffit de prendre… ou de voler. 

Sur ce registre, François Boucq imagine une histoire où il est question de carte et donc d’un trésor qui attise la convoitise d’une kyrielle de protagonistes improbables, mais qui ici sont à leur place. Le tout est baigné dans des paysages tels qu’il est impossible d’en imaginer d’autres pour de telles circonstances. 

L'or maudit offre une nouvelle plongée dans un univers de violences ou les brebis ne seraient là que pour servir de repas aux coyotes. Pas très moral comme constant… mais terriblement prenant !

mercredi 7 février 2018

IRA DEI

© Dargaud 2018 - Brugeas & Toulhoat
S’il est toujours question de conquêtes, de conspirations voire de trahisons celles-ci se déroulent désormais sur le sol de Sicile et non plus dans les venelles parisiennes et ce n’est pas là le moindre des changements.

Nouvelle époque, autre latitude sans parler de leur éditeur, Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas font le grand saut avec Ira Dei

Prenant un personnage historique mystérieusement disparu, le scénariste du Roy des Ribauds lui invente une nouvelle existence et lui donne l’occasion de réaliser ce que certains ont tenté d’empêcher. Rien ne semble arrêter ce seigneur de guerre qui n’œuvre que pour lui-même, abusant et trompant que pour assouvir une vengeance qui lui tient d’âme. Une période équivoque, une terre singulière et un inconnu haut en couleur, il y a là une matière qui ne demande qu’à être façonnée à l’envie.

Même avec l’avènement d’une série, il est difficile pour un dessinateur de s’affranchir d’un style qui est la marque de son expression. Plutôt que d’opter pour la rupture, Ronan Toulhoat choisit la variation. Retour donc à un encrage à la main et exit le numérique et sa course au trait parfait et millimétré. Ensuite l’utilisation du noir est plus discrète, soleil oblige et les couleurs ocres et chaudes explosent ; les contrastes sont donc moins saisissants et le coup de crayon évolue vers des arrière-plans à la précision moindre ! Quoiqu’il en soit, ces ajustements permettent, tout en assurant une filiation qu’il serait inutile de renier, d’éviter des redites graphiques… 

L’or des Caïds est le premier volet de cycles prévus sous forme de diptyques… l’attente ne devrait être que de courte durée pour connaître la destinée de ce nouveau héros du panthéon toulhoato- brugeasien.