dimanche 18 décembre 2016

BLANCHE NEIGE

© Delcourt 2016 - Lylian & Vessillier
Les fêtes de Noël constituent une période propice pour lire quelques contes et ainsi transmettre aux générations futures nombre de ces préceptes insidieusement dissimulés au sein de ces historiettes pas toujours aussi innocentes qu’elles le paraissent. 

Depuis 1812, la Blanche-Neige de Jacob et Wilhelm Grimm a connu bien des reprises, notamment en 1937 par le célébrissime dessin animé de Walt Disney qui - au passage - l’expurgea de ses plus horribles sous-entendus. Dès lors, le destin de la pauvre enfant est devenu un sujet dont le cinéma (Blanche Neige et le Chasseur de Rupert Sanders, Blancanieves de Pablo Berger…), le théâtre (Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin…), la bande dessinée (Trif, Looky, Thomen… ) et bien d’autres médias se sont emparés pour le mythifier. À croire que la petite dramaturgie des frères Grimm porte en elle une universalité qui doit certainement beaucoup à l’intemporalité des thématiques (la beauté, la rivalité, l’abandon, la normalité sociale...) qui structurent cette fiction aussi ludique qu’éducative. 

À leur tour, Nathalie Vessillier (au crayon), Lylian (au stylo) et Rozenn Grosjean (aux pinceaux) s’essayent à une énième version. Classique dans sa narration, les auteurs n’hésitent cependant pas à innover et enrichir la trame originelle, donnant ainsi toute sa personnalité à cette adaptation. 

Surprenant par son format, riche des incrustations dorées de sa couverture et de la douceur de son illustration, l’album suscite la curiosité. Une fois en main, le dessin tout en fraîcheur de Nathalie Vessilier et la jolie naïveté de ses planches font leur œuvre, tout comme la mise en couleurs de Rozenn Grosjean. 

D’une modernité qui ne le réserve pas seulement aux plus jeunes, cette Blanche-Neige peut être glissée sous le sapin… pour le bonheur des petits et des grands.

TONY CHU

11.  La grande bouffe

© Delcourt 2016 - Layman & Guillory
Onzième et avant dernier album des aventures Tony Chu, celui-là même qui se doit de boire du jus de betterave rouge pour éviter les délires cibopathiques… 

En ces périodes de grippe aviaire, les péripéties de l’agent du RAS prennent une résonance particulière et les élucubrations de John Layman et Rob Guillory en viendraient presque à perturber nos envies de Noël en dindes, chapons et gallinacées de toutes plumes. 

Si l’euphorie des débuts n’est plus la même, il subsiste toujours cet humour déjanté, ce délire dans l’absurde et cette inventivité qui avec des hauts et des bas maintiennent la série à flot. Tony n’est plus le tendre perdreau de l’année qu’il fut sur Goût décès. Les évènements l’ont durci et notre héros ferait presque preuve d’une certaine gravité, pour ne pas dire maturité. Il suffit pour s’en convaincre de comparer la couverture de ce nouvel opus avec la première. Le parallèle est saisissant et peut-être annonciateur d’un final pour le moins… surprenant ! 

Malgré un essoufflement normal, en témoignent le cross-over et les covers de fin, le dénouement est attendu avec impatience. Cela tombe bien puisqu’il est annoncé pour janvier 2017, le 25 plus précisément …. Donc pas besoin d’attendre que les poules re-aient des dents pour savoir !

LES VOYAGES D'ANNA

© Daniel Maghen 2016 - Michel & Lepage
Sous le feu d’une actualité des plus chargées avec le Grand Prix ACBD 2017, les éditions Daniel Maghen rééditent Les Voyages d’Anna d’Emmanuel Lepage. 

Paru en 2005 et largement épuisé depuis, ce qu’il serait convenu de prendre pour un carnet de voyage, met en perspective l’odyssée de Jules dans Les Voyages d’Ulysse

À la lecture, cet album se révèle être un chassé-croisé, une suite de billets autant amoureux que de voyages où la soif de découverte et de liberté d’Anna étouffe l’amour de Jules pour la belle vénitienne. Chaque escale est alors l’occasion de se rappeler pour l'un pour l’autre ; chaque étape est un caillou de posé sur le chemin des souvenirs. Des terres d’Afrique explorées en commun au reste du monde découvert en solitaire, elle et lui se cherchent à travers le monde ; l’une se fuyant, l’autre la recherchant. Ces existences d’escapades permettent au dessinateur breton de faire étalage, en toute modestie, de l’étendue de son art. D’esquisses préparatoires en doubles planches vertigineuses, le lecteur est entrainé en des contrées oubliées et se perd au sein de civilisations qui, au basculement du dix-neuvième siècle dans le vingtième, vivaient - sans vraiment le savoir - leurs dernières années. 

De Venise à Venise, Anna a navigué sur toutes les mers du monde, libre et indépendante, quitte à passer à côté de certaines choses…

samedi 10 décembre 2016

EVE SUR UNE BALANCOIRE

© Casterman 2013 - Ferlut
Ève est une adorable jeune fille et… une proie facile.

Avec cette histoire, Nathalie Ferlut s’attache au destin d’une adolescente de Pittsburgh qui, au tout début du vingtième siècle, devint la première pin-up de l’Histoire. Comète dans le ciel new-yorkais, sous la coupe d’une mère qui la prostitua, l’Ève Nesbit sera pour l’Amérique des années 1900, l’icône de l’éternelle beauté. 

Avec ses aquarelles colorées, tantôt très travaillées, parfois plus relâchées, cet album dépeint une bourgeoisie qui ne pensait qu’à son plaisir dans une mégalopole en devenir. Au milieu de tant de lumière, cette fausse ingénue éblouie par l’existence opulente de ses mentors devenait l’objet consentant du désir de ses protecteurs ainsi que le jouet dépassé de la perversité de ses semblables.

Sans être une véritable biographie, puisqu’il ne s’attache qu’aux courtes années qui la virent briller au firmament puis sombrer, Ève sur une balançoire propose un joli récit, simple dépourvu de parti pris et de fausse pudeur sur une époque aux mœurs pas forcément si différentes des nôtres…

dimanche 4 décembre 2016

LES VOYAGES D'ULYSSE

© Daniel Maghen 2016 - Lepage
Au départ, il y eu une intention, suivie de discussions sans lendemain. Dix ans après émerge le début de quelque chose. Ensuite au fil de l’eau, l’histoire se nourrit d’elle-même, planche après planche, au grès des incrustations de René Follet et des citations d’Homère. 

Il est des albums qui marquent par la beauté de leur graphisme, la complexité de leur scénario, la profondeur de leur mise en couleur ou la subtile alchimie avec des arts de rang inférieur. plus rares sont les albums qui associent deux de ces qualités. Quant à les réunir toutes, seule une poignée d’auteurs peuvent se permettre une telle performance. Les voyages d’Ulysse en sont un superbe exemple. 

Plutôt que de tenter maladroitement une analyse de cette œuvre, laissons à chacun le soin de se perdre dans ces pages et les faire siennes. Il sera alors question de voyages, de peintures, de femmes, de ports, de guerriers, de légendes, d’île, de bateaux, d’amour, de haine, de passion, d’obsession, de tragédie et d’espoir… tout ce qui fait la noblesse des grandes œuvres. 

Emmanuel Lepage, Sophie Michel et René Follet revisitent Homère dans une adaptation libre, mais qui tout en respectant l’esprit, en renouvelle la lettre. Superbe et envoutant.

dimanche 27 novembre 2016

CARMEN Mc CALLUM


© Delcourt 2016 - Duval & Emem
Londres est partiellement détruit, un second attentat nucléaire a été évité à Sidney, et le duo Carmen/Pacman tente de retrouver la dernière bombe à Moscou. Toutefois, les choses ne sont pas si simples et cette fin de cycle apporte son lot de mauvaises surprises. Un monde s’écroule sans aucune certitude d’en voir renaître un meilleur…

Carmen mc Callum officie dans un XXIe d’anticipation où le business domine une Humanité qui manipule son patrimoine génétique, s’hybride avec des machines et joue à la roulette russe avec des ogives atomiques. Mélange androgyne de Mad Max et de Terminator, la mercenaire serait presque anachronique dans un univers où la virtualité comme l’intelligence robotiques dominent tout. Mais en bon prédateur, l’égérie ibéro-irlandaise sait s’adapter à toutes les situations et ses aventures font, avec une belle constance, le bonheur de ses fans depuis près d’une vingtaine d’années.

Dessinateur de la série depuis Vendetta, Emen, en se concentrant graphiquement sur l’essentiel, atteint un niveau de simplification de son trait qui laisserait à penser qu’il arrive à la fin de l’évolution graphique de Carmen. Ce seizième album prend dès lors une autre dimension lorsque l’on sait qu’une pose sera observée par ses auteurs pour explorer d’autres voies quitte à revenir, dans quelques temps, sur la saga pour un nouveau cycle.

HISTOIRE SECRETE (L')

33. Le Messie blanc

© Delcourt 2016 - Pécau & Kordey
Et si les 3 rois mages avaient été des Archontes, et si ce n’était pas la volonté divine qui avait sauvé le jeune Iesoùs oint de myrrhe, d’or et d’encens du massacre fomenté par Hérode, et si… 

Roboot à la limite du reset, ce trente-troisième opus d’une Histoire secrète dont tous croyaient connaître la fin, s’avère être plutôt une bonne surprise, du moins pour les afficionados de la série.

Il est vrai que ce nouvel album sent l’opportunisme éditorial, mais pourquoi faire la fine bouche alors que le dessin d’Igor Kordey est parfaitement en place et que Jean-Pierre Pécau reprend intelligemment un pan de notre Histoire qu’il avait évité pour on ne sait quelle obscure raison. 

Au final Le Messie blanc se lit sans retenue et ne démérite en rien parmi les sorties de fin d’année. Reste à savoir ce que sera Le Messie noir et comment Delcourt fera pour faire tenir la vignette du 36ème album sur la quatrième de couverture ?

UNIVERSAL WAR TWO

L'exode
 
© Casterman 2016 - Bajram
Relégués aux confins d’un univers d’où il serait impossible de s’échapper, Kalish et Théa se retrouvent prisonniers des mystérieux triangles. 

Selon un rituel désormais bien établi, Denis Bajram ouvre ses albums par un prologue mettant en scène d’énigmatiques extraterrestres s’affairant autour de non moins étranges triangles… À l’instar des monolithes chers à Stanley Kubrick, ces trièdres aux propriétés extraordinaires semblent être la clef d’un mystère dont les contours commencent à se dessiner. Après la fièvre d’une nouvelle attaque, Denis Bajram s’accorde une pause, juste histoire de donner plus d’épaisseur à ce space dramatic où le genre humain se voit mis en quarantaine. En retiendra-t-il la leçon ? Pas évident ! Là est toutefois l’intérêt d’un récit qui, au-delà du grand spectacle intergalactique, sait se poser quelques questions métaphysique « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme» aurait professé l’ami Rabelais, voilà qui pourrait s’appliquer à la civilisation de Canaan. La première Universal War avait été fratricide, la seconde semble devoir prendre une autre dimension qui dépasse les limites de l’espace-temps dans lequel l’humanité s’ébroue. 

Écrit il y a près de 20 ans, le pitch d’origine n’a pris une ride ! Faut-il y voir le pouvoir visionnaire d’un auteur talentueux ou, plus communément, une synopsis capable de résister à toutes les adaptations. Quoi qu’il en soit Exode absorbe le lecteur et le fait voyager en des contrées où l’inconcevable deviendrait la norme.

jeudi 24 novembre 2016

DJINN


© Dargaud 2016 - Dufaux & Mirallès
Des rives du Bosphore, aux frondaisons africaines pour finir dans les ruines du palais d’Eschnapur, Jean Dufaux se résigne avec Kim Nelson à écrire l’ultime volet de l’histoire de Djinn.

Avec ce treizième titre, l’heure du bilan est arrivée ! Mais comment - en quelques lignes - résumer plus de quinze ans d’une saga qui se perd dans les lacets du temps à la quête d’un trésor, à la poursuite d’un mythe. 

Passé l’engouement du premier cycle et une aventure africaine tragique autant que déroutante, cette épopée indienne est marquée par la maturité graphique d’Ana Mirallès. Cette dernière livre dans Le pavillon des plaisirs, Une jeunesse éternelle ou Un honneur retrouvé des planches d’une lumineuse sensualité et d’une grande finesse qui viennent tempérer les bouffées érotiques du conteur belge. Reléguant au second plan un scénario qui ne démérite pas malgré une fantasmagorie toute masculine, la dessinatrice espagnole enchante ses lecteurs par la volupté et la délicate élégance de son trait. 

Alors cet album est-il de trop ? Peut-être ! Nullement indispensable à la compréhension générale du récit, cet épilogue permet toutefois à Jean Dufaux de mettre en parallèle nombre de situations et de clore ainsi des portes qu’il estimait certainement mal fermées. Reste dès lors le souvenir d’une belle histoire plaisamment racontée et superbement dessinée.

LES AIGLES DE ROME


© Dargaud 2016 - Marini
Les légions de Varius s’enfoncent en Germanie et s’étirent sous les frondaisons vers leur perte, vers ce que l’Histoire retiendra sous le nom de bataille de Teutobourg. 

Amours déçus et amitié trahie, honneur bafoué et traîtrise assumée sont des moteurs efficaces en matière de dramaturgie ou plus prosaïquement de scénarios BD. Enrico Marini en fait brillamment la démonstration avec cette série, où sur un fond historique, il déroule une fiction péplum habilement ficelée. Loin de la ligne claire d’Alix ou du réalisme de Murena, Les Aigles de Rome dessinent leur propre voie, celle du beau et grand spectacle où le guerrier goûte au plaisir du repos avant que de partir au combat. 

Ce cinquième opus est l’occasion pour le dessinateur helvète de montrer, à ceux qui en doutaient encore, sa maîtrise graphique et ses qualités de mise en scène. Prenant, efficacement découpé, n’épargnant aucun détail des horreurs des guerres barbares, le récit d’Enrico Marini fait dans l’efficace et le dynamique sans oublier la touche de romantisme et de sexualité qui sont la marque des blockbusters savamment dosés… pour plaire au plus grand nombre. 

L’histoire pourrait s’arrêter là, mais il reste un différend à régler définitivement entre les « frères » de lait d’hier devenus les ennemis d’aujourd’hui. Vulnerant omnes, ultima necat, il n’est pas ici question d’heures, mais de coups ! Qui portera le dernier et criera le traditionnel Væ victis ?

LES ENTREPRISES LIBEREES

© Les Arènes 2016 - Simmat & Bercovici
Qu’on se le dise, les entreprises se libèrent ! Nouveau paradigme ou effet de mode, Benoist Simmat et Philippe Bercovici se penchent sur la question.

Présenté par Les Arènes BD comme « la première BD-Reportage sur l’entreprise du futur », Les entreprises libérées retrace, à grand renfort d’exemples, l’historique du phénomène sans vraiment aller jusqu’au bout de l’analyse. Bref, le discours est plus illustratif qu’explicatif. 

Aussi intéressant et vertueux que soit ce concept, cette bande dessinée tourne à l’allégorie. Comme dit le proverbe : « qui n’entend qu’une cloche, n’entend qu’un son » et le développement des deux auteurs fait preuve d’un sens critique et d’une mise en perspective limités. À les lire, la libération de l’entreprise passerait presque pour LA solution ! Pourquoi pas… ? Encore faut-il le démontrer afin de franchir le seuil de l’anecdotique.

Si cet album aux phylactères envahissantes (mais pouvait-il en être autrement ?) possède le mérite de vulgariser une pensée managériale qui replace l’humain au centre de la fonction de production, le recours au 9è Art (comme vecteur) interroge, tant cela demeure finalement superficiel et léger.

samedi 12 novembre 2016

LADY MECHANIKA

 
© Glénat 2016 - Benitez
Fin de l’arc dans lequel l’égérie de Joe Benitez retrouve Séraphina sans pour autant avoir de certitudes sur ses origines.

Si le scénario reste très classique dans sa trame générale, il sait cependant ménager ses effets (notamment dans son final) et donner du rythme comme de la consistance aux aventures de cette nouvelle héroïne biomécanique et de toute la galerie de personnages hauts en couleurs qui l’accompagnent. Tout en faisant la part belle aux costumes et aux accessoires de toute sorte, Joe Benitez livre encore une fois une partition d’une jolie richesse graphique. Il faut néanmoins remarquer que la densité des planches, comme leur mise en couleur ou le lettrage concourent à une relative saturation qui – même sur deux épisodes – rend la lecture parfois laborieuse. Le kitsch du steampunk trouverait-il là ses limites en matière de fluidité de lecture ?

Le premier opus compilant les trois premiers volets de l’arc, la question était de savoir ce que Glénat comics pouvoir mettre dans cette seconde parution sachant que Le mystère du corps mécanique comprend cinq épisodes ! Si le bonus constitue généralement la cerise sur le gâteau, force est de constater que l’éditeur grenoblois pousse le concept un peu loin. En guise de gâterie finale, quelques illustrations de Lady Mechanika par des dessinateurs US peuvent se concevoir, de même qu’une brève interview. Mais en rajouter, uniquement pour garnir la pagination, avec un second entretien et les previews du prochain arc et de Wraithborn (la future série de l’auteur) pourraient faire croire à d’aucuns que l’on se moque d’eux !

dimanche 6 novembre 2016

ANGEL WINGS

 3. Opération Brodway

© Paquet 2016 - Yann & Hugault
Angela et Jinx vont devoir s’extraire elles-mêmes de cette jungle où leur avion s’est crashé. Mais l’on peut être une bimbo et avoir plus que la moyenne des mecs… 

Dernier volet d’un premier cycle qui clôt l’épopée birmane de l’égérie des Burma Banshees, agent de l’OSS à ses heures. 

Il y a deux manières d’appréhender Angel Wings. La mauvaise consiste à réduire la série à un succédané de clichés, la bonne est de voir là l’occasion de rendre hommage à un groupe de femmes dont l’engagement a été à la hauteur de leurs homologues masculins. 

Pour peu d’aller fureter sur la toile, tout un chacun peut s’apercevoir que le scénario de Yann s’inscrit dans un contexte historique qui ne relève pas uniquement de la fiction ou des fantasmes d’un scénariste machiste. Parallèlement, il ne peut être tenu rigueur à Romain Hugault de bien dessiner les avions et de savoir mettre en valeur la gent féminine. 

Alors si certains et certaines n’apprécient pas ce type de littérature, qu’ils n’en perturbent pas pour autant le plaisir de lecture de leurs voisins par des considérations hors de propos.

100 MILLIARDS D'IMMORTELS

#1 et #2 

© C-Comics 2016 - De Caneva
Édités en crowdfunding et financés à hauteur de 299 %, les deux premiers opuscules de 100 milliards d’immortels, constituent une réussite éditoriale pour ce qui, il y a encore un an, n’était qu’un webcomic. 

Partant du postulat qu’en une nuit, tous ceux que la Terre a portés ressuscitent inopinément, Stéphane de Caneva imagine un thriller qui sent bon les films noirs d’après-guerre (la Seconde !). 

Ressusciter l’Humanité entière ne va pas sans poser quelques questions auxquelles le dessinateur de Metropolis apporte ses propres réponses. Bien évidemment, il ne s’agit pas ici de conceptualiser et développer tout un univers narratif, mais simplement de se distraire avec une histoire bien ficelée et de retrouver le plaisir de ces parutions hebdomadaires qui se lisaient vite et se collectionnaient avec passion. 

Fascicules chorales à l’esprit comic revendiqué, les #3 et #4 (ainsi que l’intégrale) font l’objet d’un nouveau financement participatif. Qu’on se le dise…

vendredi 4 novembre 2016

Interview d'Arno MONIN

La nomination de L’Adoption pour le Prix Ouest France/Quai des Bulles 2016 est l’occasion de revenir avec Arno Monin sur son parcours et ses envies.


L’envolée sauvage, chez Bamboo,  L’enfant maudit chez Bamboo, Merci encore chez Bamboo et enfin L’adoption toujours chez Bamboo ! Ne seriez-vous pas un peu casanier… ou alors fidèle ?
Arno Monin : La fidélité s’installe naturellement. Lorsque vous travaillez avec des gens avec qui cela se passe bien… vous avez envie de continuer ! Et dès lors, que vous avez des projets, vous avez tendance à en parler prioritairement avec les gens avec qui vous travaillez déjà, et puis si tout le monde est d’accord, pourquoi arrêter ? De plus, les conditions de travail qui me sont proposées sont excellentes. Je sais que mon éditeur fait un travail éditorial dont je ne bénéficierais peut-être pas forcément ailleurs. Ceci est assez génial pour un auteur d’entendre vraiment parler de son album quand il sort...

Laurent Galandon, Zidrou : un joli duo de scénaristes !
A.M. : En fait… Avec Laurent, j’ai débuté avec lui ! Après, les albums que nous avons réalisés se sont inscrits dans la continuité. C’est aussi simple que cela ! Avec Zidrou, c’est différent. Comme tout le monde, j’ai craqué sur Lydie, c’est un album qui m’avait vraiment séduit. Parallèlement, Grand Angle voulait travailler avec Zidrou (qui intervenait déjà pour Bamboo sur Boule à zéro). Personnellement, j’étais en recherche d’un projet à ce moment-là. Après deux faux départs - pour dire que cela ne marche pas à tous les coups – Grand Angle m’a proposé une collaboration avec Zidrou sur Merci

Graphiquement comment abordez-vous chaque album ?
A.M. : D’abord, il faut que le plaisir de dessiner soit là. Cela fait une dizaine d’années que je suis dans le métier… et il faut que l’envie demeure. Ensuite, il y a le souci d’affiner ma méthode en enlevant des étapes que je sens comme laborieuses et inutiles. Ainsi, sur L’adoption, je n’ai plus d’encrage, ni de crayonnés préparatoires… Je dessine sur une feuille blanche et je fais monter mes dessins. J’avais envie de revenir à cela. Avant, quand j’étais petit, je prenais une feuille blanche et je faisais un dessin et c’était d’une simplicité qui me faisait rêver. Alors que maintenant que c’est devenu un métier, il y a la table lumineuse, avec cette première esquisse par-dessus laquelle il faut revenir par transparence pour les corrections… Si le fait de multiplier les étapes est très important en tant que débutant - cela permet de s’auto-corriger et  de se maitriser techniquement parlant - je cherche désormais autre chose : aller vers plus de simplicité et de fluidité car cela participe au plaisir que j’ai de faire les choses au quotidien.

Et comment cela s’est-il mis en place ?
A.M. : Sur Merci, je voulais déjà amorcer ce virage technique. Mais cela ne se fait pas de bout en blanc. Les premiers essais n’étaient pas concluants, il me fallait du temps. J’ai mis un mois à un mois et demi pour faire mes réglages, pour refaire mes pages. Sur L’adoption, l’album a été commencé en noir et blanc avec des encrages, version classique ; et puis, je me suis dit « non »,  c’est dommage de repartir là-dessus encore une fois. Sur cet album, le changement de technique concoure à la tonalité générale de l’album. Ma nouvelle manière de faire a tout changé. Par exemple sur la couverture, les couleurs n’auraient pas été ce qu’elles sont si j'avais encré le dessin. Un simple cerné noir et le ressenti des couleurs est différent, elles apparaissent différemment, même sans les modifier, elles vont être cernées et perdre de leur force émotionnelle.

Êtes-vous plutôt du genre à faire énormément de recherches ou faites-vous confiance à votre manière d’appréhender librement les choses ?
A.M. : Je suis un intuitif, et je tâtonne plus que je ne réfléchis. J’accumule des croquis sur lesquels je vais sélectionner des choses qui m‘intéressent puis je les mélange. C’est comme cela que je trouve mes tronches : je fais mes gammes de têtes. Je m’amuse à assembler des éléments. Je me dis que j’aime bien ce regard, que ce coup d’œil est bon, mais que le reste ce n’est pas ça et je recommence. Je procède également comme cela sur les décors que j'aime recomposer. Dans L’Adoption, même si l’album est référencé géographiquement, j’ai eu à cœur de me permettre toutes les (re)compositions possibles. Ainsi, l’aéroport que l’on voit est complètement fictif. Je me suis dis que cela n’avait que peu d’intérêt que deux ou trois personnes reconnaissent tel ou tel aéroport, par contre il était important qu’il retranscrive l’ambiance, l’état émotionnel dans lequel se trouvent les personnages. 

Question pression, travailler avec Zidrou est-ce une bénédiction ou une malédiction ?
A.M. : C’est génial ! C’est une super chance pour plein de raisons et il n’y avait pas de pression particulière.

Comment avez-vous collaboré ?
A.M. : Zidrou m’a livré un découpage complet de l’album et nous avons fonctionné par chapitre. Ainsi, j’avançais toujours en sachant où nous allions, ce qui est très important car il y a certaines scènes qu’il faut préparer, amener assez tôt. Je lui envoyais des lots de pages assez copieux, sur lesquels il réagissait et apportait ses corrections. C’était et c’est un travail très interactif.

Êtes-vous du genre à suivre scrupuleusement les directives du scénariste ou à réclamer votre espace de liberté ?
A.M. : Le scénario de L’Adoption n’a pas bougé, car c’est très important de raconter la même histoire ; de plus les intentions de Zidrou sont très claires, je vois ce qu’il veut dire et j’essaie d’aller le plus possible dans le sens de son propos. Je suis cependant intervenu sur la mise en scène, sur des petits renversements, des optimisations…

Avez-vous des velléités de devenir un auteur complet ? Écrire et dessiner votre propre histoire vous tente-t-il ? Pourquoi ?
A.M. : Cela fait rêver, mais c’est un autre métier ! Je ne sais pas si je serais capable de faire pareil un jour. Par contre, je m’amuse à apprendre en potassant des bouquins, cela m’intéresse beaucoup, je prends des notes. Après, je pense que j’ai le défaut de beaucoup de dessinateurs. Seul, j’ai des tas de scènes qui me viennent à l’esprit, mais j’ai du mal à savoir de quoi je veux parler dans le fond et à m’y tenir… Je ne dis pas que cela ne m’arrivera pas. Pour le moment, je prends des notes sur tout ce qui m’interpelle, ce qui me touche. Ce sont des notes qui peuvent très bien me servir un jour… tout peut s’écrire assez vite ! 

Après L’Adoption, qu’envisagez-vous de faire ? Sortir à La dérobée un album sur La vie d’artiste ou jouer du Tuba ? La musique est-elle une autre passion ?
A.M. : (Rires). C’est un divertissement. La musique c’est physique, c’est direct. Le dessin c’est plus cérébral. Il s'agit d'une question d’équilibre. J’adore chanter et quelques café-concerts suffisent à me faire plaisir.

Mais pour le coup, vous êtes auteur et compositeur ?
A.M. : Ce n’est pas la même chose qu’être auteur complet. Pour une chanson, vous décrivez un tableau. Un scénario, il y a toute une mécanique des évènements… Une chanson, c’est une écriture ramassée, c’est l’esquisse d’un instant dans lequel vous ne pouvez pas raconter trois mille choses. Par contre, il faut savoir de quoi vous voulez parler et en cela je retrouve les problématiques d’un scénariste. Cependant, il est plus facile d’être exigeant sur une chanson, l’exercice d’écriture est plus bref donc facile à mener au bout. Du coup, un scénario semble être un marathon… qui se rapprocherait plus d’un album.


© Bamboo Édition 2016 - Zidrou & Monin

Nota - Décerné lors du festival Quai des bulles, ce prix désigne un ouvrage paru dans l’année. Étaient en compétition : Vive la marée ! de David Prudhomme et Pascal Rabaté (Futuropolis) ; L’été Diabolik, de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse (Dargaud) ; L’adoption, de Zidrou et Monin (Grand Angle) ; Juliette, de Camille Jourdy (Actes Sud) et Le piano oriental, de Zeina Abirached (Casterman). Le lauréat 2016 est L’été Diabolik, de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse.

jeudi 27 octobre 2016

ISABELLAE

 
© Le Lombard 2016 - Raule & Gabor
Invoqués par les Druides, les Formoires surgissent par centaines des entrailles de l'île d'Émeraude. Défaits, Celtes, Anglais et Normands doivent s’unir, malgré leurs rancœurs, pour tenter de survivre. 
 
La Geste des Dieux Obscurs n’est qu’un combat. Dans une mêlée de corps déchirés et de chairs lacérées, quels qu’ils soient, les combattants s’entrechoquent dans un maelstrom où même un dieu aurait du mal à reconnaître les siens. À l’évidence, le souhait de Gabor et Raule est de rendre compte au plus près de la densité des heurts, de la violence des coups portés, de la bestialité régnant au pied de la colline de Tara. Le résultat est à la hauteur de l’intention. Mais comme pour toute chose, l’excès nuit et la profusion se mue en confusion. L’affrontement vire au capharnaüm et sa finalité se consume au fur et à mesure que son issue se dessine.Loin du Japon, la dualité entre les deux cultures n’est plus et Isabellea redevient une série médiévalo-fanstatique lambda. Seul subsiste de l’Empire du Soleil levant un sabre dont, curieusement, la lame arrive à combattre les lourdes épées du Moyen-Âge. Certes, la couleur de Gabor renforce le découpage de Raule et structure la lecture d’une planche, marque les séquences et rythme le récit, mais ce n’est pas suffisant pour donner un sens à l’album.
 
Reste seulement à espérer que le "cliffhanger" final ne donnera pas lieu à un reboot aérien de ce cinquième volet !

HARMONY


© Dupuis 2016- Reynès
Harmony devait mourir d’une dégénérescence neuronale, mais le traitement mis au point par le professeur William Torres l’a sauvée. Tout irait pour le mieux si des effets secondaires pour le moins curieux n’avaient accompagné cette guérison et suscité un intérêt qui dépasse maintenant le simple cadre scientifique pour devenir militaire… 

Avec Memento, le lecteur avait quitté la jeune héroïne, en pleine nuit, épuisée après une performance télékinésique dévastatrice. Dans Indigo, il retrouve Harmony, six ans auparavant, alors qu’elle découvre ses capacités hors du commun.

Après avoir installé son sujet, Mathieu Reynès se devait de répondre aux attentes suscitées en janvier dernier. Si l’essai peut être de toute beauté, la transformation n’en est pour autant jamais acquise et l’exercice demeure toujours délicat, pour ne pas dire périlleux. Dans le cas présent, il est désormais réussi et de belle façon. Il en est ainsi d’un graphisme qui sait capter l’attention des plus jeunes tout en donnant aux plus vieux l’expressivité que requiert un peu plus de maturité. Mais il ne s’agit pas seulement d’un dessin bien en place ou d’une mise en couleurs informatique toute en nuances, comme quoi l’une n’est pas forcément antinomique de l’autre ! Il est surtout question de structuration des planches, du jeu des plans et du découpage des séquences qui donnent son rythme, son sens et son intensité au récit. Ajoutons à cela un scénario des plus travaillés qui met le premier album parfaitement en perspective du second, tout en annonçant de manière subliminale le troisième et il pourra être passé sous silence une profondeur dans la psychologie des personnages rarement atteinte dans une production estampillée jeunesse ! 

Si Ago s’inscrit dans la veine de ses deux prédécesseurs, Mathieu Reynès se prépare là un bel avenir...

VERTIGO

© Le Lombard 2016 - Sergeef & Bufi
Dans les rues de Guatemala city, l’espérance de vie est des plus courtes, même pour les membres des Maras qui règnent sans partage sur les différents quartiers, réglant leur compte dans des bains de sang. Il y a quelques années, Samuel Santos s’en est extrait par miracle, mais c’est pour mieux y replonger aujourd’hui. 

Après une incartade dans le long Hyver de 1709, Nathalie Sergeef revient en Amérique centrale avec Vértigo. La scénariste belge, comme sur Juarez, adopte un propos dense où les héros traînent leurs blessures avec l’espoir qu’elles les aideront à devenir meilleurs. Sur le thème de la rédemption et de la violence qui mine tout un continent, elle relate une histoire pleine de suspens tout en s’attachant à la profondeur de ses personnages. En cela ce nouvel album - en attendant Rançon d'état - satisfera les amateurs exigeants d’une écriture qui prend soin d’éviter toute linéarité sans pour autant se perdre en flashbacks hors de propos. Paradoxalement, une telle efficacité ne se retrouve que partiellement dans le trait d’Ennio Bufi qui, malgré son réalisme, manque cette fois-ci curieusement de constance et crée ainsi une relative confusion dans la compréhension du récit.

Servi par une narration intense et prenante, Vértigo retrace la vie de ces gamins dont l’identité est tatouée à même la peau et pour qui la vie des autres n’a pas plus d’importance que leur propre mort.

MISS HARLEY

#1
 
© Bamboo Édition 2016 - Chantilly & Poitevin
Après être revenue des plaisirs solitaires, Milly Chantilly passe à la vitesse supérieure. Pour s’envoyer en l’air, mieux vaut un bon vieux bicylindre en V de 750 cm3 qu’un moteur électrique de 1.5 V monté sur un canard en plastique, fut-il thermo-moulé !

Aidés de Philippe Gürel pour dessiner les mythiques machines de Milwaukee, Arnaud Poitevin et Mickael Roux débutent chez Bamboo une nouvelle série qui décline motard au féminin. Miss se rêve en Harley, mais n’abandonne pas pour autant sa féminité… Il s’en suit une série de gags en une planche sur le dur apprentissage de bikeuse : délices des révisions, railleries de ses condisciples mâles, problèmes de carburation et choix du tatouage adapté. L’ensemble prêtera plus souvent à sourire qu’à rire et provoquera – vraisemblablement - des poussées d’urticaire à celles qui ignorent les délices du second degré. 

Exit les doux dingues de la Joe Bar Team ou les fausses terreurs de Mammouth et Piston, le Girl Power investit les concessions Harley-Davidson. Mes amis, que va-t-il nous rester ?

vendredi 21 octobre 2016

PERCEVAL

© Le Lombard 2016 - Pandolfo & Risbjerg
Ce jouvenceau ne connaît pas son nom ! D’ailleurs, en a-t-il besoin puisqu’il vit seul avec sa mère au milieu des bois avec pour seuls compagnons les animaux de la forêt ? Sauf qu’un jour, il découvre trois cavaliers revêtus de fer et de lumières… 

Avec Yvain, Gauvain et Lancelot, Perceval représente l’idéal chevaleresque immortalisé au XIIe siècle par Chrétien de Troyes et dont Anne-Caroline Pandolfo s’inspire ici fortement. 

Plutôt que de faire croiser l’épée à son héros, la scénariste de La Lionne préfère le voir croiser la route de différents protagonistes qui, chacun à leur manière, feront de ce jeune anonyme : Perceval. Mais que personne ne s’y trompe, il ne s’agit pas ici de glorifier celui qui, bien qu’aspirant au meilleur, ne saura aller jusqu’au bout de sa quête, laissant cet honneur à Galaad. Il est simplement question de l’accompagner dans ses premiers pas si hésitants, ceux qui firent qu’après quelques erreurs de jeunesse, il eut enfin la certitude de savoir qui il était. Pour suivre ce cheminement initiatique, Terkel Risbjerg s’emploie - au travers d’un trait jouant sur le registre "naïf" (mais parfaitement en place), d’aplats de couleurs et de flashbacks sous enluminures - à renouer, d’une certaine façon, avec un dessin aux réminiscences médiévales. 

Ne possédant pas l’inventivité d’un Morgane auquel l’actualité le rapproche immanquablement, Perceval permet toutefois de découvrir – fort plaisamment - un personnage emblématique mais finalement peu connu.

IROQUOIS

© Daniel Maghen 2016 - Prugne
En cette année de grâce 1609, Québec n’est encore qu’un fortin de bois sur les bords du Saint-Laurent, mais dans ce coin perdu du royaume de France, deux cents ans de guerre se préparent… 

Patrick Prugne excelle dans l’art de l’aquarelle et des paysages et il a trouvé dans les grands espaces américains un terrain d’expression à la mesure de son talent. Porteur d’une vision idéalisée comme a pu l’être celle de ceux qui découvrirent ces contrées dans lesquelles les Nord-Amérindiens vivaient en harmonie… avec la nature, il n’en oublie pas pour autant les luttes fratricides qui les opposèrent. En cela son dessin est à la fois esthétique et quasiment anthropologique comme le laisse à penser le supplément de ce one-shot : il y a derrière chaque planche un souci du détail qu'il faut saluer. Mais, pour faire un album, il faut aussi une histoire. Ici la question se pose de savoir s’il s’agit de celle de Samuel de Champlain, qui pour mieux pacifier les rives du Saint-Laurent, y mit le feu, ou celle, plus introspective de Petite-Loutre, prisonnière et égérie d’une tribu connue autant pour son organisation sociale que pour son art consommé de la guerre. Difficile de savoir tant Patrick Prugne semble hésiter sans trancher, ni vraiment conclure. 

Quoi qu’il en soit une fois refermé, Iroquois invite à en connaître plus sur le destin naissant de la Belle Province et sur la lutte qu’Anglais et Français se livrèrent par tribus indiennes interposées.

HYVER 1709


© Glénat 2016 Sergeef & Xavier
La neige étouffe les cris de ceux qui meurent, mais la traque de Loys Rohan se poursuit dans cet hiver de 1709 qui ne semble ne devoir jamais finir. Pourtant, à une encablure de la côte, un trésor attend celui qui saura le prendre. 

Second et dernier opus du diptyque signé Philippe Xavier et Nathalie Sergeef. Techniquement irréprochable, ce Livre II manque, malgré ses paysages enneigés, cruellement du souffle épique qui sied à ce type d’histoire. Et si quelques longueurs intermédiaires auraient peut-être permis un traitement plus développé du final, il n’y a décemment pas grand-chose à reprocher aux deux auteurs, si ce n’est que de livrer un album par trop calibré et formaté. La même remarque était faite il y a quelques temps sur le dernier tome de L’épervier. 

Philippe Xavier fait du Philippe Xavier ! Certes bien, mais, ne devrait-il pas se mettre un peu en danger en sortant de sa zone de confort ?

jeudi 20 octobre 2016

CHRONOSQUAD

Lune de miel à l’âge de bronze

© Delcourt 2016 - Albertini & Panaccione
Ca y est. Enfin presque ! Telonius Bloch va intégrer la prestigieuse Chronosquad et réaliser son rêve de gosse. Mais au fait, pourquoi choisir un spécialiste de la période médiévale pour l’envoyer dans la IVe dynastie égyptienne ? Certainement un manque de personnel dans ce corps d’élite chargé de surveiller les escapades temporelles de touristes en mal d’exotisme.

Album de science-fiction, BD de divertissement, métaphore socio-historique, Lune de miel à l’âge de bronze est un peu tout cela. La faute il est vrai, si faute il y a, à Giorgio Albertini, médiéviste de formation et accessoirement historien de la bande dessinée. Si le néologisme du nom de la série est des plus explicites, celui du titre sonne cependant comme celui d’un OSS 117, mais version Michel Hazanavicius. Prenant pour prétexte une petite fugue d’adolescents en mal de reconnaissance, le scénariste italien promène son lecteur à travers l’Égypte démotique. Mais, en matière de temps personne n’étant à un paradoxe près, il est également question d’une légère escapade amoureuse en 1491 ainsi que d’une enquête policière en plein Paléolithique… le tout sur fond de satire sociale ! Si l’on ajoute à cela un humour potache et un comique de répétition, il y a là un album des plus agréables à lire malgré ses (presque) deux cent trente-six planches. Avec en guest star le sosie de Marcel Coste - son héros fétiche - Grégory Panaccione se fait visiblement plaisir et prend ses aises dans une pagination qui le lui permet. Cédant aux joies des séquences muettes, mais ô combien bavardes, le dessinateur transalpin laisse croire à une apparente facilité qui s’explique certainement par le rythme effréné de production dont il est capable, certains parlent de soixante planches hebdomadaires ! Toutefois, ce dilettantisme n'est qu'apparent et il confère toute sa personnalité graphique à ce premier volet. 

Soignant leurs références visuelles comme les détails historiques imperceptibles au néophyte, Grégory Panaccione et Giorgio Albertini livrent le premier opus d’une tétralogie déjà pleine de promesses. La suite avec Destination Révolution, dernier rappel annoncée pour début 2017…

lundi 17 octobre 2016

WONDER

© Delcourt 2016 - Bégaudeau & Durand
Renée travaille à l’usine, elle fabrique des piles en banlieue parisienne. En ce début du mois de mai, elle est loin de se douter qu’elle aussi fera sa révolution… 

Renée fait partie de cette cohorte silencieuse qui n’a aucune velléité sociale, mais qui goûte insidieusement, et par inadvertance, à la liberté. Par hasard, à l’occasion d’une manifestation, elle découvre un nouvel univers de l’autre côté du périphérique, là où la dictature des intellectuels remplace celle des petits contremaîtres. Ainsi, de Charybde en Scylla, Wonder (c’est ainsi que ses compagnons de lutte la surnomment) va s'adonner aux délices du surréalisme libertaire, donner un sens à sa vie, elle qui avant de pouvoir transformer le monde voudrait d’abord changer. 

Pour retranscrire cet itinéraire quasi initiatique, Élodie Durand joue du noir et blanc. Cette dualité symbolise la poussière de manganèse et le blanc virginal de la rosière, deux valeurs cardinales qui cadrent l’existence de la jeune ouvrière. La dessinatrice tourangelle les oppose à la couleur de ses crayons comme s’affrontèrent, à l’époque, deux conceptions radicalement opposées de la société. Mais la transgression sociale qu’opère la jeune femme se matérialise aussi dans la structure même des planches : la rectitude et l’ordonnancement des cases s’estompent doucement pour définir un nouvel espace de création, avant de resurgir à nouveau, pour mieux disparaître... peut-être définitivement. 

Simple et avec de belle envolées graphiques, Wonder laisse penser que, le rouge de la révolte désormais aux lèvres, Renée peut enfin décider de son destin....

lundi 26 septembre 2016

MORT AUX VACHES !

© Futuropolis 2016 - Ducoudray & Ravard
Après un gentil braquage, Ferrant, Romu, Cassidy et José éprouvent une envie subite de campagne. Rien qu’un mois et après chacun pourra pleinement jouir de son larcin sous d’autres cieux. Enfin, si c’est possible !  

Mort aux vaches ! , faut reconnaître, c'est du brutal ! D’aucuns lui trouverait du Audiard dans les dialogues : y’en a. Et puis du Lautner dans le scénario ? Si, y'en a aussi ! Et ces gangsters en quête de ruralité ne rappelleraient-ils un peu Canicule d’Yves Boisset, jusqu’au tonton qui a des airs de Gabin dans La Horse de Pierre Granier-Deferre… S’il est fait abstraction des références cinématographiques, il est clair qu’Aurélien Ducoudray a fait dans le champêtre. De la crise de la vache folle, aux matériels de la concession du coin, aux cours de sélection appliquée en passant par les dancings du Boischaut ou les filières matrimoniales roumaines, cela sent le vécu, le rural profond. Ajoutez à cela une bande de bras cassés pour le moins inhabituelle et une compagnie de perdreaux qui le jour où l’intelligence a été distribuée devaient être ailleurs : le tableau de la situation est à peu près exhaustif. Et pour mettre en couleurs tout cela, quoi de mieux qu’un petit noir et blanc très vintage et un trait qui fait plus dans l’expressif que dans le figuratif ?  

Avec Mort aux vaches ! , Aurélien Ducoudray et François Ravard revisitent le thriller pastoral, celui qui fleure bon le Pascal, l’ensilage frais et les vapeurs de fuel.

LA DIFFERENCE INVISIBLE

© Delcourt 2016 - Dachez & Mademoiselle Caroline
À vingt-sept ans passés, Marguerite ne se sent toujours pas en phase avec le monde qui l’entoure. Il faut dire qu’au bureau, elle n’est pas des plus "corporate", qu’elle a horreur du bruit et préfère la compagnie de ses deux chats à celle de ses collègues, sans parler de ses petites manies ! Marguerite ne le sait pas encore, mais elle est atteinte d’une forme d’autisme : le syndrome d’Asperger. Cette différence invisible fait toute sa singularité. 

Super Pépette (alias Julie Dachez), l’autiste qui parle et qui en plus a des choses à nous dire, troque la vidéo pour la plume et avec Mademoiselle Caroline et Fabienne Vaslet tente d’expliquer au commun des mortels ce qu’est un(e) aspie ! Évidemment, vu de l’angle du plus grand nombre, Marguerite n’est pas aussi neuroatypique qu’elle voudrait le faire croire... Telle est la sentence de ceux qui se sentent du bon côté de la normalité. Alors, avec ses mots, l’aspirante aspie explique ce qu’est sa vie, elle pour qui les choses en apparence les plus banales font figure d’exploit. Longtemps Julie n’a pu mettre un nom sur son état et, aussi curieusement que cela puisse paraître, le jour où elle fut diagnostiquée, ce fut pour elle une révélation. Loin de culpabiliser, elle décide alors de choyer son altérité afin de vivre en harmonie avec elle-même. Pendant vingt-sept années, son existence fut de se contrarier, un peu comme ces gauchers qui se doivent d’être droitiers, maintenant, basta, elle se réapprend. 

Léger, mais non superficiel, le crayon sans fioritures de Mademoiselle Caroline alterne les séquences où Super Pépette se raconte et celles où la dessinatrice livre quelques clefs comportementales. Didactique et ludique, l’album donne à découvrir le quotidien et les codes d'un univers qui finalement se révèle plein de couleurs... et de petites cuillères ! Et si (re)connaître ne signifie pas forcément comprendre, de page en page, Marguerite, de bizarre, devient juste différente ! 

La richesse se nourrit de la diversité, encore faut-il la préserver…. sans toutefois la cultiver à l’excès !

vendredi 23 septembre 2016

AU FIL DE L'EAU

© Rue de Sèvres 2016 - Díaz Canalès
Ancien dessinateur d’animation devenu scénariste, Juan Díaz Canalès se (re)met à la planche à dessin pour Au fil de l’eau paru chez Rue de Sèvres. 

Ainsi, après le polar anthropomorphique, le fantastique (Fraternity), l’humour (Les patriciens) et la résurrection d’un mythe avec le dernier volet de Corto Maltese, le dessinateur madrilène se lance dans un one-shot en noir & blanc au registre des plus classiques, preuve – s’il en était besoin – de son éclectisme. 

Autour du temps qui s’écoule imperturbable et de son issue inéluctable, Juan Díaz Canalès met à plat une certaine conception de la vie. Plutôt que de s’essayer à de métaphysiques circonvolutions, il ancre son récit dans les quartiers populaires de Madrid, peuplés de cette classe moyenne qui voit la crise doucement l’entrainer vers la paupérisation. À travers le destin de Niceto, ancien militant républicain, il est alors question de désillusion - au travers d’un fils catholique fervent -, mais également d’espoir en l’avenir grâce à un petit-fils plus près de Podemos que du Partido Popular. Présenté comme un polar, Au fil de l’eau utilise une série de meurtres comme fil rouge, mais relève plutôt de la chronique sociale du temps qui court à travers les générations et qui finalement met tout le monde face à sa finitude. Niceto en a pleinement conscience, mais n’espère-t-il pas qu’un peu de lui-même subsistera quand son futur arrière-petit-fils naîtra ? Face à tant de matière et quelques jolis passages, le scénario se trouve à l’étroit même sur quatre-vingt-dix planches et il n’aurait pas été inutile de s’attarder plus sur la psychologie de personnages trop nombreux pour être pleinement approfondis. Toutefois l’essentiel est dit, mais l’indicible - propre aux relations humaines - peine à prendre toute son ampleur. 

Si Juan Díaz Canalès n’a pratiquement plus rien à prouver en matière de scénario, c’est sur son dessin qu’il se met en danger. Après un prologue riche de belles promesses, la suite s’avère plus déconcertante. Alors que les décors sont parfaitement maîtrisés à l’image de la couverture de la version espagnole, les personnages ne font pas toujours preuve de la même maturité laissant encore une marge de progression dans la fluidité du trait ainsi que dans la finesse de certains encrages par trop appuyés, mais desquels se dégage une empathie qui recentre l'album sur les valeurs qui le sous-tendent. 

À sa manière, Au fil de l’eau contribue à démontrer qu'une chronique reste, avant tout, un exercice subjectif !

À COUCHER DEHORS

Tome 1 
 
© Bamboo Édition 2016 - Ducoudray & Anlor
Nicolas, n’est pas franchement dans la Lune, ni même dans les étoile, il est ailleurs… en orbite autour de la Terre. En fait, il rêve d’être Gagarine. Il faut dire que Nicolas est loin d’être débile, il est simplement trisomique ! 

Confier un gamin à trois sans domicile fixe, il faut oser. Mais en les personnes d’Amédée, de Prie-Dieu et de la Merguez, Aurélien Ducoudray a trouvé trois rois mages du pavé parisien qui possèdent encore une once d’éthique et d’espoir en l’espèce humaine (à l’exception cependant des porteurs d’uniforme !). Bien que le scénario soit construit sur un concours de circonstances, dont la probabilité est largement inférieure à celle de gagner la super cagnotte de l’Euro-millions, ceci n’empêche pas d’y croire et de savourer la manière dont Amédée se prend d’affection pour son jeune protégé et ce à l’insu de son plein gré. Comme la mode est aux papy-boomers qui redécouvrent la joie de la parentalité, le rapprochement avec L’adoption de Zidrou ou Les vieux fourneaux de Lupano est immanquable, mais sans grand intérêt bien que les ressorts narratifs présentent quelques similitudes. À ce propos, une attention toute particulière aux dialogues et au graphisme d’Anlor qui donnent sa tonalité à cette histoire, Que de chemin parcouru depuis la colonie de Mettray et Les Innocents coupables ! Désormais, son trait délaisse le réalisme pour explorer un registre à la limite de l’étude de caractère et de la caricature. Là réside sans doute le petit plus qui fait l’attrait de cet album - et de ceux cités précédemment - cette capacité à susciter une empathie quasi immédiate pour des personnages bien typés, même s’ils pêchent parfois par excès. 

Sur une galerie de portraits hauts en couleurs, Aurélien Ducoudray et Anlor bâtissent un récit plein d’humanité et d’humour.

CONFESSIONS D'UN ENRAGE


© Glénat 2016 - Otéro
La douceur du Maroc, l’insouciance de l’enfance, effacées d’un simple coup de griffe ! Il y eu un avant radieux, il y aura un après sombre et interminable. La rage au cœur, la hargne au ventre, Liam gaspille sa vie à lutter contre la bête qui lui ronge les entrailles, celle qui veut son âme.

Il est des couvertures, fussent-elles perdues entre mille, qui attirent le regard. La composition de Vérane Otéro est de celles-ci, véritable condensé du second album en tant qu’auteur complet de Nicolas, son mari.

Écrit à la première personne, Confession d’un enragé n’est pas uniquement une autobiographie. Il est également question d’une réflexion sur cette révolte sourde et maladive qui étreint fasse à l’injustice ou, plus prosaïquement, face à certaines contrariétés. Liam ne peut contenir cette violence qu’il laisse parfois éclater dans une bouffée destructrice. Inconsciemment, il s’invente un châtiment qui lentement l’attire dans une spirale autodestructrice à la fin sans surprise. Traité sur le ton de la nostalgie, de l’humour, de la dérision, puis du cynisme et enfin de l’espoir, Nicolas Otéro livre le récit ambigu d’un coupable que l’on voudrait victime. Liam porte-t-il à jamais les séquelles latents de la rage, comme l’analyse clinique qui rythme le récit tendrait à le faire croire, ou s’agit-il de quelqu’un qui cultive sa névrose avant d’être totalement dépassé par celle-ci ? Peu importe, le récit se lit d’une traite et quelle que soit l’hypothèse retenue par le lecteur, celui-ci se retrouve inexorablement entraîné par la relation symbiotique qu’entretient le jeune héros avec sa maladie… avec ce félin intérieur ! Pour rendre compte du crescendo des tensions, Nicolas Otéro matérialise le mal qui prend possession du jeune garçon par une mise en couleur et des circonvolutions travaillées, renforçant ainsi un graphisme qui, curieusement et malgré toutes ses qualités, ne peut exprimer toute la perversité d’un garçon qui fait plus figure de sale gosse que de bad boy. 

Sept vies, tel était le marché ! À bien y compter, il en resterait deux… Suffisamment pour tenir la bête à distance sous réserve de ne pas y céder encore, et encore !